Forces   de   libération  africaines de   Mauritanie

Le manifeste du négro-mauritanien opprime Février 1966-Avril 1986

De  la  guerre civile  à  la  lutte  de  libération  nationale

Avril 1986

 

Manifeste (des 19)

 

« Le 4 janvier 1966 les élèves noirs du lycée de Nouakchott ont déclenché une grève qu’ils déclarent illimitée en vue de faire supprimer la mesure rendant obligatoire la langue arabe dans l’enseignement du second degré.

Cette action énergique ne fait que révéler un malaise profond et latent, car il est notoire que l’étude obligatoire de la langue arabe est pour les Noirs une oppression culturelle. Cette mesure constitue ensuite un handicap certain à tous les examens pour les élèves noirs qui, de façon consciente ont toujours repoussé l’étude de la langue arabe qu’ils savent un frein à leur développement culturel et scientifique et contre leurs intérêts. C’est ainsi qu’au lycée de Rosso des élèves noirs ayant obtenu la moyenne dans l’ensemble des disciplines ont eu à redoubler pour n’avoir pas eu la moyenne en arabe.

Il peut paraître étonnant qu’aucune voix ne se soit élevée parmi l’élite et les responsables noirs, pour protester contre une décision qui fasse déjà l’égalité des citoyens et cela dans un domaine aussi essentiel que l’éducation.

C’est pourquoi, nous citoyens mauritaniens à part entière, soussignés, déclarons appuyer fermement et sans réserve l’action des élèves. Nous entendons dès cet instant reconsidérer certaines bases de la coexistence entre Communauté noire et Communauté blanche ; car à l’heure actuelle nous assistons à l’accaparement total de tous les secteurs de la vie nationale par l’ethnie maure. A l’appui de cette thèse, voici des faits patents qui révèlent la gravité de cette situation. Dès l’accession de la Mauritanie à l’autonomie interne, le régime mis en place s’empressa de créer le mythe d’une prétendue majorité à 80 % maure, le mythe du quart était né et règle depuis lors les dosages au niveau de toutes les instances politiques et administratives. C’est ainsi qu’au gouvernement il y a deux ministres noirs sur neuf, au Bureau politique national trois Noirs sur treize membres, à l’Assemblée nationale dix députés noirs sur quarante. Ceci étant, la vie politique administrative ne pouvait être que le fidèle reflet de la situation au sommet. Il est remarquable que les postes de Président de la République, chef du gouvernement, de ministre de la Défense nationale, des Affaires étrangères, de secrétaire général aux Affaires étrangères, de Ministre de la Justice, de l’intérieur, de directeur de la Sûreté et des forces de la police, de directeur de l’information, de directeur de l’Enseignement, de directeur général du Plan, de la Fonction publique et de président de la Cour suprême, etc… sont concentrés selon une règle inavouée, mais systématique entre les mains de l’ethnie maure.

Il est à constater par ailleurs que sur douze cercles du pays un seul est placé sous la responsabilité d’un administrateur noir et sur près de trente subdivisions seulement sont sous la responsabilité de fonctionnaires noirs.

– Que des cadres noirs sous-employés végètent tandis que des traîtres à la Nation, condamnés, se trouvent régulièrement engagés à des postes de choix dans la Fonction Publique.

– Que dans la Mauritanie du Sud, exclusivement Noire, tous les commandants de cercle, les chefs de subdivision, les chefs de postes administratifs, les commissaires, exception faite pour Rosso, les juges, les chefs de brigade de gendarmerie, et même les maires-délégués sont tous des Maures.

– Que la présence dans cette partie du pays de ces détenteurs de l’autorité se traduit par des actes infâmes d’asservissement, d’humiliation, d’oppression commis à l’endroit des populations Noires, honnêtes, loyales, courageuses et laborieuses ;

– Que leurs agissements par leur manque de respect pour la tradition biens fonciers, valeurs spirituelles, sèment la panique, la désolation et l’amertume parmi les populations noires exaspérées et au bord de la révolte. L’exemple de Sass Ould Guig à l’égard des Peulhs de Kaédi est assez édifiant. Ce responsable s’est permis de faire arrêter, battre, torturer lâchement, humilier, emprisonner de paisibles Peulhs dont le seul crime fut le désir de créer une coopérative conformément aux nécessités du développement.

– Qu’à Rosso un découpage administratif insidieux vient d’isoler et de rattacher tout le canton de R’Kiz exclusivement maure.

– Que quinze gendarmes noirs valides viennent d’être mis prématurément à la retraite sans pension.

– Que dans les rangs des goums de la Garde nationale, de la Gendarmerie, de l’armée, de la Police où naguère les Noirs dominaient en nombre, la valeur et la vocation étant les seuls critères, la proportion des Noirs de 90 % qu’elle était, est retombée à près de 25 %.

– Que les Noirs arabisants ne se recrutent qu’à 10 % parmi les enseignants mauritaniens arabisants, parce que le régime ferme aux plus doués d’entre eux les portes du succès aux examens, les commissions de correction recrutées dans l’ethnie maure, veillant à ce qu’il en soit ainsi.

– Que le recrutement à l’Institut des études islamiques de Boutilimit accorde aux élèves noirs 5 % des effectifs.

– Que les Noirs arabisants ne comptent aucun Inspecteur primaire alors qu’ils disposent de cadres au moins aussi instruits, aussi cultivés et aussi capables que les cadres maures arabisants.

– Que les cinquante bourses mises à la disposition de la Mauritanie par le Koweït réparties sans l’avis d’aucune commission, sept seulement furent attribuées aux candidats noirs.

– Que le régime a toujours travaillé pour qu’à l’extérieur, la Mauritanie apparaisse comme un pays essentiellement maure.

– Dans cette optique le Chef de l’Etat lui-même prend soin de toujours souligner à l’extérieur « que la Mauritanie, en majorité arabe, compte une minorité d’origine africaine » (discours de Bizerte) comme si cette présence prétendue minorité était là par un accident de l’histoire alors que l’accident de l’histoire ce sont bien les invasions berbères ;

– Qu’à Nouakchott où les citoyens noirs sont au moins aussi nombreux que les Maures, le Conseil Municipal compte quatre Noirs sur vingt deux membres.

Il est à souligner par ailleurs que simultanément au désir exprimé par les Maures de voir officialiser la langue arabe, la communauté noire exigeait que lui soient consenties des garanties concrètes et absolues contre toute assimilation que les responsabilités nationales soient partagées et que la constitution soit révisée dans un sens Fédéral (congrès 1961 et 1963). Mais le régime politique, peu après avoir muselé certains porte-parole noirs, s’est ménagé l’officialisation de la langue arabe dont la première étape est cette mesure rendant l’arabe obligatoire dans le premier et le second degré, cependant qu’il étouffe les revendications fondamentales de la Communauté noire.

Les Maures savent qu’avec l’arabisation à outrance le pays va à l’échec. Mais y tiennent tout de même, animés qu’ils sont par un complexe d’infériorité devant la supériorité qualitative des cadres noirs, et poussés par le désir ardent de couper la Communauté noire de l’ensemble négro-africain et à réaliser ainsi l’assimilation des Noirs à leur mode de vie et de pensée.

Ainsi le bilinguisme n’est qu’une trahison à l’endroit des Noirs car il tend à les écarter de l’ensemble des affaires de l’Etat.

Toute cette situation se traduit par un marasme général qui affecte tous les rapports entre citoyens maures et noirs.

En effet, la jeunesse du pays, future relève, se trouve profondément divisée.

A Dakar, à Paris, au Caire et dans les autres centres universitaires, les groupes d’étudiants noirs et groupes d’étudiants maures sont à couteaux tirés dans tous les établissements du second degré, la scission est consommée entre élèves noirs et élèves maures.

Considérant que les membres de la communauté noire sont irréversiblement engagés à recouvrir intégralement leur liberté et leur dignité, à choisir librement une culture et un mode de vie conforme à leur civilisation négro-africaine, à leur aspiration au progrès, au développement harmonieux de l’homme, et convaincus que l’obstination du régime dans sa politique aboutira fatalement au chaos et à la guerre civile.

 

Nous soussignés :

– Déclarons être hostiles à la mesure rendant l’arabe obligatoire dans les enseignements primaires et secondaires.

– Engageons le combat pour détruire toute tentative d’oppression culturelle et pour barrer la route à l’arabisation à outrance.

– Exigeons l’abrogation pure et simple des dispositions des lois 65-025 et 65-026 du 30 janvier 1965 rendant l’arabe obligatoire dans les 1er et 2ème degré et qui ne tiennent aucunement compte des réalités mauritaniennes.

– Rejetons le bilinguisme qui n’est qu’une supercherie, une trahison permettant d’écarter les citoyens Noirs de toutes les affaires de l’Etat.

– Dénonçons la discrimination raciale, l’illégalité, l’injustice et l’arbitraire que pratique le régime en place.

– Dénonçons toute confusion hypocrite visant à poser un problème à tendance politique (arabe) sous l’optique religieuse (islam).

– Nions l’existence d’une majorité maure, car les propositions proclamées sont fabriquées pour soutenir le régime dans l’application intégrale de sa politique de médiocrité déjà entamée à l’endroit de la communauté noire.

– Exigeons le remplacement immédiat de tous les commandants de cercle et Adjoints, des chefs de subdivision, des chefs de postes administratifs, des commissaires de police, des commandants de gendarmerie, des juges et maires-délégués, tous maures se trouvant dans le Sud par des administrateurs et fonctionnaires noirs, seuls soucieux du développement de cette partie du pays et respectueux des populations, et de toutes leurs valeurs.

– Exigeons le placement immédiat de tous les cadres noirs sous-employés dans les situations conformes à leurs diplômes et références.

– Sommes prêts à rencontrer le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Groupe parlementaire ;

– Mettons en garde tout responsable noir contre une éventuelle prise de position susceptible de léser les intérêts de la Communauté (noire) ;

– Jurons sur notre honneur de ne jamais transiger ni avec le devoir, ni avec la conscience, de ne jamais nous départir de nos positions justes et honnêtes, de nous maintenir dans ces positions jusqu’à la disparition totale de toute tyrannie, domination et oppression exercées sur la Communauté noire et jusqu’à ce que tout citoyen noir vive libre, digne et heureux en Mauritanie ».

 

Les signataires :

1 – Koïta Fodié                                                           11 – Traoré Jiddou

2 – Sy Oumar Satigui                                      12 – Sow Abdoulaye

3 – Kane Bouna                                             13 – Bâ Abdoul Ismaïla

4 – Koulibaly Bakary Manso                         14 – Kane Nalla

5 – Dafa Bakary                                            15 – Bâ Ibrahima

6 – Diop Mamadou Amadou                         16 – Traoré Djibril

7 – Seck Demba                                            17 – Ball Mohamed el Bachir

8 – Bâ Mamadou Nalla                                              18 – Sall Abdoulaye

9 – Bâ Abdoul Aziz                                       19 – Sy Ibrahima

10 – Bâ Ali Kalidou

 

Février 1966

 

Ce texte que vous venez de lire est le « Manifeste des 19« .

 

Les préoccupations contenues dans ce manifeste étaient les mêmes que celles de l’Union des Originaires de la Mauritanie du Sud (U.O.M.S.), lorsque ce mouvement se manifesta, en août 1957 pour défendre les intérêts de la communauté noire opprimée par la collusion Français-Arabo-Berbère.

Après avoir tiré la conclusion qu’une cohabitation politique définie dans l’égalité et la justice entre les deux communautés racio-culturelles était illusoire, les dirigeants du Parti de l’Union nationale mauritanienne (U.N.M.) proposèrent, eux aussi en 1961, l’intégration du Sud à la Fédération du Mali. Pour avoir exprimé des revendications aussi légitimes, des mesures édictées par le gouvernement de Ould Daddah les faisaient assigner à résidence dans le Nord en février 1961. En tout cas, dans l’histoire politique de ce pays, le Système beydane n’a encore jamais désavoué les revendications chauvines pour une intégration de la Mauritanie à la « Nation arabe ». Au contraire. Pour preuve, les propos d’un ancien ministre des Affaires Etrangères de O/ Daddah, Hamdy O/ Mouknas. Celui-ci déclarait en 1974 dans une interview accordée au journaliste italien Attilio Gaudio, le directeur du journal « Remarques africaines » que la France avait commis une erreur politique en intégrant la Mauritanie à l’A.O.F.. Selon lui, ce pays n’a rien à voir ni culturellement, ni historiquement avec cette région ouest africaine !!! Comme pour lui donner raison, l’actuel président Maouya tenait le même genre de propos dans une interview accordée à François Soudan et Mohamed Selhami et publiée dans le spécial Jeune Afrique (25 décembre 1985 – 1er janvier 1986) : « …La Mauritanie doit renouer avec ses traditions ancestrales basées sur le nomadisme. Sédentariser à tout prix notre peuple, ce serait tuer l’essence de notre patrimoine culturel« . Sans commentaire.

Tous ces propos ont été tenus par des prétendus dirigeants d’un pays multinational et pluriculturel. Tous ces discours prouvent que ces « dirigeants » sont incapables de transcender leur dimension raciale et ethnique propres pour se situer au-dessus des communautés aux intérêts si divergents.

Au cours des années 1960 – 1965, le néocolonialisme français raciste, pro-beydane commença à être remis en cause par une génération de jeunes intellectuels beydanes ayant séjourné pour la plupart au Moyen-Orient. Ces jeunes étaient revenus en Mauritanie idéologiquement intoxiqués par le national – chauvinisme nassérien et baasiste. Ils trouvèrent en la communauté beydane un terrain favorable à la diffusion de leurs idées.

En effet, la communauté, en crise d’identité culturelle, était psychologiquement réceptive à toute théorie qui pouvait l’intégrer à un monde auquel elle avait toujours rêvé être assimilé : le monde arabe.

C’est d’ailleurs son droit le plus absolu de s’identifier à n’importe quelle culture. Mais son droit s’arrête là.

