Dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990, le pouvoir ethnico-génocidaire mauritanien fait pendre, de sang-froid, 28 soldats noirs mauritaniens, pour fêter le trentième anniversaire du pays ! Ils ont été pendus pour célébrer l’arabité de la Mauritanie. Ils  ont été pendus parce qu’ils étaient noirs et non arabes.

Ils ont été pendus par « leurs frères d’armes » dans le cadre d’un plan de dénégrification de la Mauritanie.

A l’occasion du 29ème anniversaire de ces massacres génocidaires commis par le système beydane et par devoir de mémoire, Flam-mauritanie.org publie un dossier spécial pour rendre hommage à nos Martyrs d’Inal

NON A L’OUBLI

NON A L’IMPUNITE


Pour vous martyrs de cette horrible nuit du 27 au 28 novembre 1990, des témoignages de militants.

Des mots pour le dire. Je ne trouve pas. Des mots pour demander à ces tueurs pourquoi? Ce que je sais : Seul l’Architecte de la Vie peut décider l’heure de la mort d’un être Humain. Ils vous ont tués au nom de quoi? Cette nuit du 27 au 28 novembre 1990 sous votre ciel, vos frères noirs ont accepté les ordres du tueur Taya. Jusqu’à la Fin des Temps la date du 28 novembre 1990 sera gravée dans nos cœurs attristés. Non à l’oubli. M.H.

Le 28 novembre 1990 représente pour moi bien des déchirures internes.

Celle du militaire que j’étais d’abord, de voir l’éthique, l’honneur de mon noble corps de métier, foulés au sol par l’assassinat froid et lâche d’hommes désarmés.

Traitement indigne, même s’il devait être réservé à des ennemis, à fortiori lorsqu’il l’a été pour des camarades d’armes.

Celle du citoyen que je suis, qui voit tristement ce qu’un système, à travers la symbolique du 28 novembre, a pu, par ses dérives, cyniquement faire de la nation arc-en-ciel que je crois être la vocation naturelle de mon pays.

Et enfin celle de l’homme, détenu à Jreida, à la même période, pour les mêmes raisons, qui mesure ce à quoi il a miraculeusement échappé; et qui essaie de mesurer le pouls battant de ses camarades d’armes, tragiquement installés face à une mort inévitable, parce que diaboliquement programmée !

La tragédie du 28 novembre 1990 symbolise pour moi tout cela.

Abdoul Aziz Soumaré

Au-delà de son symbolisme, la date du 28 novembre1990 à Inal est une illustration éloquente du racisme d’Etat érige en système de gouvernement depuis un certain 28 Novembre 1960. Comme on dit en Pulaar « So gite colaa ma mbadhaa ma e mbedhu, ko ndaaree danyaa ma«  En d’autre termes la balle est dans le camp des victimes. Pour paragrapher feu Murtudo « Ndimaagu rokketaake, sakketaake, muddetaake ko ko tettetee. «  Qu’on arrête de pleurnicher et en même temps tendre la main à ce régime bouffon du Général putschiste qui est l’incarnation de ce système inique raciste et esclavagiste responsable de tous nos malheurs. Qu’on se tienne pour le dit, Allah Subhaanahou Wa Ta’ala ne descendra point des anges du ciel pour venir combattre à notre place. Dans la sourate Ar-Rad verset 11, le Maitre des Cieux et de la Terre. A dit entre autres: « En vérité, Allah ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes.

Aux victimes. Osons nous regarder en face pour faire un bilan sans complaisance de ces décennies de combat. Notre destin est un et indivisible. Ensemble nous relèverons le défi ou ensemble nous tomberons. Le Doyen Feu Murtudo qui avait tout donné à ce combat a quitte ce bas monde comme tous ces martyrs que nous pleurons. Nous aussi nous quitterons ce bas monde, c’est une question de jours, de mois. Pendant que nous y sommes, osons. Osons mettre en place un front politique à l’image de l’OLP pour regrouper toutes les organisations politiques ou se réclamant en tant que telles dont l’objectif est de prendre le pouvoir par les voies légales afin d’instaurer une autre Mauritanie. Un autre front est nécessaire pour regrouper toutes les organisations de défense des droits de l’Homme pour hâter la traduction devant le TPI de tous les criminels au premier rang desquels le trio Taya/Cimper/Ely.

En cet anniversaire de la pendaison à Inal des 28 militaires negro-mauritaniens, je m’incline devant leur mémoire et prie de toutes mes forces pour le repos de leurs âmes.

A Dieu nous appartenons, et à Lui nous retournerons.

Moctar Ba dit Cherif, Cincinnati, Ohio

Le 28 novembre 1990, représente la volonté politique d’éradication de la communauté africaine noire et la consécration par le sang de l’Etat raciste, esclavagiste et tribal. Le 28 novembre a donné un coup d’arrêt à l’espoir de la construction d’un Etat unitaire tel qu’il avait été envisage au moment des indépendances. Il n’y a plus d’illusions, après ces massacres, de continuer à entretenir l’espoir d’une société mauritanienne où les africains noirs de Mauritanie auraient leur statut de citoyens.

Jamais, il ne serait venu à l’idée de personne que la barbarie politique était à ce point installée chez nos dirigeants. Cette nuit, la haine raciale faite système a franchi la barrière. Le symbole que représente l’armée, la nation, a été piétiné. Par ce geste, les autorités de l’Etat ont signé la remise en cause de la confiance de toute une composante humaine, quant à son appartenance à l’entité mauritanienne sur le plan même humain.

Le 28 novembre est une blessure qui ne se refermera jamais. Ce fut la nuit de l’horreur, du calvaire et de l’ivresse dans le déni de l’humanité de toute une composante. Les décideurs et les acteurs de ce crime ont signé à jamais le reniement de leur propre humanité. En Mauritanie, règne encore un régime politique sanguinaire et barbare. Le pays est toujours sous la tutelle des criminels et de leurs partisans fous furieux. Le 28 novembre, c’est la mort d’une certaine idée de la Mauritanie, celle de la mort, des larmes, des souffrances de la communauté africaine noire, blessée et humiliée. Les auteurs et responsables de ces actes payeront toute leur vie, ce crime contre l’humanité.

Une seule réponse à apporter, celle de la justice. Il faut que justice soit faite par les règles du droit. Il n’a aucune alternative à la justice. Nous n’adhérons pas à cette Mauritanie de la haine, du racisme, de l’esclavage, de l’injustice et de l’inhumanité.

Hamdou Rabby Sy

Le 28 novembre 1990 est devenu une date tristement célèbre dans la mémoire collective des négro-mauritaniens, c’est une date symbolique dans le génocide contre les noirs. L’histoire retiendra que dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990, vingt-huit 28 soldats noirs ont été pendus à INAL pour fêter l’indépendance de la Mauritanie. Vingt-huit soldats négro-Mauritaniens ayant tous servi dignement leur pays en défendant son intégrité (la guerre du Sahara) au moment où le jeune Etat était encore à ses balbutiements sont numérotés comme du bétail et pendus. Difficile de ne pas comparer cette barbarie du système beydan aux crimes qui ont été commis par les nazis dans les camps d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, de Treblinka, Maidanek, Sobibor… où les juifs étaient identifiés par des numéros. Au-delà de la violente haine contre le noir, on note la volonté de le réduire à l’état animal au point de lui retirer son identité et la remplacer par un simple numéro, une manière de dire au noir « tu ne viens de nulle part », le geste est plein de sens. En ce 28 Novembre 1990 la répression contre les noirs atteint son paroxysme et ce fut l’irréparable, un coup fatal au » semblant d’unité nationale ».

La date du 28 novembre ne peut plus être ce qu’elle a été, c’est un symbole d’indépendance pour une communauté, la communauté arabo-berbère à qui l’Etat raciste assure une protection totale et garantit tous les droits, pour cette communauté toutes les conditions sont réunies pour se sentir » citoyen à part entière », il suffit de voir la télé, avec des. Arabo-berbères qui passent et repassent, et les invités civils et militaires au palais, tous de la même communauté. Pour le négro-Mauritanien « citoyen entièrement à part », qui n’a aucun droit, qui se bat encore pour la reconnaissance de son identité, le 28 Novembre ne peut inspirer aucun sentiment de fierté. Pour le noir qui se réclame véritablement de la communauté négro-mauritanienne, la célébration de l’indépendance se passe dans l’indifférence totale.

28 novembre 1990 qui est en réalité la suite des répressions de 1986, 1987 et 1989 est devenu à jamais une date souillée. C’est aussi un sentiment de révolte. Plus de deux décennies après ces massacres, les génocidaires et leurs complices sont au sommet de l’Etat, et continuent de planifier la destruction totale du noir alors que des veuves, des orphelins et des rescapés attendent toujours le règlement de leurs problèmes (jugement et indemnisations) sans cesse renvoyés aux calendes grecs.

Il est impossible de parler du 28 Novembre sans dresser le bilan catastrophique de la situation des négro-mauritaniens:
-un Etat presque entièrement beydanisé;
-les noirs exclus des centres de décisions et leurs langues reléguées au second plan ;
-les noirs purgés de l’armée et des forces de sécurité;
-les noirs réduits à la pauvreté et leurs terres spoliées.

Dans ces conditions où l’Etat Mauritanien continue de mépriser les victimes, le nombre d’années ne fera pas oublier les atrocités subies par les noirs, au contraire l’attitude irresponsable des différents régimes ne fera que cristalliser les mécontents. Sans justice pas d’unité nationale, les bourreaux doivent payer.

Finalement, le 28 novembre se fait dans la joie pour les uns et dans la douleur pour les autres.
Je ne saurais finir sans rappeler cette affirmation de T. TCHIVELA « les imprécations s’accomplissent, vivants sont les morts couchés sous la terre. Les victimes d’hier prennent en représailles le sang de leurs assassins.

Khar Tenguella BA

La nuit du 28 novembre 1990, je faisais une partie de jeu de carte avec des amis à Nouakchott, bien loin de me douter que le bégaiement du contrat républicain, pourtant déjà en œuvre des années plus tôt, atteignait son summum dans la réalisation de l’horreur. De nobles soldats de la République, choisis par une terrible combinaison arithmétique, venaient d’être sacrifiés à l’autel d’une ignominieuse idée que les tenants d’un système raciste se faisaient de la Mauritanie. Et comble de rupture de valeur, ce sont leurs propres camarades de troupe qui ont eu la charge de pointer sur eux des armes censées les protéger en tant que citoyens. C’est donc doublement que la Nation, telle que je me la représente, fut trahie par ses propres fils.

Le 28 novembre 1990 représente encore pour moi cette double rupture de valeur, et cette double trahison.

