Mauritanie : Le contexte d’une crise 1986-1989

 

 

 

 

 

 

 

 

Depuis les troubles intercommunautaires qui ont ébranlé la Mauritanie et le Sénégal et la fin du rapatriement des sénégalais vivant en Mauritanie, Les autorités mauritaniennes ont expulsé vers le Sénégal quelque 50 000 personnes toutes de race noire et de langue Fulfuldé ou Pulaar pour la plupart. Amnesty International a reçu de nombreux témoignages faisant état de violations des droits de l´homme perpétrées lors de ces expulsions. Bien que certains abus soient imputables á la police et à la gendarmerie, les violations commises dans le Sud du pays semblent avoir été surtout le fait de la garde nationale.

Les autorités mauritaniennes ont tenté de justifier les expulsions en affirmant qu´elles concernaient essentiellement des sénégalais. S´il est vrai que les expulsés sont de race noire et qu´il n´y a pas de Beïdanes parmi eux, il semble toutefois que la plupart soient nés en Mauritanie et aient été considérés comme citoyens mauritaniens, presque tous possédaient d´ailleurs des cartes d´identité mauritaniennes que les fonctionnaires ont déchirées au moment de leur interpellation ou de leur expulsion.
Certaines personnes semblent avoir été expulsées en raison de leurs liens avec des prisonniers politiques ou de leurs activités politiques présumées. C´est notamment le cas de Aissatou Ly, Habsa Banor Sall et Diénaba Kane, épouses de prisonniers politiques détenus à Aïoun el Atrouss, d´Ibrahima Diouf, ancien prisonnier d´opinion arrêté en décembre 1987 puis relâché en avril 1988 sans avoir été inculpé, ainsi que d´un certain nombre de syndicalistes de Nouadhibou et Nouakchott.

De nombreux témoignages-dont certains sont reproduits ici-ont fait état d´exécutions extrajudiciaires, de tortures, d´emprisonnements illégaux et de décès en détention survenus au cours des expulsions de Mauritaniens noirs depuis mai 1989. En outre, en procédant à des expulsions collectives , qu´il s´agisse de Sénégalais ou de Mauritaniens, le gouvernement a clairement violé les dispositions d´un article fondamental de la charte africaine des droits de l´homme et des peuples, adoptée par l´Organisation de l´unité africaine et ratifiée le 26 juin 1986 par la Mauritanie.

1-“Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l´intérieur d´un Etat, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi.”
5-“L´ expulsion collective d´étrangers est interdite. L´expulsion collective est celle qui vise globalement des groupes nationaux, raciaux, ethniques ou religieux.”

LES ÉXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES DANS LA VALLÉE DU FLEUVE SÉNÉGAL

Des unités des forces de sécurité auraient encerclé des villages et confisqué les terres et le bétail de Mauritaniens noirs. Ces derniers auraient été forcés de monter à bord de pirogues qui les auraient déposés sur l´autre rive du fleuve, au Sénégal. Des paysans et des éleveurs qui tentaient de s´opposer á l´expulsion ou à l´expropriation auraient été arrêtés et parfois torturés ou exécutés. Un témoin oculaire a rapporté au début de juin les faits suivants:
“les peuls qui n´ont pas encore été expulsés tentent de fuir avec leurs biens, mais ils sont souvent rattrapés et parfois exécutés. Ce fut le cas pour un peul à Ouali…qui a reçu 17 balles. La gendarmerie a tenté de faire disparaitre le cadavre il y a eu également plusieurs morts sur le fleuve, 12 à Maghama et 4 près de Diowol.”

Amnesty International a appris qu´un éleveur de la région de Mbout, Abdarahmane Lam, avait été abattu en juin 1989 par les forces de sécurité et que son corps avait été jeté dans un marigot. Son bétail a été emmené par ces mêmes forces de sécurité. Son frère, Yéro Lam, arrêté un peu plus tard, aurait été torturé. On ignore tout de son sort. Leurs épouses, leurs enfants et d´autres membres de leur famille auraient été expulsés vers le Sénégal.
D´autres personnes, notamment Samba KÂ, cinquante-six ans, originaire de Tétiane, auraient également été exécutées par les forces de sécurité en juin 1989. Deux paysans de Matam-Réo, expulsés vers le Sénégal, auraient été tués par des membres de la Garde nationale alors qu´ils étaient retournés chez eux pour récupérer quelques affaires personnelles. Abou Kâ, originaire de Dindi, a été abattu par les forces de sécurité, après avoir été expulsé, il était revenu chercher ses parents qui auraient été incarcérés et enchaînés. Thiam Amadou, surnommé ”Chérif”, originaire du village de Douguel Réwo, et Issa Soumaré, du village de Diowol, tous deux anciens militaires, auraient été tués en juillet alors qu´ils pêchaient dans le fleuve.
Fin juin Mamadou Bâ, douze ans, et Abdoulaye Bâ, dix ans, deux enfants du village de Pattoucone dans la commune de DJÉOL, qui conduisaient des moutons et des chèvres dans la brousse, auraient été interpellés et égorgés par une patrouille de la Garde nationale. Toute la population de leur village a été expulsée du pays après avoir protesté contre ces meurtres.

