54ème anniversaire du Manifeste des 19 et du soulèvement des Noirs mauritaniens contre l’oppression du système beydane (Janvier – février 1966)
Il y a cinquante-quatre ans, la vie publique mauritanienne était secouée par un choc crucial. Nous sommes en janvier 1966, six ans après la proclamation de l’indépendance. Dix-neuf cadres négro-africains lancent, au prix d’une répression terrible, une première alerte sérieuse et prémonitoire sur les risques que l’arabisation-assimilation faisait courir à l’unité nationale, au Vivre-ensemble, à l’équilibre social et à l’existence même de la Mauritanie. L’onde de de choc de la publication du Manifeste est encore vivante plusieurs années après. Evénement fondateur, la diffusion du «Manifeste » est, au même titre que celle du Manifeste du Négro-mauritanien, en 1986, une composante de notre mémoire nationale. C’est pourquoi, votre site, flam-mauritanie.org, a tenu, à travers un dossier et sur la base de témoignages, de textes de lois, d’articles de presse nationale et internationale, d’analyses et débats sur ces soulèvements historiques, saluer les acteurs de la mise à nu du système naissant, déjà clairement porteur des germes du racisme, de la discrimination et de l’exclusion. Bonne lecture.
Les événements de février 1966:la revue de presse
MAURITANIE:
Les Noirs protestent contre l’enseignement de l’arabe.
Des manifestions anti-gouvernementales ont éclaté simultanément dans plusieurs localités mauritaniennes, la semaine dernière.
Elles sont le fait des élites noires, qui son mécontentes de la politique à leur gré trop pro arabe du gouvernement Moktar Ould Dadah, dont tous les postes clés sont effectivement détenus par des Maures, depuis le départ, au printemps dernier, de Bâ Bocar Alpha du ministère des finances.
C’est un décret rendant l’enseignement de l’arabe obligatoire dans les établissements secondaires qui est à l’origine immédiate des manifestations précitées. Celles –ci, du reste, ont pris notamment la forme de grèves scolaires, tandis que les hauts fonctionnaires noirs diffusaient un tract assez virulent contre le gouvernement.
Ces derniers craignent, en effet, de perdre l’avantage que leur donne, dans l’appareil administratif , leur meilleure connaissance du français, si peu à peu l’arabe devait devenir la langue officielle prédominante de la Mauritanie.
Dans ces mêmes milieux on n’a pas beaucoup apprécie, d’autres part, la sortie de la Mauritanie de l’O .C .A.M, ni même, semble-t-il l’établissement de relations diplomatiques avec Pékin.La visite, effectuée en Mauritanie, de vendredi soir à dimanche soir, par le président Senghor, devait cependant contribuer à ramener le calme dans les esprits.
Le moniteur Africain 12 /01/1966
Certains aspects de la politique de M. Mi Daddeh sont de plus en plus critiqués par la minorité noire
LE MONDE | 11.01.1966
PIERRE BIARNÈS
Depuis plusieurs mois un mécontentement de plus en plus vif s’est développé dans la population noire du jeune État à l’encontre de la politique du président Moktar Ould Daddah, qui est accusé, d’une part, de trop favoriser ses compatriotes de race maure et, d’autre part, de trop calquer sa conduite en politique extérieure sur celle des États arabes » révolutionnaires « .
À la faveur des remaniements ministériels intervenus durant l’année écoulée, les hommes politiques noirs, tout en étant toujours représentés au sein du gouvernement par deux d’entre eux (au développement et aux affaires sociales), ont perdu le seul portefeuille important qu’ils détenaient jusqu’alors, celui des finances, dont le titulaire, M. Babocar Alpha, a été contraint de démissionner.
À l’inverse, les élites maures, sous l’impulsion du dynamique et méthodique secrétaire politique du Parti du peuple mauritanien (parti unique), M. Mohamed Ould Cheikh, organisateur de l’armée mauritanienne, ont vu leur influence s’accroître de façon très sensible.
Elles contrôlent, outre la présidence de la République, les finances et la fonction publique (M. Bamba Ould Yezib), l’intérieur et la justice (M. Ahmed. Ould Mohamed Salah), la défense et les affaires étrangères (M. Mohamed Ould Cheikh lui-même). Tout en se sachant minoritaires, les Noirs évolués du Sud sont de plus en plus irrités d’être ainsi écartés de tous les postes-clés, l’Assemblée nationale, dont ils détiennent tout de même la présidence en la personne de M. Ba Samba Bolly, n’étant guère plus qu’une Chambre d’enregistrement. Aussi l’idée de transformer la République islamique, État unitaire, en un État fédéral, a-t-elle fait des progrès rapides parmi eux depuis quelque temps.
Dans ces mêmes milieux, l’établissement ces derniers mois de relations diplomatiques avec la quasi-totalité des pays socialistes, notamment avec Pékin, Tirana, Hanoï et Pyong-Yong, n’a pas été favorablement apprécié, et la sortie de la Mauritanie, en juillet dernier, de l’Organisation commune africaine et malgache a été franchement désavouée.
L’enseignement de l’arabe obligatoire
C’est un décret rendant l’enseignement de l’arabe obligatoire dans les établissements secondaires qui a mis le feu aux poudres. La semaine dernière, des manifestations de protestation ont éclaté simultanément – ce qui démontre l’existence d’un organisme de coordination assez efficace – dans toutes les villes du pays où existent des communautés noires de quelque importance. Ces manifestations ont pris notamment la forme de grèves des élèves et de leurs professeurs noirs, tandis qu’un tract d’une particulière virulence, signé par de nombreux hauts fonctionnaires noirs, était diffusé en Mauritanie et même au Sénégal. A l’époque coloniale, en effet, pour diverses raisons tenant en particulier à la plus grande force de leurs structures sociales traditionnelles, les Maures du centre et du nord du pays ont été beaucoup moins scolarisés que les Noirs de la région du fleuve Sénégal au sud, et, dans l’ensemble, ils ne parlent aujourd’hui encore que très peu le français, une petite élite exceptée. Il s’ensuit que si les Maures contrôlent effectivement la quasi-totalité des postes-dés de l’État, ils doivent abandonner aux Noirs un nombre de postes administratifs beaucoup plus grand que le commanderait une stricte répartition fondée sur l’importance respective des deux ethnies.
C’est contre cette situation qu’ont voulu réagir, semble-t-il, les auteurs du décret précité, tandis que les fonctionnaires noirs ont craint aussitôt de perdre, par ce décret, les seuls avantages réels qu’Us détiennent dans l’État, D’où la vigueur de leur réaction. Il ne paraît pas cependant que cette agitation doive aller, dans l’immédiat tout au moins, beaucoup plus loin.
L’avertissement est cependant sérieux, et le président Moktar Ould Daddah devra en tenir compte. Il devra se demander notamment si, dans son légitime souci de contrebalancer par des alliances au nord et à l’est le soutien sans défaillance qu’il a toujours reçu du sud et de l’ouest, il n’est pas allé, ces derniers temps, un peu trop loin, rompant un équilibre, qui – on en convient volontiers – est difficile à maintenir.
Nul doute que le président Senghor, qui vient d’effectuer de vendredi à dimanche, une visite de deux jours en Mauritanie, ait formulé à ses hôtes quelques réflexions de cet ordre.
PIERRE BIARNÈS
EN MAURITANIE
Le couvre-feu est maintenu à Nouakchott où les récents incidents ont fait six morts.
Six morts et plus de soixante-dix blessés, tel serait le bilan des échauffourées qui se sont produites mercredi à Nouakchott entre des Noirs et des Maures, apprend-on à Dakar de source généralement bien informée.
Onze blesses, grièvement atteints à la tête, sont actuellement soignés dans les deux principaux hôpitaux de Dakar.
A Nouakchott, ou le calme semble revenu, le couvre-feu est cependant maintenu. La ville n’a pas encore retrouvé son aspect habituel, et de nombreuses boutiques de la médina demeurent fermées.
