La Mauritanie : à quand la fin du racisme ? Ibrahima Diallo

 

 

 

 

 

 

 

« Le 4 janvier 1966 les élèves noirs des Lycées de Nouakchott ont déclenché une grève qu’ils déclarent illimitée en vue de faire supprimer la mesure rendant obligatoire la langue arabe dans l’enseignement du second degré. (…. Mais le régime politique, peu après avoir muselé certains porte-parole noirs, s’est ménagé l’officialisation de la langue arabe dont la première étape est cette mesure rendant l’arabe obligatoire dans le premier et le second degré, cependant qu’il étouffe les revendications fondamentales de la Communauté Noire. (….). Toute cette situation se traduit par un marasme général qui affecte tous les rapports entre citoyens Maures et Noirs. En effet, la jeunesse du pays, future relève, se trouve profondément divisée… »

 

Cet extrait est tiré du “Manifeste des 19[1]” qui a été publié au mois de février 1966 par 19 cadres Mauritaniens noirs (Bamana, Fulbe, H’râtîn, Sooninko, Wolof), qui s’insurgeaient contre le racisme déjà ambiant du premier pouvoir civil en Mauritanie. Et depuis, beaucoup d’eau a coulé sous le pont :

Officialisation de la seule langue arabe au détriment des autres langues nationales de Mauritanie (bamana, Pulaar, sooninke, wolof);
Renvoi des cadres noirs et leurs remplacements par leurs homologues arabo-berbères ;

Expropriations des terres des Noirs du Sud ;
Etat de siège des populations du Sud (Bamana, Fulbe, Sooninko, Wolof) par la soldatesque du Système beydane auquel s’ensuivent des arrestations arbitraires, des exécutions extrajudiciaires, des viols, des tortures, des humiliations publiques de toutes sortes, des harcèlements psychologiques, l’exil forcé des jeunes noirs, des déportations massives des familles ou des villages entiers de Mauritaniens noirs.

 

Le texte suivant constitue une partie de la conclusion du « Manifeste du Négro-mauritanien opprimé, de la question raciale à la lutte de libération nationale, février 1966-avril 1986[2] », texte publié et diffusé en avril 1986 par les Forces de libération des Africains de Mauritanie[3].
« Nous pensons que la clef du problème pour les Noirs et pour l’avenir de la Mauritanie toute entière réside fondamentalement dans la destruction du Système beydane[4] et de l’instauration d’un système politique juste, égalitaire auquel s’identifieront toutes les composantes actuelles du pays.

Pour cela, il faudrait que tous les véritables nationalistes mauritaniens (Noirs et Arabo-berbères), épris de paix, de justice et soucieux de voir instaurer une Unité nationale véritable, acceptent de s’unir afin que tous ensembles combattent pour la suppression de ce système raciste, chauvin, aussi pernicieux que l’Apartheid.

Car cela est possible. Il faudrait que le Négro-mauritanien comprenne qu’il ne doit pas s’insurger contre le Beydane en soi, mais contre l’appareil d’Etat arabo-berbère raciste et oppresseur, afin que Blancs et Noirs puissent enfin dialoguer à égalité, se battre ensemble pour des lendemains plus certains.

Que le chauvinisme et l’hégémonie du monde arabe ne viennent pas aggraver nos contradictions, en épaulant une communauté raciale, la leur, contre une autre (les Noirs). Si tous les Mauritaniens sont musulmans, ils ne sont pas tous arabes, autant que les Kabyles, les Perses, les Turcs ou les Kurdes.

Les problèmes mauritaniens doivent être posés par des Mauritaniens, discutés entre Mauritaniens et solutionnés par les Mauritaniens eux-mêmes. Notre amour pour ce pays nous commande à inviter toutes nos nationalités à un dialogue des races et des cultures, dans lequel nous nous dirons la Vérité pour guérir nos maux.
Il faut que nous traduisions dans la réalité nos appels au Salut National et au Redressement de notre pays, au lieu de dépenser toutes nos ressources et toutes nos potentialités humaines dans des querelles raciales et culturelles dont les principaux bénéficiaires ne seraient certainement pas les Mauritaniens».