Bocar Oumar Ba

Le 28 novembre 1960 la Mauritanie accédait à l’indépendance. Malgré les tensions qui ont été au cœur des relations inter communautaires, les Mauritaniens ont toujours accueilli la date avec les yeux embués de larmes de joie: c’était l’occasion en effet de communier.

Mais voilà que le 28 novembre 1990 dans une caserne officielle de l’armée mauritanienne et sous la conduite de militaires mauritaniens, des soldats furent désignés par tirage au sort pour fêter l’événement d’une lugubre manière: la pendaison de 28 soldats noirs. Depuis, une chose n’a pas changé: chaque 28 novembre les larmes envahissent les yeux des mauritaniens; mais plus pour les mêmes raisons: chez les uns c’est toujours le bonheur de s’être libéré du joug colonial; c’est d’autres c’est la douleur de revivre le souvenir de la mort cruelle et stupide des leurs; d’autres enfin pleurent d’un œil les victimes expiatoires et de l’autre le départ du colon. Il ne viendrait à aucun esprit normalement constitué de s’imaginer un seul instant qu’il est possible de construire une Nation sur un aussi grand crime surtout quand certains cherchent encore à le couvrir du voile de l’impunité.

Le principal défi que les Mauritaniens (au-delà des clivages) auront donc à relever, ce sera celui de la justice et de la fin de l’impunité. C’est le fondement le plus sûr de la Nation à construire.

Abdoulaye DIAGANA


La nuit du 28 novembre 1990, un jalon du génocide par Ciré BA et Boubacar DIAGANA

Ce qui s’est passé en Mauritanie entre 1989 et 1992 présente toutes les caractéristiques d’un génocide au sens retenu par les Nations Unies en 1948 dont une des conventions reconnait comme tel tout acte « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Abstraction faite du débat que peut soulever l’usage des concepts renvoyant au nombre de victimes, à l’ethnie, à la race, voire à la religion notamment chez certains scientifiques puristes, cette définition lève toute ambiguïté sur le caractère des massacres commis lors de la période référencée…….

Pourquoi alors s’obstine-t-on à utiliser d’autres qualificatifs ?

D’abord parce que les bourreaux sont encore en activité, dans les premiers cercles du pouvoir. Conscients de leur responsabilité certainement directe dans les forfaits commis, ils font tout pour retarder ou empêcher la manifestation de la vérité.

Ensuite, la majorité des partis politiques ont préféré laisser les ONG sous-traiter la question, désertant ainsi cet épineux terrain rendu glissant par sa connexion avec la question nationale. Le débit des autres partis est faible, presqu’inaudible, en raison d’un réseau saturé par des dissensions des associations des victimes.

Enfin les divisions au sein des associations de victimes elles mêmes, liées peut être aux traumatismes subis, sont un pain béni pour les présumés coupables, pourtant répertoriés, qui n’ont eu aucun mal à surfer sur ces divergences pour essayer de passer la solution de cette question par pertes et profits. Victimes et ayant droit s’accommoderont du discours édulcorant les crimes en « passif humanitaire ». En acceptant ainsi de suivre les autorités dans cette démarche, ils espéraient peut-être donner une chance à ces dernières de cheminer vers une véritable réconciliation, impliquant réparations et pardon.

Mohamed Ould Abdel Aziz aurait été épargné pour accorder une chance supplémentaire à la chance de réconcilier la Mauritanie avec elle-même. Ce fut un coup de poker perdant. La « prière aux morts » qu’il a orchestrée en grande pompe, n’avait d’autres motivations que mystiques. La campagne qui l’a suivie, autour du pardon participait à une démarche de diversion, visant à faire passer les victimes pour des haineux, des rancuniers qui ne pouvaient pardonner. N’entendions-nous pas les chantres de cette campagne répéter à qui voulait l’entendre que « Allah, dans Son infinie bonté, accordait Son pardon à Ses créatures (fautives) qui le Lui demandaient ». Ce qu’ils omettaient de dire, c’est qu’Allah n’a jamais fait de mal à personne. Les victimes des exactions n’ont pas de contentieux avec Allah, mais bien avec des créatures comme elles qui se sont adonnées à des abominations, dont elles doivent répondre ici bas, avant de devoir en rendre compte devant notre Créateur et Ses Anges. Ils semblent être frappés d’amnésie, oubliant que certains de ces crimes ont été commis pendant le mois de Ramadan.

Faute d’avoir pu l’empêcher de se produire, nous n’avons pas le droit de laisser les autorités ajouter au crime la bêtise de le minimiser. En effet, les expressions utilisées pour qualifier ces faits de « passif humanitaire », l’ont été, parfois sous la pression des bourreaux et de leurs amis au pouvoir. Comme si ce qui s’est passé n’était pas suffisamment grave pour mériter d’être qualifié autrement.

Le « passif » (et l’ « actif »), usité en comptabilité ou en grammaire, ne peut ni ne doit en aucun cas être employé pour parler de cette abomination. On est en politique. En politique, comme en tout autre domaine, il est préférable d’utiliser les mots qui conviennent pour désigner les maux causés au risque de tomber dans le négationnisme. Les propos tenus récemment par le Général Meguett en constituent un début de commencement.

Souvenons nous qu’Hitler, tirant la leçon de la non application des résolutions du traité de Sèvres, signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l’empire Ottoman, qui prévoit la mise en jugement des responsables du génocide arménien, aurait lancé en 1939 « Qui se souvient des massacres des Arméniens » à la veille de massacrer les handicapés, l’extermination des Juifs viendra deux ans plus tard.

Rappelons aussi que le général père de la nation Turque, Moustapha Kemal avait pris soin de faire voter une amnistie générale des dits crimes le 31 mars 1929.

En Mauritanie le colonel Maawiya Ould Sid’ Ahmed TAYA a fait voter une loi d’Amnistie de ses crimes, adoptée en 1993 par une Assemblée à ses ordres. La tentation de tracer un trait sur les faits était déjà là.

Le temps ne doit donc pas avoir de prise sur notre détermination et notre volonté à œuvrer pour la reconnaissance de ces crimes en génocide et la traduction pendant qu’il encore temps de leurs commanditaires devant la Cour Pénale Internationale (Extraits de : Mauritanité ! Qu’en dit l’histoire ? Du non règlement de la question nationale à la reconnaissance du génocide, décembre 2011 par Boubacar DIAGANA et Ciré BA).

Les commanditaires et/ou auteurs de ce génocide sont pourtant connus et répertoriés : Maawiya Ould Sid’ Ahmed TAYA et son armée, les idéologues des partis Baath et Nassérien qui ont endoctriné des civils. Tous bénéficient d’une impunité totale. C’est pourquoi, laisser cette armée au pouvoir s’apparente à une non assistance à populations en danger. Elle peut récidiver. Le 28 novembre est célébrée, depuis 1992, comme une journée de deuil par une partie de la Mauritanie.

Ciré BA et Boubacar DIAGANA – Paris


DIALLO Ibrahima Demba et DIALLO Oumar Demba, deux frères pendus dans la nuit du 28 novembre 1990 à Inal
Quand arrive le tour du numéro onze, Diallo Sileye Beye ne peut s’empêcher de pousser un cri. Il reçoit un violent coup de pied pour avoir osé perturber le déroulement de la cérémonie. Ses yeux ne se détachent plus de cet homme à qui on est en train de passer la corde au cou. Cet homme qui n’est autre que son petit frère, le matelot Diallo Abdoul Beye, qui cessera d’exister dans moins de trois minutes et que plus jamais il ne reverra. Abdoul Beye ne proteste même pas, il est hissé au bout de la corde sous le regard ahuri de son frère. Il n’y a pas de mots pour exprimer la douleur de Diallo Silèye Beye. Quand arrive le tour de Diallo Oumar Demba et son frère le soldat Diallo Ibrahima Demba (le hasard a voulu qu’ils soient,tous les deux sélectionnés pour les pendaisons et que leurs numéros se suivent, ils ont toujours tenu à rester ensemble), chacun d’eux, ne voulant pas assister à la mort de l’autre, demande à passer en premier.Un tirage au sort organisé par les bourreaux les départage, Ibrahima Demba l’aîné, passe le premier. Le soldat de première classe, Ndiaye Samba Oumar, le chauffeur qui conduisait le véhicule le jour de mon arrestation, fait partie du lot. Le deuxième classe Samba Demba Coulibaly de Djeol, un soldat de mon escadron, qui porte le numéro 28 ferme cette macabre liste. Les pendaisons durent plus d´une heure. Après cela, tel des bêtes excités par l´odeur du sang, le groupe de bourreaux, pris d´une euphorie collective, s´acharne sur les autres prisonniers et tape sur tout ce qui bouge.

Capitaine Adboulaye LOME, Marine nationale arrêté le 21 novembre 1990il meurt à Inal le 26 novembre 1990 de suite de tortures.

Le vingt-six novembre 1990, le capitaine Lôme refuse de manger à midi, il est étrangement calme depuis ce matin. Ses plaie…s se sont infectées, il souffre beaucoup mais en silence. Nous insistons pour qu’il mange, il n’a pas faim, dit-il. Il est couché sur le côté gauche et nous tourne le dos. Nous lui laissons un peu de pâte de riz pour le cas où il en aurait envie plus tard. Quand nous finissons de manger, il demande de l’eau. Je l’aide à s’asseoir et lui donne à boire à l’aide d’une gamelle en lui soutenant la tête un moment. Puis je repose doucement sa tête mais constate qu’il ne bouge pas, son regard est fixe. Je demande au capitaine médecin de voir ce qui se passe. Il doit être entre 13 et 14 heures. Pas une seule fois on a entendu le capitaine Lôme se plaindre depuis son arrivée dans la cellule. Son visage est détendu et serein, même dans la mort, il conserve une expression d’une grande dignité.

Carrière militaire Le lieutenant de vaisseau (capitaine) Lôme

 

Abdoulaye est né en 1945 à Cas-Cas.

Il s’est engagé dans la marine en 1962.

– 1966, commandant à bord du « Imragen ».

– 1968, commandant à bord du « Slougui ».

– 1975, commandant à bord du « Dare El Barka »

-1976, commandant de la base marine de Dakhla (Sahara occidental). – 1978,

commandant à bord du « Idini ».

– 1979, commandant à bord du « Boulanouar ».

– 1982, commandant à bord du « 10 Juillet ».

– 1983, directeur du centre d’instruction navale de Nouadhibou

. – 1984,directeur de la base navale de Nouakchott.

– 1986, commandant de la base navale de Nouadhibou.

Puis conseiller au directeur de la marine nationale.

– 1987,il est muté au port autonome de Nouakchott.

Septembre 89,  il est commandant à bord du patrouilleur « Nmadi » jusqu’à son arrestation le 19 novembre 1990 et meurt le 26, soit sept jours plus tard.