C’est dès cette période que cette nouvelle génération de beydanes panarabistes commence à influencer réellement la vie politique et culturelle en Mauritanie. L’orientation panarabiste et chauvine du beydanisme (Apartheid mauritanien) va ouvrir désormais le pays au monde arabe.

Le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Egypte, l’Irak, la Syrie, le Koweït, l’Arabie Saoudite s’évertuent, à qui mieux mieux, à faire disparaître la partie nègre du pays. La Mauritanie et le Soudan ne sont-ils pas perçus comme les deux plaies de la Ligue arabe parce qu’habitées par des populations non arabes qui rejettent toute idée d’assimilation et d’intégration.

Ce courant chauvin et raciste beydane va encourager la promulgation des lois 65-025 et 65-026 de janvier 1965 rendant l’arabe obligatoire dans les enseignements primaires et secondaires. La grève des élèves noirs et les événements raciaux de février 1966 sont une des conséquences de l’application de ces lois. Mais les causes réelles de ce conflit racial sont lointaines. Elles sont les mêmes que celles qui furent à l’origine des manifestations de sécession dans les années 1957, 1958, 1959 et 1961 : l’oppression raciale et culturelle contre les Noirs.

La communauté négro-mauritanienne était pleine de frustrations politiques, culturelles, sociales et économiques qui ne pouvaient s’exprimer que par une explosion de violence, de haine. Aujourd’hui, ces sentiments sont multipliés par 100. Aucun Noir, quelle que soit sa situation sociale, politique n’y échappe. Mais le drame est  que le Système beydane n’en prend pas conscience. En tout cas, le Système beydane (SB) n’a tiré aucune leçon positive de ces événements raciaux. Quelle que soit la faiblesse tellurique, après un tremblement de terre, on doit s’évertuer à reconstruire sa maison sur des fondations solides et durables, avec des matériaux mieux adaptés. On ne peut se contenter de colmater les brèches occasionnées par une première secousse. Sinon à la seconde, la maison ne sera plus habitable. Il faudra alors la détruire. Cette secousse peut venir à tout moment, quelques années après la première secousse. Mais elle viendra quand même.

Le colonisateur français avait choisi la nationalité beydane comme l’ethnie « guide » de ce pays. Une preuve parmi tant d’autres : les propos du gouverneur Chazal qui, à l’occasion des élections de 1947, mettait Abdallah O/ Cheikh Sidya en garde contre la campagne que menaient les originaires du Fleuve auprès de leurs populations. Il écrivait : « … Les Noirs s’organisent activement dans le Fleuve. Si vous ne mobilisez pas vos hommes et vos femmes à l’occasion de ces élections, ils remporteront la victoire et gouverneront alors ce pays qui vous appartient»

Pour la France, la Mauritanie appartient donc aux Beydanes qui seuls doivent la diriger. Cette opinion n’a pas évolué de nos jours. C’est pourquoi, dans leurs relations avec eux, les Noirs ne doivent jamais perdre de vue cet aspect. Par principe, ils doivent voir en la France et les Français des ennemis de la communauté négro-mauritanienne. Les Français vont aider par conséquent les premiers éléments de la classe politique beydane naissante à s’engager dans ce processus de domination à l’occasion du Congrès d’Aleg en mai 1958. Pour O/ Daddah et ses amis, il fallait assurer un monopole politique de leur communauté pour garantir la prétendue sécurité dans un environnement géopolitique et culturel (Afrique de l’Ouest) dont elle ne s’identifie pas. D’où les réactions primaires de la Nahda des Moustapha O/ Salek, Ahmed Baba Miske et autres dont les préoccupations racistes et chauvines se résument dans les propos de O/ Mouknass.

Donc la classe politique beydane avait compris aussi très tôt qu’il ne suffisait pas de contrôler le pouvoir politique pour assurer une domination définitive de sa communauté dans ce pays. Avec l’aide de l’appareil politique hérité du colonisateur français, il a mis en œuvre un programme de contrôle de l’économie et du commerce, de l’administration, de l’éducation et de la formation.

Cette beydanisation se retrouve également dans la volonté unanime, pour le Système beydane (SB), de nier les spécificités tant culturelles qu’organisationnelles. Le SB cherche à mouler systématiquement toutes ces spécificités dans une société globale beydane – arabe « idéologisée », au sein de laquelle est imposé le mythe de la prétendue majorité maure. C’est pourquoi, il s’est toujours arrangé, depuis 1960, à ce que les taux de représentativité entre Beydanes et Noirs dans la population mauritanienne soient demeurés les mêmes : 80 % pour les premiers, 20 % pour les seconds. L’opinion des Noirs se pose toujours la question de savoir pourquoi les régimes qui se sont succédé depuis O/ Daddah s’abstiennent encore de publier les résultats du recensement de la population mauritanienne effectué en 1977. Des porte-parole de la classe politico-« bourgeoise » beydane prétendent que si on les publiait, les Noirs réagiraient violemment en apprenant que leur communauté représentait réellement moins de 15 % de la population totale. Mais cela fait vingt ans que le pouvoir beydane donne des chiffres officiels compris entre 15 et 20 %. Ils n’ont pas protesté. Pourquoi alors protesteraient-ils devant des chiffres pareillement défavorables ?

En Mauritanie, une seule Communauté a intérêt à ce que les résultats  réels du recensement de 1977 ne soient pas publics, c’est la beydane[1].

Les Noirs, quant à eux, sont convaincus que ce recensement a révélé le contraire de ce qui est habituellement dit, à savoir :

– que les Négro-mauritaniens sont majoritaires ;

– que l’élément haratine est majoritaire au sein de la communauté négro-arabo-berbère (NAB) ;

Trois principales raisons amènent à cette conviction :

1°/ un taux de fécondité beaucoup plus élevé chez les Négro-mauritaniens (Haratine, Soninke, Haalpulaar, Wolof, Bambara) ;

2°/ la Polygamie qui est pratiquée presque exclusivement en milieu noir ;

3°/ l’instabilité du ménage beydane en général caractérisé par un taux relativement important de divorces[2]

Evidemment le SB a toujours cherché à modifier la nature des choses. O/ Daddah avait tenté d’interdire la polygamie !

Actuellement, les administrations des ministères de l’intérieur (gouvernorat, préfectures, arrondissements) et de la Justice ont trouvé une autre solution pour ne pas avoir un nombre important de Noirs sur les registres d’Etat Civil : le certificat de nationalité ; car dans l’esprit des Beydanes, tout noir en Mauritanie est d’origine sénégalaise, malienne ou guinéenne !!! [Ils prétendent que les territoires de l’actuelle Mauritanie étaient inhabités à l’arrivée des Arabes. Nos ancêtres Tekruriens doivent remuer dans leurs tombes ! Supposons que les Noirs soient originaires du Sénégal, pays séparé de la Mauritanie par un fleuve, que pourrait-on dire des Beydanes (qui se réclament Arabes) et qui viendraient de l’Arabie, pays distant de près de 10 000 Km à vol d’oiseau ? L’Afrique est le berceau des Noirs, pas des Arabes].

Par contre, pour gonfler les chiffres de la population beydane, on octroie la nationalité aux Touaregs (Mali, Niger) et aux Sahraouis. Ces derniers, tantôt vont grossir les rangs du Front Polisario, tantôt reviennent à Nouadhibou, Zouérate, Fdérik où ils ont la priorité sur les Négro-mauritaniens dans l’embauche. Chinguetti, Ouadane, Atar, Fdérik, Zouérate et Nouadhibou sont les centres où ces « mauritaniens » de circonstance viennent établir leurs pièces d’identité.

Le Système beydane a toujours établi un lien entre le poids démographique et l’antériorité de l’occupation de l’espace, d’une part, la légitimité de son hégémonie, d’autre part. La démographie et l’antériorité justifient la légitimité de son hégémonie. En réalité la nationalité arabo-berbère ne trouve sa légitimité que dans la violence de son pouvoir exprimée sous toutes les formes. Elle ne peut se référer ni à l’histoire, car les Noirs sont les autochtones de ce pays, ni au nombre, car dans la réalité, elle est minoritaire.

Mais pour les Noirs, le fait d’être majoritaire et de se référer à une antériorité de l’occupation ne suffit pas pour contrôler ce pays. L’Afrique du Sud est un exemple édifiant. Les Afrikaners sont d’origine européenne. Ils représentent 3 millions sur les 25 que compte le pays. Mais, ils sont arrivés à dominer celui-ci par le moyen de la violence politique, policière, militaire et par la domination économique.

De nos jours, même le semblant d’équilibre arithmétique n’est plus respecté par le SB. De mieux en mieux structuré, grâce à ses nouveaux cadres (souvent formés à la hâte pour remplacer les Noirs), ses moyens financiers obtenus grâce à une politique de crédits par complaisance et à l’aide arabe, le SB se sent plus puissant et plus confiant. Ce sentiment de puissance fait qu’il ne se fait plus de scrupules dans ses attitudes chauvines et racistes. Le racisme et le chauvinisme officieux sont devenus la ration quotidienne des Noirs : c’est la beydanisation ou l’Apartheid mauritanien. Il se pratique à tous les niveaux de la vie politique, sociale, culturelle.

 

C’est ce que nous allons montrer dans les chapitres suivants.

 

I – POLITIQUE

A/ la repartition ethnique dans les gouvernements

En Mauritanie, c’est la Palissade que de dire que les Beydanes croient que ce pays leur appartient exclusivement. Bien sûr, les Français les ont aidés tellement à y croire que leur mentalité collective exclut désormais catégoriquement l’éventualité de la nomination d’un Négro-mauritanien à la magistrature suprême. D’où le postulat : la Mauritanie ne doit être dirigée que par un Beydane.

Les gouvernements qui se sont succédé entre 1958 et 1985 n’ont jamais été représentatifs de la diversité raciale.

 

 

  Gouvernement de février

1966

Gouvernement de février

1986

   

Ministres

 

Directeurs de cabinet

 

Ministres

Secrétaires Généraux

et Directeur cabinet président

Noirs 2 1 3 2
Beydanes 9 11 10 13
Total 11 12

(y compris celui du président)

13 15

(dont le secrétaire du gouvernement

les 2 directeurs de cabinets

 

Entre 1960 et 1986, le quota du tiers (1/3) et du quart (1/4) réservé aux Noirs est resté le même. Et pourtant, Haratines, Haalpulareen, Wolof, Soninké et Bambara ont dix fois plus de cadres compétents, ayant une haute conscience d’Etat plus que les Beydanes chez qui le tribalisme est encore fortement ancré. En effet, chez ces derniers, la tribu prime sur l’Etat.

La tendance actuelle, pour le Système beydane, est de réserver certains ministères ou certaines directions exclusivement à des cadres beydanes.

B/ les ministeres a tendance exclusivement beydane

Le critère de désignation est donc celui de l’appartenance raciale et culturelle.

 

1°/ Justice et Affaires islamiques

La réforme de 1973, prenant en considération les objectifs du congrès du Parti du peuple Mauritanien (P.P.M.) de 1971, avait décidé « l’arabisation des ministères qui n’ont pas un caractère technique et qui sont en relation directe avec l’ensemble de la population, comme par exemple la Justice et l’Intérieur« . Comme si l’ensemble de la population mauritanienne était arabo-berbère. En tout cas Maouya O/ Sidi Hahmed O/ Taya et Hamdi O/ Mouknass ne disent pas le contraire.

Depuis sa création en 1976, le Ministère de la Justice et des affaires islamiques n’a jamais été dirigé par un Négro-mauritanien. Dans ce pays, tout ce qui relève du domaine de l’islam et de ses activités au sein du gouvernement et des organismes internationaux (Ligue islamique) est réservé exclusivement à la communauté beydane. L’islam recommande l’unité de tous les musulmans au sein de la Umma, sans distinction de race, d’origine ethnique et sociale. On peut s’appuyer sur la Tradition du Prophète en citant certains Hadiths, entre autres : « le musulman est le frère du musulman, il ne lui fait pas d’affront, ne le laisse pas à l’abandon, ne lui ment pas ; pour tout musulman, la richesse, les biens et le sang d’un autre musulman sont sacrés. Là est la piété (et le [Prophète] indiqua son cœur). Il suffit, pour un homme, de mépriser son frère musulman, pour qu’il soit dans le mal » rapporté par Al-Tilmidhi, d’après Abû Hurayra ; et : « L’un de vous n’est pas croyant tant qu’il n’aime pas pour son frère croyant, ce qu’il n’aime pour lui » – rapporté par les deux cheikhs, d’après Ibn Malik.

Par contre, les Arabo-berbères en général pratiquent l’islam avec une forte teinte de racisme, de chauvinisme et d’obscurantisme. Leur arabisation les a amenés à croire qu’ils sont les dépositaires de cette religion en Afrique de l’Ouest. Ce qui les grise et les amène à adopter une attitude qui laisse percer une pointe de « supériorité » raciale. On ne peut oublier la lettre que le Cheikh Ahmad Al-Bakkay Al-Kunti de Tombouctou a écrite à Ahmadou Ahmadou Barry Emir du Macina : « Jamais personne ne s’est avisé d’établir une autre Sunna que celle de l’Apôtre d’Allah, ni parmi les Arabes (blancs), ni parmi les Etrangers blancs, ni à plus forte raison par les Noirs » ; ou le poème écrit par Abdallah Cheikh Sidya à l’intention du cadi de Boghé Amadou Moktar Sakho : « la couleur de sa peau (noire) ne diminue point la valeur de son savoir » [« Qaadi el Jinaani » Abdallah O/ Cheikh Sidya]. Ces passages rendent un son bien particulier connu chez les Arabes : celui d’une supériorité culturelle et religieuse, le Coran ayant été révélé à un Arabe « blanc », en « langage clair », la langue arabe. Le complexe du peuple élu n’est pas l’apanage des Juifs.