Dans les quartiers où se sont déroulées les échauffourées, des patrouilles de parachutistes en armes sillonnent les rues et des sentinelles sont postées en de nombreux points de la ville .-(A.F.P)
De notre correspondant particulier PIERRE BIARNES
Dakar; 12 Février- Dans les milieux sénégalais qui suivent attentivement les affaires mauritaniennes, on estime que la tension qui règne depuis quelques semaines entre les Mauritaniens de race noire et leurs compatriotes de race maure prend un tour inquiétant. Le sac, jeudi après midi de l’ambassade mauritanienne à Dakar par des étudiants toucouleurs et sarakolés et surtout les informations qui parviennent dans la capitale sénégalaise sur graves échauffourées qui ont ensanglanté Nouakchott mercredi conduisent à se demander si le stade la revendication pacifique pour une plus équitable répartition des responsabilise politiques et des postes administratifs de commandement, voire pour la transformation de la République Islamique en Etat fédéral, n’est pas en train d’être dépassé.
A entendre les récits de témoins oculaires tout à fait dignes de foi venant de Mauritanie et qui ont assisté aux scènes de violence (des blessés auraient été achevés à coups de pierres), il apparaît en tout cas que de larges fractions des deux communautés se trouvent actuellement sous l’emprise d’une haine raciale de plus en plus vive. Il est clair, d’autre part, que les mesures de maintien de l’ordre qui ont été prises ne suffiront pas à apaiser les esprits. S’il veut éviter que la situation ne s’aggrave irrémédiablement, le chef du gouvernement mauritanien va devoir accepter de réviser profondément les fondements, de sa politique intérieure et, tout d’abord. engager un dialogue sans arrière pensées avec les leaders les plus représentatifs des populations noires.
Le MONDE 03/02/66
ÉCHAUFFOURÉES À NOUAKCHOTT
LE MONDE | 10.02.1966
Nouakchott, 9 février (A.F.P.). – Des échauffourées qui ont pris parfois le caractère d’une émeute se sont déroulées mercredi matin dans les quartiers périphériques de Nouakchott, capitale de la Mauritanie. Elles ont été provoquées par des bagarres qui avaient eu lieu mardi soir, au lycée de Nouakchott, entre étudiants noirs et maures. Le ton monta dans la nuit, et ce sont des adultes des deux communautés qui en vinrent aux mains mercredi matin.
Les forces de police, engagées contre les manifestants, ont dû utiliser des grenades lacrymogènes pour refouler ces derniers et les diviser en petits groupes.
En fin de matinée le calme se rétablissait progressivement. Le ministère de l’intérieur déclarait ne pas être en mesure de donner un bilan des victimes et des dégâts.
DES MESURES DE SÉCURITÉ sont appliquées en Mauritanie
LE MONDE | 11.02.1966
Nouakchott, 10 février (U.P.I.). – Radio-Mauritanie a diffusé mercredi soir un communiqué relatif aux incidents de la matinée et déclarant notamment :
» À la suite d’incidents survenus au lycée de Nouakhott quelques bagarres ont éclaté dans certains quartiers de la capitale entre éléments des deux ethnies, faisant un certain nombre de blessés. Les dispositions prises par les forces de l’ordre ont permis rapidement de limiter l’agitation et de réprimer les désordres. »
Réunis au siège du gouvernement, le bureau politique national, les membres du gouvernement, le président de l’Assemblée nationale, les membres du groupe parlementaire, ont arrêté certaines mesures.
Toutes dispositions ont été prises pour prévenir de nouveaux désordres ; les établissements d’enseignement secondaire ont été fermés sine die ; des missions d’information ont été envoyées dans les principaux centres du pays.
TENSION ENTRE COMMUNAUTÉS AFRICAINES
LE MONDE | 11.02.1966
L’indépendance et le sentiment d’un destin commun ont amené les pays d’Afrique noire et ceux d’Afrique blanche à multiplier leurs échanges et à nouer de nouvelles relations. Cependant, ce désir de rapprochement doit tenir compte de la permanence de certaines difficultés héritées de l’histoire ou nées du développement du nationalisme. Ces difficultés gênent les tentatives de coopération qui s’esquissent entre États situés au nord et au sud du Sahara ; elles compliquent également la tâche de construction nationale entreprise par les dirigeants de certaines républiques africaines où cohabitent des populations noires et des populations blanches.
Au retour d’un voyage officiel de six jours au Mali, M. Moktar Ould Daddah, président de la République islamique de Mauritanie, doit ainsi faire face à une tension entre les éléments maures islamisés – majoritaires – et les Noirs, dont certains sont d’ailleurs également musulmans – minoritaires, -de la vallée du fleuve Sénégal. Les échauffourées qui ont eu lieu mercredi à Nouakchott trouvent leur origine dans le sentiment de frustration qui se développe au sein d’une fraction de la population noire.
Cette dernière considère en effet que les Maures contrôlent trop étroitement le gouvernement, le Parlement et surtout l’administration de la République islamique de Mauritanie, et ne réservent à leurs compatriotes noirs qu’une représentation réduite au sein des organismes, assemblées et services mauritaniens. La récente décision du gouvernement de Nouakchott d’imposer l’enseignement de l’arabe a donné le signal d’une agitation dont les incidents de mercredi constituent la première manifestation violente.
La tension entre les communautés noire et blanche de Mauritanie est une épreuve sérieuse pour le gouvernement de M. Moktar Ould Daddah. Mais, compte tenu de cette contagion de l’exemple dont on a pu vérifier l’importance à l’occasion des coups d’État militaires qui se sont succédé en Afrique noire au cours des mois de décembre et de janvier, on peut redouter que les incidents de Nouakchott ne prennent valeur de précédent pour d’autres pays où vivent des groupes ethniques d’origine raciale différente.
Certes, au Mali, le gouvernement de Bamako a résolu, depuis deux années au moins, la question de l’irrédentisme targui. Et au Niger l’intégration des minorités touareg au sein de la communauté nationale a fait de sérieux progrès au cours des derniers mois. Il s’agit néanmoins d’une source de tension qui, à la faveur de telle ou telle difficulté économique, à la suite de telle ou telle ingérence étrangère, est toujours susceptible de resurgir avec une vigueur accrue.
Au Cameroun et surtout au Tchad les rapports entre les populations islamisées du Nord, d’ailleurs en partie noires elles-mêmes ou largement métissées, et les tribus noires animistes ou chrétiennes des régions méridionales sont en revanche moins bons.
Il est vrai que les événements de Mauritanie ne sont ni les premiers ni les plus graves, et qu’il convient de ce fait de ne point leur attribuer » a priori » une répercussion excessive. Le coup d’État militaire qui a éprouvé le Nigéria apparaît en effet en partie comme une revanche des populations du Sud sur celles du Nord, qui contrôlèrent jusqu’au 15 janvier le pouvoir fédéral.
D’autre part, la guerre civile qui divise depuis plus de deux ans le Soudan autrefois anglo-égyptien, opposant les populations noires des trois provinces méridionales au gouvernement de Khartoum, constitue un cas particulièrement extrême d’affrontement entre Noirs et Blancs.
Mais c’est précisément ce voisinage du Nigéria et du Soudan qui pour le Cameroun, d’une part, et pour le Tchad, d’autre part, peut constituer une menace supplémentaire d’instabilité, tandis que la Mauritanie est isolée de toute zone de turbulence politique.
DES ÉTUDIANTS MAURITANIENS ONT MIS À SAC LEUR AMBASSADE À DAKAR
LE MONDE | 12.02.1966
Vingt-quatre heures après les incidents qui ont opposé à Nouakchott des éléments noirs et des Maures au cours d’échauffourées qui ont fait plusieurs blessés, des étudiants mauritaniens ont mis à sac jeudi les locaux de l’ambassade de Mauritanie à Dakar, brûlant une partie du bâtiment après avoir brisé les vitres et détruit de nombreuses archives.
La police est rapidement intervenue pour empêcher les manifestants, étudiants à l’université et à l’école normale supérieure de Dakar, de tout saccager. On ne signale pas de blessés.
En l’absence de l’ambassadeur, actuellement à Nouakchott, le chargé d’affaires a déclaré tout ignorer des raisons qui ont inspiré les manifestants.
Cependant le calme est revenu dans la capitale mauritanienne, où le couvre-feu, institué mercredi soir, pourrait être maintenu jusqu’au début de la semaine prochaine.
