Les  éléments qui suivent sont extraits du livre de Bruno Chavane : « Villages de l’ancien Tékrour », objet d’une thèse présentée en 1980 devant l’Université de Provence, consacrée aux habitats anciens de la moyenne vallée du fleuve Sénégal.Les derniers exemplaires de ce livre, édité par les Editions Khartala en 1985, sont aujourd’hui diffusés par la Maison Guillaume Foy, à Podor.

Avant d’en venir à l’histoire du Royaume du Tékrour, on peut se demander d’où vient ce mot Tékrour. Bruno Chavane nous dit qu’il est, en fait, appliqué dans les textes arabes tantôt à un souverain, tantôt à une ville, tantôt à un Etat dont les auteurs font varier la localisation depuis Podor jusqu’à Gao.

Ce n’est que beaucoup plus tard, au XVème siècle, que le Tékrour apparaît précisément dans les écrits portugais :

c’est le pays « Tuchusor » de Ca Da Mosto,

le « Royaume Tucevol » de Duarte Pachero Pereira ;

les auteurs portugais le situent à l’Est du Djolof et sur le rio Canagua (fleuve Sénégal).

Le recours à la tradition pour reconstruire le passé africain, a fort heureusement de moins en moins de détracteurs qui ont longtemps prétendu que les soucis du présent déforment si profondément les traditions qu’on ne peut objectivement leur accorder une quelconque crédibilité.

L’histoire ne se conçoit pas sans chronologie ; ors les récits de différentes sources révèlent des télescopages d’évènements, des allongements artificiels ou de simples omissions. Nul doute qu’il en soit ainsi, mais si la chronologie des évènements reste aléatoire, il n’en est pas moins vrai que la tradition orale n’est pas seulement un véhicule de la connaissance historique conservée par les griots. Elle est imprégnée des valeurs du groupe, elle assure la transmission du savoir, sur le milieu naturel, les végétaux, les techniques, ….

Autant d’éléments indispensables à l’interprétation des résultats archéologiques, pour un chercheur tel que Bruno Chavane qui fouilla le sous sol de la région proche de Podor pendant près de quatre ans.

Deux sources peuvent être exploitées pour retrouver des bribes d’histoire sur le Tékrour :

Les sources autochtones, la tradition orale

Les sources écrites étrangères, arabes et portugaises, notamment

Voici quelques éléments que nous raconte la tradition orale :

La conquête des Almoravides musulmans a bouleversé l’ordre animiste établi …….

Les siècles qui suivirent le début de l’ère chrétienne ont laissé peu de traces dans la mémoire collective, malgré l’importance des évènements d’alors, notamment la diffusion des techniques métallurgiques et l’introduction de nouvelles cultures.

Selon des traditions recueillies auprès de tribus mauritaniennes du Trarza et de l’Adrar, des populations noires vivaient au nord de leur implantation actuelle, jusqu’au voisinage de l’Atlas marocain, venues de la Cyrénaïque vers le 2ème siècle, pour atteindre le Hohd vers le 7ème siècle, avant de se réfugier dans le Tékrour un ou deux siècles plus tard.

Vers le 8ème siècle ces populations ont créé le premier royaume soudanais connu, le Ghana ou Wagadou, situé aux Nord des boucles divergentes des fleuves Niger et Sénégal.

Un autre royaume apparaît à la même époque, celui du Gdiaga, entre le haut Sénégal et la Falémé, connu sous le nom de Galam.

Ses fondateurs auraient combattu les « Dya Ogo » du Tékrour, libéré, donc, à cette époque, de la tutelle du Ghana et dominant le Galam. Une importante migration s’en suit de Serer et Wolof vers le Sud, et de Peuls vers le Fouta Djallon.

A la ruine du Wagalou puis du Diara (Kaniaga), à l’émancipation des royaumes autrefois tributaires du Ghana, tels que le Gadiaga, le Tékrour et le Sosso, succède la montée en puissance de l’empire du Mali , à partir du 13ème siècle, marqué par le roi du Mandé qui « s’emparait de tout le butin qu’il désirait » puis, surtout, du roi Soundiata. Lequel empire était bien structuré.

Le Royaume du Tékrour a traversé ces périodes troubles de reflux de populations noires, de migrations cycliques des peuls, de dispersions des soninkés, et d’extension des peuples mandings.

A-t-il réussi à développer une civilisation originale et une unité culturelle ?

La chronique orale du Fouta, propre aux Toucouleurs et aux Peuls, évoque le Füta du Toro, et son roi, Dya Ogo, un nom donné plus tard au fer obtenu dans les fourneaux, ce qui expliquerait la domination des peuls sur d’autres populations, Serer, Wolof, Lébou et Soninké, du fait de leur maîtrise de l’extraction du fer.

En tout état de cause, on note une poularisation des populations du Fouta au 10ème siècle. Les « Toucouleurs » se désignant comme « ceux qui parlent peul » sans pour autant se considérer comme appartenant à l’ethnie peul.

Il est probable que l’islamisation du Tékrour au début du 11ème siècle est à l’origine du déclin de la dynastie ; la suite des évènements est marquée, d’après des écrits arabes, par un souverain inconnu de la tradition orale, War Diabi, fils de Rabis, devenu souverain du Tékrour et qui se serait converti à l’Islam.

La dynastie soninké des Manna aurait régné sur le Tékrour du 11ème au 12ème siècles avant une forte perturbation provoquée par les invasions consécutives à l’ascension de l’Empire du Mali, marquée par les dynasties du Tondyon, de Lam termes, du Lam Taga et du Lam Toro. Cela se passait aux 14ième et 15ième siècles.