 


28 novembre 1900, l’honneur perdu de la Mauritanie

« Entre deux pendaisons, Khattra s’assoit sur un cadavre pour siroter son verrre de thé ou au pied d’un pendu en récitant le coran. Il va d’un pendu à l’autre, achevant ceux qui tardent à mourir à coups de barre de fer, s’appliquant à porter les coups dans la région du cou. Pendant ce temps Souleymane et les autres préparent les prochaines victimes tout en veillant à respecter l’ordre des numéros. »


Lieutenant Dahirou Anne, matricule 84129
Marine « nationale »

« L’enseigne du vaisseau de première classe (lieutenant) Anne Dahirou est né en 1964 à Bélinabé (Kaédi) dans le sud de la Mauritanie.
Il s’était engagé dans la marine en 1981.
Il fait sa formation d’officier en Libye et sort major de sa promotion. En 1984, il est affecté à la base marine de Nouadhibou. En 1985, il est troisième officier à bord du bateau du « Dar El Barka ». À partir de juin 1989, il est officier en second du centre d’instruction de la marine de Nouadhibou. Il était officier de permanence le jour de son arrestation, le 19 novembre1990, il est donc le premier responsable marin à être arrêté.
Dahirou ANNE est assassine dans la nuit du 23 au 24 novembre 1990 à Inal après avoir été torturé et attaché au véhicule du commandant de la base.« Pas un de vous ne restera dans l’armée… » lui répétait le capitaine Sidina,


Lieutenant Sall Oumar

« Le lieutenant Sall Oumar demande de l’eau en permanence. Nous refusons dans un premier temps à cause de la fin tragique du capitaine Lôme….. La demande de Sall se fait de plus en plus insistante. Nous acceptons finalement de lui en donner, mais alors très peu. Je lui fais boire un tout petit peu. Il repose sa tête et se met à reciter un verset de Coran, « Ayat el Koursiyou ». Il ne parvient pas à le réciter jusqu’au bout, mentalement, je le termine pour lui. Sa tête devient plus lourde dans mes mains. Tambadou qui est son voisin lui demande si ça va, il ne répond pas. On le secoue mais apparemment il ya plus rien à faire, il est mort exactement comme le capitaine Lôme….. »L’Enfer d’Inal » page 125


Adjudant Chêf Bass Amadou, matricule 70081, pendu selon les humeurs des ordures d’Inal !!

Né en 1957 à Maghama (Kaëdi), marié et père de 4 enfants. Il fut arrêté à la base maritime où il exerçait ses fonctions le 21/11/1990 et fut pendu à Inal dans la nuit macâbre du 27 au 28/11/1990 par Souleymane O/ Eleyatt.

« A Inal, l’adjudant BASS était relié à un autre prisonnier par une chaîne. Souleymane Ould Eleyatt demande à un collègue de détacher le compagnon de Bass pour la corvée de la cuisine. Bass croyant qu’on parlait de lui, demande de quoi il s’agit. Souleymane lui dit de ne plus l’interrompre quand il parle. Bass essaie alors de s’expliquer. Souleymane le traîne vers le hangar, où il le pend purement et simplement. Il est mort à Inal le 24 ou le 25 novembre. » (!!)

Enfer d’Inal-Sy Mahamadou
(page 142)


MAURITANIE: DE L’ACTUALITÉ DE L’APARTHEID

Amadou est un natif du Fouta Tooro. Il est né le 13 Juillet 1964 dans un village situé sur la rive droite du fleuve Sénégal. Ses parents avaient insisté pour qu’il aille à la fois à l’école coranique qu’à l’école héritée de la colonisation. Dans les deux formations, il brillera comme une étoile et fera la fierté de sa famille et de ses formateurs. Partout où il était passé, il avait laissé une très bonne impression. En attestent les correspondances avec un de ses formateurs Algérien, le Colonel Abdou Salam qui lui vouait beaucoup d’estime et d’admiration.

Pour le Colonel, Amadou serait une des raisons de son voyage en Mauritanie. Le 29 Novembre 1990, le corps sans vie du Capitaine Amadou est retrouvé à quelques centaines de mètres du camp militaire où il a servi en qualité d’officier. Marié et père de trois enfants, sa brillante carrière a connu une fin macabre du seul fait de son appartenance ethnique. Ils sont nombreux, les officiers, les sous-officiers et les civils à être brutalement exécutés et ou portés disparus par le régime raciste de Nouakchott qui voulait bâtir une Mauritanie exclusivement Arabe.

Pour atteindre une telle horreur, il leur fallait purger l’administration, la police, la gendarmerie et l’armée nationale. Il leur fallait déporter des centaines es milliers d’authentiques mauritaniens vers le Sénégal et le Mali et tuer des milliers d’innocentes personnes Vingt-sept ans après, les auteurs de ces atrocités continuent de se promener librement et d’être protégés par le régime qui visiblement n’a pas renoncé à ce plan ourdi d’exclusion systématique des noirs.

Hier c’était les tortures et les tueries. Aujourd’hui, ils y ajoutent le génocide biométrique; c’est à dire empêcher les noirs de se recenser et de bénéficier de leur citoyenneté. Les trois orphelins et la veuve du Capitaine Amadou comme d’autres centaines de milliers des négro-mauritaniens sont aujourd’hui considérés comme des étrangers dans leur propre pays.

Abda Wone


Black Memories de Ousmane DIAGANA

« Toute la nuit des soldats passeront pour nous insulter, torturer en nous disant qu’il n’y aurait pas un seul noir qui resterait dans l’armée » Mahamadou Sy, militaire rescapé et auteur de l’enfer d’Inal. Il s’exprime en Français, sous-titrage en anglais.

En tout, 513 militaires noirs ont été exterminés par le régime sanguinaire du Colonel Taya.

Voir Le Document


 

Le criminel Sid’Ahmed OULD BOILIL (photo à diffuser), commandant de la région militaire de Nouadhibou, responsable de près de 300 morts

Le criminel Lebatt Ould Mohamed
  un des principaux bourreaux d’inal.( photo à diffuser).C’est cet homme qui convoyait tous les prisonniers vers la base d’Inal : Colonel Lebatt Ould Mohamed (Lieutenant à l’époque)

Listes des tortionnaires et assassins mauritaniens à INAL

 

Lt colonel Sid’Ahmed   Ould BOILIL

Cdt de la 1ère Région Militaire

INAL,

NOUADHIBOU,

PK55

Capitaine Sidina   Ould CHEIKH   BOUYA

Cdt de base à Inal

INAL

Lieutenant Yezid Ould MOULAYE ELY

SM B2. Nouadhibou

NOUADHIBOU

INAL.

S-Lieutenant Sidi Ould MOHAMED

Chef de peleton

INAL

 S-Lieutenant Mohamed Ould VEREJOU

Chef de peleton

INAL

Sergent-Chef Jemal Ould MOÏLID

de la 1ère Région Militaire

INAL.

Caporal Mohamed Mahmoud

de la 1ère Région Militaire

INAL

2ème Classe Souleymane Ould ELYATT

de la 1ère Région Militaire. Nouadhibou

INAL

2ème Classe Youba DIA

de la 1ère Région Militaire. Nouadhibou

INAL

2ème Classe Mohamed   Salem Ould MOHAMED SALEM

de la 1ère Région Militaire. Nouadhibou

INAL

2ème Classe Kattra Ould SALEK

de la 1ère Région Militaire. Nouadhibou

INAL


28 Novembre 1990 : Humiliés, traînés puis pendus.  
Témoignage d’un rescapé du camp d’Inal : Un vivant parmi les morts

« Ce soir-là, nous avions été surpris par  le numérotage par un feutre de certains de nos camarades de cellules par nos géoliers. Aucune explication de cette nouveauté. Le seul prétexte que nous donnaient les geôliers est le suivant: ceux-là seront transférés ailleurs où?.Personne ne savait.  Mais quelques instants après, nous nous sommes retrouvés devant des scènes horribles. On regardait des hommes mourir comme des bêtes pendues, il ne manquait qu’on les dépèce. On ne lisait aucune consternation de la part des bourreaux. Ceux-là nous obligèrent d’aller enterrer nos miens sous leur surveillance »…. Le marin se tût pour dire que c’est inhumain. Et d’ajouter après un long silence : « J’ai perdu mes qualités et mes moyens lorsque j’ai vu un soldat abattre son frère d’arme en récitant quelques versets du Coran.  Je suis scandalisé toutes les fois que je  repense aux tortures les yeux bandés et les mains ligotées ou les pieds liés comme un mouton. J’avais perdu confiance lorsque j’ai vaincu les scènes où l’on voyait un homme mourir devant nous comme s’il ne s’agissait pas d’une personne ».

 


La nuit du 28 novembre 1990, Un rescapé du camp de la mort d’Inal raconte

Ce fut une nuit longue, terrible et cauchemardesque. Il s’agit-là des mots d’un rescapé. J’insiste pour qu’il me dise plus détails, mais il refuse en me confiant ces mots : « On ne peut pas se rappeler d’un cauchemar… car ça fait toujours peur de voir un homme mourir sous tes yeux. Voir un homme pendu comme un mouton aux yeux exorbitants est une malédiction ».

Absolument, une malédiction gratuite s’était battue sur les 28 officiers noirs ce soir-là. Telle la pendaison de deux frères Diallo Oumar Demba et son frère Diallo Ibrahima qui portaient des numéros successifs écrits par le moyen d’un feutre. Triste mort que celle d’assister placidement à la mort de son frère aîné. Les bourreaux tuaient avec précision, d’ailleurs, ils ne se limitaient pas seulement-là, ils trainaient les pendus et s’asseyaient sur leur cadavre. Ce passage du livre l’Enfer d’Inal est illustrant de cette tragédie humaine : « Entre deux pendaisons, Khattra s’assoit sur un cadavre pour siroter son verre de thé ou au pied d’un pendu en récitant des versets de Coran. Il va d’un pendu à l’autre, achevant ceux qui tardent à mourir à coup de barre de fer, s’appliquant à porter les coups dans la région du coup » (page 121)

Mais en réalité, le nombre des décès a excédé le nombre de 28 officiers . Et cela pour deux raisons qu’ont été rapportées par deux rescapés d’Inal. Sy Mohamadou rapporte qu’à la fin des pendaisons des 28 officiers en guise de célébration de la fête nationale, cinq autres militaires ont succombé à la torture dans leur cellule. Revenons aux écrits du doyen Sy : « Les pendaisons durent plus d’une heure. Après cela, tel des bêtes excitées par l’odeur du sang, le groupe de bourreaux, pris d’une euphorie collective, s’acharne sur les autres prisonniers et tape sur tout ce qui bouge. Conséquences de cette folie collective, cinq morts supplémentaires ». Il s’agissait du soldat de première classe Ly Mamadou Ousmane, de l’Adjudant Diop Bocar Bayal, Sall Oumar , Sall Amadou Elhadj…

Par ailleurs dans un témoignage, l’officier Kane Mansour fait des révélations fracassantes. Selon le rescapé, après avoir été soumi à des scènes de tortures atroces, ses bourreaux l’astreignent d’avouer sa participation à un coup d’Etat fantôme. Il ressort également de ces révélations que d’influents officiers ont été regroupés le 23 novembre 1990 pour être soumis à la torture afin de soutirer des aveux de leur part. Et c’est à la suite de ses traitements dégradants et inhumains que certains parmi eux ont rendu l’âme. On peut citer le Capitaine Lôme, Anne Tahirou ect… Et à l’officier rescapé de poursuivre « le lendemain, les prisonniers ont été surpris de voir la présence d’une voiture du type de Landover dans l’enceinte du camp. Et des hommes descendirent avec des cordes blanches. Ce sont ces cordes qui seront suspendus sur les coups des 28 officiers ». Selon Kane Mansour, ce fût une nuit cauchemardesque. Nous précisons que Naji Ould Bilal était le responsable de la cellule dans laquelle se trouvaient les officiers noirs pendus.

