Il n’est nullement question ici du débat récurrent qui, une fois encore, agite les partis d’opposition à l’orée de la présidentielle. Il ne s’agit pas de savoir qui va y aller au nom de tous. ou, soyons réalistes, au nom du plus grand nombre. Non. Il s’agit plutôt de se demander si le scrutin à venir pourra accoucher, fût-ce au forceps, d’une candidature unique représentative de « la » ou, pour dire plus vrai, « des » communautés afro-mauritaniennes (ou négro-africaines si cette appellation plus convenue a votre préférence). A peine suggérée, une telle probabilité fait débat et soulève moult questions. Et pas des plus futiles. Retenons-en deux.

La première se résume en un mot : « qui » ? Développons. En l’état actuel, peut-il émerger du paysage politique mauritanien un homme apte à faire figure de candidat naturel et en mesure de fédérer les trois composantes afro-mauritaniennes? Pour des raisons compréhensibles, il convient d’emblée d’isoler le positionnement de M. Birame Dah Ould Abeid qui le situe à part sur l’échiquier politique et, en tout état de cause, hors  du champ de ces lignes. Résumons à l’extrême. Birame est « noir » sans être « afro-mauritanien ». De la même manière, mais pour des raisons évidemment différentes, il importe également de faire abstraction de M. Ba Mamadou Sidi. Le président des Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM) et un des leaders historiques du mouvement négro-mauritanien a, à de nombreuses reprises, fait état des réserves  qu’inspire à son organisation la pratique électorale en Mauritanie à laquelle, en l’état, il ne souhaite pas prendre part. « Restent » M. Ibrahima Sarr et M. Samba Thiam, pour s’en tenir aux deux postulants potentiels les plus emblématiques sans préjudice de quelques autres, a priori, moins en situation de « concourir ». Messieurs Ba Mamadou Alassane et Kane Hamidou Baba, entre autres, sont de ceux-là. Les uns et les autres sont légitimes mais tous ne le sont pas de la même façon. Messieurs Sarr et Thiam pourraient invoquer une légitimité, acquise au prix du fer et du sang, établie de longue date, et dont les ressorts sont connus de tous. Sans nécessairement hiérarchiser, le premier pourrait, au surplus, capitaliser sur son parcours d’ancien parlementaire et sur son expérience d’ancien candidat à l’élection présidentielle. M. Thiam , quant à lui, malgré de solides atouts, dirige une formation politique identifiée dans le champ politique mais non reconnue légalement. Sans être insurmontable, ce point de fragilité pourrait peser sur son éventuelle candidature. Si tant est qu’il en nourrisse le projet. Ce que certains messages sur les réseaux sociaux donnent à penser. Autre chose. Restent par ailleurs des incertitudes sur les  bonnes ou moins bonnes dispositions d’autres formations et structures censées partager le même espace politique et occuper le même créneau. On pense au premier chef à la plus emblématique d’entre elles en raison notamment de son poids politique et historique et de sa dimension symbolique : les Forces de Libération Africaines de Mauritanie. La question relative au comportement de celles-ci pourrait valoir plus singulièrement pour le candidat éventuel des FPC. La raison en est que cette formation politique est née d’une scission des FLAM. Cette incertitude se double  plus généralement de la possibilité de candidatures concurrentes et isolées d’autres Afro-mauritaniens, moins en vue et moins marqués par un ancrage et un agenda communautaires mais aussi dont le parcours politique antérieur serait moins associé à la « question noire ». Moins polarisants (ce n’est pas un jugement de valeur), moins siglés « opposition » et étrangers à la mouvance afro-mauritanienne traditionnelle, ceux-ci pourraient néanmoins parfaitement se réclamer de la « communauté négro-africaine » sans être en mesure de justifier d’une légitimité historique à toute épreuve. Quel que soit le cas de figure, il est une donnée incontournable qui est qu’aucun prétendant à la candidature ne pourra décemment faire l’impasse d’un projet voire d’un programme ou de quelque chose  devant en tenir lieu. Etre candidat oui, mais pourquoi et pourquoi faire ?

On sait, depuis notamment les expériences de Jesse Jackson aux USA, qu’une candidature d’extraction communautaire ou simplement perçue comme telle encourt un risque principal,  celui de se voir réduire à un acte de témoignage dénué de toute prétention à la victoire. Jackson était parfaitement conscient de cet état de fait et a longtemps assumé cette limite. C’est bien plus tard qu’il a entrepris de faire évoluer sa démarche et de lui imprimer un tour plus rassembleur avec la coalition Rainbow (arc-en-ciel).  Des années plus tard, Obama  parachèvera cette œuvre de changement de cap avec les résultats que l’on sait.

Le projet du candidat et son « affichage » mais aussi sa réception sont, pour ainsi dire, déterminants.  Si, pour en revenir à la Mauritanie, ce projet devait s’abreuver à la seule question nationale et à ses thématiques satellites ou si celles-ci devaient en être une dominante par trop écrasante, le candidat qui les porte apparaitra forcément monothématique, communautariste et ethnique. Ce qui, sans être infamant, aurait évidemment un effet réducteur et « hémiplégique » face à des formations affichant une prétention voire une vocation fédératrice, multiraciale et, pour ainsi dire, « généraliste ». Il y a fort à parier que, pour ne citer que celles-là, Tawassoul ou l’UFP feront de leur mieux pour remplir cet office et brandir cet étendard.

Il ne faut pas se farder la réalité. Si une candidature unique afro-mauritanienne devait advenir, son porte-drapeau sera surtout voire exclusivement attendu sur des sujets ayant trait à la question raciale. La raison en est simple. Ce n’est pas faire injure au candidat en question de faire observer que nul ne croit si peu que ce soit en ses chances d’être élu. Mais est-il vraiment le seul dans ce cas ? Le vote réputé utile pourrait à la limite opérer davantage en faveur de Birame qui semble plus en situation pour des raisons directement politiques et des considérations un peu plus en marge du strict débat public interne à la Mauritanie. Sans jeu de mots, le vote utile opérera surtout à plein régime au profit du candidat institutionnel. Lequel pourra d’ailleurs cumuler allègrement le double bénéfice des votes utile et légitimiste qui, il faut bien en convenir, représentent les deux faces d’une même médaille. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que les performances des candidats négro-africains lors des dernières élections ne semblent pas avoir mis en évidence un vote automatique en leur faveur et ce, y compris dans des zones géographiques censées constituer leurs bastions. L’éventuel candidat afro-mauritanien (si tant est qu’il y en ait un) pourra toujours se consoler à l’idée qu’il ne doit pas être le seul dans la situation d’outsider face à un grandissime favori. Pour autant, il ne devra être prisonnier ni d’un statut ni d’un positionnement.  En aucun cas, il ne devra éluder les sujets importants et d’intérêt commun. Pour des raisons tenant au rapport de forces actuel, à la configuration de la société mauritanienne, à la distribution des leviers de pouvoir réel et symbolique, une tentative de représentation de type communautaire est vouée à ne pas franchir le cap de la démarche de témoignage. Ce qui, en soi, n’a rien de déshonorant. Bien au contraire. Il appartient juste au prétendant d’en tirer le meilleur parti et d’ajuster ses ambitions à la toise du possible. Cela s’appelle faire de nécessité vertu.

Tijane Bal

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