En Mauritanie, dans le domaine de la justice, on a fait table rase de tout ce qui n’est pas arabo-islamique. Actuellement toute la justice est arabisée. Même le colonisateur français avait eu plus de scrupule en créant des tribunaux pour Noirs dirigés par des Cadis noirs et des tribunaux pour Beydanes dirigés par des Cadis beydanes. Sur l’ensemble de la Mauritanie, il n’existe qu’un seul Cadi négro-mauritanien, celui de Boghé. Or, les Cadis jouent un rôle important dans les jugements concernant certains types de conflits opposant Noirs et Beydanes (terres de culture, esclavage, etc). La justice beydane a un principe : elle ne prend jamais partie contre un Beydane.

Sur les cinq mosquées officielles (appartenant à l’Etat), que compte la ville de Nouakchott une seule est dirigée par un Négro-mauritanien. Celui-ci a été désigné après des tractations, parce que les Beydanes ne voulaient pas d’un Noir imam. Rares sont les Beydanes qui acceptent d’être dirigés dans leurs prières par un Négro-mauritanien.

 

2°/ Affaires Etrangères et Coopération

C’est la deuxième chasse gardée de la classe politique beydane. Il n’a pas été dirigé par un Négro-mauritanien depuis 1967, avec Wane Birane Mamadou. C’est dans la logique des choses. Le SB veut donner à la Mauritanie une image extérieure blanche, arabe[3]. Cela correspond à l’orientation politique et idéologique panarabiste exprimée par cette génération d’intellectuels chauvins nassériens et baassistes dont on a fait cas plus haut. En 1967, ils ont fait des pressions pour que la Mauritanie quitte l’O.C.A.M. et l’O.U.A. parce qu’elle n’était pas membre de la Ligue arabe !! Elle quittait la première organisation sous prétexte d’anticolonialisme. Mais O/ Daddah n’a pas trouvé d’arguments valables pour quitter la seconde, d’autant que tous les pays maghrébins y adhéraient.

Pour répondre à cette nouvelle vocation panarabiste, la classe politique beydane a donné à la Mauritanie une politique étrangère essentiellement orientée vers le monde arabe.

On était loin de l’atmosphère sécessionniste du Congrès d’Aleg pendant lequel il fallait « composer » avec ces nègres qui entendaient encore résonner les appels à la réunification avec le Sénégal. A l’ouverture du Congrès d’Aleg, le 2 mars 1958, le vice-président du Conseil du gouvernement, Moktar O/ Daddah était obligé de tenir ce langage, même s’il n’y croyait guère : « Si la Mauritanie veut jouer pleinement le rôle de trait d’union auquel la vouent sa position géographique, ses traditions, sa dualité ethnique, elle ne peut s’intégrer trop intimement à l’un de ces deux pôles qu’elle est chargée de mettre en contact … »

 

 

Département Afrique Moyen-Orient Asie Amériques Europe
ou s/région Noire du Nord Arabe N-arabe   Nord Sud +

Centre

Est Ouest
Nombre de pays 46 5 12 3 16 2 20 9 16
Ambassades 4 5 6 1 1 1 0 2 4
Consulats 5 2 1 0 0 0 0 1 3
Total 9/46 14/ 17            

 

Bien qu’il y ait une proportion importante de cadres négro-mauritaniens arabisants, ayant tous fait leurs études dans les universités arabes[4], le système beydane se garde d’en envoyer comme Ambassadeurs dans le monde arabe.

 

 

  Négro-mauritaniens Beydanes Total %
Ambassades 5 20 25 25 %
Consulats 1 10 11 9,09 %
Administration centrale (Secrétaire général, Directeur de département, conseillers, chef de protocole)  

2

 

6

 

8

 

25 %

 

La politique de désinformation a si bien réussi que partout dans le monde on croit que la population de la Mauritanie est arabe à 100 % – quel est le Noir membre d’une délégation mauritanienne qui n’a pas été victime de cette méprise dans les pays arabes ? « vous êtes Mauritanien, vous êtes Arabe, donc vous parlez arabe« !

La politique étrangère ne répond guère aux préoccupations politiques et/ou réelles du fameux slogan : Mauritanie, trait d’union entre le monde noir et le monde arabe.

 

3°/ Ministère de l’intérieur : administration territoriale

Il est devenu une tradition de nommer de plus en plus de Beydanes dans le Sud, à des postes de gouverneurs, de préfets et de chefs d’arrondissements. Ce qui inquiète beaucoup les populations qui font l’objet d’exactions, d’injustice, d’humiliations qui rappellent à n’en pas douter les comportements des commandants de cercle à l’époque coloniale.

 

 

  Gouverneurs Préfets Total
Noirs 2 16 18
Beydanes 11 39 50
Total 13 soit

15,38 % de Noirs

 

50 soit

32 % de Noirs

68 soit 26,47 %

dans le commandement territorial

 

La nomination d’administrateurs beydanes vise des objectifs très dangereux pour les populations du Sud. Nous parlerons de deux principalement :

  1. a) les barrières administrative, policière et douanière

Elles visent à rompre tout lien entre les habitants des deux rives habitées par les mêmes familles, Wolofs dans la Basse vallée, Haalpulaaren et Soninké dans la Moyenne vallée, Soninké dans le Haut-Sénégal.

On ne peut empêcher un Walo-Walo de vivre librement à Brenn, à Rosso Sénégal, à Gae-Gani, à Rosso Mauritanie, à Dagana. Le Woalo est un – c’est sa patrie historique.

On ne peut empêcher un Fuutanke de vivre librement à Tekane, à Podor, à Wocci, à Hoorofonde, à Bokkijawe, à Kaédi, à Matam. Le Fuuta est un – c’est sa patrie historique.

On ne peut, enfin, demander à un Gidimaxanke de ne pas vivre librement à Wompu, à Bakel, à Boully, à Gemou. Le Gidimaxa est un – c’est sa patrie historique.

Malgré les frontières coloniales qui divisent leurs territoires de parcours, on ne peut empêcher les Hel Barikallah, les Rgeibat, les Hel Mohamed Fadel ou les Tekna de se sentir mauritanien et saharouis. L’Etat beydane favorise cette politique d’assimilation en octroyant à des Rgeibat ou Tekna saharouis la nationalité mauritanienne alors qu’il pratique dans le Sud, pour des réalités historico-culturelles encore plus complexes, une politique discriminatoire :

– Aux habitants de la rive droite (mauritanienne) on applique un malthusianisme administratif (voir plus haut) ;

– Aux habitants de la rive gauche (sénégalaise), on applique une politique de refoulement et d’endiguement administratifs.

Tout sooninke est chez lui en Mauritanie, au Sénégal et au Mali. Tout Fuutanke, tout Waalo-waalo est chez lui en Mauritanie et au Sénégal. La Mauritanie a été créée sur l’ancien Tekrour, terre où se sont créées, puis individualisées et développées ces trois nationalités.

 

  1. b) le deuxième objectif de l’Etat beydane dans le Sud est la confiscation des terres alluviales du fleuve Sénégal. En effet, celles-ci prennent de plus en plus une importance économique considérable pour la classe politico-bourgeoise, du fait de la sécheresse et à cause de la régulation et de la rétention des eaux du fleuve Sénégal (Diama, Manantali). Nous y reviendrons dans le chapitre consacré à l’économie.

 

II – l’economie

En Mauritanie, il est incontestable que l’économie (industrie, commerce, banque, immobilier, pêche, etc) est contrôlée presque entièrement par le Bourgeoisie compradore beydane.

Certains se posent la question de savoir pourquoi et comment une nationalité qui, il y a une vingtaine d’années se situait au même niveau économique et social que la communauté noire, est arrivée à contrôler l’économie de ce pays.

L’opinion ignore certainement les réalités que voici :

– jusque dans les premières années de la décennie 1960 – 1970, le monopole du commerce était partagé entre les commerçants Sooninke, Haalpulaaren, Libano-syriens et Beydanes ;

– le commerce du bétail dans le bassin arachidier, pendant la période coloniale ne concernait pas uniquement les Beydanes. Les Fulbe du Fleuve Sénégal (les deux rives) et ceux du Ferlo étaient particulièrement concernés ;

– après l’indépendance, ce sont particulièrement des commerçants haalpulaar (anciens propriétaires de bétail concernés par cette commercialisation) et Soninké dioula anciennement installés en A.O.F., en A.E.F. et dans les colonies anglaises de la Gambie, de la Sierra Leone et en Guinée Bissau qui ont ouvert les marchés de la Capitale et du Ksar. Entre 1967 (après les événements raciaux) et 1983, presque tous ont fini par abandonner leurs magasins et boutiques sous la pression de la guilde beydane, que l’aide des banques et des services du commerce[5]. Aujourd’hui, au marché de la capitale, les commerçants noirs ne sont plus que trois !!

– si le don du commerce existe, celui des Sooninke est encore certainement plus remarquable. Il est légendaire. Cette nationalité contrôlait le commerce entre le Sahel et la zone forestière à l’époque des Empires de Ghana (XIème siècle), du Mali (XIII – XVIème siècle) et de Gao (XIV – XVIème siècle). De nos Jours, ce sont des commerçants de cette nationalité qui monopolisent en général le commerce en Afrique de l’Ouest. On les retrouve en Afrique centrale et australe dans le trafic de l’or et du diamant avec l’Europe. On se demande pourquoi ils n’arrivent pas à s’exprimer en Mauritanie, leur patrie historique.

Un tel renversement de situation trouve, en réalité, son explication au sein de la question nationale. Une communauté raciale, culturelle ou sociale qui agit par égoïsme contre les intérêts généraux du pays ne peut assurer durablement sa domination sur les autres, si elle ne contrôle pas en même temps la superstructure (politique, culture) et l’infrastructure (économie). Il y a cohésion dans la domination lorsque chacun des trois facteurs (politique, culture, économie) garantie le maintien de l’autre. Quand l’un fait défaut dans le maintien de la domination, l’efficacité et la durabilité du système ne sont plus garanties.

Le renversement de cette situation dont nous avons parlé plus haut n’est que le résultat d’une concertation de politique globale dont l’exécution a commencé depuis quelques années, et qui vise à faire contrôler par la communauté beydane avec comme avant-garde sa bourgeoisie compradore, les secteurs économiques et culturels déterminants dans ce pays.

 

A/ les conditions de formation de la bourgeoisie beydane

Deux facteurs importants ont contribué au déclenchement du processus de domination et à son accélération :

– la volonté politique du Système beydane (SB) qui s’est traduite par une pratique sournoise de discrimination raciale dans l’emploi (politique, administratif et manouvrier) ;

– le système des « prêts » discriminatoires.

 

1°/ La discrimination dans l’emploi

Un proverbe chinois dit : « Si vous donnez un poisson à quelqu’un, vous l’aidez à vivre – si vous lui montrer comment pêcher, vous lui apprenez à vivre« .

En donnant de préférence du travail à un Beydane, l’Etat apprend à celui-ci à vivre et à être à un niveau social supérieur au Noir à qui on refuse du travail, à cause de la couleur de sa peau et de sa culture.

En 1985, le pouvoir d’achat considéré globalement est beaucoup plus important chez les Beydanes que les Noirs (Haratines, Soninké, Wolof, Bambara, Haalpulaaren), au double point de vue du volume salarial que du volume de la population salarié. Cette situation résulte de cette politique de discrimination raciale qui frappe les Noirs dans l’emploi depuis quelques années.

Cette discrimination est observable à deux niveaux de l’emploi.

 

  1. a) Catégories moyennes et inférieures des secteurs administratifs et politiques et classe ouvrière

Tous les secteurs publics et parapublics sont concernés. Nous prendrons quelques exemples :

 

a-1 : les banques : (B.C.M., B.I.M.A., B.M.A.A., S.M.B., B.A.L.M., B.M.D.C., B.A.M.I.S.). Il suffit de visiter ces banques pour s’en rendre compte. Dans certaines, les Noirs représentent entre 2 et 5 % des effectifs (B.A.L.M., S.M.B., B.C.M., B.M.A.A.).

Au mois de janvier 1986, pour recruter des agents, la Banque islamique (BA.M.IS) avait exigé des candidats à l’emploi la connaissance et la pratique de l’arabe : être bilingue. En Mauritanie, cette expression est devenue l’équivalent du mot de passe pour pénétrer dans la caverne d’Ali baba : « Sésame ouvre-toi« . Elle est le moyen « magique » pour donner du travail aux Beydanes, et pour barrer le chemin en même temps aux Noirs. Sur les 36 recrutés en fin janvier, il y avait un Nègre mauritanien (NM). Evidemment, la connaissance de la langue arabe a été un prétexte pour occulter les intentions discriminatoires et racistes de cette banque. Et pourtant, celle de Dakar n’a pas exigé à ses agents la connaissance et la pratique de l’arabe. Le français est la langue de travail au sein de cette banque. Plus grave : le siège de la Banque Islamique se trouve aux Bahamas (Antilles anglaises).

 

a-2 : Santé publique : dans ce secteur, ce sont les théories du Dr Hassan dit Petit Hassan et de Mohamed O/ Deh, édictées lors du séminaire sur la santé à Atar en octobre 1983 qui ont force de loi. Selon ces deux idéologues, « il y aurait trop de Noirs dans le secteur de la santé publique. Et puisque les médecins, infirmiers et sages-femmes noirs ne parlent pas en général l’arabe, donc ne peuvent pas communiquer avec les malades beydanes, il faudrait former rapidement un personnel arabisant (beydane) pour les remplacer« . D’où la formation accélérée d’un personnel « arabe » à l’hôpital de Nouakchott et en Irak. Les Noirs doivent soigner les Noirs, les Beydanes, les Beydanes ! C’est l’apartheidisation de la Santé !

En somme, cette arabisation a pour finalité le remplacement à long terme du personnel négro-mauritanien. Il faut trouver tous les moyens, tous les subterfuges pour donner du travail aux Beydanes qui n’en n’ont pas.