Après un examen de la situation, les membres du gouvernement et du bureau politique ont adopté un certain nombre de mesures dans le but de maintenir l’ordre. Ils ont notamment décidé de fermer momentanément tous les établissements scolaires du second degré, et les élevés du lycée de Nouakchott ont été renvoyés dans leurs familles. – (A.F.P.)
M. OULD DADDAH ANNONCE QUE LES COUPABLES SERONT » CHÂTIÉS SANS PITIÉ »
LE MONDE | 17.02.1966
Nouakchott, 16 février (A.F.P.). – » Je vous annonce à tous, au nom du parti et du gouvernement, qu’il est désormais formellement interdit de parler de problème de race en Mauritanie » : cet avertissement a été lancé mardi par le président Ould Daddah lors d’un meeting qui se tenait a Nouakchott.
Le chef de l’État mauritanien, évoquant les incidents entre Noirs et Maures du 9 février dernier, a tout d’abord indiqué que le bilan officiel de ces troubles était de six morts et de soixante-dix blessés.
Il a ensuite dénoncé » les fauteurs de troubles, les antipartis et les antinationaux qui ont essayé par tous les moyens d’exciter les populations et de les monter les unes contre les autres, en se servant de l’arme raciale. Ces lâches agitateurs, a-t-il ajouté, qui avaient peut-être compté sur l’inaction du pouvoir, se sont trompés « .
Le président mauritanien a annoncé que les coupables seraient » châtiés sans pitié « , si haut placés qu’ils soient. En terminant le président Ould Daddah, faisant l’autocritique du parti du peuple mauritanien, dont il est le secrétaire général, a invité ses militants à » sortir de leur nonchalance « .
L’ordre a été rétabli en Mauritanie mais le conflit ethnique n’est pas résolu pour autant
LE MONDE | 19.02.1966 PIERRE BIARNËS
La seule annonce, il y a une quinzaine de jour, de la création d’une commission paritaire – cinq Maures, cinq Noirs – chargée d’étudier le problème linguistique n’a-t-elle pas provoqué la diffusion d’un tract extrêmement violent, affirmant en substance que la Mauritanie était une nation arabe, que la minorité devait se soumettre à la loi de la majorité, et se terminant par : » Vive le Maroc ! » ? Autrement dit – et on l’entend dire à l’occasion – plutôt le rattachement au Maroc qu’un État mauritanien indépendant où les anciens esclaves auraient des droits égaux à ceux de leurs anciens maîtres.
L’impatience de la minorité noire
Il est clair cependant qu’à l’inverse, la patience des Noirs est à bout. Dans leur quasi-totalité ils restent profondément attachés à la Mauritanie ; mais ils exigent désormais des garanties constitutionnelles précises, que la transformation de la République islamique en État fédéral paraît seule capable de leur procurer. Beaucoup d’entre eux contestent, en outre, fermement, le fait qu’ils soient minoritaires, à plus forte raison qu’ils ne représentent que 25 % de la population totale, comme l’affirme la doctrine officielle depuis des années (si l’on tient compte de l’existence de nombreux métis, ce n’est probablement pas faux).
Comment en est-on arrivé là ?
Il ne faut tout d’abord pas sous-estimer le souvenir, encore très vivace, d’un long passé esclavagiste. Aujourd’hui encore, des deux côtés du fleuve et même assez loin à l’intérieur du Sénégal, les mamans noires disent à leurs enfants turbulents : » Si tu n’es pas sage, le Maure va venir te prendre. »
L’indépendance venue, les leaders noirs ne purent obtenir que la Constitution du jeune État soit de type fédéral, ni même qu’elle prévoie la création d’une vice-présidence obligatoirement attribuée à l’un d’eux et dotée de pouvoirs réels. Leur chef de file de l’époque, Sidi El Moktar N’Diaye, a dû se contenter de la présidence d’une Assemblée nationale qui devait très rapidement devenir, comme dans à peu près tous les autres pays du continent, une simple chambre d’enregistrement.
Après l’éviction, au printemps dernier, de M. Bâ Bocar Alpha du ministère des finances, les Noirs ne contrôlent plus aucun poste-clé politique dans l’État, et la proportion de postes administratifs de commandement qui leur sont attribués est très inférieure à celle de 25 % de la population. L’institution du bilinguisme franco-arabe, enfin, leur ferait perdre sûrement le seul avantage réel qu’ils possèdent encore dans l’État : la détention majoritaire des postes administratifs autres que de commandement. Enfin, au sein du Parti du peuple mauritanien, parti unique reconnu comme tel par la Constitution, la prépondérance des Maures est tout aussi affirmée qu’aux échelons supérieurs de l’État.
La pression des progressistes
Cette situation défavorable à l’ethnie noire s’est trouvée aggravée depuis deux ou trois ans par une orientation de plus en plus pro-arabe de la politique extérieure mauritanienne. Il s’agissait, bien sûr, de » tourner le Maroc sur sa gauche « , afin d’obtenir contre lui le soutien des autres pays islamiques.
Mais d’autres facteurs ont joué, notamment l’influence grandissante de quelques jeunes diplômés progressistes hâtivement promus à des postes de responsabilité pour accélérer la modernisation du pays.
Ces jeunes devaient trouver assez vite un porte-parole habile et résolu en la personne de M. Mohamed Ould Cheikh. Celui-ci, depuis longtemps considéré comme le principal collaborateur de M. Moktar Ould Daddah, est à maints égards le véritable créateur du Parti du peuple mauritanien, dont il est le secrétaire général adjoint, et de la Jeune armée mauritanienne, en particulier des unités de parachutistes, remarquable corps d’élite qu’il a forgé alors qu’il était secrétaire à la défense.
Depuis juillet dernier il cumule les importantes fonctions de ministre des affaires étrangères et de ministre de la défense, et c’est à ce dernier titre qu’il vient de se voir confier les pleins pouvoirs pour rétablir l’ordre. S’il y parvient, il est certain que son influence en sortira encore renforcée.
PIERRE BIARNËS
M. OULD DADDAH ANNONCE L’ARRESTATION DES RESPONSABLES DES RÉCENTS INCIDENTS DE NOUAKCHOTT
LE MONDE | 09.03.1966
Nouakchott, 8 mars (A.F.P., Reuter). – M. Moktar Ould Daddah, président de la République islamique de Mauritanie, a déclaré lundi, devant l’Assemblée nationale, que toutes les personnes qui avaient été reconnues responsables des incidents qui ont opposé le mois dernier, à Nouakchott, des étudiants noirs à des étudiants maures, avaient été arrêtées. Parmi ces dernières se trouvent dix-neuf fonctionnaires de l’enseignement qui avaient signé au mois de janvier un manifeste de soutien envers les étudiants noirs, alors en grève, pour protester contre une ordonnance du gouvernement qui rendait obligatoire l’enseignement de l’arabe.
D’autre part, à la suite de la démission de M. Ba Mamadou Samba Bolly de la présidence de l’Asssemblée, le 22 février dernier, M. Cheickh Saad Bouh Kané, président du groupe parlementaire du parti gouvernemental, a été élu à ce poste.
NOUVEAUX INCIDENTS RACIAUX AU LYCÉE DE NOUAKCHOTT
LE MONDE | 13.04.1966
Nouakchott, 12 avril (A.F.P., Reuter). –
De nouveaux incidents se sont produits dimanche soir au lycée de Nouakchott, où une bagarre entre élèves noirs et maures a fait neuf blessés dont deux seraient dans un état assez grave.
Le ministre mauritanien de la justice et de l’intérieur a précisé que l’échauffourée s’était produite au réfectoire à l’heure du dîner. Des mesures de sécurité, a poursuivi le ministre, ont été prises pour éviter le risque de nouveaux incidents. Effectivement, lundi matin les abords du lycée étaient gardés par des forces de l’ordre et des patrouilles ont recommencé à circuler dans la capitale.
Samedi, un communiqué diffusé par Radio-Mauritanie avait déjà annoncé la fermeture du lycée de Rosso en raison d’actes » d’indiscipline caractérisée » de la majorité des élèves.
[L’effervescence dans les établissements secondaires en Mauritanie avait commencé au début du mois de janvier, à la suite de la décision du gouvernement de rendre l’enseignement de l’arabe obligatoire.
Les élèves noirs avaient alors déclenché une grève, soutenue par dix-neuf fonctionnaires noirs. (Ces derniers furent suspendus.) Ultérieurement, des heurts entre élèves maures et noirs eurent lieu, durant le mois de janvier et au début de février, qui firent, selon le président Moktar Ould Daddah, six morts et environ quatre-vingts blessés. Tous les établissements secondaires furent alors fermés, et ne rouvrirent qu’au début d’avril.]
M. OULD DADDAH ÉVOQUE LES INCIDENTS RACIAUX DE FÉVRIER DERNIER
LE MONDE | 27.06.1966
Nouakchott, 25 juin (U.P.I.). – Le deuxième congres du parti du peuple mauritanien (parti unique) s’est ouvert vendredi à Aïoun-El-Atrouss. M. Ould Daddah, chef de l’Etat, après avoir rappelé les incidents raciaux qui ont eu lieu en Mauritanie en février, a repoussé un certain nombre de solutions concernant la cohabitation d’une majorité arabe et d’une minorité noire :
– La partition, en raison de l’impossibilité de séparer des populations cohabitant depuis plusieurs siècles, et du voisinage du Maroc avec lequel le différend territorial n’est pas encore résolu;
– La fédération, qui accuse les divergences raciales au lieu de contribuer à renforcer l’unité nationale;
– Les attributions de garanties à la minorité, ce qui aboutirait à l’existence de deux catégories de Mauritaniens.
M. Ould Daddah doit faire face à une crise intérieure
LE MONDE | 06.08.1966
PIERRE BIARNÈS
Dakar, 5 août. – Des élections présidentielles se dérouleront dimanche en République islamique de Mauritanie. Seul candidat désigné par le parti du peuple mauritanien, parti unique dont il est le secrétaire général, M. Moktar Ould Daddah verra son mandat reconduit pour une nouvelle période de cinq ans, au moment où la Mauritanie traverse une crise intérieure qui met, semble-t-il, en cause son unité.
Pays charnière entre l’Afrique blanche et l’Afrique noire, comme, à des degrés divers et dans des contextes différents, le Soudan, le Tchad, le Niger et le Mali, la Mauritanie voit resurgir dans le cadre de frontières héritées de la colonisation des conflits ethniques qui plongent leurs racines dans l’histoire précoloniale mais que la jeunesse scolarisée reprend à son compte de façon inquiétante.
Âgé de 42 ans, M. Moktar Ould Daddah appartient à cette génération intermédiaire dont les éléments les plus évolués (quelques centaines) ont cru et pour la plupart croient encore passionnément à la Mauritanie. C’est avec eux. Noirs aussi bien que Maures, qu’il a forgé le » parti du peuple » de plus en plus confondu avec l’appareil d’État et principal instrument de l’unité nationale. Il pense qu’en son sein doivent se fondre toutes les différences et trouver une solution toutes les divergences. Il tente d’affirmer qu’il n’y a pas de problème de races en Mauritanie, ni de dosage à respecter sur la base de critères raciaux, dans la répartition des emplois et des fonctions, mais simplement celui du bilinguisme franco-arabe qu’il s’agit de résoudre hors des passions politiques.
Un » statu quo » territorial nécessaire
Ni l’Algérie, ni le Mali, ni le Sénégal, n’ont vraiment intérêt à ce que la Mauritanie disparaisse. Les problèmes que leur poserait son éventuelle partition risquant de s’avérer très délicats à résoudre. Aussi peut-on tenir pour assuré, par-delà certaines incompatibilités d’humeur, que rien ne sera fait à Alger, à Bamako ou à Dakar, pour aggraver la situation, bien au contraire. Quant à la France et à l’Espagne, elles ont toutes les raisons de souhaiter le maintien du statu quo.
Les Mauritaniens semblent donc condamnés à vivre ensemble et, contrairement à ce qu’ont donné à penser les émeutes sanglantes du début de l’année, il ne faudrait effectivement qu’un peu de bonne volonté réciproque pour que ce soit en harmonie : que les Maures, par exemple, acceptent de confier quelques postes de responsabilité politique réelle supplémentaires aux Noirs, et que ceux-ci comprennent qu’il est légitime que l’arabe – langue maternelle de la majorité des habitants – devienne la seconde langue officielle du pays.
PIERRE BIARNÈS
LIBÉRATIONS EN MAURITANIE
LE MONDE | 15.08.1966
Nouakchott, 13 août- – Annonçant la réélection à la présidence de la République (96 % des inscrits, 100 % des suffrages exprimés), M. Moktar Ould Daddah a déclaré qu’il n’est pas question pour la Mauritanie de revenir à l’O.C.A.M., mais qu’il est question pour elle de continuer « à coopérer avec les organismes techniques de l’O.C.A.M. « .
A propos des incidents tribaux de Nouakchott, en février dernier, il a soutenu que » ces incidents n’avaient pas dépassé le cadre de la capitale » et qu’ils étaient dus à des « pêcheurs en eau trouble ».
On a annoncé à ce propos que vingt-six personnes assignées à résidence à la suite de ces troubles avaient été libérées vendredi.
Le conflit racial semble s’être apaisé en Mauritanie
LE MONDE | 28.10.1966
PIERRE BIARNÈS
Nouakchott, 27 octobre. – La rentrée scolaire s’est effectuée en Mauritanie dans le calme le plus complet. Dans les établissements secondaires de Rosso et de Nouakchott en particulier, qui, en février puis en avril derniers, avaient été le théâtre de violents incidents entraînant leur fermeture, les cours ont repris normalement. Bien que de nouveaux affrontements soient toujours possibles entre élèves d’origines ethniques différentes, on pense dans les milieux officiels de la capitale mauritanienne que l’année qui commence se présente sous de bien meilleurs auspices que la précédente.
Fin juin, le congrès du Parti du peuple, réuni à Aïoun-el-Atrouss, a confirmé son option antérieure en faveur du bilinguisme. Mais il a décidé que l’introduction de l’arabe dans les différents degrés de l’enseignement ne se ferait que progressivement afin de tenir compte du handicap des enfants noirs, dont il n’est généralement pas la langue maternelle. Ainsi, pour l’année scolaire 1966-1967, l’arabe n’est la première langue obligatoire qu’en classe de sixième.
» Dépassionner » le problème
D’une façon plus générale, on s’est efforcé en haut lieu de dépassionner le problème. Une commission mixte, composée de personnalités représentatives des deux ethnies, a été constituée pour l’étudier en prenant en considération les divers intérêts en présence. De son côté, le président Moktar Ould Daddah a multiplié les allocutions et les entretiens, notamment cet été pendant la campagne pour le renouvellement de son mandat, dans le but de faire comprendre à ses compatriotes l’intérêt qu’ils ont à développer simultanément leur appartenance à deux cultures différentes.
Enfin, les remaniements ministériels de la fin février et du début octobre, ainsi que les mouvements administratifs consécutifs, ont permis au chef de l’État d’éloigner des affaires les membres de son gouvernement et de son entourage qui étaient marqués par des positions trop partisanes et de confier, à l’inverse, des postes de haute responsabilité à des universitaires et à des techniciens, politiquement peu engagés, mais plus proches que leurs prédécesseurs de la jeune génération et comprenant mieux ses problèmes. La récente attribution du portefeuille des affaires étrangères et du plan à M. Wane Birane paraît en même temps avoir donné satisfaction à l’élite noire, qui se plaignait de ne plus détenir de poste-clé au sein de l’équipe gouvernementale.
En outre, un sentiment à peu près général de lassitude s’est emparé des antagonistes d’hier, qui semblent prendre peu à peu conscience du caractère excessif de bon nombre de leurs revendications respectives. Les élèves des lycées notamment, qui doivent tous redoubler leur classe, se rendent compte qu’ils ont gâché une année scolaire. Une soixantaine d’entre eux, non admis à se réinscrire, ont même radicalement compromis leur avenir. C’est sur cet aspect du problème qu’a tout particulièrement insisté le nouveau ministre de l’éducation nationale, M. Ely Ould Allai, dans une allocution radiodiffusée prononcée à la veille de la rentrée. 11 paraît, tout au moins pour le moment, avoir été entendu.
PIERRE BIARNÈS
Chronologie des événements
12 janvier 1965 L’assemblée nationale adopte la loi réorganisant l’enseignement secondaire et rendant l’arabe obligatoire.
Article 10 de la loi : »dans les établissements d’enseignement secondaire, il est donné un enseignement en langue françaiseet un enseignement en langue arabe. Ces deux enseignements sont obligatoires « .
18 octobre 1965 rentrée scolaire du secondaire
4 janvier 1966, tous les élèves noirs des lycées de Nouakchott et Rosso se mettent en grève pour protester contre le caractère obligatoire de la langue arabe dans leurs études. Par solidarité avec les lycéens, les étudiants noirs de l’école normale, notamment les instituteurs en stage, se sont joins au mouvement. Les Noirs ont vu dans cette mesure le premier pas vers une obligation plus générale d’apprendre l’arabe et la menace, à plus longue échéance, d’épreuve de cette langue pour l’accès à la fonction publique.
4 janvier 1966 réunion extraordinaire du Bureau Politique National du Parti du Peuple Mauritanien pour évoquer le problème.
5 janvier 1966 Le ministre de l’éducation nationale, Bakar Ould Sidi Haiba lance un appel à la radio, demandant aux élevés de reprendre le travail sous peine d’être renvoyé. D’abord fixé au 6, le délai est prolongé jusqu’au 10 février 1966.
6 janvier 1966 19 fonctionnaires noirs publient le Manifeste des 19
6 janvier 1966 Début de la grève des élevés au lycée de Kaédi.
10 janvier 1966 Le ministre de l’Education Nationale diffuse une note précisant que l’arabe n’est pas obligatoire pour les éléves en cours d’étude et que de nouvelles mesures seront indiquées pour ceux qui entrent en 6e.
10 janvier 1966, La France répond qu’elle assumera naturellement les obligations découlant des accords avec la Mauritanie : une intervention militaire.
Les Maures, pour la plupart armés, demandent des sanctions contre les signataires du « manifeste des 19 ». Le Président de la République est accusé de se dérober devant ses responsabilités de gardien de la légalité de la Constitution. (Note de la Direction des Affaires africaines et malgaches N° 103/dam2) du 15 février 1966 – France).
10 janvier 1966 message radiodiffusé du Président de la République, Mokhtar Ould Daddah
10 janvier 1966 le Président de l’Assemblée Nationale, Bâ Mamoudou Samboly et les membres du Gouvernement originaires du Fleuve offrent leur démission au Président de la République qui la refuse.
11 janvier 1966 Réunion du Bureau Politique National élargi aux députés de l’Assemblée Nationale et aux Ministres du Gouvernement.
Ordre du jour : étudier les sanctions à appliquer aux 19.
Deux groupes s’affrontent : ceux qui s’opposent aux sanctions (en grande majorité des Noirs et quelques Maures) et les partisans des sanctions exemplaires (tous Maures).
Débat très houleux et aucun accord trouvé.
13 janvier 1966 Conseil des ministres adopte un decret fixant les modalités d’application de la loi du 30 janvier 1965.Il décide la suspension des 19 et le déclenchement de poursuites judiciaires contre eux.
Décret n° 66.004 du 13 janvier 1966 fixant les modalités d’application de la loi n° 65.026 du 30 janvier 1965 organisant l’enseignement secondaire
« Article premier – En application de l’article 10 de la loi n° 65.026 du 30 janvier 1965, l’arabe est obligatoire pour tous les élèves qui entrent dans les écoles secondaires.
Toutefois, les élèves mauritaniens venant des établissements secondaires étrangers, ne sont pas visés par les dispositions de l’alinéa premier de l’article premier et cela jusqu’à la fin de leurs études secondaires.
Article 3 – Les élèves étrangers fréquentant les établissements secondaires mauritaniens feront librement leur option de langue compte tenu de celles qui sont enseignées dans ces établissements.
Article 4 – Le ministre de l’éducation et de la culture est chargé de l’exécution du présent décret. »
19 janvier 1966 Vacances forcées pour les élèves du secondaire jusqu’au 4 février 1966.
31 janvier 1966 est créé par le Président de la République, sur la suggestion du Bureau Politique National, une « Commission nationale d’Etude» composée de dix membres, cinq Maures et cinq Noirs, chargés d’étudier tous les aspects du problème des rapports entre les deux ethnies. Cette initiative vise à dégager les bases d’un compromis acceptable par les deux parties. L’ethnie noire est représentée, entre autre, par le Dr Bâ Bocar Alpha, ancien ministre et chef de file du mouvement revendicatif noir et par M. Seck Mame Diack, spécialement averti des problèmes de langue dans l’Enseignement. Les intérêts des Maures sont défendus par des négociateurs intransigeants, dont Ahmeden Ould Baba, censeur du lycée de Nouakchott, champion de l’arabisme en Mauritanie.
2 février 1966 Première réunion de la Commission Nationale d’Etude en présence du Président de la République.
2 février 1966 tract anonyme maure intitulé « La voix des élèves mauritaniens ou du peuple», mais significatifs de certains milieux maure extrémistes. « Le décret du 13 janvier 1966 viole la loi du 30 janvier 1965 ». Il condamne « la politique qui consiste à forger de toute pièce une ethnie noire pour noircir la Mauritanie ». Il considère « la scission complète et définitive des deux ethnies comme seul remède pour assurer notre avenir ».Ce tract se termine par les formules « Vive la République Arabe de Mauritanie, Vive le Maroc ».
3-9 février 1966 visite officielle du Président de la République au Mali en compagnie du Président de l’Assemblée Nationale, Bâ Mamoudou Samboly, du ministre des affaires étrangères et de la défense, Mohamed Ould Cheikh et du ministre du développement, Elimane Kane.
4 février 1966 rentrée scolaire
8 février 1966, en début de soirée, de vifs incidents mettant aux prises les élèves noirs et les élevés maures nécessitent une réaction énergique des forces de l’ordre. Ces affrontements ont eu lieu au lycée national, à l’internat, au moment du diner, les élèves maures venus armés ont profité d’une coupure volontaire d’électricité pour agresser les élèves noirs.
Une intervention rapide d’un corps de la garde nationale, permit d’éviter le pire et d’occuper et isoler le lycée. Les autorités dont certains maures complices été au courant de la préparation de ces attaques.
8 février 1966, le ministre de l’intérieur Ahmed ould Mohamed Salah, décide, pour Nouakchott :
– le quadrillage de la ville par des éléments conjoints, armées et forces de sécurité ;
– patrouilles permanentes pour rétablir l’ordre
8-9 février 1966, nuit tract invitant les éléves maures à la gréve diffusé à Nouakchott
9 février 1966 les affrontements les plus violents de ces évènements ont lieu durant la matinée à Nouakchott. Des expéditions punitives étaient lancées contre les quartiers noirs par les Maures, qui le plus souvent, utilisaient à cet effet les « harratines » c’est à dire les anciens captifs noirs demeurés à leur service.
9 février 1966 En fin de matinée, au moment où le président de la République rentrait de son voyage officiel du Mali (du 3 au 9 février 1966), l’armée et les forces de sécurité, au sein desquelles la cohésion entre Maures et Noirs avait su être préservée, parvenaient à reprendre la situation en main. Le couvre-feu est décrété et tous les établissements fermés surtout à Nouakchott pour le reste de l’année scolaire.
9 février 1966, réunion du Bureau Politique nationale élargi au Président de l’Assemblée Nationale, au gouvernement et le président du groupe parlementaire pour examiner la situation. Les décisions suivantes sont prises :
– déclencher un ensemble de mesures propres à assurer le maintien de l’ordre ;
– fermer les établissements secondaires de Nouakchott et renvoyer les élèves dans leurs familles ;
– envoyer, immédiatement, des missions d’explication dans les principales localités du pays, missions composées, chacune d’un haut responsable maure et d’un haut responsable noir ;
– envoyer par avion des renforts à Aïoun et Kaédi ;
– faire garder les ambassades à Nouakchott ;
– superviser les émissions de Radio-Mauritanie ;
– instaurer le couvre-feu, de 18h30 à 7 h à Nouakchott.
10 février 1966 quelques règlements de comptes individuels entre Noirs et Maures se poursuivent.
Officiellement, un bilan très erroné fait état de six morts (3 Maures et 3 Noirs) et une centaine de blessés (70% de Noirs).
Sur le reste du territoire, quelques troubles apparemment limités auraient eu lieu dans des localités du Sud.
10 février 1966, Mohamed Ould Cheikh, ministre des Affaires étrangères et de la défense, repose à l’ambassadeur de France à Nouakchott, la question d’une éventuelle intervention de troupes française en cas de troubles.
10 Février 1966 Décret n° 66.028 fixant les mesures prises pour assurer le maintien de l’ordre dans la ville de Nouakchott
« Article 1er – Le capitaine Moustapha Ould Mohamed Saleck, est nommé jusqu’à nouvel ordre, comme responsable du maintien de l’ordre à Nouakchott.
Article 2 – Toutes les forces de sécurité de la ville de Nouakchott énumérées ci-dessous :
– Forces de Police ;
– Forces de la Garde Nationale ;
– Forces de la Gendarmerie :
– Forces armées
Sont mises à la disposition du capitaine Moustapha ould Mohamed Saleck pour lui permettre d’assurer la mission qui lui est confiée à l’article premier.
Article 3 – Le ministre de la Justice et de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret qui sera publié selon la procédure d’urgence ».
Dans cette mission, Le capitaine Moustapha ould Mohamed Saleck était assisté du lieutenant Soueidatt ould Weddad et du lieutenant Thiam Elhadj.
10 février 1966– Décret 66-029 fixant les dispositions en vue d’assurer le maintien de l’ordre
« Article 1er – Le capitaine Moustapha Ould Mohamed Saleck, responsable du maintien de l’ordre à Nouakchott jusqu’à nouvel ordre, est autorisé à employer tous les moyens en sa possession pour assurer la mission qui lui est confiée, et notamment ceux qui sont précisés aux
articles 2,3,4et 5 ci-après.
Article 2 – Les forces du maintien de l’ordre dans le cadre de leur mission, ont qualité pour vérifier toutes les personnes rencontrées en exigeant d’elles la production d’une carte d’identité.
Les personnes non munies de pièce d’identité peuvent être retenues jusqu’à la connaissance de leur identité.
Article 3 – Les forces du maintien de l’ordre, dans le cadre de leur mission, sont autorisées à faire usage des moyens les plus adéquats pour immobiliser les individus et les véhicules lorsque leurs conducteurs ne répondent pas aux sommations qui leur sont adressées.
Article 4 – Droit de perquisition – Les forces du maintien de l’ordre, dans l’exercice de leur fonction, ont le droit, conformément aux textes en vigueur, de s’introduire dans tous les lieux publics, et même privés, en cas de nécessité, ceci sur simple avis au chef d’établissement afin d’y exercer toute perquisition jugée nécessaire.
Article 5 – Droit de fouille – Les forces du maintien de l’ordre, dans l’exercice de leur mission, ont qualité pour fouiller y compris la fouille au corps, tout individu qui, sur la voie publique, est suspect de porter des armes ou des objets de nature à porter atteinte à l’ordre public.
Le droit de fouille est étendu aux véhicules et aux hangars.
Article 6 – Le ministre de la Justice et de l’Intérieur est chargé de l’exécution du présent décret qui sera publié suivant la procédure d’urgence. »
10 février 1966 Décret n° 66.030 fixant les mesures prises pour assurer le maintien de l’ordre dans la ville de Kaédi
Article premier – Sous l’autorité du commandant du Cercle du Gorgol, le lieutenant Viah ould Mayouf est nommé, jusqu’à nouvel ordre, comme responsable du maintien de l’ordre à Kaédi.
Article 2 – Pour lui d’assurer la mission qui lui confiée à l’article premier, toutes les forces de sécurité de la ville de Kaédi et, éventuellement toutes les forces qui pourraient y être amenées, sont mises à la mise du lieutenant Viah ould Mayouf.
Article 3 – Le garde des Sceaux, ministre de la justice et de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret qui sera publié suivant la procédure d’urgence.
11 février 1966, une délégation guinéenne conduite par El Hadj Makassouba Moriba, secrétaire d’Etat, accompagné de MM. Tibou Tounkara, ancien ambassadeur de Guinée en Mauritanie et de Mokhtar Diallo. Elle est restée jusqu’au 16 février. Ils ont été recu par le chef de l’Etat et Mohamed ould Cheikh, ministre des Affaires étrangères. La délégation suggéra de rejeter les évènements des incidents sur les impérialistes et les néo-colonialistes. M. MORIBA déclara à son départ que les difficultés actuelles étaient « de faux problèmes qui avaient été posés par le régime oppresseur dont la Mauritanie s’était débarrassée et que l’on voulait faire revivre afin de créer une atmosphère de désorganisation ».
Nuit du 11 au 12 février 1966, de nombreuses arrestations ont été opérées sur ordre du gouvernement. Elles ont touché, en particulier, les personnalités considérées comme extrémistes et responsables de l’agitation, tant du côté maure (25 personnes) que du côté noir (les 19 signataires du manifeste).
12 février 1966 A Paris, 19 étudiants maures prennent position et expriment leurs attachements aux institutions de la République, une et indivisible, et leur opposition à toute forme de fédération et à toute distinction entre les deux ethnies.
13 février 1966, un premier contingent des personnalités arrêtées ont été transférées par avion à Tidjikja, d’où ils auraient été conduits dans une palmeraie à Nebeika, à l’intérieur ou elles sont en résidence surveillée. On a signalé, en outre, l’arrestation d’un ingénieur égyptien (qui a été surpris alors qu’il faisait de la propagande auprès des Maures en faveur de l’Arabisme, il sans visa et aurait été expulsé).
13 février 1966 L’Union des Travailleurs Mauritaniens (UTM) publie un communiqué dans lequel « elle affirme son soutien indéfectible au Président Mokhtar Ould Daddah, symbole de l’unité, et l’assure, ainsi que le gouvernement, de son appui sans réserve pour trouver, dans le cadre national, une solution qui sauvegarde la coexistence harmonieuse des deux ethnies. »
13 février 1966 heurts intercommunautaires à M’bout et Maghama.
15 février 1966 Meeting au K’sar de Nouakchott, intervention du Président Mokhtar Ould Daddah déclare : « la haine raciale est un sentiment que notre pays n’avait jamais connu auparavant ; que notre jeune armée et notre jeune police ont fait preuve d’une loyauté inébranlable, d’une grande fermeté et d’une grande discipline ; que la Mauritanie est une et indivisible » ; « quiconque se livre ou se livrera à une activité subversive – raciale, anti-parti – sera impitoyablement châtié, si haut placé qu’il soit, que, quand bien même il n’existe pas de parti d’opposition, le militantisme de tous doit être actif, car nous sommes tous responsables du devenir de notre Patrie ».
15 février 1966 Meeting au K’sar de Nouakchott, intervention du Président Mokhtar Ould Daddah déclare : « la haine raciale est un sentiment que notre pays n’avait jamais connu auparavant ; que notre jeune armée et notre jeune police ont fait preuve d’une loyauté inébranlable, d’une grande fermeté et d’une grande discipline ; que la Mauritanie est une et indivisible » ; « quiconque se livre ou se livrera à une activité subversive – raciale, anti-parti – sera impitoyablement châtié, si haut placé qu’il soit, que, quand bien même il n’existe pas de parti d’opposition, le militantisme de tous doit être actif, car nous sommes tous responsables du devenir de notre Patrie ».
19 février 1966 Un groupe de Haut fonctionnaires composé de Mohamed ould Daddah, Koné Aly Béré, Ahmed Bazeid ould Ahmed Miské et Ahmedou ould Moichine, dépose, à la demande du gouvernement un rapport sur les événements des 9 et 10 février. Ce rapport recommande :
« – Sur le plan judiciaire : des tribunaux d’exception pour juger ceux qui ont provoqué la division par leurs écrits et des tribunaux ordinaires pour juger les auteurs d’acte de violence.
