Intellectuel et militant burundais, David Gakunzi décrypte pour Jeune Afrique les zones d’ombre autour de l’« Institut Mandela de Paris », un organisme non identifié qui vient de décerner le « prix du Courage » au président burundais Pierre Nkurunziza.

Il est des gens qui ne respectent rien. Même pas le nom et la mémoire de Nelson Mandela. Comme les représentants de l’Institut Mandela, qui se baladent d’une ambassade africaine à une autre, d’un colloque à l’autre, heureux de poser en photo aux côtés des personnalités croisées sur leur chemin.

L’Institut en question, association française déclarée le 26 novembre 2014, serait, selon la notice figurant sur sa vitrine web,  « un think tank (…) de promotion d’égalité des chances, favorable à l’économie de marché, à la solidarité internationale et à l’unité africaine ». Lequel aurait pour mission « de garder vivants l’esprit et l’inspiration du président Mandela et de promouvoir ses valeurs de société ouverte et de paix partout sur le continent, par une diplomatie intellectuelle ».

Casting surprenant

En décembre 2013, Giscard sera le seul ancien chef d’État français à ne pas être convié aux obsèques de Mandela

Au regard du profil des membres composant le conseil exécutif de cette association, le casting apparaît pourtant surprenant. Qui trouve-t-on au sein de l’instance pilotant l’Institut ? Un expert ès défense proposant « des drones militaires aux gouvernements africains » ; un accompagnateur d’hommes d’affaires russes et autrichiens désirant investir en Afrique ; et, last but not least, Olivier Stirn, autoproclamé « ami de Mandela ».

Pour les moins de vingt ans, Olivier Stirn fut secrétaire d’État aux Affaires étrangères de 1978 à 1981, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, à une époque où la France a fourni à l’Afrique du Sud, en plein régime d’apartheid, la centrale nucléaire de Koeberg (pour laquelle l’accord avait été signé en 1976, lorsque Stirn était secrétaire d’État aux DOM-TOM).

Une époque également où, à en croire les révélations du journal sud-africain Daily Maverick, l’ambassade sud-africaine à Paris était l’un des “hubs” d’un système de contournement de l’embargo sur les armes imposé à Pretoria par les Nations unies – au vu et au su de la DGSE, les services français étant même soupçonnés de complicité active. En décembre 2013, Giscard sera le seul ancien chef d’État français à ne pas être convié aux obsèques de Mandela.

 

Usurpation sans-gêne

Que reprocher à cet institut ? La confusion, d’abord. L’usage et l’exploitation du nom de Mandela qui lui est accolé, sans accord, sans autorisation préalable écrite de la Fondation Mandela. Usurpation sans-gêne et utilisation du renom de Mandela à des fins contestables, très éloignées de la pensée et de l’éthique du leader emblématique de l’ANC.

Plusieurs chefs d’États africains – les présidents de la Tanzanie, du Kenya ou encore du Tchad, pour n’évoquer que ceux présents au palmarès 2017 -, sont déjà tombés dans le panneau, accueillant même parfois le “Prix” avec communiqués de presse officiels… C’est que la confusion, savamment entretenue, fonctionne à merveille, les personnalités contactées étant fondées à penser que la Fondation Mandela d’Afrique du Sud ou les ayants droits sont dûment avisés. Ce qui n’est pas du tout le cas.

Quelle est la finalité de cette appropriation indue du patronyme de Mandela et de son usage détourné ?

Fait troublant : en mars 2016, Paul Kananura, président de l’Institut Mandela, signe avec un certain Mohamed Harakat, responsable du master « Stratégie et gouvernance en Afrique » de l’Université Mohammed V de Rabat – et par ailleurs membre du comité exécutif de l’Institut Mandela -, un protocole de partenariat et de coopération. Le hasard combinant bien les choses, le même Harakat se retrouve co-lauréat du Prix Mandela 2017.

Pierre Nkurunziza primé

 

Comment peut-on insulter la mémoire de Mandela en décernant le Prix baptisé de son patronyme au fossoyeur de l’accord de paix d’Arusha ?

Plus grave : l’attribution du « Prix Mandela du courage 2017 » à un personnage aux antipodes des valeurs incarnées par Mandela : le président-pasteur du Burundi, Pierre Nkurunziza. Franchissement de toutes les bornes de l’indécence.

Comment peut-on insulter la mémoire de Mandela en décernant le Prix baptisé de son patronyme au fossoyeur de l’accord de paix d’Arusha, dernier accomplissement politique majeur sur la scène internationale de l’ancien président sud-africain ? Comment peut-on associer le nom de Mandela, géant au service – toute sa vie – du droit, de la justice, de la paix à celui de Pierre Nkurunziza ?

Quelle est au fond l’essence de cet Institut ? Un système conçu et organisé à des fins d’autopromotion politique et économique personnelle ou une structure imaginée par des milieux occultes usant et abusant du nom de Mandela pour couvrir d’inavouables agissements ?

Dans les deux cas de figure, au nom du respect dû à Nelson Rolihlahla Mandela, il faut mettre un terme à cette confusion délibérée portant atteinte à la mémoire d’un homme d’une grande noblesse dont le nom ne mérite pas d’être ainsi détourné.

Voilà les faits. Nul ne pourra plus oser dire désormais qu’il fut dupé et abusé de bonne foi par les faussaires de l’Institut Mandela.

 

Par David Gakunzi

Originaire du Burundi, David Gakunzi est un ancien fonctionnaire international, connu pour son parcours d’intellectuel engagé. Il est à l’origine de nombreuses initiatives dont le Centre international Martin Luther King, la caravane pour la paix en Afrique, l’université africaine de la paix.

Source: Jeune Afrique

Le 08 janvier 2018