 

a-3 : L’émigration organisée dans les pays arabes : la presque totalité des mauritaniens qui ont été recrutés pour servir comme ouvriers, bergers, policiers dans les Emirats arabes Unis sont des Beydanes.

 

  1. b) Les fonctions supérieures politiques, administratives, économiques et militaires

Il s’agit donc des postes de responsabilité dans l’administration, la politique, les sociétés d’Etat, l’arabe.

 

b-1 : la bourgeoisie d’origine politico-adminsitrative : la conséquence principale à ce niveau est la formation d’une bourgeoisie politico-administrative composée essentiellement d’anciens cadres moyens et supérieurs. Ceux-ci, ayant occupé jadis des fonctions importantes (ministres, secrétaires généraux, ambassadeurs, gouverneurs, responsables de directions administratives, directeurs de sociétés d’Etat et de banque etc) ont su accumuler d’importants capitaux obtenus dans presque tous les cas par détournements impunis. Ces importantes sommes de l’Etat détournées, sont investies dans l’immobilier, le commerce et plus récemment dans l’industrie. Cet argent a servi de capital de base pour les activités économiques de cette néo-bourgeoisie d’origine administrative et politique. Les sociétés privées représentatives de cette catégorie sont : SAFOR, SOMAFOR, SLAM, Béni Chaab, Deco-meubles, Etablissement EMEL, etc…

 

b-2 : La bourgeoisie d’origine politico-militaire : Elle est née de la guerre du Sahara.

Certains de ses membres se sont enrichis soit en détournant les budgets des régions militaires qu’ils commandaient, soit en recevant des bakchich lors des commandes militaires. Lt Colonel Brahim O/ Alioune N’Diaye (actuel ministre du commerce), Lt Colonel Gabriel Saint Père alias Djibril O/ Abdallah (actuel chef d’Etat Major national), Mohamed O/ Louly (ancien président du CMSN) en sont les représentants types. Ce fut la première génération. La deuxième est apparue avec l’avènement des militaires au pouvoir : Commandant Mohamed Mahmoud O/ Deh (actuel Permanent du CMSN impliqué successivement dans des trafics illégaux de marchandises du temps où il était Directeur des Douanes (il fut le premier à organiser un réseau clandestin de vente de vidéocassettes en provenance de Las-Palmas), dans l’affaire des commandes de la Pharmacie du temps où il était ministre de la Santé ; Lt colonel Brahim O/ N’Diaye au district de Nouakchott (commandes de matériels de voirie, vente de lotissement) ; Commandant N’Diayane (actuel Commandant de la 6e région militaire) dans l’affaire du Port de Nouakchott et dans celle du ministère de l’équipement, affaire qui concerne en premier lieu le Lt Colonel Djibril O/ Abdallah, etc…

Tous ces officiers qui ont volé l’Etat restent impunis. Et pourtant quelques rares militaires et civils négro-mauritaniens qui ont commis ce genre de forfaiture ont été emprisonnés, jugés, humiliés et mis en demeure de rembourser des sommes détournées. Dans souvent des cas, ces Noirs ne sont que les victimes de machinations politico-administratives visant à briser leurs carrières et de les humilier au yeux de l’opinion. A-t-on vu des Beydanes jugés et emprisonnés pour cause de détournement ?

Cette volonté de favoriser la communauté beydane dans l’emploi, qui est pour la majorité une source d’enrichissement, est renforcée par le système de prêts bancaires par complaisance.

 

2°/ – Les prêts bancaires

Ils sont déterminants dans l’enrichissement et le renforcement économique de la bourgeoisie compradore beydane (B.C.B.). Ces prêts permettent aux éléments de cette bourgeoisie d’investir dans le commerce, l’industrie et l’immobilier. La discrimination raciale dans le système des prêts bancaires aide la B.C.B. à étouffer toute tentative d’épanouissement économique d’une bourgeoisie négro-mauritanienne (B.N.M.), car le système beydane craint que son développement ne remette en cause l’hégémonie de sa communauté. Les facilités bancaires accordées aux concessionnaires FIAT, HONDA et RENAULT, aux grands commerçants Sidina O/ Berrou (S.O.B.), Nouegued et autres illustrent bien cette politique[6]. On ne peut donc admettre la théorie de l’existence d’une bourgeoisie nationale qui transcenderait le facteur épidermique pour ne privilégier que la solidarité économique. En Mauritanie, il existe deux bourgeoisies raciales : la noire et la beydane. La première est handicapée financièrement par le fait qu’elle n’a jamais bénéficié d’un soutien politique, contrairement à sa rivale beydane.

A propos des facilités bancaires, les plus connues qui ont défrayé la chronique populaire sont celles accordées à O/ Mogueya (800 millions d’um), Boucheïba (700 millions, puis 45 millions)[7].

En plus des facilités financières, l’Etat beydane fait gagner à sa bourgeoisie la quasi-totalité des gros marchés (construction d’immeubles, de routes, de barrages, d’usine, etc, transports de matériels de construction, des dons alimentaires etc) par le moyen de corruption et de pressions administratives.

Au sein de cette bourgeoisie beydane, il existe des lobbies. Chacun est lié à un lobby politique qui lui accorde des privilèges financiers et commerciaux. Le groupe qui était lié par exemple au régime de Haïdallah avait permis à Sidi O/ Abdallahi de racheter les actions détenues par l’Etat mauritanien à la B.A.A.M. (Banque arabe et africaine de Mauritanie) qui est devenue la B.M.A.A. (Banque mauritanienne arabe et africaine). D’autres transactions lui permirent de racheter les actions de l’Etat à la S.P.P.M. (Société pour la promotion de la pêche de Mauritanie). L’Etat lui a revendu pour une bouchée de pain tout l’armement de pêche. Principal actionnaire, il est également le principal employé de cette société avec un salaire de 200 000 UM et des indemnités de 80 000 UM. Il loue ses locaux et ses voitures à la société.

La SOCOMETAL (Renault) et la Honda se partagent près de 80 % des commandes automobiles de l’Etat.

Outre l’Etat, la communauté beydane et sa bourgeoisie bénéficient de l’aide des pays arabes. Cette aide prend un caractère officiel à travers les recrutements de travailleurs qui sont envoyés dans ces pays, et à travers différents investissements orientés vers des projets qui ne concernent que les régions habitées par les Beydanes : Adrar, Tagant et Assaba surtout (agriculture, centres hospitaliers, projets de construction, de routes bitumées, d’établissement d’enseignement). Nous reviendrons sur les aménagements agricoles dans le chapitre consacré à l’agriculture.

En attendant, venons-en à l’aide officieuse qui se traduit par des « prêts » accordés par certaines banques comme la B.A.L.M. et la B.A.A.M..

 

3°/ L’aide arabe

Entre 1970 et 1980, des pays arabes (Arabie saoudite, Koweït, Irak, Libye, Emirats arabes unis, Maroc, Algérie particulièrement) ont accordé à la Mauritanie d’importantes sommes d’argent sous forme de dons et de prêts. Par l’intermédiaire de certaines banques B.A.L.M. (Banque arabe libyenne de Mauritanie), B.A.A.M. (Banque arabe africaine de Mauritanie), B.M.D.C. (Banque mauritanienne pour le développement et le commerce) d’importantes sommes ont été « prêtées »[8] généreusement entre 1970 et 1974 par la Libye, le Koweït, l’Arabie Saoudite et l’Irak à des commerçants beydanes. Ce sont ces « prêts » qui ont fait de Abdallah O/ Abdallahi, Nouegued, les frères Sakaly (Abdel Hay et Ma El Aïnin), Sidina O/ Berrou (SOB), Veten, (…), Gralicoma, etc ce qu’ils sont aujourd’hui, les plus riches commerçants de la bourgeoisie compradore beydane fabriquée par le nationalisme économique arabe. En plus de ces « prêts », l’exemple devenu classique pour illustrer ce soutien économique des pays arabes est le mot d’ordre lancé pour l’achat par leurs ambassades accréditées à Nouakchott de véhicules dont les marques sont représentées par des concessionnaires beydanes : Fiat (Groupement Commercial), Mercédes (SOMAREM), Honda, Renault (SOCOMETAL). Les pays qui appliquent le plus ce mot d’ordre sont l’Arabie saoudite, le Koweït, l’Algérie, la Libye, la Syrie, l’Irak et Qatar[9].

Comme on le voit, l’hégémonie de la bourgeoisie beydane ne résulte pas d’un dynamisme interne, d’un savoir-faire en matière économique et commerciale, mais de la volonté d’un système politique visant à faire contrôler par une catégorie sociale privilégiée l’économie du pays. La bourgeoisie beydane a bénéficié du soutien politique et financier de son système et du nationalisme arabe.

Nous avons montré dans certains secteurs (gouvernement, administration territoriale, ministères) la part réservée aux cadres noirs dans la distribution des postes de responsabilité.

Sur 33 banques, organismes et sociétés d’Etat ou semi-étatiques, seulement huit (8) sont dirigés par des Noirs (voir tableau)

 

 

Etablissements bcm bmdc smb balm bmaa bamis bima
Noirs +           +
Beydanes   + + + + +  
Etranger avec adjoint Beydane       Libye Egypte    

 

 

 

Etablissements snim samia somir samir sofrima smccp smpp almap sonimex
Noirs                  
Beydanes + + + + + + + + +
Etranger avec adjoint Beydane                  

 

 

 

Etablissements sonicob sonelec smar socogim ort opt somis wharf cnss sonader
Noirs +     + +   + + +  
Beydanes   + +     +       +
Etranger avec adjoint Beydane                    

 

 

 

Etablissements salimaurem caa port autonome ndb comaunam samilida mosov samip
Noirs     +     +  
Beydanes + +   + +   +
Etranger avec adjoint Beydane              

 

Ce bilan est handicapant pour la communauté négro-mauritanienne. La communauté beydane contrôle la quasi-totalité des secteurs de l’économie[10]. Il suffit que ces commerçants et hommes d’affaires organisent un embargo commercial contre les Noirs pour que ceux-ci meurent de faim. Le commerce est devenu une arme politique et économique redoutable entre les mains des Beydanes.

Nous avons dit que l’objectif du Système beydane était de contrôler systématiquement toutes les ressources de l’économie mauritanienne : banques, commerce, pêche, mines. Ayant compris l’enjeu économique que représentera l’agriculture en Mauritanie dans la perspective de l’après-barrages  O.M.V.S., il s’est attelé depuis quelques années, dispositif juridique à l’appui, à une réforme foncière en vue de contrôler les fertiles terres alluviales du fleuve Sénégal.

 

A/ les terres alluviales du waalo[11]  : enjeu politique et réforme foncière

L’histoire des terres du Waalo se confond avec celle des populations soninké, wolof, haalpulaaren qui habitent dans cette partie de la vallée du Sénégal. Malgré la sécheresse, les terres du Waalo demeurent encore un potentiel économique inépuisable, capable de nourrir l’ensemble des populations de la vallée du Sénégal, vivant en Mauritanie, au Sénégal et au Mali. Il suffit de les réexploiter avec une utilisation rationnelle de la terre et de l’eau. Les pays concernés, cherchent, par le moyen de l’O.M.V.S. (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal), à résoudre ce problème.

Au départ, le régime de Moktar O/ Daddah avait adhéré à l’O.E.R.S. (Organisation des Etats riverains du fleuve Sénégal) devenue plus tard OMVS pour des raisons essentiellement de politique sous-régionale. Le facteur économique ne pouvait être une préoccupation de ce régime et de la classe politique beydane en général, qui voyaient en cette organisation sous régionale un moyen de développement économique et social du Sud. D’où le slogan « saborder l’O.M.V.S., parce qu’elle ne profitera qu’aux Noirs« . La théorie du Daddahisme sur le développement du Sud était connue : un Sud développé habité par des Noirs serait une menace politique car le Sénégal n’a jamais définitivement renoncé à ses anciens territoires de la rive droite. Un territoire pauvre n’est guère alléchant pour les esprits irrédentistes. Il faut donc maintenir un Sud appauvri, démuni et dépendant économiquement du Nord. C’est dans cette optique que l’on a orienté vers le Nord ou annulé de nombreux projets de développement industriel et agricole destinés initialement à la vallée du Sénégal :

– usine de sucre installée à Nouakchott au lieu de Kaédi,

– construction d’une route bitumée reliant Rosso à Sélibaby,

– investissements agricoles pour le Gorgol détourné vers la fameuse « opération charrue » en 1965 dans les Hodh,

– investissements de petits et moyens périmètres détournés en faveur de projets de reconstructions de palmeraies en Adrar et au Tagant, etc…

N’eut-il été l’insistance de la R.F.A., de la Banque mondiale et de la République populaire de Chine, le casier rizicole de Rosso, le P.P.G. de Kaédi et le C.P.B. (le casier pilote de Boghé) ne seraient jamais aménagés.

A partir de 1978, un groupe de pression opposé à la participation de la Mauritanie à l’O.M.V.S. s’est constitué. Ses principaux dirigeants étaient : Messieurs. Mohamed O/ Seybout (alors conseiller juridique de l’O.M.V.S.), Youba O/ Benani (alors Directeur de la Société nationale de développement rural – SO.NA.DE.R), Mohameden O/ Baba (actuel directeur de la société susnommé), Mokhtar O/ Zamel (alors ministre du Plan), Sid’Ahmed O/ Bneïjara (alors ministre de l’économie et des finances) et Ely O/ Alaf, à l’époque Secrétaire Général de l’O.M.V.S.. Ce groupe avait publié un mémorandum qui avait la prétention de démontrer le peu d’intérêts économiques que la Mauritanie trouverait au sein de cet organisme. Selon ce document, seuls le Sénégal et le Mali allaient réellement en bénéficier.

