« Je vous assure que nous respectons bien les hommes. D’ailleurs, c’est l’islam qui nous guide en ce sens ».

Les Maures (ou Mauri) est le nom donné aux populations arabo-berbères métissés vivant au Sahara et dans les territoires sud, côtoyant les populations noires. Ils n’ont pas grand chose à voir avec les Maures d’Espagne, étant donné que ni leur dialecte ni leur culture ne sont apparentés. Le terme « Maure » leur a été attribué car ils étaient la seule population d’origine nord-africaine trouvée dans le sud du Sahara.

Le constat qui suit concerne principalement les femmes appartenant au sous groupe “maure blanc“ (Beydane) de la communauté arabo-berbère. Il est probable que, dans le processus d’assimilation de la culture arabo-berbère, le sous-groupe “maure noir » (Haratine) a subi l’influence des éléments matriarcaux, mais les manifestations de cette imprégnation semblent moins visibles.

 

Jouissant de plus de liberté et de pouvoir que dans le reste du monde arabe et musulman, les femmes de Mauritanie en imposent à leurs époux. Les caractères patriarcaux de la société islamique sont tempérés par des survivances, encore vivaces, de règles matriarcales qui offrent à la femme maure une marge d’autonomie et d’autorité dans la sphère domestique dont ne jouissent pas les femmes des autres communautés. Sans égaler la position sociale de la femme touareg, autour de laquelle la société est structurée (système matrimonial et matrilinéaire ; dévolution du pouvoir par la lignée maternelle ; propriété exclusive de la tente dont elle peut chasser le mari en cas de mésentente), la femme arabo-berbère jouit d’une déférence certaine de la part des hommes, ainsi que d’une tolérance et d’une d’autonomie dans son ménage nettement plus étendue que celles dont bénéficient les femmes des autres communautés.

 

Les femmes portent la culotte

 

Biha El-azza Heidoud, première femme cameraman mauritanienne, a inversé ma question : je lui demandais si les femmes mauritaniennes se sentaient respectées par les hommes. Un malentendu qui semble conforter l’idée répandue que les femmes maures porteraient la culotte sous leurs melahfas, ces voiles légers multicolores, aux antipodes des voiles noirs opaques, chargés de soumission, qui assombrissent d’autres républiques islamiques.

 

Une liberté qui déplaît au régime islamique

 

Avec son chant lancinant et dépouillé, sa musique mariant instruments traditionnels et guitares électriques, Malouma, la blueswomanmauritanienne issue d’une lignée de griots, incarne une liberté de ton rebelle, qui lui a valu dix ans de mise à l’index sous le régime autoritaire précédent. « Notre Islam, ce n’est pas l’islam dont on parle à la télévision. Nous dirigeons, malgré le voile », explique cette mère de quatre enfants, devenue sénatrice après avoir fait campagne avec l’opposition aux dernières élections.

 

Liberté sexuelle et empire des femmes

 

Déjà au XVIe siècle, le géographe maghrébin Ibn Battuta, observant que « les hommes ne sont nullement jaloux de leurs épouses », est interloqué de ce qu’il voit dans la région orientale de l’actuelle Mauritanie. Cinq siècles plus tard, l’explorateur René Caillié s’étonne de ce que les femmes maures « servent rarement » leurs époux, sur lesquels à ses yeux « elles conservent plus d’empire  » que les Françaises.

 

Position dominante et divorce aisé

 

 

« Les femmes maures sont très difficiles. Si elles ne sont pas assez gâtées à leur goût, elles divorcent pour un rien, en tout cas dans les milieux matériellement aisés, où les filles sont éduquées. Auparavant, le mariage, c’était l’alliance entre deux tribus ; et, si la femme s’en allait, toute la tribu de l’homme était déshonorée. Alors, tu faisais tout pour gâter ta femme, afin d’éviter qu’elle ne te quitte. Les anciennes transmettent à leurs filles que la femme doit avoir une position dominante », m’explique Niang Mamadou. En charge des relations extérieures et de la coopération du syndicat indépendant CGTM, il souligne la différence avec les ethnies négro-africaines du sud du pays. « Dans mon ethnie, la femme doit être soumise, seule la mort peut la séparer de son mari et elle doit accepter la polygamie. »

 

Pas de couple fusionnel, les visites nocturnes

 

A l’opposé de l’image du couple fusionnel à l’occidentale, dans la vie quotidienne traditionnelle maure, les époux ne se retrouvaient que pour la nuit. Ce qui n’empêchait nullement la femme d’être libre de sortir du foyer à sa guise et même d’y recevoir des invités masculins. Apportée en dot par la femme, la tente, la khayma, était l’unité sociale première, placée sous sa seule responsabilité et son entière propriété.