En résumé, l’histoire du Tékrour serait marquée par :

De 800 à 1000 après JC, les dynasties des Dya Ogo

De 1000 à 1100, les dynasties des Djabi, avec l’islamisation,

De 1100 à 1300, les dynasties soninkés des Manna,

De 1300 à 1400, les dynasties serer des Tondyon,

De 1400 à 1450, le règne des Lam termes, suite à une invasion peule et soninké, suivie du morcellement du Tékrour

Voici quelques éléments issus des textes arabes et portugais :

C’est du début du 8ème siècle que date la première mention écrite connue du Soudan , par Wahb Mannuabbih.

Des arabes font une incursion au Soudan en 734.

Des pasteurs berbères, les Sanhadja, constituent une vaste confédération étendue depuis l’Atlas marocain jusqu’à l’Adrar de Mauritanie.

Vers 836, ils étendent leur autorité sur les groupes négro-africains installés autour d’Awdaghost.

Le 11ème siècle est marqué par l’épopée almoravide. Une violente guerre sainte a lieu en 1 042 à travers l’Adrar et le Tagant mauritaniens, à laquelle se joignent des armées noires venues du Tékrour motivées par leur opposition au Ghana. En 40 ans, le Soudan, le Sahara, le Maghreb et l’Espagne sont balayés par cette invasion.

Le Tékrour s’y est sans doute associé jusqu’en Espagne, notamment lors de la bataille de Zallaka en 1086 où des fantassins « portant épées, boucliers et javelots » probablement originaires du Tékrour,  semèrent le trouble dans les rangs des chrétiens.

Faute d’organisation administrative, l’unique tentative d’Etat transsaharien échoue. Le chef Abou Bakhr tente de rassembler les berbères au Sud mais meurt dans le Tagant en 1 087, laissant, selon la légende peu crédible, une femme toucouleur enceinte de celui qui deviendra Ndiadiane Ndiaye, le fondateur du Djolof.

Une des rares évocations écrites sur les dynasties du  Tékrour évoque l’appartenance du Tékrour, vers 1340, à l’Empire manding.

El Bekhriest le premier à révéler l’existence de la ville de Tékrour : « immédiatement après Sanghana et dans la direction du Sud Ouest, se trouve la ville de Tékrour, située sur le Nil (le Sénégal était alors considérée comme un bras du Nil) et habitée par des nègres ;

Fiers de l’islamisation forte du Tékrour, les auteurs arabes eurent alors tendance à appeler ainsi tout le Soudan.

Un écrivain corrige la chose en ces termes : « le souverain du Mali est celui que les gens de Misr (Egypte) connaissent sous le nom de roi du Tékrour ; mais quand il s’entend appeler ainsi, il en est froissé, car le Tékrour n’est que l’une des régions de son empire ».

En 1506 les premiers explorateurs portugais situent avec précision le Tékrour dans la moyenne vallée du Sénégal et précisent qu’au peuple gyloffa (Djolof) s’ajoute une nation qui s’appelle Tucuroes …. Et c’est une multitude.

Deux textes évocateurs nous rapprochent de Podor :

« Les navires remontent ce fleuve seulement jusqu’au royaume de Tuculor que la marée atteint à 60 lieux de l’embouchure »

Delafosse situe l’ancienne capitale du Tékrour vers Podor

L’islamisation du Tékrourcommence, selon El-Bekri vers 1040 quand le roi du Tékrour s’est converti à l’Islam. A cette époque, et par la suite, on note que la succession au Tékrour se fait de père en fils.

Cette islamisation a provoqué l’exode des populations sérers, que, d’après les textes, on peut situer entre le 12ème et le 13ème siècle, d’abord vers le Djolof, puis vers le Sine ;

Le Tékrour fut le premier pays du Soudan à être islamisé mais toute la population n’était pas islamisée pour autant ; des reflux ont été observés au 14ème siècle, au 16ème, ….

Le Tékrour dans le commerce transaharien

C’est du quai de Podor que nous nous rapprochons ici, avec ces bribes d’histoire que nous livrent les textes :

Jusqu’en 1125 le Tékrour participe activement aux échanges soudano méditerranéens. La ville de Tékrour est décrite par El Idrissi, un géographe très connu de l’Occident musulman médiéval, comme étant, en 1 054, plus grande que Silla, et plus commerçante.

Des pistes sont alors tracées, connues et pratiquées, passant notamment par Kukdam, située à 10 km à l’Est d’Atar.

Le Tékrour est alors considéré comme le pays de l’or, que l’on peut y acquérir en quantité. Vendu à poids égal contre du sel, du verre et du plomb !

En 1310 Ibn Azi Zar souligne : l’or est abondant dans leur pays, mais ils ne savent pas l’employer. Ils utilisent de préférence le cuivre qui leur est importé et que les marchands mettent à leur disposition »

Théodore Monoda découvert en 1964 une caravane de cuivre dans le désert mauritanien qui prouve l’importance de ce commerce, jadis : 2085 barres de laiton de 470 grammes datées au radiocarbone : fin du 11ème siècle. Ces mêmes écrits arabes n’évoquent pas, à l’inverse de la tradition orale, la fonte autochtone des minerais métallifères pourtant très développée dans le Tékrour.

L’apparition et la diffusion de la métallurgie du fer en Afrique occidentale est traditionnellement objet de débats.

Pour les uns elle vient de Meroë, capitale du royaume kush sur le haut Nil, où le fer était travaillé dès le 3ème siècle avant J-C.

D’autres y voient une origine berbère ;

D’autres encore pensent qu’elle est autochtone et se réfèrent à Nok, au Nigeria, où la production du fer apparaît 400 ans avant J.-C.

Textes extraits du livre de Bruno Chavane :Villages de l’ancien Tékrour
(Recherches archéologiques dans la vallée moyenne du fleuve Sénégal)
Karthala c.r.a

www.podor-rivegauche.com

A lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *