La coordination des organisations des réfugiés mauritaniens et ses partenaires des mouvements de la société civile à l’instar des Forces de Libération Africaine de Mauritanie (FLAM) ont organisé la rencontre d’aujourd’hui, afin de commémorer la cérémonie annuelle honorant nos martyrs du 28 novembre 1990.  Nous profitons de cette occasion, pour vous offrir une revue sur la question des violations graves et massives des droits de l’homme survenues en Mauritanie entre 1989 et 1992, dans la période dite du « passif humanitaire ». Le pays, depuis plus d’une décennie, s’est engagé dans la voie d’une justice transitionnelle qui voudrait déboucher sur une réconciliation nationale qui tarde à se réaliser.

Pourquoi le 28 novembre date de l’indépendance de notre pays est devenu pour nous un jour de deuil et de tristesse, plutôt qu’un jour de joie et d’allégresse pour l’indépendance recouvrée ? Pour le comprendre, nous vous livrons ici ce témoignage poignant extrait du livre de Mouhamadou Sy ; celui d’un rescapé de cette horrible nuit du 27-28 novembre 1990 où 28 soldats noirs mauritaniens ont été exécutés. Citation :  » Dahirou réclame toujours son cousin. Cela finit par irriter les soldats qui s’acharnent à nouveau sur lui. Vers minuit, je ne l’entends plus. La relève des sentinelles me permet d’avoir une idée approximative du temps. Le capitaine Sidina repasse pour nous confirmer que tous les gradés peuls, Soninké, wolofs seront arrêtés et qu’il ne restera pas un seul militaire négro-mauritanien dans l’armée. La nuit se passe dans cette ambiance, tortures, eau-glacée, claquement de dents et cris de douleur……le 27 novembre dans l’après-midi, des prisonniers sont choisis dans les hangars et sont marqués d’une croix avec un feutre bleu. Plus tard, ils se voient attribuer des numéros allant de vingt à vingt-huit par le capitaine Ould Demba….vers minuit, le groupe des prisonniers numérotés est devant le grand hangar…Khattra et d’autres mettent en place des cordes…Diallo Abdoulaye Demba…porte le numéro Un. Pendant que Khattra lui passe le nœud de la corde autour du coup, il tourne la tête la tête vers le hangar comme pour solliciter de l’aide, la dernière image de la vie qu’il emportera sera ces sombres formes allongées ou assises étroitement ficelées et dont les yeux exorbités ne peuvent se détacher de lui. Avec l’aide d’un autre soldat, Khattra le hisse jusqu’à ce que ses pieds ne touchent plus terre…. d’autres prisonniers suivent…quand arrive le tour de Diallo Oumar Demba et son frère Diallo Ibrahima…chacun ne voulant pas assister à la mort de l’autre, demande à passer le premier… un tirage au sorte organisé par les bourreaux les départage, Ibrahima Demba, l’aîné, passe le premier… Samba Coulibaly, un soldat de mon escadron, qui porte le numéro vingt-huit ferme cette marche….la démence a été poussée jusqu’à symboliser la date du trentième anniversaire du pays par 28 pendaisons. Vingt-huit vies humaines sacrifiées sur l’autel de la bêtise humaine…plus jamais cette date du 28 Novembre n’aura la même signification pour les mauritaniens. »

Ces exécutions sommaires sans aucune forme de procès ne sont pas des actes isolés. Ils prennent place dans une campagne de terreur menée par l’État de Mauritanie à l’encontre des populations noires du pays au cours de la période dite du « passif humanitaire » qui s’étend de 1989 à 1992.  Au cours de cette période, les forces de sécurité et de défense de Mauritanie ont perpétré des violations graves des droits de l’homme de caractère raciste contre les populations noires du pays et contre de paisibles citoyens.  Celles-ci se sont traduites par : des déportations massives de populations ; des exécutions sommaires ; des pogroms dans les corps de l’armée mauritanienne et des services de sécurité ; l’existence de fosses communes ; des expropriations et des vols de bien à grande échelle ; des licenciements administratifs abusifs ; des viols et autres traitements inhumains dégradants…  Jusqu’à nos jours, les ayants-droits des personnes victimes de disparitions forcées ainsi que les déportés mauritaniens du Sénégal et du Mali, bref, toutes les victimes demandent que la lumière soit faite sur les Crimes commis au cours de cette période et que justice soit rendue en étant accompagnée de réparation. Il est important de souligner que cette dite période de violations graves et massives des droits de l’homme en Mauritanie est communément appelée, par fausse pudeur et euphémisme la  » période du passif humanitaire «, alors qu’il s’agit purement et simplement d’actes qui doivent être qualifiés de génocide compte tenu de la disposition de la convention de 1945 sur le génocide. Il est clair que les actes de violences subis au cours de cette période étaient programmés donc intentionnels, ciblés car seule la composante négro-africaine du pays était touchée et enfin unilatérale en ce sens que ces violences étaient uniquement le fait des autorités du pays et de ses supplétifs. Il est tout de même étonnant et il convient de le souligner que la première réprimande internationale concernant ces Crimes contre l’humanité n’interviendra que plus d’une décennie après leur perpétration et elle provient de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples lors de sa 36eme session d’Alger en 2000. Ainsi la commission africaine des droits de l’homme et des peuples a motivé ses recommandations à l’adresse de la Mauritanie, en invoquant entre autres, l’article 23 de sa charte qui stipule que :  » les peuples ont droit à la paix et à la sécurité tant sur le plan national que sur le plan international ». À cet égard, la commission recommande au gouvernement de Mauritanie :

– d’ordonner l’ouverture d’une enquête indépendante afin de clarifier le sort des personnes portées disparues.

– d’identifier et traduire en justice les autorités des violations perpétrées à l’époque des faits incriminés.

– de prendre des mesures diligentes en vue de la restitution de leurs pièces nationales d’identité aux ressortissants mauritaniens auxquels celles-ci ont été retirées au moment de leur expulsion ; d’assurer le retour de ces derniers en Mauritanie, ainsi que la restitution des biens dont ils ont été spoliés au moment de ladite expulsion et de prendre des dispositions nécessaires en vue de la réparation des dommages subis par les victimes des évènements susmentionnés.

-de prendre des mesures appropriées en vue du versement d’une indemnité compensatrice aux veuves et ayants-droits des victimes des violations susmentionnées.

– de réhabiliter dans leurs droits avec toutes les conséquences juridiques qui en découlent, les travailleurs abusivement licenciés et/ ou mis à la retraite forcée.

La commission assure à l’État mauritanien de sa coopération totale et de son appui pour la mise en application des mesures susmentionnées (cf. Page 134 ZHE/ 222 XXXVI Document de la Commission Africaine des Droits et de l’Homme- Alger le 12 mai 2000).

Suite à ces recommandations de la CADHP visant à remédier à ces violations massives et graves des droits de l’homme, et en faveur d’une transition démocratique en 2007, de nombreuses initiatives attestent d’un engagement croissant de la société mauritanienne sur le chemin d’un modèle d’une justice transitionnelle, en vue de solder durablement  » le passif humanitaire ». C’est dans ce contexte que des institutions internationales et des organisations des droits de l’homme organisent des rencontres des conférences, des colloques pour discuter des questions liées aux droits humains et à la justice transitionnelle. Il s’agit, entre autres, des structures des nations unies de protection des droits de l’homme, du Forum des organisations nationales des droits de l’homme de Mauritanie (FONADH), de deux ONG américaines à savoir Open Society Justice Initiatives et Institute for Human Right and Développent in Africa (IHRDA) de MENA Right Group (ONG de plaidoyer juridique basée à Genève). Pour ne citer que ceux-là. Ces discussions, pour l’essentiel, se situent en aval des consultations tenues en 2007 par le président élu Sidi Ould cheikh Abdallah, suite à une transition démocratique d’une durée de dix-neuf mois, de 2005 à 2007.  En effet, élu le 19 avril 2007, le président Sidi, dans un discours solennel s’engage à régler le problème du passif humanitaire et de faire revenir les déportés mauritaniens dans une période de six mois.  Par ailleurs, il exprime sa compassion au nom de la République à toutes les victimes de ce qu’il appelle  » les années sombres » ; Il appelle à consolider l’unité nationale et à la nécessité de dépasser le passé douloureux que le pays a connu. Pour concrétiser, rendre opérationnel ses engagements, le gouvernement de SIDI Ould cheikh Abdallahi cré un comité interministériel. Par la suite, le 7 novembre 2007, un accord tripartite pour le retour des déportés mauritaniens au Sénégal est signé entre la Mauritanie, le Sénégal et le Haut-commissariat des nations unies pour les réfugiés. Cet environnement propice dû à la bonne disposition d’esprit du nouveau président élu a été ponctué par des contacts entre les plus hautes autorités du pays et les déportés et réfugiés dans les pays d’asile en juillet et septembre 2007 ; ainsi que par des journées de concertations nationales des 20-21 et 22 novembre 2007 à Nouakchott sur la mobilisation pour le retour des réfugiés et le règlement du  » passif humanitaire ». C’est dans ce cadre favorable, que le premier rapatriement des déportés mauritaniens au Sénégal a été opéré. Ainsi à la fin du mois de juillet 2008 plus de 4500 déportés ont été rapatriés volontairement en Mauritanie. Un coup d’état militaire perpétré le 6 août 2008 par le général Mohamed Ould Abdel Aziz renverse le gouvernement de feu Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Toutefois, le nouveau gouvernement issu du coup d’état s’engage à continuer le rapatriement ; ainsi entre Janvier 2008 et mars 2012 plus de plus de 24 000 déportés mauritaniens au Sénégal seront volontairement rapatriés. En ce qui concerne la question du passif humanitaire sous l’ère Aziz, il fera l’objet d’une attention de la part du fonadh, de trois ONG Américaines à savoir Open society justice initiatives, Institute for Human right and development in Africa (ihrda) et de Mena right group (ONG de plaidoyer juridique basée à Genève) et le NDI (National Démocratic Institut). Ces institutions vont apporter leurs contributions aux débats sur la justice transitionnelle. Par ailleurs, à défaut d’une approche par la justice, le général Ould Abdel Aziz va prononcer un discours à l’adresse des familles des victimes à Kaeidi en Mars 2009 et organise une prière à la mémoire des disparus. Il s’appuie sur les préceptes de l’islam pour résorber le passif humanitaire et opte exclusivement pour le pardon et la réparation. Il marque une première tentative de résolution du passif humanitaire. Ce discours a suscité de profondes divisions au sein des associations des victimes et de leurs ayants droits jusque dans la diaspora. Son successeur en 2019, le Président Ghazouani a désigné une commission pour discuter avec les organisations des victimes. A son tour, il exclut le devoir de vérité et de justice. Aussi bien Ould Abdel Aziz que Ghazouani, tous deux consacrent l’impunité en violation du droit international. Aussi, faut-il rappeler que la Mauritanie a voté une loi d’amnistie en 1993 mettant à l’abri de toute poursuite judiciaire les forces de défense et de sécurité impliquées dans les crimes perpétrés lors de la période 1989-92 du passif humanitaire.