Ils voyaient leurs compagnons et camarades de cellules mourir jour après jour sous les coups de la torture instigués depuis le palais ocre de Nouakchott. En plus de la violence physique incessante, les bourreaux ajoutaient des pressions psychologiques afin de déshumaniser davantage leurs victimes. Le 10 décembre, les prisonniers, à qui on a épargné, la pendaison et les supplices de l’écartèlement par deux pickups , et les scènes de tortures nocturnes, ont été surpris par la visite du tortionnaire Ould Boleil pour leur signifier que : « Ils n’ont subi que ce qu’ils méritent, mourir comme des chiens ».

Ce sanguinaire parlait des ces braves hommes … Nous vous proposons la liste complète des noms 28 officiers pendus et une partie des autres militaires tués dans ce génocide (liste à suivre)

1 – l’Adjudant-chef Abdoulaye DJIGO
2 – 1ére classe Samba Baba NDIAYE
3 – 1ére classe Samba Oumar NDIAYE
4 – 1ére classe Ibrahima DIALLO
5 – 1ere classe Mamadou Hamadi SY
6 – Sergent Mbodj Abdel Kader SY
7 – 2éme classe Samba Demba Coulibaly
8 – 2éme classe Demba DIALLO
9 – 1ére classe Amadou Saïdou THIAM
10 – 1ére classe Mamadou Oumar SY
11 – 1ére classe Abdarahmane DIALLO
12 – 1ére classe Mamadou Ousmane LY
13 – Caporal Mamadou Demba SY
14 – Soldat Alassane Yéro SARR
15 – Caporal Amadou Mamadou BAH
16 – Sergent-chef Lam Toro CAMARA
17 – Sergent chef Souleymane Moussa BAH
18 – 2éme classe Oumar Kalidou BAH
19 – Sergent Amadou Mamadou THIAM
20 – Sergent Samba SALL
21 – 2éme classe Abdoulaye Boye DIALLO
22 – 1ére classe Cheikh Tidiane DIA
23 – 2éme classe Samba Bocar SOUMARE
24 – 1ére classe Moussa NGA??DE
25 – 1ére classe Ciradio LÔ
26 – 1ére classe Demba Oumar SY
27 – Sergent Adama Yero LY
28 – Caporal Djibril Samba BAH

Témoignage sur des camps d’extermination de Mauritaniens noirs.  

L’ENFER D’INAL. « MAURITANIE, L’HORREUR DES CAMPS », 

Mahamadou SY  


28 novembre : Inal, la face sanglante de l’indépendance mauritanienne

 

Difficile d’évoquer les festivités qui s’annoncent pour le 28 novembre 2014, jour de l’accession au pouvoir de la Mauritanie. Ce jour rappelle à toute une communauté du pays un moment de son histoire, où le système d’état à sa tête a tenté, littéralement d’oblitérer les forces vives, militaires et intellectuelles noires mauritaniennes. Le 28 novembre 1990, 28 militaires, marins et policiers, tous noirs et pulaars, sont pendus à Inal près de Nouadhibou, après d’innommables séances de tortures rapportées par un des rescapés, Mahamadou Sy, dans son témoignage biographique, « L’enfer d’Inal ».

Il y a un an et demi, j’étais invité au Lycée français Théodore Monod à présenter mon dernier recueil de poèmes, «Les musulmans d’Inal» à des élèves de Première L. Devant l’assistance, sera lue le poème éponyme, lecture suivie d’une mise en perspective de ces éléments. Quel choc terrible et inoubliable, de la bouche d’un gamin de 17 ans, à la fin de la présentation :

«S’ils ont été pendus c’est qu’ils le méritaient» juge-t-il laconique et visiblement énervé.

Cet enfant n’était pas né au moment de cet événement intervenu le 28 novembre 1990, un an et demi après le début des «évènements». Mais j’entendais plutôt son père, et son discours qui reflétait le déni d’une élite du système politico-tribalo-financier en place depuis l’avènement des militaires, qui le lui a inculqué dans la tête. Et le refus de mémoire, donc le refus de cautériser une plaie, parmi d’autres qui tâche le contrat social entre concitoyens, qui pose la question de la cohabitation, qui n’est qu’une question au final politisée par une minorité d’un système.

«En quoi le méritaient-ils?» demandai-je, essayant de le pousser dans ses retranchements. Autour de lui ses camarades le regardaient ahuris. Dans l’assistance d’une vingtaine d’élèves, seule une avait entendu parler des pendus d’Inal. «Un ami de mon père y a été pendu» explique-t-elle simplement.

«Ils ont voulu faire un coup d’état !» s’enhardit le jeune homme. «Mon père est colonel ; il me l’a dit» continue-t-il. «Et puis les sénégalais nous faisaient la guerre» ajoute-t-il, comme pour paraître informé devant ses camarades qui le regardaient avec gêne.

«Laissez-le monsieur, il dit n’importe quoi» soupire une de ses camarades.

Mais c’était révélateur d’un malaise social : comment admettre, honnêtement, justement, sans aucun parti pris, que l’horreur a déferlé sur les consciences lors de cet événement. Que tout ce qui s’est passé à Inal durant cette période, était la même forme de manifestation haineuse que ce qu’on a vu quatre ans seulement après au Rwanda, dans des proportions beaucoup plus atroces : la déshumanisation d’un groupe ethnique, social ou culturel, sur la base d’une «infériorité» supposée, pour mieux la liquider. Des «cafards» au Rwanda, des «juifs» à Inal, comme en témoigne Mahamdou Sy dans «L’enfer d’Inal».

«Ue civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. (…) … Que déférée à la barre de la conscience, comme à la barre de la raison, cette Europe-là est impuissante à se justifier ; et que de plus en plus elle se réfugie dans une hypocrisie d’autant plus odieuse qu’elle a de moins en moins de chance de tromper. L’Europe est INDEFENDABLE» commence Aimé Césaire dans «Discours sur le colonialisme». Remplacez «Civilisation» et «Europe» par «système d’état mauritanien» ou «groupe politique criminel» et vous pouvez transvaser ces propos en Mauritanie par rapport à cette question de 1989, qui n’était en réalité, et il faut le dire de temps à autres, par honnêteté historique et intellectuelle, qu’une tentative avortée d’épuration ethnique.

Il n’y a pas d’argumentaire à cela, de propos justificatifs. Il y a cette froide et horrible réalité. Il faut l’accepter, en faire la catharsis et avancer, pour le salut du pays entier. Mais la politique de l’autruche, le déni, le mensonge ne sont pas possibles. Comment faire un deuil sans corps ? Comment pardonner sans accusés ? Comment pardonner sans dire la faute ? Une chimère religieuse, morale, sociale et intellectuelle : ça ne passe pas dans le monde réel que l’on vit. Comment justifier cela ? Il n’y a pas de justification, sinon une haine terrible, qui a donné la démence de faire, ce que peu d’êtres humains doués de conscience pourraient faire, chapelets à la main, ablutions apprêtées…

C’est le même hébétement qui touche Mahamadou Sy rescapé de cet «enfer d’Inal», au moment même où il assiste à des pendaisons :

«Entre deux pendaisons, Khattra s’assoit sur un cadavre pour siroter son verrre de thé ou au pied d’un pendu en récitant le coran. Il va d’un pendu à l’autre, achevant ceux qui tardent à mourir à coups de barre de fer, s’appliquant à porter les coups dans la région du cou. Pendant ce temps Souleymane et les autres préparent les prochaines victimes tout en veillant à respecter l’ordre des numéros.

Quand arrive le tour du numéro onze, Diallo Sileye Beye ne peut s’empêcher de pousser un cri. Il recoit un violent coup de pied pour avoir osé perturber le déroulement de la cérémonie. Ses yeux ne se détachent plus de cet homme à qui on est en train de passer la corde au cou. Cet homme qui n’est autre que son petit frère, le matelot Diallo Abdoul Beye, qui cessera d’exister dans moins de trois minutes et que plus jamais il ne reverra. Abdoul Beye ne proteste même pas, il est hissé au bout de la corde sous le regard ahuri de son frère. Il n’y a pas de mots pour exprimer la douleur de Diallo Silèye Beye. Quand arrive le tour de Diallo Oumar Demba et son frère le soldat Diallo Ibrahima Demba (le hasard a voulu qu’ils soient,tous les deux séléctionnés pour les pendaisons et que leurs numéros se suivent, ils ont toujours tenu à rester ensemble), chacun d’eux, ne voulant pas assister à la mort de l’autre, demande à passer en premier.

Un tirage au sort organisé par les bourreaux les départage, Ibrahima Demba l’ainé, passe le premier. Le soldat de première classe, Ndiaye Samba Oumar, le chauffeur qui conduisait le véhicule le jour de mon arrstation, fait partie du lot. Le deuxième classe Samba Demba Coulibaly de Djeol, un soldat de mon escadron, qui porte le numéro 28 ferme cette macabre liste. Les pendaisons durent plus d´une heure. Après cela, tel des bêtes excités par l´odeur du sang, le groupe de bourreaux, pris d´une euphorie collective, s´acharne sur les autres prisonniers et tape sur tout ce qui bouge.

Conséquences de cette folie collective, cinq morts supplémentaires. Parmi eux, le soldat de première classe Ly Mamadou Ousmane, le seul spécialiste de l´arme antiaérienne de calibre 14,5mm de toute la région militaire.(…) La démence a été poussée jusqu´à symboliser la date du trentième anniversaire du pays par 28 pendaisons. Vingt -huit vies humaines sacrifiées sur l´autel de la bêtise humaine. Plus jamais 28 novembre n´aura la même signification pour les Mauritaniens. Quand certains sortiront dans les rues des villes ou dans les campagnes brandissant fièrement les couleurs nationales sous les youyous des mauritaniens, pour d´autres, ce sera un jour de deuil et de recueillement à la mémoire de ces 28 militaires pendus.»