– Sur le plan politique : une définition précise du rôle et du contenu du Parti pour le renforcer par un retour à la démocratie interne et une définition des données de base sur lesquelles portent le débat… »
21 février 1966, Nouveau gouvernement
Ministre des affaires étrangères: Maloum Ould Braham ;
Ministre de la justice et de l’intérieur: Mohamed Lemine Ould Hamoni
Ministre de la défense : Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miské
Ministre des Finances du Plan et de la Fonction publique : Mohamed Salem Ould M’khaitirat
Ministre du développement : Wane Birane Mamadou
Ministre de la construction, des travaux publics, des transports et des télécommunications : Sidi Mohamed Diagana
Ministre de l’éducation et de la culture: Ely ould Allaf
Ministre de la santé, du travail et des affaires sociales : Baham ould Mohamed Laghdaf
Haut-Commissaire à la jeunesse et aux sports : Hamdi ould Mouknass
Haut-Commissaire à l’information : Abdallahi ould Sidya.
Les personnalités accusées de s’être laissé compromettre dans des luttes de clans en rapport avec les évènements. Les deux principaux chefs de file maure, Ahmed ould Mohamed Salah, ancien ministre de l’Intérieur et de la Justice, et Bamba Ould Yazid, ancien ministre des Finances et de la Fonction publiques, sont démis de leur fonction, ainsi que Kane Elimane, ex-ministre du Développement, et Mohamed Ould Cheikh,, ex-ministre des Affaires Etrangères et de la Défense.
21 février 1966 Le Bureau Politique National note la démission de Bâ Mamoudou Samboly comme député donc comme président de l’Assemblée Nationale. Il devient chef de subdivision de Chinguetti.
24 février Levée du couvre-feu à Nouakchott.
Décret n° 66.041 abrogeant les décrets n° 66.028 et 66.029 du 10 février, relatifs aux mesures et dispositions prises pour assurer le maintien de l’ordre dans la ville de Nouakchott
Article premier – Sont abrogés :
– Le décret n° 66.028 du 10 février 1966 fixant les mesures prises pour assurer le maintien de l’ordre dans la ville de Nouakchott.
– Le décret n° 66.029 du 10 février 1966 fixant les dispositions en vue d’assurer le maintien de l’ordre.
– Article 2 – le Garde des sceaux, ministre de la justice et de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret.
5 mars 1966 le Bureau Politique National fait le point de la situation dans l’ensemble du pays. Cheikh Saadbouh Kane est investi comme candidat à la présidence de l’assemblée nationale et Youssouph Koita comme président du groupe parlementaire. Il décide de la fusion des services d’information du Parti et du gouvernement.
7 mars 1966 L’assemblée nationale prend acte de la démission de Bâ Mamoudou Samboly et élit Cheikh Saad Bouh Kane.
4 avril 1966 rentrée scolaire des établissements de l’enseignement secondaire, sans incident.
6 avril 1966 affrontements interethniques au lycée de Rosso
10 avril 1966 affrontements au lycée de Nouakchott. Les lycées de Rosso, de Nouakchott et des jeunes filles sont de nouveau fermés.
10 juin 1966 L’assemblée Nationale adopte un projet de loi réprimant toute propagande particulariste de caractère racial ou ethnique.
17 juin 1966 Décret n°66.092 nommant les membres de la Cour de sûreté de l’Etat.
« Article premier – Sont désignés comme membres de la Cour de sûreté de l’Etat :
Président : Ahmed ould Bah
Assesseurs titulaires : Hamada ould Zeïn ; Soumaré Gaye Silly ;
Housseinou Kane ; Bakar ould Sidi Heiba.
Assesseurs suppléants : Demba Gallo ; Mohameden ould Etfagha Amar ;
Aly Kamara ; Mokhtar ould Touensi.
Commissaire du Gouvernement : Hamdi ould Mouknass .
Juge d’instruction : Mohamed Fall ould Ahmed.
Article 2 – le Garde des sceaux, minister de la justice et de l’intérieur, est chargé de l’exécution du présent décret, qui sera publié selon la procédure d’urgence. »
24-26 juin 1966 deuxième congrés ordinaire du Parti du Peuple Mauritanien à Aïoun El Atrouss. Extrait du rapport moral du président de la République : « Les données historiques et géographiques de notre pays sont autant de facteurs d’unité…Une nation mauritanienne viable suppose, au niveau de tous les citoyens, Noirs et Blancs, une volonté commune et inébranlable d’être Mauritaniens, avec les droits et les devoirs attachés à cette qualité et je dénonçais l’absurdité de la partition et de la fédération. Il propose la création d’une commission qui étudiera le problème culturel en vue de réaliser « un bilinguisme plaçant, peu à peu, sur un pied d’égalité, la langue arabe et la langue française ».
13 juillet 1966 l’assemblée nationale adopte un projet de loi réprimant la propagande à caractère tribal.
Les 19 sont libérés après le le Congrès du Parti du Peuple Mauritanien à Aioun El Atrouss (où l’arabisation progressive est réaffirmée) et les élections municipales d’aout.
Mohamed Ould Cheikh, ancien ministre, accuse dans son livre paru, en 1974, les autorités mauritaniennes d’avoir participé de façon active aux tragiques événements de 1966.Il accuse Mokhtar Ould Daddah d’avoir toujours soutenu sur la jeunesse nationaliste pro-arabe et socialisante issues de l’AJM et de la Nahda.
Le Manifeste des 19
« Le 4 janvier 1966 les élèves noirs des Lycée de Nouakchott ont déclenché une grève qu’ils déclarent illimitée en vue de faire supprimer la mesure rendant obligatoire la langue arabe dans l’enseignement du second degré.
Cette action énergique ne fait que révéler un malaise profond et latent, car il est notoire que l’étude obligatoire de la langue arabe est pour les Noirs une oppression culturelle. Cette mesure constitue ensuite un handicap certain à tous les examens pour les élèves noirs qui, de façon consciente ont toujours repoussé l’étude de la langue arabe qu’ils savent un frein à leur développement culturel et scientifique et contre leurs intérêts.
C’est ainsi qu’au Lycée de Rosso des élèves noirs ayant obtenu la moyenne dans l’ensemble des disciplines ont eu à redoubler pour n’avoir pas eu la moyenne en arabe. Il peut paraître étonnant qu’aucune voix ne se soit élevée parmi l’élite et les responsables noirs, pour protester contre une décision qui fasse déjà l’égalité des citoyens et cela dans un domaine aussi essentiel que l’éducation.
C’est pourquoi, nous citoyens mauritaniens à part entière, soussignés, déclarons appuyer fermement et sans réserve l’action des élèves. Nous entendons dès cet instant reconsidérer certaines bases de la coexistence entre Communauté noire et Communauté blanche ; car à l’heure actuelle nous assistons à l’accaparement total de tous les secteurs de la vie nationale par l’ethnie maure. A l’appui de cette thèse, voici des faits patents qui révèlent la gravité de cette situation.
Dès l’accession de la Mauritanie à l’autonomie interne, le régime mis en place s’empressa de créer le mythe d’une prétendue majorité à 80 % maure, le mythe du quart était né et règle depuis lors les dosages au niveau de toutes les instances politiques et administratives.
C’est ainsi qu’au gouvernement il y a deux Ministres noirs sur neuf, au Bureau Politique, National trois Noirs sur treize membres, à l’Assemblée Nationale dix députés noirs sur quarante. Ceci étant, la vie politique administrative ne pouvait être que le fidèle reflet de la situation au sommet. Il est remarquable que les postes de Président de la République, chef du gouvernement, de ministre de la Défense Nationale, des Affaires Etrangères, de secrétaire général aux Affaires Etrangères, de Ministre de la Justice, de l’intérieur, de directeur de la Sûreté et des forces de la Police, de directeur de l’Information, de directeur de l’Enseignement, de directeur Général du Plan, de la Fonction Publique et de président de la Cour Suprême, etc … sont concentrés selon une règle inavouée, mais systématique entre les mains de l’ethnie maure.