 Cependant le coup d’état du 6 août 2008 va jeter une ombre sur les opérations de rapatriement, pour cause des milliers de déportés mauritaniens vivant toujours au Sénégal, qui pourtant étaient candidats au retour, allaient surseoir à leur rapatriement. Les déportés de retour dans leur pays sont confrontés à des problèmes liés à la non restitution de leurs terres, la non obtention de leur document d’état civil, à leurs insertions sur le plan socioéconomique, selon le forum national des organisations des droits de l’homme -fonadh. Ce que confirme le comité des droits de l’homme dans son examen du deuxième rapport périodique de la Mauritanie en juillet 2019.Le comité confirme la non obtention de documents d’identité nationale par les réfugiés Mauritaniens rapatriés du Sénégal. Ceci pourrait accroître le risque d’apatridie pour et eux et leurs enfants. Cette situation de l’apatridie touche encore les réfugiés Mauritaniens au Mali. Pourtant le comité des Nations unies des droits de l’homme avait recommandé à la Mauritanie en 2013 la signature d’un accord tripartite avec le Mali et le HCR. A ce propos la Mauritanie adresse un refus catégorique, prétextant qu’elle n’a pas expulsé de Mauritaniens au Mali mais seulement vers le Sénégal.

Ce refus sera réitéré au conseil des droits de l’homme par la Mauritanie lors de son deuxième examen périodique universel (EPU). Dans son rapport en 2022 le comité des nations unies recommande à la Mauritanie de mettre fin à la l’impunité liée aux violations passées des droits de l’homme. Renforçant ainsi les recommandations de 2019 où il est demandé au gouvernement de la Mauritanie de solder de manière définitive le passif humanitaire issu des évènements de 1989-1992 ; notamment en abrogeant la loi d’amnistie 93-23 à fin d’établir la vérité sur les crimes commis, d’en poursuivre les responsables ; de pourvoir une réparation intégrale au bénéfice toutes les victimes est à leurs ayants droits. Toutes ces recommandations antérieures ont été renforcées par le comité des disparitions forcées lors de sa 25 session du 11/au 29/9/2023. Son secrétariat échargé d’aider les victimes, les organisations de la société civile, les institutions nationales des droits de l’homme et les états à rechercher les personnes disparues, à éradiquer, punir et prévenir ce crime et à réparer le préjudice subi par les victimes. C’est à cet égard que sont formulées à la Mauritanie les recommandations suivantes : concernant le passif humanitaire de la période 89-92 :

– permettre aux victimes des disparitions forcées et aux ayants droits de pouvoir procéder aux communications, aux plaintes et pourront directement saisir le comité une fois les recours internes épuisés.

-demande à l’état partie que tous les cas de disparitions forcées non élucidés fassent l’objet d’une enquête approfondie et impartiale et soient poursuivies ; jusqu’à ce que ces cas de disparitions soient élucidés, que les personnes reconnues soient punies ; que les tombes des victimes soient identifiées ; que le restant des corps soient restitués aux familles ; que les funérailles selon des traditions et les croyances soient respectées et une réparation juste soit accordée   aux familles.

-la suspension des fonctionnaires soupçonnés de crimes de disparition forcées est d’assurer que ses agents soupçonnés d’être impliqués dans les disparitions forcées soient demis de leurs fonctions au début de l’enquête et pendant toute sa durée, sans préjudice du respect de la présomption d’innocence.

-Assurer la formation du personnel juridique de l’état partie sur ladite convention.

La coordination des organisations des Réfugiés Mauritaniens au Sénégal CORMS, après cette revue de la question des droits de l’homme en Mauritanie et du génocide, appelle à sa résolution définitive en conformité avec les instruments juridiques internationaux. Afin de promouvoir un Vivre Ensemble convenable entre citoyens de Mauritanie, et pour son ancrage dans l’état de droit.

Le 28/11/2023 à Dakar, Sénégal.

A lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *