Les circonstances du décès de l’écrivain dans sa
prison de Oualata, ainsi que celles de l’adjudant-chef Ba Oumar, sont loin d’être éclaircies.
Téné Youssouf Gueye, 60 ans : l’un des meilleurs auteurs mauritaniens.
Dans la journée, le thermomètre monte jusqu’à quarante degrés. Parfois plus. Les nuits sont froides. Très froides. Normal. Oualata est située en plein désert mauritanien, non loin de la frontière malienne.
Selon Oumar Ba, un chercheur de l’Institut mauritanien de recherches scientifiques, la fondation de cette cité remonterait au sixième siècle. Située à 1 200 km environ au sud-est de la capitale, Nouakchott, Oualata tiendrait son nom d’une déformation de « Tewellau » qui, en hassanya (arabe mauritanien), signifie « retour au calme, à l’entente ».
Selon une autre version, Oualata serait en réalité une berbérisation du terme mandé « Wala », lequel signifie « abri de fortune ». Il n’empêche, Oualata, aujourd’hui, serait plutôt synonyme d’infortune, de désolation…
C’est en effet dans cette localité, importante escale du trafic saharien au temps de l’Empire du Mali, que sont morts en détention, début septembre l’adjudant-chef Alhassane Ba Oumar, l’écrivain Téné Youssouf Gueye.
Le premier a été condamné à la détention perpétuelle, en octobre 1987, après la découverte d’un complot formenté par des Négro-Mauritaniens contre le régime du colonel Maaouya Ouid Sid’Ahmed Taya. Quant à Téné Yousouf Gueye, arrêté en septembre 1986 à la suite de la publication du fameux « Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé » (également appelé « Manifeste des 19 » en raison du nombre de signataires), il purgeait une peine de quatre années de prison à Oualata.
Né à Kaedi, petit village du Sud mauritanien, ancien élève de la prestigieuse école normale William Ponty du Sénégal, Téné Youssouf Gueye était, à soixante ans, un des plus grands écrivains mauritaniens.
On lui doit notamment une série de nouvelles regroupées et publiées sous le titre L’Orée du Sahel, ainsi qu’un recueil de poèmes, Sahéliennes, et une pièce de théâtre, Les Exilés de Goumel. Son premier roman (sa dernière oeuvre aussi), Relia ou le chemin de l’honneur a été publié en 1985 aux Nouvelles éditions africaines. Il annonçait un second volume.
Aussi bien Téné Youssouf Gueye que son compagnon d’infortune sont morts dans des conditions pénibles, dans une prison qui passe pour être, en Mauritanie, un véritable « mouroir’.
Construit au début du siècle par les colonisateurs français, le fortin-prison de Oualata est aujourd’hui dans un état de complet délabrement.. Les prisonniers, une cinquantaine d’officiers et de sous-officiers, ainsi qu’une trentraine d’intellectuels négro-africains, tous incarcérés pour complot ou « activisme noir », y vivraient dans des conditions difficiles. Coupés du reste de la Mauritanie, ils seraient à peine nourris et privés d’installations sanitaires comme d’ailleurs de soins. Ils s’entassent dans des cellules exiguës, et certains d’entre eux seraient même enchaînés pour pallier l’insuffisance du nombre de gardiens. Pourtant, les deux villes les plus proches, Goundam et Tombouctou, se trouvent à plusieurs centaines de kilomètres, en plein territoire malien. Ce qui interdit par avance toute tentative d’évasion.
La situation à Oualata est telle que, selon l’opposition mauritanienne à Dakar, deux autres prisonniers, malades, y seraient décédés à la mi-septembre, faute de soins. Il s’agirait du commissaire de police Ly Mamadou (ministre de l’Environnement et chef des services de sécurité sous l’ancien président Haidalla) et du lieutenant Ba Abdoul Ghoudouss, extradé d’Algérie vers la Mauritanie pour sa participaion au « complot négro-africain » du 22 octobre 1987. Tous deux avaient été condamnés aux travaux forcés à perpétuité en décembre 1987. Les autorités ont démenti le décès des deux hommes. Tous ceux qui ont applaudi à la création de la Ligue mauritanienne des droits de l’homme ne peuvent qu’espérer que cette version des faits corresponde à la réalité.
Il n’empèche ! Les autorités ont réagi. Une mission d’enquête a été chargée d’établir les circonstances du décès de l’écrivain et les conditions d’incarcération des détenus. D’autant que Amnesty International se préoccupe aujourd’hui de la santé de trois autres détenus de Oualata : Ibrahima Sarr, poète, journaliste et gendre de Téné Youssouf Gueye, Hameth Ly, enseignant, et Amadou Mokhtar Sow, in épieur.
Dans un communiqué publié à Londres, fin septembre, l’organisation de défense des droits de l’homme affirme que ces trois personnes souffriraient de graves troubles gastriques et d’ulcères, et qu’elles seraient privées de soin alors que le centre hospitalier le plus proche se trouve à Nema, à une centaine de kilomètres au sud. C’est d’ailleurs dans cet hôpital, où il a été transféré peu avant sa mort, que Youssouf Gueye est décédé.
A dix ou vingt
par cellule
Reste que les prisons mauritaniennes ne sont pas un cas d’espèce en Afrique. Ici et là, des individus, bien souvent des condamnés de droit commun, sont entassés à dix ou vingt dans des cellules de trois mètres carrés. Certains sont contraints à la nudité complète. On cite le cas de détenus dont le crâne a été rasé avec des tessons de bouteille. Véritables zombis, ils doivent bien souvent se contenter, en guise de nourriture, d’une soupe à l’eau et d’un morceau de pain moisi. Quand, par miracle, ils en ressortent, c’est bien souvent diminués physiquement et condamnés à une mort certaine.
« Que des hommes expient, soit ! s’exclamait, il y a un demi-siècle, le grand journaliste français Albert Londres. Mais que le châtiment reste humain. Qu’on tente de relever des coupables au lieu d’achever de les dégrader. » Il écrivait ces lignes au retour d’un reportage au bagne de Cayenne, en Guyane. •
JEUNE AFRIQUE IP 1449-12 OCTOBRE 1988
https://flam-mauritanie.org/29eme-anniversaire-de-la-mort-en-detention-de-nos-martyrs-de-oualata/