Cet événement doit être rappelé à tous les mauritaniens, pour leur montrer que malgré cette horreur, les choses peuvent être dépassées mais pas, jamais, sans justice. Quelle justice sans vérité ? Quel pardon sans identification de la faute et des tenants de celle-ci ? Ni en droit humain, ni dans le Saint Coran. Le refus d’une telle justice, donc d’une telle réconciliation des cœurs, l’un n’allant pas sans l’autre, a été légalisé par la loi de 1993.

La loi d’amnistie de 1993 empêche les familles des victimes de voir leurs plaintes recevables par la justice mauritanienne.

La loi «scélérate» de 1993

La loi «N° 93-23 du 14 juin 1993 portant amnistie» dont l’article 1er disposait qu’une «amnistie pleine et entière est accordée aux membres des forces armées et de sécurité auteurs des infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992 et relatives aux événements qui se sont déroulés au sein de ces forces et ayant engendré des actions armées et des actes de violence».

Pourtant cette loi est reconnue par les avocats qu’elle n’est pas valable. «Elle repose sur une conception erronée de la notion même d’amnistie et viole des normes impératives du droit international auxquelles il ne peut être dérogé. Elle ne peut, donc, faire obstacle à la recevabilité de plaintes, l’investigation des faits, la poursuite, l’arrestation et la punition des auteurs de ces violations» explique l’avocat Omar Ould Dedde Ould Hamady.

Le président du collectif des victimes de la répression (COVIRE), Mamadou Kane, victime lui-même de la répression d’état de 1992, va au-delà de cet aspect illégal de cette loi d’amnistie : «On parle d’unité depuis quelques années maintenant dans ce pays. Allez voir ces orphelins et veuves qui sont à dix mètres de nous, qui n’ont jamais pu prier sur le corps de leur parent. Allez leur dire qu’il n’y aura ni vérité, ni justice, ni réparation décente, ni mémoire pour le mal innommable qui leur a été fait. C’est cela que cette loi empêche : déposer des plaintes pour mettre en branle ces quatre points qui constituent la base de la réconciliation dans ce pays».

Le cas symbolique d’El Arby Ould Sidi Aly Ould Jiddeine

L’ex-colonel El Arby Ould Sidi Aly Ould Jiddeine, ancien vice-président de l’assemblée nationale, est symbolique et significatif à plus d’un titre : il est un des rouages essentiels de l’institution qui devrait permettre l’abrogation de cette loi d’amnistie, et dans le même temps, le COVIRE le dénonçait clairement et précisément par rapport aux officiers torturés et abattus, dans une liste de ses victimes parue il y a trois ans. «Il a sur les mains le sang de 89 personnes. 89 Bon Dieu ! Et il se trémousse librement sur son fauteuil à chaque session de l’assemblée nationale !» enrageait l’an passé Aboubacri Sy, représentant du collectif des rescapés militaires, (COREMI), lors d’une marche pour l’abrogation de la loi de 1993.

Article publié pour la première fois le 28 novembre 2014 sur Mozaikrim.com

FÊTE NATIONALE

Il va d’un pendu à l’autre, achevant ceux qui tardent à mourir à coups de barre de fer, s’appliquant à porter les coups dans la région du cou. Pendant ce temps Souleymane et les autres  préparent les prochaines victimes  tout en veillant à respecter l’ordre des numéros.

27 dans l’après- midi, des prisonniers sont choisis dans les hangars et sont marqués d’une croix avec un feutre bleu. Plus tard ils se voient attribuer des numéros allant de un à vingt huit par le caporal Ould Demba. Quelques gradés, dont le capitaine Ould Sidina sont là. L’un des prisonniers, un sous officier de la marine, portant le numéro onze, demande pourquoi on leur a attribué des numéros. »C’est pour vous tranférer ailleurs » lui repond le sergent Jemal Ould Moilid.

Le sergent Diallo Silèye Beye dit à Jemal qu’il prèfère rester avec ses amis les marins, étant lui même un marin. Il est infirmier et a toujours occupé le poste de laborantin de la région, à cet effet, il est très connu dans la région aussi bien dans le milieu militaire que civil. Après une courte hésitation, Jemal dit de le retirer et de mettre quelqu´un à sa place. Un autre soldat est choisi, le deuxième classe Diallo Abdoul Beye, le petit frère du premier.

Les prisonniers numerotés sont mis à l´écart. Ils s´attendent à embarquer dans un camion pour une destination inconnue. Nous sommes à la veille du trentième anniversaire de l´indépendance de notre pays. En temps normal, on devrait être en train de se préparer pour le défilé au flambeau et pour celui de demain matin. De notre côté, nous attendons sans trop y croire, une éventuelle intervention du Président de la République pour au moins  être  fixés sur les raisons officielles de notre présence ici.

La Mauritanie aura trente ans demain, ce n´est pas un événement banal, nous sommes donc en droit d´espérer obtenir une solution favorable de la part de celui-là même qui est le principal responsable de nos malheurs. Alors que de l´autre côté nos tortionnaires nous préparent leur plus sale coup depuis la création de la Mauritanie.

Vers minuit, le groupe des prisonniers numérotés est placé devant le grand hangar. Khattra et d’autres soldats mettent en place des cordes, ils font un noeud avec l’un des bouts et passent l’autre par dessus le rail qui sert de support à la toiture, à l’entrèe du hangar. Les officiers de la base passent, discutent un peu avec Jemal Ould Moilid puis s’en vont.

Ce dernier s’approche du sergent chef Diallo Abdoulaye Demba, le responsable de peleton du port de la Guerra qui porte le numéro un et lui demande s’il désire quelque chose, comme il l’a vu faire dans les anciens films western, Diallo lui demande du tabac, on lui passe une tabatière, il aspire goulûment la fumée comme pour conserver avec lui un dernier souffle d´énergie.

Deux soldats l’encadrent et le trainent vers l’une des cordes. Pendant que Khattra lui passe le noeud de la corde autour du coup,il tourne la tête vers le hangar comme pour solliciter de l’aide, la dernière image de la vie qu´il emportera avec lui sera ces sombres formes allongées ou assises étroitement ficelées et dont les yeux exorbités ne peuvent se détacher de lui. Avec l’aide d’un autre soldat, Khattra le hisse jusqu’à ce que ses pieds ne touchent plus terre.

Ensuite il attache le deuxième bout au rail. D’autres prisonniers suivront. Khattra est particulièrement excité, ils le sont tous d’ailleurs mais lui et Souleymane le sont encore plus. Non seulement ils seront tous pendus mais tout le monde doit regarder jusqu’à la fin, les bourreaux y tiennent . Mais il ne faut surtout pas manifester sa désaprobation. Entre deux pendaisons, Khattra s’assoit sur un cadavre pour siroter son verrre de thé ou au pied d’un pendu en récitant le coran.

Il va d’un pendu à l’autre, achevant ceux qui tardent à mourir à coups de barre de fer, s’appliquant à porter les coups dans la région du cou. Pendant ce temps Souleymane et les autres  préparent les prochaines victimes  tout en veillant à respecter l’ordre des numéros.

Quand arrive le tour du numéro onze, Diallo Sileye Beye ne peut s’empêcher de pousser un cri. Il recoit un violent coup de pied pour avoir osé perturber le déroulement de la cérémonie. Ses yeux ne se détachent plus de cet homme à qui on est en train de passer la corde au cou. Cet homme qui n’est autre que son petit frère, le matelot Diallo Abdoul Beye, qui cessera d’exister dans moins de trois minutes et que plus jamais il ne reverra. Abdoul Beye ne proteste même pas, il est hissé au bout de la corde sous le regard ahuri de son frère.

Il n’ya pas de mots pour exprimer la douleur de Diallo Silèye Beye. Quand arrive le tour de Diallo Oumar Demba et son frère le  soldat Diallo Ibrahima Demba(le hasard a voulu qu’ils soient,tous les deux séléctionnés pour les pendaisons et que leurs numéros se suivent, ils ont toujours tenu à rester ensemble), chacun d’eux, ne voulant pas assister à la mort de l’autre, demande à passer en premier. Un tirage au sort organisé par les bourreaux les départage, Ibrahima Demba l’ainé, passe le premier. Le soldat de première classe, Ndiaye Samba Oumar,le chauffeur qui conduisait le véhicule le jour de mon arrstation, fait partie du lot. Le deuxième classe Samba Demba Coulibaly de Djeol, un soldat de mon escadron, qui porte le numéro 28 ferme cette macabre liste.

Les pendaisons durent plus d´une heure. Après cela, tel des bêtes excités par l´odeur du sang, le groupe de bourreaux, pris d´une euphorie collective, s´acharne sur les  autres prisonniers et tape sur tout ce qui bouge. Conséquences de cette folie collective, cinq morts supplémentaires. Parmi eux, le soldat de première classe Ly Mamadou Ousmane, le seul spécialiste de l´arme antiaérienne de calibre 14,5mm de toute la région militaire.(…)

La démence a été poussée jusqu´à symboliser la date du trentième anniversaire du pays par 28 pendaisons. Vingt -huit vies humaines sacrifiées sur l´autel de la bêtise humaine. Plus jamais 28 novembre n´aura la même signification pour les Mauritaniens. Quand certains sortiront dans les rues des villes ou dans les campagnes brandissant fièrement les couleurs nationales sous les youyous des mauritaniens, pour d´autres, ce sera un jour de deuil et de recueillement à la mémoire de ces 28 militaires pendus.

Mahamadou Sy -L´enfer d´Inal « Mauritanie: L´horreur des camps »

L´Harmattan- septembre 2000.


Capitaine Adboulaye LOME, Marine nationale arrêté le 21 novembre 1990il meurt à Inal le 26 novembre 1990 de suite de tortures.

Le vingt-six novembre 1990, le capitaine Lôme refuse de manger à midi, il est étrangement calme depuis ce matin. Ses plaie…s se sont infectées, il souffre beaucoup mais en silence. Nous insistons pour qu’il mange, il n’a pas faim, dit-il. Il est couché sur le côté gauche et nous tourne le dos. Nous lui laissons un peu de pâte de riz pour le cas où il en aurait envie plus tard. Quand nous finissons de manger, il demande de l’eau. Je l’aide à s’asseoir et lui donne à boire à l’aide d’une gamelle en lui soutenant la tête un moment. Puis je repose doucement sa tête mais constate qu’il ne bouge pas, son regard est fixe. Je demande au capitaine médecin de voir ce qui se passe. Il doit être entre 13 et 14 heures. Pas une seule fois on a entendu le capitaine Lôme se plaindre depuis son arrivée dans la cellule. Son visage est détendu et serein, même dans la mort, il conserve une expression d’une grande dignité.