En contrepartie du départ de la Mauritanie de L’O.M.V.S., les pays arabes (Libye, Irak, Koweït) et le F.A.D.E.S. (Fonds arabe de développement économique et Social) proposèrent de financer des aménagements agricoles dans des régions à dominante ou exclusivement beydanes : l’Irak avec le Projet Aftout, la SO.MA.LI.D.A. (Société mauritano-libyenne de développement agricole) qui a confisqué tout bonnement des terres à des personnes de la région de Rosso, le F.A.D.E.S. avec la reconstitution des oasis en Adrar, en Assaba et au Tagant. C’est dans ce cadre que le Secrétaire général de l’A.O.D.A.. (Organisation arabe pour le développement agricole) a effectué une visite de travail à Nouakchott dans le courant du mois de novembre 1985.

C’est la ruée des organismes agricoles arabes vers les terres du Waalo.

Mais les tentatives pour faire quitter la Mauritanie de l’O.M.V.S sont demeurées vaines jusqu’à ce jour. La menace d’un conflit racial et les conséquences politiques graves pour une « Mauritanie beydane » dans la sous-région sont les principales raisons qui ont empêché jusque là les gouvernements beydanes à franchir le Rubicon.

D’ailleurs la sécheresse et la famine vont faire évoluer l’opinion beydane sur les aménagements agricoles dans le sud et sur l’O.M.V.S.. Cette sécheresse a provoqué aussi un important mouvement des populations sinistrées vers les centres urbains administratifs et économiques. La vallée du Sénégal (les deux rives) est une des régions d’accueil des populations nomades et leurs troupeaux. Cette arrivée massive de populations allogènes devient une menace politique et économique pour un Sud qui se caractérise par l’exiguïté des espaces utiles qui formaient déjà, avant la sécheresse, un fragile équilibre avec ses populations autochtones.

La famine, l’exode et la fixation des nomades arabo-berbères et leurs troupeaux dans le Sud sont donc les données nouvelles qui vont amener la classe politique et intellectuelle beydane à modifier son opinion sur l’O.M.V.S. et ses aménagements : la théorie de l’espace vital est née. Cette classe est d’accord pour la création des grands et petits aménagements agricoles dans la vallée, à condition qu’ils soient gérés par la SO.NA.DE.R. (puisque cette société est contrôlée entièrement par des éléments beydanes) ; elle est également d’accord pour que la Mauritanie retrouve pleinement et entièrement sa place au soin de l’O.M.V.S.. Mais le préalable de tout ceci est la redistribution des terres alluviales du Sénégal, afin que les populations beydanes en bénéficient !!

Pour récupérer la plupart de ces terres, on recoure à trois moyens :

1/ – la réforme foncière,

2/ – les rachats des terres grâce à l’argent « prêtés » par les banques de l’Etat, le Fonds National et certains pays arabes à des commerçants et des éléments issus de la classe politico-militaire.

3/ – l’argumentation historique pour démontrer l’antériorité du beydane en terre mauritanienne.

 

I°/ La réforme foncière

Pour légaliser cette confiscation, le gouvernement de Haïdallah promulgue l’ordonnance n° 83 127 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale.

Cette « réforme foncière » concerne particulièrement les terres de la vallée du Sénégal qui représentent la quasi-totalité des surfaces aménageables indispensables à l’autosuffisance alimentaire du pays. Mais derrière ce slogan, elle vise un double objectif.

 

a/ économique par la confiscation légalisée des terres au bénéfice des populations beydanes, particulièrement sa bourgeoisie compradore à qui on permet le rachat des terres[12]

 

b/ politico-social en essayant d’orienter les légitimes et irréversibles revendications sociales et économiques, (mais trop inquiétantes pour le système beydane) des Haratines vers ces terres du Waalo, pour susciter des contradictions antagonistes entre les composantes de la communauté négro-mauritanienne.

On saisit difficilement cet altruisme inhabituel des Beydanes qui font miroiter les terres aux paysans haratines. On se pose la question de savoir pourquoi les oasis et les grara du Nord, du Centre-est et de l’Est qui ont été cultivées par des générations d’esclaves dont ces paysans haratines sont les descendants ne sont pas intégrés dans ces champs de miroitement.

 

2°/ Le «rachat» des terres

L’ordonnance n° 83 127, notamment en ses articles 1, 3, 9, 11, 12 et 14 favorise le « rachat » des terres. A la lecture de cette ordonnance, on demeure convaincu que le législateur (qui ne peut être qu’un Beydane) ignore toutes les réalités civilisationnelles d’une société (Haalpulaar, Wolof, Soninké) pour qui la terre est à la base de la formation de sa structure socio-économique, politique et culturelle.

Il existe deux types d’exploitants qui soi-disant achètent des terres :

– des éléments de « la classe prétorienne » comme les Lt colonel Boukhrais, O/ Alioune N’Diaye, Djibril O/ Abdallah, le commandant O/ Dey et les grands commerçants, d’une part ;

– les « coopératives agricoles » beydanes qui, dans la réalité sont des commerçants (petits et moyens) disposant de moyens financiers plus faibles, d’autre part.

Les premiers font exploiter les terres confisquées par des ouvriers agricoles (pour la plupart des haratines, mais on trouve de plus en plus de Waalo-Waalo et de Haalpulaar).

Les seconds, les « coopératives agricoles » beydanes assimilent officiellement leurs ouvriers à des coopérateurs associés, pour détourner l’esprit de la loi 67/71 du 18 juillet 1967 portant statut de la coopération.

Cette néo-bourgeoisie bénéficie des complicités financières au niveau des banques, du Fonds National de Développement et des dons arabes pour « racheter » les terres et les mettre en exploitation.

Nous saisissons l’occasion pour rappeler aux populations du Sud qu’il est formellement interdit de vendre la terre. Boycottez, bannissez, tuez s’il le faut tous ceux qui encouragent la vente des terres. Détruisez, brûlez les biens de ces étrangers qui viennent aménager sur vos terres. La terre appartient au village. La seule réforme foncière acceptable pour nous est celle qui permet la redistribution de la terre proportionnellement aux besoins entre tous les membres du village.

Les pénibles conditions économiques dues à la sécheresse font des paysans du Sud des proies faciles face à la rapacité de cette bourgeoisie politico-militaire-commerçante. Le paysan du Sud, victime de malnutrition se laisse vite tomber dans le mirage des sommes, mêmes modiques, que ces requins font agiter devant ses yeux.

A cette occasion, nous stigmatisons la politique discriminatoire que le Commissariat à l’Aide Alimentaire pratique à l’endroit de la communauté négro-mauritanienne. La Mauritanie bénéficie d’une aide alimentaire internationale destinée à l’ensemble de sa population victime de la sécheresse et de la famine, et non presque exclusivement à la population beydane. Le C.A.A. est dirigé par des éléments baassistes et nassériens chauvins qui ne méritent aucunement la confiance des donateurs étrangers. Les régions à dominante arabo-berbère regorgent de produits alimentaires provenant de ces dons. Les campagnes du Sud sont celles qui reçoivent de l’aide une fois tous les deux (2) ou trois (3) ans. L’administration territoriale dans le Sud, contrôlée presque exclusivement par des Beydanes, y joue un rôle fondamental en collaboration avec le C.A.A. C’est elle qui, en effet, prétend, dans ses correspondances adressées à cette institution gouvernementale, que les populations du Sud ne sont pas sinistrées, pour qu’elles ne bénéficient pas d’une aide alimentaire. Les autorités gouvernementales concernées et le C.A.A. restent insensibles bien sûr aux protestations des populations noires.

Et pourtant, une partie de cette aide alimentaire continue d’être acheminée par des moyens détournés, vers le Sahara occidental.

Cette situation nous oblige à réclamer la présence de représentants des organismes donateurs pour superviser et contrôler la distribution de leurs dons à l’ensemble des populations mauritaniennes sans discrimination raciale et culturelle.

 

c/ L’argumentation historique

Depuis quelques années des théories historiques continuent d’occuper une place importante dans la recherche de l’argumentation beydane pour chasser les Noirs du Sud et y installer cette population beydane victime de la sécheresse[13] celle-ci, comme on le sait, est en train de chasser une importante population nomade du Nord, et du Centre-est vers le bassin du fleuve Sénégal. Populations et bétail, émigrent vers les zones d’occupation permanente où l’agriculture est pratiquée. L’exiguïté de l’espace vital et le déséquilibre démographique ont créé une situation de conflits raciaux permanents avec destruction de cultures, agressions armées contre des paysans isolés, suivies souvent de mort d’hommes (incidents de Lexeïba dans le Gorgol en 1985). Toute réaction de défense légitime de la part des Noirs est réprimée par les autorités régionales (gouverneurs, préfets, chefs d’arrondissements, commandants de brigade de gendarmerie beydanes). Tant et si bien que les paysans n’osent guère s’attaquer au bétail destructeur. Ils n’osent même plus protéger leurs cultures par des clôtures en fils de fer barbelés[14]. Le dromadaire maure est devenu le fléau numéro un des cultures du Jeeri et du Waalo, bien avant les phacochères, les cynocéphales et les sauteriaux.

Certaines familles nomades se sédentarisent dans les villes de Rosso, Bogué, Kaédi, Bababe, M’Bagne, Magama, Sélibaby, Gouraye etc…. Les administrateurs beydanes leur distribuent gratuitement des lots de terrains de construction sur les terres de culture des kollade et du jeeri (à Boghé, Kaédi, Sélibaby, Bababé, etc) : ce sont les Jedida. Mais cela ne suffit pas. On cherche maintenant à confisquer les terres de cultures dont les familles propriétaires sont connues depuis des siècles pour les distribuer aux nouveaux venus sous prétexte qu’ils sont victimes de la sécheresse. Mais, les Noirs ne le sont-ils pas ? . Les administrateurs interprètent malhonnêtement l’ordonnance en leur faveur ; son article 1er, par exemple qui prétend que « la terre appartient à la nation et tout mauritanien, sans discrimination d’aucune sorte, peut, en se conformant à la loi, en devenir propriétaire, pour partie« .

Face aux réactions de défense des intérêts vitaux des Noirs, l’intelligentsia beydane se met à inventer des théories historiques pour justifier les prétentions de sa communauté :

« Les Noirs de Mauritanie sont des descendants d’anciens footballeurs immigrés du Mali, du Sénégal et de Guinée« [15]. « Les Beydanes sont les Palestiniens de la Mauritanie dont la terre a été spoliée par les Noirs qui sont leurs Juifs » !. « La Mauritanie, seconde Palestine de la patrie arabe« ! (Journal Watan El Arabi). « Les Noirs sont des Sénégalais qui ont envahi la Mauritanie » [propos d’un étudiant nassérien lors de la conférence du Directeur de l’Institut des Langues nationales (I.L.N.) sur les langues nationales en 1983 à l’E.N.A.]. « Si les Noirs ne sont pas contents, ils peuvent rentrer chez eux, au Sénégal » (propos que l’on entend souvent dans les taxis. « Les Noirs sont des Sénégalais qui nous envahissent dans nos administrations. Ils sont jusqu’au sein du CMSN » ! (Propos tenus par le Commandant Ahmed Mahmoud O/ Deh, le héraut de la classe politico-militaire et actuel Permanent du C.M.S.N.).

On retrouve ces théories historiques jusque dans les enseignements d’histoire et de géographie au Koweït. Toutes ces idées rappellent, à n’en pas douter, celles d’un Cheikh Sidya Baba[16] qui, dans une lettre adressée à Coppolani réclamait « … le refoulement des Noirs sur la rive gauche, car les terres que ceux-ci occupent sur la rive droite appartiennent aux maures« . Selon toutes ces versions, la Mauritanie était terra ex nihilis avant l’arrivée des Arabo-berbères. Paradoxale identité avec la théorie sur l’antériorité de l’occupation de l’espace en Afrique du Sud développée par l’Apartheid.

En tout cas, la communauté négro-mauritanienne doit prendre très au sérieux toutes ces élucubrations historiques qui sont, malgré tout, un apport logistique pour le programme de confiscation des terres alluviales du Sud.

En 1960, nous avions pris pour des élucubrations idéologiques et culturelles les revendications pour l’arabisation d’une Mauritanie que les Beydanes assimilaient déjà au monde arabe. En 1985, voilà où nous en sommes : une Mauritanie arabisée à 95 % et les Noirs menacés d’expulsion de leur patrie historique.

Quelqu’un a écrit que « … Dans les sociétés de classes (pour la Mauritanie, nous pouvons parler de races), l’histoire fait partie des outils par lesquels la classe dirigeante maintient son pouvoir. L’appareil d’Etat cherche à contrôler le passé à la fois au niveau de la politique pratique et au niveau de l’idéologie. L’Etat, le pouvoir organisent le temps passé et façonnent son image en fonction de leurs intérêts politiques et idéologiques« .

 

III – l’armée

Nous parlons de l’armée pour deux raisons. Dans le présent, elle détient le pouvoir. Dans l’avenir, elle jouera un rôle déterminant pour l’issue du conflit racial.

La guerre du Sahara a contribué à lui donner la place qu’elle occupe actuellement. Le coup d’Etat du 10 juillet 1978, en la propulsant sur le devant de la scène politique du pays, a fait d’elle la première force politique avec laquelle il faut désormais composer. Evidemment, il ne faudrait pas entendre « force politique » dans le sens classique du terme, avec une organisation cohérente, avec un programme économique, une idéologie auxquels se réfèrent ses membres. L’armée mauritanienne n’a rien de tout cela. Nous l’appelons « force politique » parce qu’elle contrôle le pouvoir par le moyen des armes. Autrement, elle n’a ni cette cohésion, ni cette solidarité entre membres qui font la force d’un parti politique. En son sein, ses membres raisonnent en Noirs et Beydanes.

Du fait de sa double vocation (militaire revalorisée par la guerre du Sahara, politique par le pouvoir qu’elle contrôle), l’armée mauritanienne est devenue à partir de 1979 à la fois un débouché et un enjeu politique que se disputent les lobbies tribus beydanes. Evidemment les officiers noirs, lessivés de toute ambition politique se contentent d’être les commis des uns et des autres lobbies beydanes, en échange de cadeaux distribués sous forme de postes ministériels ou de directions de sociétés d’Etat. Le carriérisme leur fait oublier leur appartenance à une communauté raciale que leurs maîtres politiques oppriment. Ils ne se soucient même pas de défendre leur dignité souvent bafouée. Et pourtant, leurs maîtres, logiques avec eux-mêmes, n’hésitent jamais à défendre les intérêts de leur communauté en général, ceux de leurs tribus respectives en particulier.