Pays multiethnique, la Mauritanie vit depuis son accession à l’indépendance le 28 novembre 1960 des contradictions raciales instrumentalisées par les différents pouvoirs civils et militaires qui s’y sont succédé. Cette instrumentalisation a occasionné au cours des années 80 et 90 un véritable génocide contre les populations noires de Mauritanie (Bamana, Fulbe, Sooninko, Wolof).

Arrestations de militaires en octobre 1987 à la suite d’un prétendu coup d’Etat militaire : trois exécutions, 23 condamnés entre 5 ans et la perpétuité, près d’un millier de militaires noirs chassés de l’armée après avoir subi toutes formes de tortures et d’humiliations. Des tortures et mauvais traitements qui allaient entraîner la mort de 4 prisonniers politiques à Waalata

Au mois d’avril 1989, des centaines de Noirs (700 au moins) sont massacrés á Nouakchott, à Nouadhibou et dans plusieurs autres localités mauritaniennes, avec la complicité des plus hautes autorités de l’Etat. Dans la foulée de ces pogroms anti-Noirs, le pouvoir bîdhân procédait á l’épuration de l’administration et des entreprises publiques de leurs éléments noirs, á l’arrestation et á l’exécution de dizaines de milliers de Bamana, de Fulbe, de Sooninko et de Wolofs et de leur déportation dans le but évident de “dénégrifier” le pays de plus de 120.000 personnes Noirs vers le Sénégal et le Mali.

Arrestations, tortures de milliers de militaires noirs dont 512 furent assassinés. Comble d’horreur, 28 parmi eux furent pendus le 28 novembre pour célébrer le 30ème anniversaire de l’indépendance de la Mauritanie. Jusqu’à ce jour, les dépouilles de tous ces martyrs ne sont pas rendues à leurs familles respectives.

Les événements d’avril 1989 et ceux qui s’en sont suivis étaient parfaitement prévisibles : ils sont la suite logique de la politique raciste appliquée en Mauritanie depuis l’indépendance et fondée sur l’accaparement, par la Communauté bîdhân , de tous les leviers du pouvoir. En dépit de multiples contestations (« Manifeste des 19 », « Manifeste du Nègro-Mauritanien opprimé… »), et affrontements violents (guerre civile de 1966…) suscités par cette situation, les régimes bîdhân successifs se sont toujours refusés, avec une remarquable constance, a à envisager une autre alternative : celle d’un Etat républicain et démocratique, reposant sur l’égalité entre toutes ses composantes raciales et ethniques

Si d’aucuns se sont félicités de la remise du pouvoir politique aux civils, de l’organisation d’élections libres et transparentes, nos préoccupations restent toujours actuelles. En Afrique, et encore moins, en Mauritanie, notre pays, électoralisme n’a jamais rimé avec Démocratie. Il suffit pour s’en convaincre de se pencher sur la représentativité des deux chambres quasi monocolores bîdhân. Sur la vingtaine des membres du gouvernement, seul 3 sont des Noirs. 95 % des Secrétaires d’Etat et des Secrétaires généraux des ministères sont des arabo-berbères leucodermes. Près 90% des corps des Forces armées et dans l’Administration territoriale sont Blancs de culture arabo-berbère. Nous remarquerons ici que Sidi Ould Cheikh Abdellahi[5], n’a pas fait mieux que Maouiya Ould Sid Ahmed Taya[6] et encore moins qu’ Ely Ould Mohamed VALL[7].

 

Il existe depuis toujours dans ce pays une loi fondée sur la prétendue majorité des Bîdhân. Au vu des résultats des recensements nationaux de la population, également des considérations sociodémographiques, on se rend facilement compte de la supercherie. Peu importe le pourcentage démographique de chacune des composantes nationales du pays. Le fondamental est qu’ elles aient toutes les mêmes droits et les mêmes devoirs au sein d’une République citoyenne. Dans l’intérêt d’une unité nationale et d’une cohésion sociale, il est intolérable de hiérarchiser les droits fondamentaux selon que les uns soient Arabes et les autres Bamana, de Fulbe, de Sooninko et de Wolofs.

Par ailleurs, un nombre importants de criminels racistes et de tortionnaires continuent d’occuper les plus hautes responsabilités dans la hiérarchie militaire et de l’Etat pendant que leurs victimes, elles, continuent tous les jours de descendre dans les bas fonds de l’humiliation et de l’injustice.