Carrière militaire Le lieutenant de vaisseau (capitaine) Lôme

 

Abdoulaye est né en 1945 à Cas-Cas.

Il s’est engagé dans la marine en 1962.

– 1966, commandant à bord du « Imragen ».

– 1968, commandant à bord du « Slougui ».

– 1975, commandant à bord du « Dare El Barka »

-1976, commandant de la base marine de Dakhla (Sahara occidental). – 1978,

commandant à bord du « Idini ».

– 1979, commandant à bord du « Boulanouar ».

– 1982, commandant à bord du « 10 Juillet ».

– 1983, directeur du centre d’instruction navale de Nouadhibou

. – 1984,directeur de la base navale de Nouakchott.

– 1986, commandant de la base navale de Nouadhibou.

Puis conseiller au directeur de la marine nationale.

– 1987,il est muté au port autonome de Nouakchott.

Septembre 89,  il est commandant à bord du patrouilleur « Nmadi » jusqu’à son arrestation le 19 novembre 1990 et meurt le 26, soit sept jours plus tard.


28 novembre a Inal : A la recherche des tombes…

Dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990, 30emme anniversaire de l’indépendance de la Mauritanie, à Inal (nord-ouest du pays), 28 militaires negros-mauritaniens ont été pendus. 28 pendus qui font partie de la longue liste des victimes du passif humanitaire.

Comme l’année dernière, sur initiative de l’IRA, des militants des droits de l’homme, des veuves et orphelins on fait le voyage d’Inal à la mémoire des 28 militaires negroafricain qui y ont été pendus dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990.

Le 27/11/2012 un convoi quitte Nouakchott à Destination d’Inal. Arrivée au poste de sortie, le convoie est arrêté par la police. Motif : les véhicules n’ont pas de bon de sortie. 2 heures de négociations. Les esprits commencent à se chauffer.

Les jeunes en colère bloquent la route Nouakchott-Nouadhibou et la police finie par leurs donner l’autorisation de partir. Après plus de 400km de route, nous arrivons enfin à Inal. Une bourgade oubliée au fond du désert mauritanien. C’est dans cette bourgade que 28 militaires negro-mauritaniens (officiers, des adjudants des sergents soldats…) ont été pendus dans la nuit du 27au 28 Novembre 1990. Le lieutenant Sy Mohamedou, écrivain et auteur du livre « l’enfer d’Inal », Dia Ibrahima Demba ancien infirmier militaire font partie des rescapés, miraculés.

Après les discussions et les témoignages, les pèlerins se sont dirigés vers les fosses communes situées non loin du camp. Sur place, nous avons recueilli quelques témoignages.

Dia Ibrahima Demba

« En 1990, j’ai été arrêté a l’Agweira ou j’étais muté comme infirmier. Le jour de mon arrestation ils m’ont demandé de venir soigner des prisonniers venant d’Aleg accompagné de 2 officiers la capitaine DA et le lieutenant M. Arrivé à la prison ils me demandent de me déshabiller sans commentaire…. »

Khardiata N’Diaye : orpheline.

Je m’appelle Khardiata N’diaye. Je suis née en 1989 à Nouadhibou, mon père était militaire. Il a été arrêté à Nouadhibou et pendus à Inal, je ne me rappelle pas de mon père, et ma mère était enceinte de mon petit frère né en 1991, je suis venue me recueillir et retrouver son tombeau. Que la terre lui soit légère. »

Aminata Soumaré

« Je m’appelle Amina Soumaré Abdarahmane. Je suis née en 1989 à Talbé, je suis venue me recueillir et retrouver le tombeau de mon père pendu le 28 novembre 1990. Je ne connais pas. »

Maimouna Soumaré

J’ai eu cette occasion pour venir en pèlerinage retrouver le tombeau de mon mari, Samba Soumaré dit Demba Bocar arreté à Nouadhibou et pendu le 28 Novembre 1990 à Inal. Tous les enfants issus de notre mariage sont décédés. Je ne demande que la vérité sur sa mort, j’ai aussi un cousin du nom de Dioli Ba, lui aussi a été exécuté à Inal. Il a laissé 3 enfants. »

Khadia Abou /Garlol

Je suis venu en pèlerinage pour voir ou mon grand frère, Sall Abdoul Moussa a été enterré. Il était à Boulenoir et il n a jamais eu la chance de se marier il était le seul garçon de notre famille…. »

N’Dey Binta N’diaye née en 1990

« Je n’ai jamais vue mon père, vieux Amadou N’diaye. Il travaillait à l’ASCECNA. Il a été arrête à Nouadhibou, suite à des tortures, il est décédé à l’hôpital de Nouakchott en 1990. Je suis à Inal en pèlerinage pour soutenir mes camarades pour qu’ils retrouvent les tombes de leurs pères. »

Place ou l’avenue des martyrs du 28 novembre 1990

Depuis cette célébration macabre de la fête nationale, le 28 novembre, date de l’indépendance nationale, est considéré « jour de deuil, jour de négation du droit à la vie » par une partie de l’opinion nationale. 20 ans après, au moment où la Mauritanie se prépare à célébrer le cinquantenaire de son accession à l’indépendance (28 novembre 1960/28 novembre 2010), des voix se lèvent pour demander la réparation de la «souillure». ….

A S Diop et Khalilou Diagana
source Cridem


Le général – criminel Ould MEGUETT, un des principaux assassins de soldats noirs mauritaniens à Inal

Il est l’ auteur de l’assassinat de plusieurs soldats, officiers et sous noirs dans le camp militaire qu’il commandait. Selon lui les prisonniers qui sont morts l’ont été suite à « des maladies diarrhéiques ‘ et que « l’histoire de la pendaison à Inal est mensongère.

Mahamadou Sy est définitif. Le colonel Ely Vall etle  général de l’armée actuelle Ould Meguett ont été personnellement impliqués dans la disparition d’au moins un homme – Abdoulaye Tambadou – qui a également été interné à Inal.Dans son livre, Mahamadou Sy explique comment puis capitaine Ely Vall a visité le camp de la mort pour ramasser le prisonnier marquée:

« … La porte s’ouvre. Lieutenant Yazid Ould Moulaye Ely pénètre dans la chambre. Il est suivi par les trois capitaines Sidina, Ely Vall et Meguett. Ils ne posent pas de questions.Ils nous regardent avec mépris. Après une brève discussion, le capitaine Meguett nous dit qu’ils prennent Abdoulaye Tambadou avec eux …  »

Mohamadou Sy plus tard se poursuit:

«Nous [les prisonniers] tout pile en place par la fente de la porte de le voir être emmené. Je vois le capitaine Sidina chargement d’une kalachnikov et en plaçant le fusil par le siège du côté passager. Mon coeur commence à battre plus vite, mais je donne un coup la mauvaise pensée de ma tête. L’ensemble du groupe d’officiers pénètre dans le véhicule. Quelques minutes plus tard, le petit avion vole au-dessus de la base et disparaît ….  »

Le jour était de 6 Décembre 1990. Le corps de Abdoulaye Tambadou et celles de centaines d’autres n’ont jamais été retrouvés.


« Je vois deux soldats rudoyer un officier de la marine, le sous-lieutenant Tambadou Abdoulaye »  

 

Le 23 novembre, vers dix-heures la porte de la prison s’ouvre à nouveau, deux minutes coulent sans que personne n’entre. Mon intuition n’est pas pour me rassurer lorsque, comme un gaillard, le caporal étrangleur s’encadre dans la porte, de son index il me fait signe de venir. Mon cœur se met à battre plus vite, tout d’un coup, les séances d’étranglement me reviennent à l’esprit…Il invite les lieutenants Sall Abdoulaye Moussa et Mansour Kane à quitter eux aussi la cellule.

Dehors nous formons une seule colonne et sous le commandement de notre bourreau, nous nous traînons vers la façade ouest de la base. OULD DEMBA marche en tête, il a dans sa main gauche des bandeaux, donc c’est bien pour être tortures’ qu’on nous a sortis et peut-être même pour nous tuer-…. Quelques mètres plus loin, prêt du dernier hangar, le plus grand de la base, je vois deux soldats rudoyer un officier de la marine, le sous-lieutenant Tambadou Abdoulaye.

[….] J’aperçois sous le hangar les masses sombres des prisonniers. Ils sont ligotes’ et couches’ a même le sol….J’entends la voix familière d’Anne Dahirou avant de le voir; il demande à parler à son cousin…Il a des traces de cordes sur le corps, au niveau de la poitrine, il a été traîne’ derrière une voiture, les cordes utilisées a cet effet laissent des traces. Nore colonne s’arrête, on nous conduit chacun derrière un véhicule, nos vêtements son retires’ à l’exception du slip. Ensuite nous sommes attaches chacun derrière un véhicule.

Le lieutenant Anne Dahirou est attache’ derrière une Land Rover, le véhicule de commandement du capitaine SIDINA OULD TALEB BOUYA, il est à l’autre extrémité sur ma gauche, ensuite viennent respectivement Mohamed Mansour, puis le lieutenant Sall Abdoulaye Moussa attachés eux derrière des Sovamags. Quant a moi, on me destine un camion… Le caporal OULD DEMBA nous met les bandeaux. On m’asperge d’eau sale et puante. Le camion, une Mercedes type 11/13 se met à rouler. J’essaie de suivre en courant mais cela ne peut durer longtemps avec des pieds enchaînes’…» (Sy 93-95)

Sy, Mamadou. L’ENFER d’INAL. Paris: Edition Harmattan, 2000.


De la Guerra à Inal. Extrait du livre « l’enfer d’Inal » de SY Mahamadou

Les deux officiers s’en vont ; on recommence à me taper dessus. J’ai l’impression qu’un ouragan me passe dessus. Les coups s’abattent avec une telle violence qu’il ne m’est même pas nécessaire de feindre des cris de douleur. Quand ils s’arrêtent, tout mon corps n’est qu’une plaie. Le sang colle mes vêtements à ma peau…

« …Ce matin du 10 novembre 90, après avoir effectué le contrôle de mes effectifs, dans tous les pelotons, j’ai eu un entretien avec les pêcheurs. L’ordre du jour portait sur l’horaire du retour de la pêche en mer. Je leur avais fixé les heures de départ et de retour, cinq heures du matin pour le départ et vingt heures pour le retour. Ils doivent tous être de retour à vingt heures de manière à ranger leurs moteurs de pirogues dans un local du port de La Guerra. Ce dernier abritant des militaires avec leur matériel, je dois en limiter l’accès pour des raisons de sécurité. Mais il y a toujours quelques pêcheurs qui, sous un prétexte ou un autre, trouvent le moyen de rentrer beaucoup plus tard.

Cela nous oblige à être en état d’alerte jusqu’au retour des retardataires. Je dois informer mes supérieurs de tout incident grave concernant la population civile de la localité. Et il y a souvent des chavirements de pirogues qui entraînent parfois mort d’hommes par noyade. Les langoustes ont la fâcheuse habitude de s’installer dans des endroits difficilement accessibles et les pêcheurs n’hésitent pas à prendre de très gros risques pour quelques kilos…

Arrestation

A 18 heures, mon chauffeur n’est toujours pas de retour, il devait être là depuis deux heures déjà. Je charge alors le sous-lieutenant Bodde, mon adjoint, de lui dire de me rejoindre à la maison et je prends un taxi. Nous empruntons l’unique route bitumée qui traverse La Guerra. Une sentinelle nous arrête à la sortie de la ville, mais elle me reconnaît, et fait signe au taxi de continuer. Nous dépassons l’ancien poste de contrôle des douanes espagnol et celui de la Mauritanie. Ces constructions n’abritent plus que des chiens errants aujourd’hui.

Nous traversons la voie ferrée et empruntons le tronçon Cansado – Nouadhibou. Sur la droite, se trouve le petit camp de militaires mariés, la Tour bleue. Cet ancien camp doit son nom à la couleur bleue de ses deux tours. C’est ici qu’était basé le commandement régional avant d’emménager à l’actuelle base Wajeha. Les anciens bureaux sont complètement en ruines mais quelques bâtiments en décrépitude, longeant une baie jonchée d’épaves de bateaux, abritent une dizaine de familles militaires.

Nous sommes à l’entrée de Nouadhibou quand un véhicule militaire, une Land-Rover, nous dépasse. Le chef de bord, que je reconnais, nous demande, à grand renfort de gestes, de nous arrêter. Je dis au chauffeur du taxi de ranger sa voiture. Le capitaine Mohmed Moctar Ould Soueid’Ahmed me fait signe de venir. Je me dis que mon véhicule est certainement tombé en panne et que le Capitaine Ould Soueid’Ahmed qui est mon chef hiérarchique est peut-être venu lui-même me ramener comme cela lui est, parfois, arrivé. Le capitaine Ould Soueïd’Ahmed est issu de la première promotion d’officiers formés dans le pays… Ould Soueïd’Ahmed a été à chaque fois major de sa promotion, c’est aussi un homme juste et pieux.

Il me rend mon salut et m’annonce que le commandant de région militaire, le colonel Sid’Ahmed Ould Boïlil, demande à me voir. Je prends place entre lui et le chauffeur, le soldat de première classe Ndiaye Samba Oumar (3ème en partant du bas, colone de gauche rubrique galerie du martyr site OCVIDH. Dans la voiture, je manifeste le désire d’en savoir un peu plus sur les raisons de cette convocation. Il me répond qu’il ne sait pas, qu’il lui a simplement été demandé de venir avec moi et que le colonel nous attend dans son bureau. Il n’y a rien d’anormal à cela, compte tenu de ma fonction. Ould Soueïd’Ahmed ne me pose même pas de questions pour savoir comment s’est passé le service du week-end. C’est plutôt cela que je trouve anormal. L’ambiance est tendue. Je saisis l’ambiguïté de la situation. Depuis quelques jours une rumeur court, faisant état de l’arrestation de militaires négro-mauritaniens.

Deux officiers, le lieutenant Sall Abdoulmaye Moussa et le lieutenant Sall Amadou Elhadj, ont été arrêtés pour des raisons qui m’échappent, il est aussi question de sous-officiers et hommes de troupes. Le sergent-chef Diallo Abdoulaye Demba, mon chef du peloton du port de La Guerra, a été convoqué à la base régionale pour une « mission ». Il n’est toujours pas revenu et je ne sais plus que dire à son épouse qui vient presque tous les jours me demander quand Diallo sera de retour. Le véhicule tourne à droite pour emprunter la route qui passe entre la base marine et l’infirmerie de garnison. On aurait pu continuer sans emprunter cette route, mais on serait obligé de passer devant chez moi. Je comprends avec le recul que cette déviation n’était pas innocente.

Nous arrivons à la base Wajeha, le lieu de commandement régional. Il n’y a plus que le service de permanence et de sécurité en place. Le colonel Ould Boïlil n’est pas dans son bureau, il serait parti en visite d’inspection au PK 12, une position militaire située à douze kilomètres de la ville. Le capitaine Ould Soueid’Ahmed me dit de rester avec le lieutenant Naji Ould Manaba, en attendant le retour du colonel. Je remets au chauffeur du capitaine, le soldat de première classe Ndiaye Oumar Samba une somme d’argent que j’avais en poche, à remettre à mon épouse, le comptable est passé le mercredi à La Guerra pour la paye. J’ai sur moi mon salaire et celui de mon ordonnance. J’explique à Ndiaye la répartition de la somme. Je sais qu’en remettant cet argent à ma famille, Ndiaye sera amené à leur expliquer que je suis retenu à la région militaire. J’ai déjà compris que ce soir je ne rentrerai pas à la maison.

Le colonel Ould Boïlil n’effectue jamais de visite d’inspection la nuit. Voilà six ans que je travaille avec lui et, aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai jamais vu ou entendu un de mes collègues parler d’une visite nocturne du colonel Ould Boïlil. De son travail, il se contente de faire le strict minimum. Le lieutenant Naji, responsable de l’escadron de commandement régional, et moi, nous nous rendons au mess des officiers. Je reste là, seul, à attendre dans l’une des pièces qui servent de chambres pour officiers de passage ou de salle d’arrêts de rigueur. Le lieutenant Naji Ould Manaba ne sait pas pourquoi je suis là, et il n’a pas non plus la moindre idée de l’endroit où peut être le colonel. Il m’a semblé tout à l’heure que l’information selon laquelle le colonel était en visite au PK12 venait de lui. Et voilà qu’il ne s’en souvient plus.

Tard dans la nuit, le lieutenant Ould Manaba entre dans la chambre, accompagné de quatre soldats en armes et me somme d’enlever mon ceinturon, mes épaulettes et mes rangers. Je lui en demande les raisons. Il me répond qu’il ne fait qu’exécuter les instructions de ses supérieurs. Je cherche à comprendre ce qui se passe sur son visage mais impossible de croiser le regard du lieutenant Ould Manaba. Nous avons lui et moi souvent joué ensemble aux échecs ou au jeu de dame. Il s’était tissé de bonnes relations entre nous. Je comprends sa gêne à exécuter un ordre pareil. Donc, soit le colonel est de retour de « sa visite », soit, après avoir été informé de ma présence, il a donné des instructions précises-me concernant. Dès qu’Ould Manaba sort, les soldats se ruent sur moi pour me ligoter et me bander les yeux. Ils appartiennent à la formation de l’artillerie lourde, la batterie des 105 mm, basée dans l’enceinte de la garnison régionale et placée sous le commandement du lieutenant Lobatt Ould Mohamed.

Ces militaires s’étaient montrés les plus cupides et les plus répressifs lors des événements ayant opposé la Mauritanie au Sénégal en 89. D’ailleurs, ma montre est retirée tout de suite et quelqu’un me fait les poches, j’ai été bien inspiré de remettre à Ndiaye Samba Oumar l’argent que j’avais sur moi. Les yeux bandés, je suis littéralement soulevé de terre et jeté dans un camion où j’atterris sur d’autres militaires ficelés comme moi. Parmi eux, je ne reconnais que l’adjudant chef Konaté Kalidou, le chef de garage régional. Je le reconnais à sa voix. Nous avions eu, lui, l’adjudant Diop Bocar Bayal (3ème en partant du bas colone dumilieu), et moi, par le passé, à faire plusieurs parties de pêche ensemble ; nous prenions une barque pour nous approcher des épaves des bateaux de la Tour bleue où il y avait en général beaucoup plus de poissons qu’ailleurs, surtout les dorades dont nous raffolions.

Dans le camion, nous avons tous les yeux bandés. Le temps d’embarquer deux autres « colis » et le camion se met en route. Nous sommes entassés les uns sur les autres et serrés comme des sardines et n’avons aucune idée de notre destination. Les gardiens nous tabassent tout le long du parcours. Je commence à me faire une idée précise de ce qui nous attend.

Deux ou trois fois, le camion s’arrête pour embarquer d’autres prisonniers ou pour permettre aux gardiens de se débarrasser de cadavres de prisonniers morts, asphyxiés sous le poids de leurs camarades. Nous ne voyons rien et par conséquent ne pouvons savoir avec exactitude de qui il s’agit. Une fois je sens contre mon pied, le contact froid d’un corps qu’on tire. « Il est mort, dit une voix, l’autre aussi, sors-le ! » L’un de nos gardiens répond : « Je crois qu’il vit lui ». Le premier reprend : « descends-moi celui-là ». Ce doit être un gradé qui parle. La voix m’est vaguement familière. Elle me parvient déformée comme s’il parlait à travers un voile, la personne doit parler à travers son turban. Suit aussitôt le bruit sourd d’un corps que l’on jette par terre. A peine le prisonnier désigné touche-t-il le sol que ses cris déchirent la nuit, la bastonnade est brève mais d’une rare violence.

C’est au cours d’un de ses arrêts, que quelqu’un décide de me débarrasser de mon blouson et de mes chaussettes : « Tu n’en auras pas besoin là où tu vas aller », me dit-il. Le blouson m’avait été offert par mon frère qui réside en France, Abou Sy, lors de son passage à Nouadhibou en 1986. Une autre voix reprend, celle du gradé : « Fouillez les autres aussi, mais je ne crois pas que ces salauds du P.C. (poste de commandement régional) nous ont laissé quelque chose ». Nous sommes dans une base militaire. Il y a beaucoup de bruits de véhicules de type Land Rover et de Sovamag. J’entends aussi le bruit d’un train qui s’arrête. Pas de doute, on est à Boulanouar..

… De temps à autre, un faisceau de lumière est fixé sur mon visage. Je ne distingue pas ce que se disent les soldats qui braquent sur mon visage le faisceau de leur lampe mais j’entends à plusieurs reprises mon nom cité dans leurs propos. Après nous avoir délestés de nos montres, bracelets, bagues et tous ce qui pouvait avoir une valeur si minime soit-elle, nos convoyeurs jettent d’autres prisonniers sur nous et le camion se remet en route. Je suis déplacé vers le fond du camion pour faire de la place aux nouveaux compagnons. La piste est en très mauvais état, le trajet, chaotique et une pluie de coups s’abat sur nous à chaque plainte. Quelqu’un me tire par les bras pour me traîner vers le fond du camion, j’ai dû glisser de ma position certainement à cause des secousses.