L’armée mauritanienne n’échappe donc pas elle aussi aux contradictions antagonistes culturelles qui divisent le pays en deux camps raciaux. D’ailleurs, elle ne peut y échapper dans la mesure où les régimes beydanes qui se sont succédé depuis 1960 n’ont jamais cultivé l’esprit de solidarité nationale transcendant par-là les intérêts particularistes des deux communautés raciales. Par les propos qu’il a tenus dans l’interview qu’il a accordée à Jeune Afrique, Maouiya a prouvé qu’il était un produit de cette politique.

Après l’indépendance, pour éviter que feu le commandant Diallo, l’officier mauritanien le plus gradé à l’époque, ne devienne Chef d’Etat-major de la jeune armée, O/ Daddah et ses conseillers militaires français recrutèrent des jeunes instituteurs beydanes (Mbarek, Cheikh O/ Beyda, Housseyn et Salek) qui furent envoyés en formation militaire accélérée en France. A leur retour, Diallo fut écarté et Mbarek nommé Chef d’Etat-major.

Feu le colonel Yall Abdoulaye fut le premier Noir à assumer les fonctions de Chef d’Etat-major de l’armée mauritanienne, après 25 ans d’existence.

Evidemment, l’Etat beydane ne choisit pas n’importe lequel des officiers noirs pour occuper ce poste ou celui d’adjoint. Il choisit parmi ceux-ci les marionnettes sans aucune ambition politique, et qui servent comme éléments d’équilibre ou éléments régulateurs entre les lobbies politiques beydanes pro (Maroc, Algérie, Libye, Irak) qui se disputent le pouvoir.

Comme partout ailleurs, la beydanisation sévit aussi au sein de cette armée. Elle est comparable à celle qui est pratiquée dans l’Education et l’économie.

– En 1984, sur les 18 officiers de gendarmerie qui furent recrutés, un seul était noir. A la garde, sur les douze, il n’y avait qu’un Noir.

– En 1985 (examen de juillet)

– sur 59 officiers admis, cinq seulement étaient des Noirs, soit 8,47 %,

– sur 98 sous-officiers, les Noirs étaient au nombre de 23, soit 23,46 %.

L’Etat-major réserve 50 % des places aux arabisants (Beydanes). On crée toutes les difficultés aux Noirs arabisants (pourtant souvent plus compétents) parce qu’une certaine mentalité admet difficilement qu’un Noir maîtrise la langue arabe mieux qu’un Beydane !! Le français et l’anglais ne sont plus l’apanage des peuples qui les ont créés. La moitié restante est répartie en 25 % pour les bilingues (encore les Beydanes) et 25 % pour les Francisants. Dans ce dernier quart, le pourcentage des Noirs se situe entre 15 et 20 % selon les années.

L’autre facteur de blocage se situe au niveau de la correction qui est faite presque exclusivement par des militaires et civils beydanes, français, tunisiens et palestiniens.

Le lieutenant-colonel Boukhreiss est allé encore plus loin dans ce malthusianisme lorsqu’il était directeur de l’Ecole inter-armes d’Atar. Aux examens d’entrée et de sortie, le coefficient en arabe était 2. Désormais, pour la sortie, il a relevé le coefficient à 8. Pour cette école militaire, il ne faut plus compter sur sa compétence technique pour réussir, mais bien sur la connaissance d’une langue !

L’Algérie et l’Irak sont les pays arabes de formation où les élèves officiers et sous-officiers noirs souffrent le plus. Dans les académies militaires de ces deux pays arabes, on multiplie les blocages (humiliation, vexation, racisme, etc) pour les amener à démissionner et à demander leur rapatriement [17]

 

Répartition raciale des grades : officiers supérieurs et subalternes

 

Grades colonels lt-colonels commandants capitaines total
Noirs 1 3 3 16 24
Beydanes 5 5 12 34 66
% des Noirs 28,5 % 37,5 % 21,42 % 31,37 % 30 %

 

Dans la distribution des postes de responsabilité, on retrouve les mêmes pratiques discriminatoires :

Sur les quinze commandements [Etat-major National, Etat-Major Gendarmerie, Garde Nationale, Régions militaires (6), secteurs autonomes (2), génie militaire, G.A.R.I.M., Marine, E.M.I.A], quatre seulement sont actuellement dirigés par des Noirs [18]

La conséquence de cette politique concertée est la diminution progressive du nombre des cadres noirs au sein de l’armée. Certes, ce désavantage pourrait être compensé par un certain dynamisme des rescapés de ce malthusianisme. Mais, tel n’est pas le cas. Or, nous ne cessons de le répéter, le rôle de l’armée sera déterminant dans l’issue de la lutte de libération des Noirs contre la domination du système beydane.

 

IV – les mass-medias

Dans le domaine de l’information, la politique inaugurée dès l’indépendance a été renforcée. Il s’agissait, à travers les Médias (à l’époque, la Radio, et maintenant Le Chaab et la Télévision) de préparer les esprits à accepter la politique raciale. Donner l’impression de l’importance numérique des Maures en leur accordant le maximum du temps d’antenne. Il fallait également donner l’impression à l’étranger l’image d’une Mauritanie exclusivement arabe. Pour cela, les heures d’écoute pendant lesquelles les émetteurs peuvent porter le message le plus loin possible sont consacrées à la nationalité beydane. Ainsi, depuis l’indépendance, à partir de 20 h. 30 mn jusqu’au petit matin, jamais on a entendu une émission autre que les émissions beydanes.

 

Répartition des programmes à la Radio

 

  matin midi après-midi soir total
Temps d’antenne 6h. – 8h. 30

(2h. 30 mn)

12h. – 16 h. 30

(4h. 30 mn)

18h. – 19h.

(1h.)

19h. – 24h.

(5h.)

13h.

soit 780 mn

Koran 6h. – 6h. 10

(10 mn)

—– —– 23h. 50 – 24h.

(10 mn)

20 mn

(2,5 %)

Langues négro-africaines 6h. 40 – 7 h.

7h. 30 – 8h. 30

(1h. 20 mn)

12h. 05 – 12h. 55

15h. 10 – 16h. 30

(2h. 10mn)

18h. 05 – 18h. 55

 

(50 mn)

néant 4h. 20

 

(260 mn)

français 7h. – 7h. 10

(10 mn)

14h. 30 – 15h.

(0h. 30 mn)

néant. 18h. 55 – 20h. 30

(1h. 35 mn)

2h. 15

(135 mn)

arabe 6h. – 6h. 40

7h. 10 – 7h. 30

 

(0h. 50 mn).

12h. – 12h. 05

12h 55 – 14h. 30

15h. – 15h. 10

(1h. 55 mn)

18h. – 18h. 05

 

 

(0h. 05 mn)

20h. 30 – 23h. 55

 

 

(3h. 25 mn)

6h. 10mn

 

 

(375 mn)

 

La TV, quant à elle, a été conçue dès l’origine pour la nationalité beydane.

 

Grille  hebdomadaire  à  la  TV

 

pulaar 50 minutes  
wolof 25 minutes Les langues
soninke 50 minutes négro-mauritaniennes réunies
arabe-hassanya 1200 mn soit 20 h. ont 2h. 05 mn contre 20 h. pour l’arabe
français 290 mn soit 4 h. 50 mn  

 

Ce tableau se passe de commentaire.

Le journal Chaab, dans sa version arabe a toujours été utilisé pour discréditer les Noirs et leur culture. C’est la tribune de défoulement de tous ces nervis du racisme qui n’en cèdent rien à leurs hommes blancs d’Afrique du sud.

Pour asseoir cette politique, il faut les hommes qu’il faut. Depuis toujours et aujourd’hui plus que jamais, tout le département de l’information est monopolisé par les Beydanes :

– Ministre : Beydane

– Secrétaire Général : Beydane

– Tous les Conseillers du Ministre sont beydanes

– Le Directeur général de l’O.R.T.M. : Beydane

– Le       »              »       du Chaab : Beydane

– Le       »              »       de l’A.M.P. : Beydane

Les Directeurs des départements sont presque tous des Beydanes. Avec un tel staff, la pérennité de l’injustice et la désinformation contre les Noirs sont assurées, au moment où les meilleurs cadres diplômés de la Presse sont pour l’essentiel des Négro-mauritaniens.

Quant à l’arabisation des médias, elle n’est qu’une façade destinée à se débarrasser des quelques éléments non beydanes qui existent encore. Si non, pourquoi jusqu’à présent on ne recrute pas de Négro-mauritaniens arabisants à la Radio pour le journal parlé (j.p.) et à la Télévision pour le journal télévisé (j.t.).

 

V – le système éducatif de mauritanien / un système inique et

assimilationiste

A/ Les réformes : systématisation de l’arabisation

1°/ Le mythe

La question culturelle qui est un des aspects de la Question Nationale est l’une des plus débattues, à tel point que l’opinion étrangère mal informée ou abusée à dessein, considère que c’est l’unique point de friction entre les nationalités négro-africaines et arabo-berbère de Mauritanie.

C’est en tout cas un des points les plus sensibles, peut-être parce que le plus visible ou touchant les intérêts les plus cruciaux ; c’est peut-être aussi du fait des références idéologiques qu’elle connote : sentiment d’appartenance au monde noir pour les uns ou au monde arabe pour les autres.

Si historiquement, ces peuples ont vécu côte à côte dans une coexistence jalonnée à la fois de conflits et de serments d’amitié, le colonialisme a contribué à exacerber leurs contradictions ou, mieux, à les diviser en acceptant pour les uns l’introduction de leur langue (l’arabe) dans l’enseignement, tout en méconnaissant les langues africaines pour les autres. Cela se fit par le biais de la première réforme, celle de 1959, dont l’objectif était « d’adapter l’Enseignement aux aspirations culturelles et idéologiques de la Nationalité Arabo-berbère ».

Au mépris des valeurs culturelles et idéologiques négro-africaines, ce fut la première orientation volontairement inique et partisane de la France coloniale. En diffusant le mythe d’une majorité arabo-berbère fictive qui devait « justifier » la remise du pouvoir politique à ces derniers, la France fondait l’image d’une Mauritanie maure et œuvrait pour toujours au maintien des Noirs sous domination.

Depuis, tous les régimes politiques qui se sont succédé vont œuvrer dans le même sens ; mais il fallait au départ renverser une tendance : la suprématie des Noirs à l’école et dans l’administration ; c’est à cela que Mokhtar O/ Daddah devait d’abord s’atteler.

Il ne s’agissait pas pour Daddah de rattraper le retard dans la scolarisation du Nord, mais plutôt de concevoir une stratégie propre à assurer, à long terme, les conditions objectives devant amener les Beydanes (les Maures) à contrôler exclusivement tous les secteurs de la vie nationale (politique, économique, culturel). Cette stratégie passait par la politique culturelle de l’ARABISATION ; en effet, nous dit Cheikh Anta Diop, « l’impérialisme culturel est la vis de sécurité de l’impérialisme économique« . C’est cela que Daddah avait compris et mis en pratique et que tous les régimes militaires qui se sont succédé vont tenter de consolider.

 

  1. a) L’arabisation : un puissant moyen de sélection et d’élimination

L’arabisation va apparaître au fur et à mesure des réformes du système éducatif comme un puissant moyen de sélection d’abord et d’élimination massive des Négro-mauritaniens par la suite. En réalité, elle va servir de couverture au racisme qui ne se révèle que maintenant, pour peu que l’on observe les pratiques de recrutement : le droit au travail, à la promotion n’est plus l’affaire de compétence mais de couleur.

Au sortir de l’époque coloniale, Daddah allait, par le biais de réaménagements et de réformes s’attaquer au déséquilibre scolaire entre Maures et Noirs. Par la suite, son régime et tous les suivants allaient patiemment mettre en œuvre la stratégie de l’élimination et de domination des Noirs.

 

  1. b) La sur-scolarisation des régions du Nord

Simultanément à l’arabisation, les différents régimes devaient s’atteler à une sur-scolarisation du Nord et du centre du Pays.

 

Distribution des écoles

 

Années zone maure

nord et centre

zone sud
1960 27 43
1970 157 103
1980 347 183

 

 

Evolution des effectifs

 

Années eleves maures eleves noirs total
1930    100    300     400
1940    130    670     800
1960 5 000 7 000 12 000
1980 69 400 23 400 92 820

 

Le taux de scolarisation qui devrait atteindre prochainement les 40 % selon le Ministre de l’Education Nationale, va être orienté en direction de la filière « arabe » (essentiellement « Maure ») qui renferme déjà les 80 % du total des effectifs des enfants mauritaniens scolarisés.

 

  1. c) Processus et effets de l’arabisation

1959, première inégalité

1959 voit la naissance de la première réforme rendant l’arabe obligatoire dans les écoles primaires et secondaires. Son introduction au secondaire en tant que matière allait, pour la première fois, créer une inégalité de classement. En effet, l’enfant noir et l’enfant maure, à égalité de classe devant la langue française, allaient se différencier dans le classement à cause de la note en arabe, langue maternelle (donc familière) du second ; c’est aussi la première violation du principe constitutionnel de l’égalité en droit des citoyens, au regard de la biracialité et la multinationalité du pays.

Volontairement, on allait orienter de façon durable le système éducatif dans le sens inique et unilatéral des intérêts arabo-berbères instituant, au départ, une inégalité entre les enfants d’un même pays ; on allait jeter les bases de la discorde et du racisme qui allaient se poursuivre et s’accentuer à travers les réformes ultérieures.