 

Un code de conduite contre les violences conjugales

 

Les femmes des communautés maures, sauf cas exceptionnels, jouissent d’un statut qui les protège de la violence directe des hommes. Le code de conduite matriarcal régissant les relations entre les hommes et les femmes (idéalisation, déférence, tolérance, interdits relatifs aux coups et aux insultes) reste encore vivace. Á telle enseigne que c’est, au contraire, l’homme qui subit et accepte les insultes et, parfois les coups de sa compagne. Les violences physiques à l’encontre des femmes ne sont pas pour autant inexistantes.

 

Maîtresse absolue du foyer

 

« Chez les Maures, en l’absence de l’épouse, qui visitait régulièrement ses parents, la tente était abattue ou inoccupée, le mari se réfugiait dans une tente voisine ou sous un arbre. Il eût été honteux, ridicule, à vrai dire impensable qu’il occupe l’espace féminin hors de cette présence tutélaire », explique l’ethnologue Pierre Bonte.

 

Le prestige du divorce

 

Touchant près de 40% des femmes (deux fois plus de Maures que de Négro-Africaines) le divorce est un sujet très sensible. « La tradition, c’est que plus tu as eu de maris, plus tu es respectable. Pas comme au Maroc, où c’est perçu comme une tare sociale, ou au Mali, où il est difficile pour une divorcée de trouver un emploi », explique Mahjouba Mint salek, syndicaliste et vétérane du combat pour l’égalité. Contrairement à certaines idées reçues, la fréquence des divorces n’est ni la conséquence prévisible d’une inversion des rôles sociaux “naturels“ ni un indice de permissivité d’une société. Les divorces sont également nombreux dans la société targuie. En fait, il s’agit là d’une des constantes des sociétés matriarcales. “La stabilité du mariage et la fréquence des divorces qui lui est corrélative sont assujetties aux conditions d’affiliation des individus aux groupes et aux modes de constitution de ces derniers : les divorces sont ainsi plus nombreux dans les sociétés matrilinéaires que dans les autres sociétés“.

 

Quatre enfants de trois pères différents

 

« J’ai été mariée trois fois. Les nouvelles épouses de mes ex-maris sont gentilles avec moi et mes enfants ; c’est comme un grand clan où tout le monde me respecte. Auparavant, la jalousie était terrible, car le foyer était le seul faire-valoir des femmes. Maintenant, elles commencent à avoir d’autres sources d’épanouissement. J’ai quatre enfants de trois pères différents – trop peu, au goût de mes parents. »

 

 

Les charmes de la femme, danger pour l’ordre social patriarcal

 

 

 

 

Cette tradition tient à un mélange de réminiscences de l’ancien matriarcat berbère et d’héritage de la dynastie berbère des Almoravides, où la femme était la maîtresse du foyer. Comme dans le reste du monde arabe, la femme, par ses charmes, est toutefois source de danger pour l’ordre social patriarcal, mais plutôt que de la voiler et de la cloîtrer, la société maure conjure ce danger « en assignant à la femme le statut d’objet inaccessible et parfait », socle d’une culture du désir masculin inassouvi plutôt que de domination

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Survivances et vestiges de l’ancien matriarcat berbère

 

Les différences dans les statuts des femmes mauritaniennes ont leur origine dans l’importance des survivances du matriarcat dans les différents environnements humains. Fruit d’un double héritage socioculturel, la société maure s’est bâtie, au long des siècles, en une synthèse civilisationnelle intégrant les apports berbères et arabes autour de la dynamique islamique. Si la société maure est patriarcale, elle se caractérise par des survivances relativement fortes du matriarcat, un des traits distinctifs des sociétés berbères.

 

Matriarcat privé, islam publique

 

La société arabo-berbère, plus que toutes les autres sociétés mauritaniennes, est caractérisée par la dualité qui préside à son organisation sociale et à son fonctionnement. La coexistence entre un système matriarcal (même à l’état de vestiges) et un système patriarcal à prétention hégémonique est une source potentielle de conflits infinis et multiformes qui traversent les relations entre les hommes et les femmes, et investissent leur quotidien.

 

« Il y a une superposition de deux systèmes. Traditionnellement, dans l’espace nomade, les femmes sont très présentes sur le plan individuel et familial. Mais, au niveau de l’espace public, cela reste une société patriarcale liée à l’islam ; ainsi, les assemblées communautaires dans les mosquées ne comprennent pas de femmes. Elles sont présentes dans tous les secteurs de la production, comme le commerce, la pêche ou l’industrie, mais pas dans les cercles de décision. Les nouveaux quotas vont sans doute leur donner le goût de se battre pour plus d’espace public », espère Hindou Bint Ainina, rédactrice en chef du Calame, un journal indépendant.