Il est à constater par ailleurs que sur douze cercles du pays un seul est placé sous la responsabilité d’un administrateur noir et sur près de trente subdivisions seulement sont sous la responsabilité de fonctionnaires noirs. – Que des cadres noirs sous-employés végètent tandis que des traîtres à la Nation, condamnés, se trouvent régulièrement engagés à des postes de choix dans la Fonction Publique. – Que dans la Mauritanie du Sud, exclusivement Noire, tous les commandants de cercle, les chefs de subdivision, les chefs de postes administratifs, les commissaires, exception faite pour Rosso, les juges, les chefs de brigade de gendarmerie, et même les maires-délégués sont tous des Maures.
– Que la présence dans cette partie du pays de ces détenteurs de l’autorité se traduit par des actes infâmes d’asservissement, d’humiliation, d’oppression commis à l’endroit des populations Noires, honnêtes, loyales, courageuses et laborieuses ;
– Que leurs agissements par leur manque de respect pour la tradition biens fonciers, valeurs spirituelles, sèment la panique, la désolation et l’amertume parmi les populations noires exaspérées et au bord de la révolte. L’exemple de Sass Ould Guig à l’égard des Peulhs de Kaédi est assez édifiant. Ce responsable s’est permis de faire arrêter, battre, torturer lâchement, humilier, emprisonner de paisibles Peulhs dont le seul crime fut le désir de créer une coopérative conformément aux nécessités du développement.
– Qu’à Rosso un découpage administratif insidieux vient d’isoler et de rattacher tout le canton de R’Kiz exclusivement maure. – Que quinze gendarmes noirs valides viennent d’être mis prématurément à la retraite sans pension.
– Que dans les rangs des goums de la Garde Nationale, de la Gendarmerie, de l’Armée, de la Police où naguère les Noirs dominaient en nombre, la valeur et la vocation étant les seuls critères, la proportion des Noirs de 90 % qu’elle était, est retombée à près de 25 %.
– Que les Noirs arabisants ne se recrutent qu’à 10 % parmi les enseignants mauritaniens arabisants, parce que le régime ferme aux plus doués d’entre eux les portes du succès aux examens, les commissions de correction recrutées dans l’ethnie maure, veillant à ce qu’il en soit ainsi.
– Que le recrutement à l’Institut des Etudes Islamiques de Boutilimit accorde aux élèves Noirs 5 % des effectifs.
– Que les Noirs arabisants ne comptent aucun Inspecteur primaire alors qu’ils disposent de cadres au moins aussi instruits, aussi cultivés et aussi capables que les cadres maures arabisants.
– Que les cinquante bourses mises à la disposition de la Mauritanie par le Koweït réparties sans l’avis d’aucune commission, sept seulement furent attribuées aux candidats noirs.
– Que le régime a toujours travaillé pour qu’à l’extérieur, la Mauritanie apparaisse comme un pays essentiellement maure. – Dans cette optique le Chef de l’Etat lui-même prend soin de toujours souligner à l’extérieur « que la Mauritanie, en majorité arabe, compte une minorité d’origine Africaine » (discours de Bizerte) comme si cette présence prétendue minorité était là par un accident de l’histoire alors que l’accident de l’histoire ce sont bien les invasions berbères ;
– Qu’à Nouakchott où les citoyens noirs sont au moins aussi nombreux que les Maures, le Conseil Municipal compte quatre Noirs sur vingt deux membres. Il est à souligner par ailleurs que simultanément au désir exprimé par les Maures de voir officialiser la langue arabe, la communauté noire exigeait que lui soient consenties des garanties concrètes et absolues contre toute assimilation que les responsabilités nationales soient partagées et que la constitution soit révisée dans un sens Fédéral (congrès 1961 et 1963).
Mais le régime politique, peu après avoir muselé certains porte-parole noirs, s’est ménagé l’officialisation de la langue arabe dont la première étape est cette mesure rendant l’arabe obligatoire dans le premier et le second degré, cependant qu’il étouffe les revendications fondamentales de la Communauté Noire. Les Maures savent qu’avec l’arabisation à outrance le pays va à l’échec. Mais y tiennent tout de même, animés qu’ils sont par un complexe d’infériorité devant la supériorité qualitative des cadres noirs, et poussés par le désir ardent de couper la Communauté noire de l’ensemble négro-africain et à réaliser ainsi l’assimilation des Noirs à leur mode de vie et de pensée.
Ainsi le bilinguisme n’est qu’une trahison à l’endroit des Noirs car il tend à les écarter de l’ensemble des affaires de l’Etat. Toute cette situation se traduit par un marasme général qui affecte tous les rapports entre citoyens Maures et Noirs. En effet, le jeunesse du pays, future relève, se trouve profondément divisée. A Dakar, à Paris, au Caire et dans les autres centres universitaires, les groupes d’étudiants noirs et groupes d’étudiants maures sont à couteaux-tirés dans tous les établissements du second degré, la scission est consommée entre élèves noirs et élèves maures.
Considérant que les membres de la communauté noire sont irréversiblement engagés à recouvrir intégralement leur liberté et leur dignité, à choisir librement une culture et un mode de vie conforme à leur civilisation négro-africaine, à leur aspiration au progrès, au développement harmonieux de l’homme, et convaincus que l’obstination du régime dans sa politique aboutira fatalement au chaos et à la guerre civile.
Nous soussignés :
– Déclarons être hostiles à la mesure rendant l’arabe obligatoire dans les enseignements primaires et secondaires.
– Engageons le combat pour détruire toute tentative d’oppression culturelle et pour barrer la route à l’arabisation à outrance.
– Exigeons l’abrogation pure et simple des dispositions des lois 65-025 et 65-026 du 30 janvier 1965 rendant l’arabe obligatoire dans les 1er et 2ème degré et qui ne tiennent aucunement compte des réalités mauritaniennes.
– Rejetons le bilinguisme qui n’est qu’une supercherie, une trahison permettant d’écarter les citoyens Noirs de toutes les affaires de l’Etat.
-Dénonçons la discrimination raciale, l’illégalité, l’injustice et l’arbitraire que pratique le régime en place.
– Dénonçons toute confusion hypocrite visant à poser un problème à tendance politique (Arabe) sous l’optique religieuse (Islam).
– Nions l’existence d’une majorité maure, car les propositions proclamées sont fabriquées pour soutenir le régime dans l’application intégrale de sa politique de médiocrité déjà entamée à l’endroit de la communauté noire.
– Exigeons le remplacement immédiat de tous les commandants de cercle et Adjoints, des chefs de subdivision, des chefs de postes administratifs, des commissaires de police, des commandants de gendarmerie, des juges et Maires-délégués, tous maures se trouvant dans le Sud par des administrateurs et fonctionnaires noirs, seuls soucieux du développement de cette partie du pays et respectueux des populations, et de toutes leurs valeurs.
– Exigeons le placement immédiat de tous les cadres noirs sous-employés dans les situations conformes à leurs diplômes et références.
– Sommes prêts à rencontrer le Président de la République, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Groupe Parlementaire ;
– Mettons en garde tout responsable noir contre une éventuelle prise de position susceptible de léser les intérêts de la Communauté (noire) ;
– Jurons sur notre honneur de ne jamais transiger ni avec le devoir, ni avec la conscience, de ne jamais nous départir de nos positions justes et honnêtes, de nous maintenir dans ces positions jusqu’à la disparition totale de toute tyrannie, domination et oppression exercées sur la Communauté noire et jusqu’à ce que tout citoyen noir vive libre, digne et heureux en Mauritanie ».
Les signataires :
– Koïta Fodié
– Traoré Jiddou
– Sy Oumar Satigui
– Sow Abdoulaye
– Kane Bouna
– Bâ Abdoul Ismaïla
– Koulibaly Bakary Manso
– Kane Nalla
– Dafa Bakary
– Bâ Ibrahima
– Diop Mamadou Amadou
– Traoré Djibril
– Seck Demba
– Bal Mohamed el Bachir
– Bâ Mamadou Nalla
– Sall Abdoulaye
– Bâ Abdoul Aziz
– Sy Ibrahima
– Bâ Ali Kalidou
Février 1966