Inal

Le 11 novembre au matin, le camion ralentit et s’immobilise dans la base militaire d’Inal, un coin perdu dans le Nord de la Mauritanie, à 255 km de Nouadhibou, le long de la voie ferrée. La ville d’Inal ou plus exactement le hameau, se situe à quelques huit cents mètres à l’est de la base militaire. Une piste poussiéreuse traverse le terrain vague qui les sépare. C’est sur ce terrain que se déroulent les compétitions sportives entre la population civile de la localité et les militaires. Je connais aussi ce camp pour y avoir travaillé quatre mois en 1988 après le putsch manqué de 1987. J’étais muté ici en qualité d’adjoint au commandant de base. Un grand mur empêche de voir ce qui se passe dans la caserne à partir de la ville, l’accès, constamment surveillé par un poste de garde, se trouve au milieu de ce mur.

Les autres façades sont délimitées par une digue de sable. Deux chaînes rocheuses bordent la base au nord et au sud, la rendant pratiquement invisible aux voyageurs à bord du train qui passe à peu près à six cents mètres seulement de là. La base d’Inal est construite dans une batha, une sorte de vallée. A l’ouest se trouve un terrain que j’avais aménagé en terrain de foot lors de mon précédent séjour. C’est sur ce terrain-là que se déroulaient les entraînements et les compétitions entre les pelotons, toutes les activités qui ne nécessitaient pas la présence de la population civile. La place d’armes est au centre du camp, en face, trône la maison du commandant de base avec les bureaux et, juste à côté, un appartement qui fut jadis le mien et plus loin, les baraquements abritant les sous-officiers puis ceux des hommes de troupes.

Ensuite viennent les hangars de voitures. Ils font face au terrain de foot. Les murs, de construction très rudimentaire, sont faits de briques en terre. Pour soutenir la toiture, la charpente est dressée à l’aide de rails coupés et de traverses de rails, en fer, serrées les unes contre les autres. Pour recouvrir le toit, comme pour les briques destinées à bâtir les murs, il faut creuser afin de trouver un sol de consistance argileuse. Quant aux portes, c’est tout simplement le système « D », tôle de fûts défectueux, des planches récupérées à partir de caisses de munitions, mais la plupart du temps, on se contente d’un rideau de fortune : toiles de tente, vieilles couvertures ou simplement des sacs de riz en toile de jute.

Le camion s’arrête quelques minutes, je suppose que c’est pour donner le temps au chef de poste de prévenir le capitaine Sidina Ould Taleb Bouya, le commandant de base. Nous avions lui et moi travaillé ensemble quelques années auparavant, sous des cieux plus cléments. En attendant, des soldats tournent autour du camion en se donnant des informations les uns les autres. Quelqu’un appelle un caporal répondant au nom de Ould Demba pour lui dire qu’il y a parmi les prisonniers un officier et quelques sous-officiers supérieurs. Des insultes fusent de partout. Le jour commence à se lever, je peux distinguer sous mon bandeau le corps d’un soldat couché tout près de moi. Je ne me hasarde cependant pas à essayer de voir ce qui se passe au-delà du camion. J’ai vite appris qu’il est plus sage de ne pas chercher à identifier nos tortionnaires. Il y en a qui ont payé cher pour moins que ça. La moindre question entraîne toujours une sévère répression de la part de nos gardiens.

Tout est prétexte à rouer de coups, une parole, une plainte, un chuchotement, tout. Le silence se fait tout d’un coup. « Allez-y », dit une voix. La portière arrière du camion s’ouvre et des mains nous saisissent par les bras, par les pieds. Nous sommes jetés sans ménagement au sol. J’entends qu’on s’acharne sur les prisonniers : dès qu’ils touchent le sol, les soldats se ruent sur eux en les arrosant de coups. Je suis séparé de mes compagnons d’infortune, on me retire la corde qui m’entrave les pieds pour me conduire dans un local et on me ligote de nouveau. Il fait froid tout à coup. « Bienvenue lieutenant », la phrase me parvient en même temps qu’une gifle. Je reconnais cependant la voix du capitaine Sidina à qui je dois cette claque magistrale. « Amlouh », occupez-vous de lui, dit-il, l’expression signifie en maure, préparez-le. Des mains m’agrippent, m’allongent sur le sol.

Quelqu’un me détache les mains pour m’enlever ma veste. Je reçois à nouveau un coup de pied dans les côtes, cette fois. Puis c’est l’enfer, les coups s’abattent sur moi de plus en plus violents. Au début, j’essaie de résister à la douleur mais elle se fait très vite insoutenable. Je sombre dans l’inconscience. Quand je reviens à moi, je suis attaché à un poteau servant à soutenir la toiture de la pièce. C’est fait de sorte que je ne puisse adopter que la position assise : le poteau est placé entre mes mains et mon dos. Ma corde aux pieds est remplacée par une chaîne avec un cadenas au milieu.

…Sur ce, il s’éloigne et j’entends entrer un groupe. Mon bandeau est violemment arraché, cette rupture brutale avec l’obscurité me fait mal aux yeux. Je reconnais dans le groupe devant moi deux personnes, le lieutenant Rava Ould Seyid et le sous-lieutenant Ely Ould Ahamed. Tous les deux ont servi successivement sous mes ordres comme adjoints à La Guerra. Ils ont partagé régulièrement mes repas. Etant tous les deux célibataires, je leur avais ouvert les portes de ma maison pour leur éviter de manger à la cuisine collective. Aussi me dis-je que je vais pouvoir obtenir enfin une explication. Mais sur leurs visages, je ne lis que mépris et une haine inexplicable à mes yeux. Ely me donne un coup de rangers dans la cuisse gauche et me crache au visage tandis que Rava, lui, me traite de tous les noms. Ely arrache le ceinturon d’un soldat qu’il passe autour de mon cou, prend un bout et tend l’autre à Rava.

Ils se mettent à tirer chacun de son côté jusqu’à ce que je perde connaissance. On me ranime avec un seau d’eau. « Alors connard, raconte », dit Ely. Il s’est exprimé en maure. Je lui réponds que je ne comprends pas, que je n’ai rien à raconter et que par-dessus tout je souhaiterais que quelqu’un m’explique ce qui se passe. Nouvelle séance d’étranglement par mes deux anciens pensionnaires. Elle est douloureuse, la reconnaissance du ventre. J’aurais dû les laisser crever de faim, peut-être qu’ils auraient eu moins d’énergie pour serrer aussi fort. Le même ordre revient, « roud », « raconte ».

Même réponse. Alors pris d’une fureur que je ne comprends toujours pas, ils se jettent sur moi, criant, injuriant, me frappant n’importe où, me jurant que je leur dirai la vérité. Je me souviens des conseils du mystérieux soldat mais je ne sais vraiment pas quoi dire pour qu’on me laisse enfin en paix. Ils ordonnent aux soldats qui les accompagnent de s’occuper de moi. Je suis détaché et mis à plat ventre pour que chacun puisse profiter d’une parcelle de ma peau où frapper.

Les soldats sont armés de gourdins, de fils de fer, de ceinturons, de cordes et de lanières. Les deux officiers s’en vont ; on recommence à me taper dessus. J’ai l’impression qu’un ouragan me passe dessus. Les coups s’abattent avec une telle violence qu’il ne m’est même pas nécessaire de feindre des cris de douleur. Quand ils s’arrêtent, tout mon corps n’est qu’une plaie. Le sang colle mes vêtements à ma peau… »…..

Extrait de « l’enfer d’Inal »
SY Mahamadou


Mauritanie : Le 28 novembre est « un jour de tristesse » (Maimouna Sy)

Le 28 novembre est « un jour de deuil, de pleur et de tristesse », selon Madame Ba Maimouna Alpha Sy, la secrétaire générale du collectif des veuves des évènements de 1989-91

« Après les arrestations et l’épuration ethnique des Noirs mauritaniens, 28 soldats noirs ont été pendus la veille du 28 novembre 1990 pour célébrer l’indépendance. Chaque année, nous commémorons ce jour pas dans la joie mais dans le deuil et avec tristesse », a confié Madame Ba à Alakhbar.

Maimouna Alpha Sy est la veuve de Ba Baïdy Alassane, qui fut un lieutenant contrôleur des Douanes qui, selon sa femme, a été « assassiné en 1990 à la brigade de la gendarmerie de Nouadhibou ». « Nous avons fait trois mois et dix jours à la recherche de mon mari sans pouvoir le retrouver, a-t-elle expliqué. La Douane nous a dit qu’il est mort d’un arrêt cardiaque, ce qui n’est pas vrai. Il y a des témoins qui ont été arrêtés, ligotés et torturés avec lui. Il a été tué devant ces gens-là ».

ALAKHBAR (Nouakchott)


28 novembre, jour de deuil national, témoignages des veuves et orphelins

 

Dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990, 30ème  anniversaire de l’indépendance de la Mauritanie, 28 militaires noirs mauritaniens ont été pendus à Inal (nord-ouest du pays). 28 pendus qui font partie de la longue liste des victimes de la barbarie du système beydane. Nous vous livrons ici les témoignages de quelques veuves et orphelins recueillis, le 27 novembre 2012 à Inal

Khardiata N’Diaye : orpheline

Je m’appelle Khardiata N’diaye. Je suis née en 1989 à Nouadhibou, mon père était militaire. Il a été arrêté à Nouadhibou et pendus à Inal, je ne me rappelle pas de mon père, et ma mère était enceinte de mon petit frère né en 1991, je suis venue me recueillir et retrouver son tombeau. Que la terre lui soit légère. »

Aminata Soumaré

« Je m’appelle Amina Soumaré Abdarahmane. Je suis née en 1989 à Talbé, je suis venue me recueillir et retrouver le tombeau de mon père pendu le 28 novembre 1990. Je ne connais pas. »

Maimouna Soumaré

J’ai eu cette occasion pour venir en pèlerinage retrouver le tombeau de mon mari, Samba Soumaré dit Demba Bocar arreté à Nouadhibou et pendu le 28 Novembre 1990 à Inal. Tous les enfants issus de notre mariage sont décédés. Je ne demande que la vérité sur sa mort, j’ai aussi un cousin du nom de Dioli Ba, lui aussi a été exécuté à Inal. Il a laissé 3 enfants. »

Khadia Abou /Garlol

Je suis venu en pèlerinage pour voir ou mon grand frère, Sall Abdoul Moussa a été enterré. Il était à Boulenoir et il n’a jamais eu la chance de se marier il était le seul garçon de notre famille…. »

N’Dey Binta N’diaye née en 1990

« Je n’ai jamais vu mon père, vieux Amadou N’diaye. Il travaillait à l’ASCECNA. Il a été arrête à Nouadhibou, suite à des tortures, il est décédé à l’hôpital de Nouakchott en 1990. Je suis à Inal en pèlerinage pour soutenir mes camarades pour qu’ils retrouvent les tombes de leurs pères. »

source : cridem