 

Quotas, scolarisation, et excision

 

La Constitution de 2005 réserve aux femmes un quota minimal de 20% dans les différentes assemblées et, depuis février 2007, elles bénéficient aussi d’un quota minimal de 20% dans l’administration. Lors des élections de 2006 et 2007, pour la première fois libres et démocratiques, elles ont remporté 30% des sièges locaux et 21% des sièges législatifs. La Mauritanie se distingue aussi par un taux record de scolarisation des filles : autour de 70% à l’école primaire. Le taux des filles dans l’enseignement secondaire est aussi en augmentation, mais reste freiné par les mariages précoces et le manque d’accessibilité des collèges en zone rurale. A l’inverse de l’éducation, les indicateurs de santé sont alarmants. La mortalité maternelle reste très élevée. Interdite, l’excision subsiste clandestinement, touchant quelque 70 % des Mauritaniennes.

L’autre Mauritanie : arabe, islamique et patriarcale

Supériorité “naturelle“ de l’homme et infériorité de la femme

 

 

 

L’ordre social est avant tout celui de la hiérarchie qui établit la supériorité “naturelle“ de l’homme sur la femme. Ce principe premier est la pièce centrale du socle idéologique du système patriarcal. La légitimation que lui apportent les normes juridiques (fondées sur la religion et les coutumes) et les pratiques sociales ont assuré sa pérennité. Au fil des siècles, une interprétation de plus en plus conservatrice de la loi islamique a accru la “minorisation“ et la marginalisation de la femme, et même l’a pratiquement exclue de la sphère publique. Inférieure à l’homme, la femme a un devoir (obligation) de soumission à son égard. Si ce principe est tempéré par les vestiges d’un matriarcat ancien, en milieu arabo-berbère, sa rigueur ne s’en applique pas moins, juridiquement, à l’ensemble de la société.

 

Le gavage des fiancées arabes

 

A la tombée du jour, quand le sable du stade de Nouachkott tiédit, les baskets de courageuses dodues dépassent des melhfas. « J’ai des problèmes de diabète et d’hypertension, je veux maigrir, même si mon mari n’est pas ravi », m’explique, le souffle encore court de son exercice, Yahfada, employée de banque. Au sein de l’élite urbanisée, les régimes ont fait leur apparition, au rebours de l’idée qu’il faut être bien potelée pour porter noblement son melahfa. La lutte pour survivre à la rudesse du désert avait en effet conduit à l’adulation de l’obésité et au gavage des fillettes.

 

Toutou, 10 ans, 80 kilos vaut plus de 50 chameaux

 

Odette du Puigaudeau, aventurière du désert venue se perdre en 1933 sur ces terres alors interdites, raconte, horrifiée, comment, alors qu’elle était l’hôte de la tribu de l’émir Ould-Deïd, elle fut « éveillée en pleine nuit par l’ordre répété : Charbi ! (tu bois !), entrecoupé de pleurs et supplications d’une enfant, un homme agenouillé à ses pieds lui serrant les orteils entre deux bâtons à chameaux ». Avec son « torse bourrelé de graisse », la peau distendue « fendillée de minces gerçures roses », Toutou, de la taille d’une enfant de 10 ans, pesait bien 80 kilos. Grâce à ce supplice par lequel « les fillettes paient la gloire d’être des animaux de luxe, Toutou valait plus de 50 chameaux », qu’offrirait pour l’épouser « quelque vieux chef riche ».

 

Pour domestiquer l’épouse par les vieux maris

 

 

Cette accumulation de kilos réduisait la femme à l’inactivité, de quoi faire la fierté des maris capables d’y suppléer par une domesticité nombreuse. Sur le plan sexuel, cette passivité s’inscrivait aussi dans le code culturel voulant que la femme n’affiche que dédain et désinvolture par rapport à son mari. A l’origine signe extérieur de richesse des familles aisées, le gavage est peu à peu aussi devenu un calcul économique, mieux valant marier les filles inactives au plus vite. Pour contrer les chants d’amour traditionnels magnifiant les rondeurs, le ministère de la Santé a même commandité des chansons romantiques célébrant la minceur et ostracisant l’obésité. Heureusement en régression, le gavage touche aujourd’hui moins d’une Mauritanienne de moins de 19 ans sur dix, contre un tiers de celle de 40 ans et plus. Selon la journaliste Hindou Bint Ainina, « même dans les campagnes, le gavage n’est plus imposé. Si c’est toujours pratiqué, c’est un choix. »

La polygamie, symbole de virilité et de richesse

 

Chez les Négro-Mauritaniens en revanche, la polygamie, symbole de virilité et de richesse, reste très répandue. A défaut de l’interdire, le nouveau Code de la famille la décourage, la conditionnant à l’acceptation de la première épouse. Chez les Maures, la monogamie règne de fait, comme une exigence des femmes en dépit de la tolérance de l’islam à son égard.

 

Source: matricien.org

 

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