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 IIème partie : Jreïda, le calvaire : humiliations, tortures, faux aveux et exécutions.

Flam-mauritanie.org : Comment se passaient les choses concrètement à l’intérieur du camp ?

Cheikh FALL : On recevait un message du Service Transmissions qui nous prévenait de l’arrivée de « colis ». C’est comme cela que les prisonniers étaient désignés. Jreïda était situé à l’opposé de Nouakchott. Il fallait donc traverser toute la ville pour y arriver.

Le transport des prisonniers se faisait en pleine nuit vers 2h ou 4h du matin pour ne pas  attirer l’attention. Les prisonniers venaient de partout. Au départ, j’ignorais leur nombre. Je constatais juste qu’ils étaient tous Négro-Africains. Je connaissais bien certains d’entre eux. Des officiers comme Soumaré, Sy, Babacar Ba m’ont d’ailleurs dit que ma présence les avait rassurés même si elle les a aussi surpris au départ. A leur arrivée, les pauvres étaient entassés, menottés, les mains liées dans le dos, les pieds entravés et les oreilles bouchées par des bouchons en mousse. Ils avaient également les yeux bandés et ne savaient même pas où ils se trouvaient. Ils ne pouvaient pas se repérer. Certains pensaient qu’ils se trouvaient à Inal ou à Boulanouar. Le  voyage pour Jreïda durait très longtemps. Sans le savoir,  certains le faisaient à côté de personnes décédées au cours du transport  tellement les conditions étaient insupportables. Je le sais puisque j’ai dû enterrer personnellement quelques malheureux. L’odeur qui se dégageait du camion qui a servi au transport était insupportable. C’était vraiment épouvantable. Dès leur arrivée, un « Comité d’accueil » les attendait. Croyez-moi, il ne perdait pas de temps.

 

Racontez- nous le rôle qui vous avait été attribué et ce qu’il vous a permis d’observer.

 Le commandant de la caserne, Moktar  OULD MOHAMED MAHMOUD m’avait chargé du recensement des arrivées parce que j’étais le seul à savoir lire et écrire en français. Je devais relever le nom, le prénom, le numéro de matricule, la région d’origine. J’étais obligé de demander toutes ces informations même si je les avais déjà. J’ai découvert plus tard à quoi tout cela était destiné. Il y avait « dans le lot » des officiers, des sous-officiers et des soldats. Pour être honnête, je n’ai pas assisté personnellement à des séances de torture mais je me doutais de ce qui se passait en entendait d’horribles cris et hurlements. Des choses insupportables pour un être humain. Ce sont des choses qui ne s’oublient pas. Ces drames  hanteront toute ma vie jusqu’à mon dernier souffle.

 

Pouvez-vous nous décrire les conditions de détention et leur évolution ?

C’est simple. La 1ère chose qui frappe, ce sont les cellules. La taille des cellules était telle que le détenu était condamné à la position debout 24h sur 24. Impossible de faire autrement. Il ne pouvait ni se coucher ni s’asseoir. Tout pouvait servir de lieu de détention. Une réserve d’eau et même une fosse septique par exemple. Une vingtaine de personnes ont été détenues dans une fosse septique sans arrivée d’air quasiment. Il n’y avait pas assez de place pour tous. Il y avait, à mon départ, 500 personnes dans le camp alors qu’en temps normal il doit y en avoir 250. 9 personnes étaient entassées dans des cellules  prévues pour 4. La nourriture était si mauvaise que beaucoup souffraient de dysenterie, de diarrhée et de maladies de ce genre au bout de quelques jours. Il y avait aussi le froid. Les détenus étaient souvent privés de vêtements. Ils étaient mis totalement nus. Evidemment, certains succombaient. Lorsque vous entassez tant de personnes dans des cellules  qui sont  fermées le soir, sans aération, et ne sont rouvertes que le lendemain, vous imaginez ce qui se passe. Les détenus étaient condamnés à tout faire sur place.

Ils cherchaient vraiment à les humilier. Lorsque vous ouvrez la cellule le lendemain, vous découvrez des personnes blotties les unes contre les autres, dans des positions incroyables. Les problèmes d’hygiène, de  promiscuité faisaient qu’il y avait malheureusement inévitablement des morts. Certains détenus étaient remis dans leur cellule après avoir été sauvagement torturés. Il n’est pas étonnant qu’ils succombent. Il arrivait qu’en ouvrant la cellule le lendemain matin, on découvre un cadavre. J’ai personnellement enterré cinq personnes. Un endroit situé à 5 km de la caserne était devenu une sorte de cimetière improvisé. Je me souviens d’avoir enterré une personne le 24 décembre 1990. La date m’a marqué. Je me disais que c’est une période festive. Et toi tu es là à enterrer un être humain. C’était un jeune décédé à la suite de tortures et de mauvais traitements.