1967, deuxième réforme qui institue le bilinguisme et proclame l’arabe comme langue officielle. Elle se traduit par une augmentation substantielle de l’horaire consacré à l’arabe :

– la 1ère année entièrement arabisée

– l’arabe comme épreuve obligatoire aux examens

Là, également, en accroissant les chances de réussite du petit Maure ; à l’opposée on accentuait les difficultés du petit Noir dans l’apprentissage qui devait commencer par et dans deux langues étrangères. Devant ce système élitiste, il a fallu du génie à nos enfants qui ont survécu à ses effets.

L’objectif de cette réforme par rapport à celle de 1958, était simplement de renforcer l’inégalité devant la sélection entre les enfants, l’arabe devant servir de filtre.

Mais cela ne suffisait pas.

En 1971, au niveau du P.P.M. (Parti du « Peuple » Mauritanien), parti unique de Moktar O/ Daddah, le principal artisan de l’arabisation et du racisme institutionnalisé disait : « l’Arabisation est un objectif à long terme… Après l’institution d’un bilinguisme qui n’est qu’une simple transition, la réhabilitation de la langue et de la culture arabes sera la renaissance de nos valeurs nationale« .

Au mépris donc de l’existence de l’entité négro-mauritanienne, une troisième réforme allait naître : celle de 1973.

Elle avait pour objectif de radicaliser l’arabisation. Elle se traduit par :

– l’arabisation des deux premières années du Fondamental,

– la réduction de moitié des horaires de français dans les autres cours,

– l’introduction de 2 épreuves arabes au Fondamental et au secondaire avec un coefficient élevé.

Dans certains établissements secondaires l’on arabisait la Géographie, l’Histoire, la Philosophie pour les Négro-mauritaniens (aussi) dont la langue d’enseignement restait encore le français.

L’originalité de la réforme (il serait plus exact de parler de « réaménagement ») de 1973 sera d’imposer l’arabe comme langue de ciment et de reconnaître (tout court) l’existence des Langues négro-africaines.

Ici encore l’essence restait la même : faire échouer les enfants Négro-mauritaniens à défaut de pouvoir les assimiler, en vue de leur domination. Cette réforme du système éducatif s’achève sur les résultats que l’on sait qui déclenchèrent une crise de conscience commune des Négro-Mauritaniens.

 

 

2°/ – La sélection par les examens

Session de 1979

 

filières inscrits admis % d’admission
« arabe »

(à 95 % Maures)

3 265 1 733 53,69 %
« français »

(50 % Maures

50 % Noirs)

8 700 3 264 37,51 %

 

Soit au total 18 % de Noirs : la réforme de 1973 consacrait donc l’échec massif des élèves négro-mauritaniens.

Grâce à l’action conjuguée et courageuse du Mouvement des Etudiants Noirs et du Mouvement Négro-mauritanien, la population noire disait non au pouvoir politique beydane, pour avoir compris la confusion sciemment entretenue entre l’Islam et l’Arabe par le pouvoir.

Face à cette détermination, le pouvoir militaire reculait et mettait en place les réaménagements de 1979-80. Désormais, la population négro-mauritanienne avait le choix entre la filière « français » et la filière « arabe » : l’édifice que Moktar O/ Daddah avait souhaité et construit commençait à s’effondrer malgré tous les efforts déployés par les régimes militaires. Mais ces « réaménagements » leur ayant été arrachés, il firent (et continuent de tout faire) pour les torpiller et consumer les acquis :

l’arabe demeurait pour les Négro-mauritaniens à raison de 5 heures hebdomadaires pour tous les cours, exceptée la première année dite de « tronc commun« , entièrement arabisée. Contre tout entendement, on l’imposait malgré tout à des enfants destinés à la filière « français ».

De fait ces aménagements au Fondamental consacrant une scolarité complète de 6 ans aux enfants maures (à travers leur langue maternelle) contre 5 ans pour les enfants noirs (par le biais d’une langue non maternelle) reconduisait ainsi la substance des réformes antérieures : l’inégalité des chances.

« Tout Mauritanien capable d’objectivité et de responsabilité, soucieux de la plénitude de notre Indépendance, doit tirer de l’enseignement de l’arabe une conclusion (entre autres) … des inégalités frappantes entre enfants d’origine ethnique différente à tous les niveaux« .

Ces propos de l’actuel chef de l’Etat (Maouiya), tirés des conclusions de la Commission Culturelle de 1979 qu’il présidait alors, ne changeront rien à la politique déjà entreprise ; au contraire, non contents d’avoir lâché du lest, les régimes militaires feront tout pour récupérer la réforme de 1980 et ce, grâce aux intrigues et combines de Hasni O/ Didi, Ministre de l’Education Nationale.

La réforme du système éducatif qui devait entrer en vigueur en octobre 1985 avec notamment la généralisation de l’utilisation des langues nationales n’est que timidement entamée quand on sait que la mise en œuvre d’un système (éducatif de surcroît) exige et du temps et de la compétence. Or, les militaires au pouvoir, de connivence avec le Ministre de l’Education Nationale, ont attendu l’échéance fixée à l’Institut des Langues nationales pour désigner une Commission nationale de Réforme (et de qui se compose-t-elle) qui, en réalité, devait être mise sur pied dès la création de l’I.L.N. et travailler parallèlement en collaboration avec ce dernier, tenant compte de ses travaux.

La seule chance des Négro-mauritaniens d’échapper à l’assimilation, la seule chance pour les Mauritaniens de vivre en quiétude dans la justice et l’équité réside dans l’utilisation généralisée et égalitaire des langues nationales à l’école et dans la vie publique. Et c’est bien ce qu’ont compris les racistes au pouvoir (ainsi que tous ceux qui les ont précédés). Fidèles à leur stratégie d’assimilation systématique, ils étouffent l’Institut des Langues nationales qui est en train de mourir à petit feu, et font traîner les mesures devant mener à cette égalité des chances tant attendue afin de profiter d’une éventuelle conjoncture favorable pour remettre ainsi en cause les acquis des Mauritaniens en général et des Négro-mauritaniens en particulier.

Qu’ont fait le Comité Militaire de « Salut » national (C.M.S.N.), le gouvernement, le Ministre de l’Education nationale afin que les « mesures d’octobre 1979 » et la mission assignée à l’I.L.N. se traduisent dans les faits ?

Les mesures d’octobre 1979, la création de l’I.L.N., la mise sur pied d’une Commission de Réforme pour être des produits de la lutte des Négro-mauritaniens, n’en sont pas moins des leurres destinés à tromper notre vigilance et endormir notre ardeur afin de remettre fondamentalement en cause nos acquis.

 

 

3°/ – Aspects de la stratégie de Hasni O/ Didi

  1. a) A tous les niveaux de décision, le Ministre de l’Education nationale placera les militants de l’arabisation :

– Bureau organisation et méthode (B.O.M.),

– Direction de l’Enseignement fondamental,

– Direction de l’Enseignement secondaire,

– Direction de l’Enseignement supérieur,

– Direction de l’Enseignement technique,

– Direction du personnel de l’Education nationale,

– Direction de l’Université,

– Direction de la planification et de la coopération,

– Direction de l’Institut pédagogique nationale …

postes, dont certains ont toujours été contrôlés par les Maures.

 

  1. b) Dans les régions partout où se rencontre une forte concentration de Noirs, O/ Didi placera les arabisants. Ainsi, les Directeurs Régionaux du Gorgol, du Guidimakha, régions à dominante filière « français », du District de Nouakchott…

La consigne, c’est d’amener progressivement les populations noires, par des manoeuvres subtiles, à choisir l’arabe. Ce mot d’ordre passe par tous les maillons de la chaîne : du directeur régional au simple maître de classe, en passant par les directeurs d’écoles, choisis pour l’occasion parmi les Maures arabisants.

Il faut amener les Noirs à choisir l’arabe, soit empêcher par tous les moyens le choix de la filière « français ». Grâce à ces manœuvres subtiles, on récupère la Réforme de 80.

 

Cas de Nouakchott (Divisions pédagogiques)

 

  82-83 83-84 84-85
Tronc Commun 56 55 62
  2e A « arabe » 32 53 58
2e A « français »   24 12 9
  3e AA 43 45 50
3e AF   15 10 5
  4e AA 42 40 45
4e AF   14 15 12
  5e AA 35 45 35
5e AF   14 10 6
  6e AA 43 45 45
6e AF   20 19 17

 

N.B. – sur 390 divisions pédagogiques, 306 sont arabes

– sur 30 écoles, 8 seulement comprennent la filière « français »

 

c/- Deux astuces pour « arabiser » les Noirs

– A Nouakchott, l’arabisation forcée des Noirs passe par l’astuce suivante : grâce à l’action des directeurs d’écoles choisis parmi les maîtres maures arabisants, l’on recrute, en 1ère année très peu d’enfants noirs et beaucoup d’enfants maures ; ensuite, pour le passage, comme souvent les enfants noirs ne totalisent pas 25 élèves dans la classe (norme officielle jamais respectée en milieu maure pour l’ouverture d’une division pédagogique), l’on informe les parents qu’ils ne peuvent prétendre à une 2ème année filière « français » à cause du nombre réduit des enfants. Et alors, soit les parents optent pour le passage en filière « arabe » (2ème année) dans la même école, soit ils transfèrent leurs enfants dans une autre école bien souvent très éloignée du domicile. C’est cela qui explique ce que l’on voit tous les jours pour peu que l’on y prête attention : des enfants noirs résidant au 5è ou au 6è arrondissement prenant les cours à l’école « Ilôt K », des enfants noirs du Ksar déplacés à la Capitale pour y apprendre, des enfants noirs du 1er Arrondissement faisant la classe au Ksar, etc. Par découragement pour les uns, par peur des risques courus par leurs enfants pour les autres, par manque de moyens économiques pour transporter tous les jours les enfants, pour la plupart, les parents finissent dans bien des cas par « choisir » la filière « arabe ». Ceux qui s’y refusent se résignent à envoyer leurs enfants dans le Sud.

Telles sont les tristes solutions que trouvent la plupart des parents d’élèves au lieu de se battre sur place pour faire valoir leur droit.

– La deuxième astuce pour arabiser, tant à Nouakchott qu’au sud du pays consiste à dire aux parents d’élèves : « Nous manquons de maîtres de français, mais nous pouvons vous trouver un maître d’arabe ». Et vous devinez la suite …

Simultanément à l’arabisation progressive du Sud, l’on éteint systématiquement la filière « français » dans le Nord (voir tableau).

 

4°/ L’Arabisation : une discrimination raciale évidente

L’arabisation, à travers les tableaux ci-dessous, a permis une mainmise totale des Maures sur la culture ; elle montre dans le fond une simple discrimination raciale.

 

  1. a) enseignement   fondamental  (aout 1983)

 

    structures     pedagogiques
regions nombre 1e 2e année 3e année 4e année 5e année 6e

année

total  
  d’ecole aa a f a f a f a f a f    
adrar  30  23  23   0  16   0  15   0  15   0  19   0    111  
assaba  61  10  29   2  24   4  24   4  11   3  27   3    141  
brakna  79  13  19 16  35 14  18 15  14 17  27 32    220  
d. nouadhibou  13    8  16   3  11   2    8   3  12   2  15   2      82  
gorgol  86  24  25 17  11 18  20 18    8 17  19 21    198  
guidimakha  49  11    9 22    9 18    4 12    2 12    8 18    125  
hodh charhi  90  23  37   0  33   0  53   0  16   0  28   0    170  
hodh gharbi  79  26  36   0  24   0  24   0  20   0  22   0    152  
inchiri  15    7  14   0    7   0    7   0    6   0    7   0      48  
tagant  47  16  36   0  18   0  14   0    9   0  18   0    111  
tiris zemour    7  10  12   1    7   1  11   1    7   1    8   2      61  
trarza 159  49  60 11  45 14  45 11  46 10  34 10    335  
totaux 713 220 316 72 240 71 223 64 166 62 232 88 1 754  
                                           

NB.1.   Pour les 124 classes arabisées du Brakna, 50 sont implantées en milieu noir ;

Pour les 279 classes arabisées du Trarza, 80 sont implantées en milieu noir ;

  1. Les fonctionnaires noirs en fonction dans le Nord n’ont aucun moyen de scolariser leurs enfants ; la seule alternative qui s’offre à eux c’est d’inscrire leurs enfants à la filière « arabe », soit de s’en séparer en laissant ou en les renvoyant dans le Sud.

 

 

  1. b) enseignement   secondaire  examen du baccalaureat (1983 – 84)

 

nature du inscrits presents admis  +  % session

complementaire

total admis

+ %

baccalaureat Maures Noirs Maures Noirs Maures Noirs Maures Noirs Maures Noirs
Lettres originelles 38 0 23 0 20

86,95%

0 2 0 22

95,65%

0
Série A (arabe) 718 25 658 25 239

36,32%

2

8%

218 5 457

69,45%

7

0,25%

Série A (bilingue 580 299 537 280 95

17,69%

21

7,5%

203 49 298

55,49%

70

25%

Série D (arabe) 475 8 445 8 69

15,50%

0 56 2 125

28,08%

2

25%

Série D (bilingue 759 275 732 239 184

25,13%

5

2,09%

145 20 329

44,94%

25

10,46%

Série C (arabe) 80 3 76 3 21

27,63%

0 21 0 42

55,26%

0
Série C (bilingue 119 15 117 15 49

41,88%

3

20%

30 4 79

67,52%

7

46,66%

Technique (arabe) 13 0 13 0 7

53,84%

0 2 0 9

69,23%

0
Technique (bilingue 23 10 23 10 13

56,52%

0 10 2 23

100%

2

20%

      2 612

81,87%

580

18,13%

        1 384

92,46%

113

7,54%

      3 198

100%

        1 497

100%

 

  1. c) Enseignement superieur : ENS, Université (1983-84

filiere « arabe »

Classes 1e annee 2e année 3e annee 4e annee total
  n m n m n m n m n m
Math. Ph 0 26 0 12 0 7 0 8 0 53
Phys. Ch 3 39 0 20 1 11 0 0 4 70
Sc. Nat. 1 37 0 40 1 12 0 13 2 102
Hist. Géo 0 6 0 0 0 21 1 27 1 54
Lettre M. 0 40 0 34 0 26 0 29 0 129
Philosop. 1 27 0 0 0 0 0 0 1 27
Inspect. 0 7 1 10   0 0 0 1 17
                     
Total 5 182 1 116 2 77 1 77 9 452
% 2,67 97,33 0,85 99,15 2,53 97,47 1,26 98,74 1,95 98,05

 

filiere « français »

Classes 1e annee 2e année 3e annee 4e annee total
  n m n m n m n m n m
Math. Ph 6 15 0 12 0 2 0 7 6 36
Phys. Ch 6 18 2 8 0 0 0 8 8 34
Sc. Nat. 4 21 6 13 4 6 1 15 15 55
Hist. Géo 0 0 3 1 4 7 4 7 11 15
Lettre M. 15 26 11 13 1 3 6 14 33 56
Philosop. 0 0 7 5 0 0 0 0 7 5
Inspect. 1 5 5 1 0 0 0 0 6 6
anglais 1 1 16 11 0 3 7 2 20 18
Total 33 86 50 64 9 21 18 51 106 225
% 27,73 72,27 43,85 56,15 30 70 26,08 73,92 32 68

 

  1. d) Enseignement supérieur : discrimination dans l’octroi des bourses (1982-83)

Pays arabes

 

 

Pays

 

Algérie

 

Maroc

 

Tunisie

 

Libye

 

Egypte

Arabie Saoudite  

Koweït

 

Irak

 

Qatar

 

Syrie

Emirats Arabes Unis  

Totaux

Noirs   15   45   17   2 4   8 1 6   1   1 2 102
Maures   82 182 116 18 2 50 3 33 11 60 1 562
Totaux 101 227 133 20 6 58 4 39 12 61 3 664

 

 

Europe – Amériques

 

Pays France All. F. Espagne Roumanie URSS USA Canada Pologne Suisse Portugal Totaux
Noirs 104 2 1   4   35 2   2 2 2 1 155
Maures 167 6 3 13   80 3 12 0 0 2 286
Totaux 271 8 4 17 115 5 14 2 2 3 441

 

Afrique noire

 

Pays senegal côte d’ivoire mali niger gabon cameroun totaux
Noirs 123 32 0 5 2 1 163
Maures 138 16 3 3 1 1 162
Totaux 261 48 3 8 3 2 325

 

B/ L’action des medias pour la systématisation de l’arabisation

Le processus d’arabisation entreprise dans le système scolaire va récemment se compléter par l’action des médias. La radio et la télévision vont diffuser essentiellement la culture arabo-berbère. A défaut d’atteindre leur objectif par l’Ecole, les maîtres du moment vont passer par les médias pour assimiler lentement mais sûrement la Communauté négro-mauritanienne en diffusant le moins possible leur culture.

 

Conclusion

En analysant en profondeur le « problème culturel » on découvre que, s’il a existé à un moment donné, il s’est déplacé en fin de compte : de problème culturel, il est devenu un problème racial.

L’arabisation, à travers son processus et ses mesures d’accompagnement (sur-scolarisation du Nord, élimination par le coefficient, discrimination dans l’octroi des bourses, orientation des médias) est une négation raciste : lorsqu’on se rapporte aux recommandations de la réforme de 73, on lit « une arabisation qui se limiterait au monde scolaire serait de peu d’effet... » et recommande un peu plus loin « l’arabisation des ministères qui n’ont pas un caractère technique et qui sont en relation avec l’ensemble de la population, par exemple les ministères de la Justice, de la Culture et de l’intérieur. Cette arabisation devrait atteindre les régions« (pp. 23-24 du rapport du P.P.M.).

L’on peut tirer de ces recommandations, trois conclusions majeures :

1 – la langue arabe telle qu’elle est dispensée comporte des insuffisances certaines ;

2 – c’est affirmer l’arabité à 100 % de la Mauritanie (« restaurer le nomadisme ») ;

3 – c’est nier l’existence, la spécificité des Négro-mauritaniens.

Fondamentalement, il n’y a pas de problèmes de culture, il y a négation des Noirs de Mauritanie en tant que composante raciale spécifique. En tout cas, l’on ne saurait admettre l’existence des Noirs et leur imposer en même temps une culture autre que la leur.

 

C’est là tout le problème : il s’agit d’etre ou de ne Pas etre

 

APPEL

A l’issue de cette longue mais nécessaire analyse de la situation actuelle des Noirs en Mauritanie, quelles remarques pouvons-nous faire par rapport à celle de 1966, date à laquelle le document d’introduction a été écrit.

 

Quatre essentiellement :

 

– le caractère très actuel du « Manifeste des 19« , malgré les vingt (20) années passées.

– la dangereuse et inquiétante dégradation de la situation des Négro-mauritaniens dans tous les domaines de la vie politique, économique, culturelle et sociale ;

– les craintes formulées dans le « Manifeste » n’ont jamais été prises en considération par les régimes beydanes qui, au contraire, se sont évertués à satisfaire les revendications culturelles et économiques respectivement des intellectuels et de la bourgeoisie-compradore arabo-berbères ;

– cette absence d’équilibre nous conduit à la conclusion catégorique que la classe politique [19] qui a dirigé la Mauritanie depuis 1957 n’a jamais cru réellement à l’Unité nationale.

A la lumière de ce qui a été analysé, on se demande comment on peut donc parler d’Unité Nationale en Mauritanie, alors que les principes directeurs de l’Etat Unitaire sont bafoués par un Système (le système beydane) qui s’est toujours préoccupé de défendre les intérêts d’une nationalité racio-culturelle (arabo-berbère) au détriment des autres (soninké, haratine, bambara, haalpulaar et wolof). Le refus de résoudre correctement les problèmes de la coexistence politique et économique des deux communautés raciales, sous le prétexte de préserver une « Mauritanie Unitaire [20] engendre petit à petit dans la conscience des Négro-mauritaniens un doute sur le principe même de l’Etat unitaire.

Les Négro-mauritaniens, et particulièrement leurs « dirigeants » (politiciens, Bourgeois-compradores, intellectuels, cadres administratifs, etc) sont historiquement responsables de leur situation de dominés. Face à une oppression qui se développe et se généralise, ils ont souvent choisi le refuge dans les solutions de facilité à la lutte, avec la formule : « J’en suis conscient, mais je n’y peux rien« .

 

Alors on se réfugie dans :

– les confréries religieuses et le wird

– l’apolitisme,

– le carriérisme, et de plus en plus, l’exil dans les organismes internationaux (ce qui est à la mode),

– l’alcool, la drogue, les jeux du hasard et la luxure,

– les théories idéalistes et délirantes du M.N.D. (Mouvement « National » Démocratique) qui prétendent que la Question nationale est une question très secondaire par rapport à la lutte générale que mène le « peuple » mauritanien contre l’impérialisme français en particulier. Ce mouvement estime que le problème des Noirs en Mauritanie se réglera de lui-même après la libération de ce pays du joug de la « coalition impérialo-féodale », et qu’il est inutile d’insister sur la spécificité de l’oppression négro-mauritanienne. Ces thèses nous rappellent étrangement celles du Parti Socialiste Révolutionnaire Juif (le Bund), des Trotsky, Boukharine et autres sur la Question juive en Russie, mais la tradition antisémite violente et séculaire des Russes a eu raison de ces thèses marxistes-léninistes.

Chacun essaie donc de se créer un univers de refuge (religion, carrière, idéalisme politique, etc) où il peut oublier de temps en temps sa ration quotidienne d’exactions du seul fait de sa race (noire) et de sa non-appartenance à la culture arabe !

 

L’avenir de la Communauté noire en Mauritanie dépendra de la solution qu’elle donnera elle-même à cette situation. Elle ne devra compter que sur sa propre volonté de mettre fin à l’oppression du Système beydane. Nous pensons que la clef du problème pour les Noirs et pour l’avenir de la Mauritanie toute entière réside fondamentalement dans la destruction du Système beydane et de l’instauration d’un système politique juste, égalitaire auquel s’identifieront toutes les composantes actuelles du pays.

Pour cela, il faudrait que tous les véritables nationalistes mauritaniens (Noirs et Arabo-berbères) épris de paix, de justice et soucieux de voir instaurer une Unité Nationale véritable, acceptent de s’unir afin que tous ensembles combattent pour la suppression de ce système raciste, chauvin, aussi pernicieux que l’Apartheid.

Car cela est possible. Il faudrait que le Négro-mauritanien comprenne qu’il ne doit pas s’insurger contre le Beydane en soi, mais contre l’appareil d’Etat arabo-berbère raciste et oppresseur, afin que Blancs et Noirs puissent enfin dialoguer à égalité, se battre ensemble pour des lendemains plus certains.

Que le chauvinisme et l’hégémonie du monde arabe ne viennent pas aggraver nos contradictions, en épaulant une communauté raciale, la leur, contre une autre (les Noirs). Si tous les Mauritaniens sont musulmans, ils ne sont pas tous arabes, autant que les Kabyles, les Perses, les Turcs ou les Kurdes.

Les problèmes mauritaniens doivent être posés par des Mauritaniens, discutés entre Mauritaniens et solutionnés par les Mauritaniens eux-mêmes. Notre amour pour ce pays nous commande à inviter toutes nos nationalités à un dialogue des races et des cultures, dans lequel nous nous dirons la Vérité pour guérir nos maux.

Il faut que nous traduisions dans la réalité nos appels au Salut National et au Redressement de notre pays, au lieu de dépenser toutes nos ressources et toutes nos potentialités humaines dans des querelles raciales et culturelles dont les principaux bénéficiaires ne seraient certainement pas les Mauritaniens.

Avril 1986

[1]  Depuis le recensement de 1977, le SB s’est toujours arrangé à ne pas nommer un Négro-mauritanien à la direction des statistiques. Toute la documentation est confiée à des Maghrébins et à des Français.

[2]  Cela est particulièrement valable dans la tranche d’âges comprise entre 25 et 45 ans.

[3]  D’autres secteurs participent à cette campagne de désinformation :

– Air Mauritanie : à l’intérieur de ses avions, on ne trouve que des dessins de l’artisanat maure, dans ses calendriers et dépliants, on ne trouve que des images sur cet artisanat, et des photos montrants uniquement des pilotes et mécaniciens beydanes. La caméra ne photographie que ce qu’elle veut voit.

– les cartes postales, les timbres postaux,

– dans les foires internationales, seulement les produits de l’artisanat maure sont exposés.

[4] Les premiers étudiants négro-mauritaniens ont fréquenté les Universités égyptiennes, en particulier Al-Azar, à partir de 1931.

[5]  Ils viennent de se débarrasser de l’un d’eux, M’baré Cissoko qui a été assassiné sauvagement par deux jeunes Beydanes au marché de la Capitale. Etant donné que la vie d’un Noir représente peu dans la mentalité beydane, ces assassins ne sont même pas inquiétés par le régime militaire et sa Charia.

[6] Voir la lettre adressée par les hommes d’affaires négro-mauritaniens au président O/ Saleck et au C.M.R.N. en décembre 1978.

[7] 1 franc français vaut environ 9,8 ouguiyas mauritaniennes

[8]  Nous mettons le mot « prêtées » entre guillemets parce que ces prêts n’ont jamais été remboursés.

[9]  L’observateur étranger peut s’en rendre compte en visitant les locaux qui abritent les représentations diplomatiques et les centres culturels et de prêche islamique des pays arabes à Nouakchott.

[10]  Sur la liste des personnes physiques et établissements qui ont bénéficié de la carte import-export pour l’année 1984-85, on ne trouve que 14 Noirs sur 108 (Décision n° 1039MFC/DCE portant attribution de la carte d’importation/exportation.

[11]  Terme pulaar désignant les terres inondables du fleuve Sénégal.

[12]  Lire circulaire n° 020/MINT du 29/07/85 intitulée «circulaire spéciale relative à la campagne agricole», adressée par le Ministre de l’intérieur aux Gouverneurs et Préfets.

[13] Souvenez-vous des propos tenus par Haïdallah dans son discours à Ouad Naga, 1982 « la sécheresse a tout détruit. Il n’y a plus d’eau dans nos puits, plus de pâturages pour le bétail. Allez dans le Sud, vous y trouverez de l’eau et de la terre pour cultiver ».

[14]  Le propriétaire d’un champ reçoit une amende évaluée proportionnellement à la gravité de la blessure provoquée sur le dromadaire par les fils de fer de protection.

[15] Travaux du congrès de l’Union nationale des Etudiants mauritaniens U.N.E.MAU (Beydanes) à Damas en 1971.

[16]  Cheikh de la tribu des Oulad Biri, la tribu de Ould Daddah.

[17]  D’ailleurs toute la jeunesse estudiantine civile négro-mauritanienne ayant séjourné en Algérie et en Irak garde de mauvais souvenirs sur ces pays. De tous les pays arabes, ce sont les deux où les Noirs sont le plus victimes de racisme primaire intolérable.

[18]  dans la Police, la situation est identique, sinon pire.

[19]  Les Noirs qui ont occupé des postes gouvernementaux depuis 1960 ont toujours été des instruments politiques et administratifs. Ils n’ont jamais joué un rôle dans les orientations (politiques, économiques et culturelles (des régimes qu’ils servaient. C’est pourquoi l’histoire ne retient même pas leurs noms.

[20] Entendons par là les structures d’un Etat centralisateur certes, mais qui fait appel à des compétences politiques, administratives, économiques et intellectuelles, sans considérations des origines sociales, ethniques raciales. Or, les Arabo-berbères ne conçoivent pas qu’il puisse y avoir un « Etat unitaire » autre que celui hérité des Français et dont la singularité réside dans les prérogatives politiques, économiques et culturelles accordées à une nationalité.

 

 

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