Le pouvoir « issu des urnes » en mars 2007 préconise le pardon et l’indemnisation des victimes. Le pouvoir de Sidi Ould Cheikh Abdellahi qui officie dans le sens de l’oubli, se mobilise pour l’impunité des crimes de race, dit-on, du côté de Nouakchott pour la paix civile ! De quelle paix s’agira-t-il, quand on refuse du toucher du doigt le problème focal qui amenuise les destinées de notre pays.

Il est vrai que la Mauritanie fait face à de nombreux problèmes : problèmes économiques : exploitation rationnelle de nos ressources et leur redistribution équitable, pauvreté, détournements et inégalités sociales de toutes sortes, tribalisme, esclavage. Mais de tous ces problèmes, ceux de la cohabitation entre Bamana, Fulbe, Sooninko et Wolofs d’une part et les Arabo-berbères d’autre part, et celui de l’esclavage sont ceux qui exigent le plus des solutions urgentes et correctes. Ce sont les faits, et non une construction de l’esprit, qui font de la Question nationale et sociale le problème essentiel à résoudre. Les Forces de libération africaines de Mauritanie restent attachées à la résolution de la question vitale de cohabitation ; une question cruciale qui ne pourrait favoriser la construction dans ce pays d’une unité nationale. .

Tout comme elles invitent à des actes rapides tendant à l´apaisement du climat social.

Notre organisation demeure animée par la même volonté de dialogue exprimée depuis 1986 dans le « Manifeste du Négro-mauritanien opprimé…. ».

Le combat se poursuit pour aboutir un jour à une république mauritanienne respectueuse de la diversité raciale, ethnique et des droits fondamentaux de tous les citoyens du pays.

 

1 « Le Manifeste des 19 », ainsi appelée en raison du nombre de ses signataires, a été rédigé en février 1966. Il dénonçait déjà le processus de marginalisation des Noirs mauritaniens. Vingt-trois ans plus tard, il n’a rien perdu de son actualité

2 Sa lecture permet de comprendre les mécanismes d’oppression et d’asservissement mis en place par les différents régimes racistes qui se sont succédés á la tête de l’Etat mauritanien contrôlé par les Arabo-berbères depuis 1958 qui l’ont hérité de l’Administration coloniale française qui ne voulait que la Mauritanie soit dirigée par des Noirs et des non-Arabo-berbères

3 Organisation politique créée en mars 1983 et qui regroupe plusieurs mouvements et organisations nationalistes noirs. Les FLAM, suite à la diffusion du Manifeste du Négro-mauritanien Opprimé ont été décapitées de la majorité de leurs cadres en 1986. Interdites d’activités, puis criminalisées sous Ould Taya, l’essentiel des activités de cette organisation avant-gardiste est mené depuis l’Etranger.

4 De l’arabe dialectal de Mauritanie (le Hassaniya), blanc, terme par lequel se désignent les Arabo-berbères leucodermes en Mauritanie. Bîdhân (l’bial, Blanc) s’oppose au concept Kowri (kwar au pluriel) qui désigne en Hassaniya le Noir. Kwar est dérivé du mot kuffar (Kafr). Tout Noir est un Kafr. Les deux mots sont devenus synonymes.

5 L’actuel chef d’état mauritanien

6 Exilé actuellement à Doha (Qatar) où il coule des jours heureux. C’est sous les ordres de Ould Taya que les déportations et les massacres de Bamana, Fulbe, Sooninko et Wolof ont été exécutées en 1986, 1987, 1989, 1990-1991. Des plaintes pour crimes de génocide, crimes racistes et crimes contre l’Humanité ont été déposées contre lui en Belgique et aux Etats-Unis par des rescapés de la campagne de dénégrification de la Mauritanie qui sont réfugiés en Afrique [(Sénégal, Mali, Gabon, Angola, Cameroun), en Europe (France, Belgique, Hollande, Allemagne, Suède, Norvège, Danemark, Italie, Espagne, Portugal) et en Amérique (Etats-Unis, Canada)]

7 Le tombeur de Maouya Ould Sid’Ahmed Ould Taya, son ancien directeur national de la Sûreté, donc bras armé du système ethnoraciste et fasciste. Ely a servi Ould Taya corps et âme durant les années de braises vécues par les Bamana, Fulbe, Sooninko et Wolof

 

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