Pouvez-vous nous dire un mot des tortures justement ?

 Il ne faut pas oublier qu’on est en octobre et novembre. L’endroit n’est pas loin de la mer. Rien que le froid est une torture. Les détenus étaient souvent mis nu et arrosés d’eau froide. Les tortionnaires avaient beaucoup d’imagination. Certains détenus subissaient le « supplice du jaguar ». Le détenu était suspendu en broche à une barre pieds et poings reliés. Il avait  constamment la tête en bas. J’ai vu des détenus traînés derrière une voiture. Ce sont des officiers du second bureau  qui venaient spécialement de l’état-major  pour accomplir cette besogne. Je pense à Hacène OULD MEGUETT ou Samory OULD YOUMBABA  Le but est d’obtenir à tout prix des aveux, de faire « reconnaître» aux personnes torturées qu’elles étaient membres des FLAM et qu’elles voulaient fomenter un coup d’Etat. Il fallait avouer tout et n’importe quoi pour éviter d’être torturé. Il y a donc eu de faux aveux. Certains ont malgré tout tenu le coup. La torture était permanente. Elles étaient liée aux pseudos « enquêtes de gendarmerie »  que Ndiaga DIENG par exemple venait mener dans le camp. En fait, un semblant de procès était prévu. Il fallait donc une « enquête de gendarmerie » pour le préparer. J’ai vite compris que tout ça était une mise en scène et je ne voulais pas en faire partie.

En quoi ? Expliquez-nous.

J’ai compris que tout cela était programmé et bien organisé. En plus, il y avait une grande part de sadisme, de règlement de comptes et même des choses bizarres que j’appellerais des fantasmes. Par exemple des détenus qui étaient torturés plusieurs fois dans la même journée et même toute la journée. On entendait : un tel, il va falloir nous l’amener ce soir. Il y avait une sorte de jouissance de la part de certains. C’était non seulement cruel mais  malsain.

Je me suis rendu compte qu’ils s’étaient basés sur les listes que je dressais pour rédiger des rapports, des comptes rendus. Ils fabriquaient eux-mêmes leur propre compte rendu à l’insu du détenu qui devait se contenter de reconnaître qu’il avait bien organisé un coup d’Etat au nom des FLAM ou même d’une organisation qui n’existait pas et signer. Interdiction totale de lire le document. Sinon le détenu recevait des gifles et des coups. Les responsables étaient des gens haut placés. Je me suis dit que  si on arrête quelqu’un comme Ba Pathé, le directeur de la marine nationale, l’ordre ne pouvait venir que de très haut.  Pour moi, le président OULD TAYA qui était aussi, je crois, ministre de la défense, ne pouvait l’ignorer. Des officiers avaient également beaucoup de responsabilité dans ce qui s’est passé.

Comment vous est venue l’idée de venir en aide aux prisonniers ?

Naturellement. Comme je vous ai dit, j’ai vite compris que c’était une mise en scène pour détruire la dignité et la vie de gens innocents. Je me suis dit que je ne voulais pas être complice de ce crime. J’ai décidé d’aider et de le faire à ma façon. Par diverses petites actions. J’ai d’abord commencé à rendre visite aux familles pour leur donner des nouvelles des prisonniers. Je rassurais comme je pouvais. Je cachais des petits mots dans mes poches.  Comme on ne me fouillait pas, je rapportais des affaires personnelles, de la nourriture et de l’argent, des cigarettes aussi. Quelquefois des bonnes nouvelles, l’épouse qui a accouché par exemple. Et au retour, je transmettais les souhaits du père sur le choix du prénom du bébé. Je l’ai fait 3 fois. Evidemment, je demandais toujours la confidentialité absolue. Je répétais toujours : que cela reste entre vous et moi. J’ai réalisé après coup que j’avais pris des risques mais j’ai eu la chance de n’avoir jamais été soupçonné.

Mes week-ends étaient désormais consacrés à cela. Je pensais à ces familles dont le père, le mari avait disparu depuis 4 mois et plus et qui n’avaient aucune nouvelle sur ce qu’il était devenu. Je savais que mon départ pour la France devait intervenir le 28 février 1991 et que le temps qu’il me restait à passer dans la caserne, je le consacrerai à aider dans la mesure de mes moyens. Je prenais des risques mais il fallait comparer ces risques avec ce qu’enduraient les malheureux. En sachant en plus qu’ils étaient innocents. Evidemment,  si c’était à refaire, je le referais.

(A suivre)

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