TORTURE ET TRAITEMENTS CRUELS INHUMAINS ET DÉGRADANTS

Amnesty international connaît les noms de 10 personnes décédées à la suite de torture dans le Sud-Ouest du pays entre mai et juillet 1989. Les victimes appartenaient à deux groupes distincts:
1- des noirs instruits et des fonctionnaires, membres présumés du mouvement d´opposition de la communauté noire;
2- des paysans et des éleveurs du Sud du pays.

Un fonctionnaire expulsé a fait le récit suivant á Amnesty International:

“Je suis infirmier d´Etat. Je travaillais á Jeder el Mohguéne près de Rosso-Mauritanie. J´ai été arrêté le 29 mai 1989 et amené au domicile du chef d´arrondissement, où j´ai trouvé cinq fonctionnaires noirs avec des menottes aux mains et enchainés. Nous avons été battus par des éléments de la Garde nationale, qui étaient tous des Beïdanes et des Harratines, qui nous accusaient d´être membres des FLAM (Forces de libération africaines de Mauritanie). Alors que je n´avais jamais entendu parler des FLAM auparavant. Quelques jours après, nous avons été transférés á Rosso et interrogés par le directeur régional de la sûreté. Nous sommes restés trois jours sans repas. Nous étions enchainés, battus et insultés. On voulait qu´on avoue que nous sommes membres des FLAM. Je suis resté en détention jusqu´au 30 juin, quand j´ai été expulsé. Certains de mes collègues de Jeder sont encore en détention. Un seul fonctionnaire noir a été épargné à Jeder parce qu’il est arabisant”.

Mohamed Yéro Bâ, directeur d´école à Tétiane, est mort en juin 1989 après avoir subi la torture du “jaguar”. Membre du conseil municipal de Kaédi, il avait été arrêté apparemment parce qu’on le soupçonnait d´avoir envoyé à l´étranger des lettres faisant état des exactions commises par les forces de sécurité dans la vallée du fleuve Sénégal. Il aurait été suspendu au-dessus d´un feu et des témoins affirment que son corps était couvert de brûlures. Après l´interception d´une de ces lettres, plusieurs personnes auraient été arrêtées, parmi lesquelles Abou Hamady Ba, un enseignant de Kaédi âgé de cinquante-deux ans qui aurait été blessé pendant des séances de torture. Libéré après la mort de Mohamed Yéro, cet homme serait assigné à résidence alors qu´il a besoin des soins médicaux.

Plusieurs habitants du village de Toumbel, dans la région de Maghama, incendié en juin 1989, auraient été maltraités par des militaires. Des jeunes femmes auraient été violées et forcées de traverser nues le fleuve Sénégal.
Des femmes expulsées ont été blessées par des membres des forces de sécurité qui voulaient confisquer leurs bijoux. Les lourdes boucles d´oreille en or portées par les femmes peules ont été arrachées, laissant ces femmes les oreilles en sang.

Les tortures et mauvais traitements ne se sont pas limités au Sud-ouest du pays, ils ont également été signalés dans d´autres régions. Le récit a été fait par un témoin qui s´était rendu au début de mai 1989 dans un poste de police de la capitale:
“le 30 mai, à 20h30, au poste de police de Toujounine, dans la banlieue de Nouakchott, sur la route de l´Espoir, j´ai personnellement assisté à une séance de torture(tête dans l´eau jusqu´à étouffement), il était nu et avait été aspergé d´eau, il grelottait á cause du vent froid de la nuit. Lorsque je suis intervenu (c´était pendant le couvre-feu et j´étais là par hasard), on m´a répondu: ”mais c´est un Sénégalais” dans un ton qui voulait dire” Mais vous ne savez pas qu´on a le droit de torturer les Sénégalais ?” On m´a dit. Nous avons des ordres!”

Extrait de Mauritanie 1986-1989.
Contexte d´une crise
Trois années d´emprisonnements politiques de tortures et de procès inéquitables
Amnesty International-Embargo:30 Novembre 1989

 

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