Ordonnance 83-127 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale

 

Journal Officiel de la République Islamique de Mauritanie n° 592-593 Date de promulgation : 05.06.1983 date de publication : 29.06.1983 Ordonnance n° 83.127 pp.364

ORDONNANCE 83-127 DU 05 JUIN 1983 PORTANT RÉORGANISATION FONCIÈRE ET DOMANIALE.

Le comité militaire de salut national a délibéré et adopté ;

Le Président du Comité Militaire de Salut National, chef de l’Etat, promulgue l’ordonnance dont la teneur suit :

 

Article Premier : La terre appartient à la nation et tout Mauritanien, sans discrimination d’aucune sorte , peut, en se conformant à la loi, en devenir propriétaire, pour partie.

ART.2.- L’Etat reconnaît et garantit la propriété foncière privée qui doit, conformément à la Chariâa, contribuer au développement économique et social du pays.

ART.3.-Le système de la tenure traditionnelle du sol est aboli.

ART.4.-Tout droit de propriété qui ne se rattache pas directement à une personne physique ou morale et qui ne résulte pas d’une mise en valeur juridiquement protégée est inexistante.

ART.5.-Les immatriculations foncières prises au nom des chefs et notables sont réputées avoir été consenties à la collectivité traditionnelle de rattachement.

ART.6.-Les droits collectifs légitimement acquis sous le régime antérieur, préalablement cantonnés aux terres de culture, bénéficient à tous ceux qui ont, soit participé à la mise en valeur initiale, soit contribué à la pérennité de l’exploitation.

ART.7.-Les actions foncières collectives sont irrecevables en justice. Les affaires de même nature actuellement pendantes devant les cours et tribunaux seront radiés des rôles sur décision spéciale de la juridiction saisie. Les arrêts ou jugements de radiation sont inattaquables.

ART.8.-Toute forme d’affermage de la terre non conforme à la Chariâa est prohibée ; les parties ne peuvent, par leurs conventions, déroger à cette disposition d’ordre public.

ART.9.-Les terres « mortes » sont la propriété de l’Etat. Sont réputées mortes les terres qui n’ont jamais été mises en valeur ou dont la mise en valeur n’a plus laissé de traces évidentes.

L’extinction du droit de propriété par « l’indirass » est opposable aussi bien au propriétaire initial qu’à ses ayants droits, mais ne s’applique pas cependant aux immeubles immatriculés.

ART.10.-Les terres qui ont appartenu à l’Etat, en vertu des dispositions de la loi N°60-139 du 02 Août 1960, demeurent domaniales, et les prescriptions des articles 12 et 13 ci-dessous leur sont applicables.

ART.11.-Les biens fonciers vacants et sans maître sont acquis à l’Etat dans les conditions définies par la Chariâa.

ART.12.-Quiconque désire accéder à la propriété d’une terre domaniale doit impérativement en obtenir au préalable la concession ; celle-ci ne devient définitive et n’emporte transfert de propriété qu’après mise en valeur réalisée aux conditions imposées par la cahier des charges et, s’il y a lieu, de concession.

 

Journal Officiel de la République Islamique de Mauritanie n° 592-593 Date de promulgation : 05.06.1983 date de publication : 29.06.1983 Ordonnance n° 83.127 pp.364

ART.13.-La mise en valeur d’une terre domaniale sans concession préalable ne confère aucun droit de propriété à celui qui l’a faite. En pareil cas, l’Etat peut, soit reprendre le terrain soit régulariser l’occupation.

Lorsque le terrain ne comporte pas de plantations, constructions ou ouvrages, la reprise n’ouvre droit à aucune indemnité. Dans le as contraire, l’occupant irrégulier sera indemnisé pour les dépenses, à moins qu’il ne préfère enlever ou détruire à ses frais ces plantations, constructions ou ouvrages.

Dans tous les cas et conformément à la Chariâa, l’indemnisation tient uniquement compte des matériaux pouvant être récupérés après enlèvement ou destruction de l’immeuble.

A défaut d’accord amiable sur le montant de l’indemnité, celle-ci est fixée par la juridiction civile compétente saisie à la diligence de l’occupant évincé.

ART.14.-L’Etat procède par voie administrative pour la préservation de ces droits fonciers. Il appartient à celui qui en conteste l’existence de se pouvoir en justice pour faire la preuve que le terrain n’est pas domanial.

L’action en contestation doit être impérativement introduite, sous peine de déchéance, dans un délai d’un mois après notification de la mise en demeure de libérer les lieux.

Le demandeur en contestation dispose seulement de deux mois pour produire ses moyens de preuve; ce délai de conclusion ne peut être prorogé. Les jugements rendus sur la contestation ne sont pas susceptibles d’appel. Le pourvoi en cassation formé contre ces décisions n’a pas d’effet suspensif.

ART.15.-L’Etat est obligatoirement cité en qualité de partie intervenante dans toute instance visant à faire reconnaître à des particuliers des droits de propriété sur le sol.

Cette règle ne s’applique pas, et l’Etat n’a pas à être cité, lorsque le terrain a déjà fait l’objet d’une cession domaniale devenue définitive.

ART.16.-Les tribunaux doivent se déclarer incompétents toutes les fois que la revendication porte sur une terre domaniale.

ART.17.-L’exception tirée du caractère domanial du terrain litigieux peut être proposée concurremment par l’administration ou par défendeur en revendication ; le juge peut aussi la soulever d’office.

A défaut d’acquiescement, le tribunal doit surseoir à statuer au fond et renvoyer les parties devant la juridiction compétente pour la solution de cette question préjudicielle.

La juridiction de renvoi est saisie, en contestation de domanialité, à la diligence du demandeur en revendication.

ART.18.-Le juge des contestations se limite à dire si la terre est domaniale ou ne l’est pas. Défense lui est faite dans ce dernier cas de se prononcer sur le droit de propriété et d’en désigner, même indirectement, le titulaire.

 

Journal Officiel de la République Islamique de Mauritanie n° 592-593 Date de promulgation : 05.06.1983 date de publication : 29.06.1983 Ordonnance n° 83.127 pp.364

ART.19.-Les jugements rendus en application des articles 14 et 17 ci-dessus ne sont contradictoires à l’égard de l’Etat que si l’administration a été représentée ou a déposé des conclusions écrites.

ART.20.-Les concessions de grande superficie ne seront accordées que si l’investissement projeté présente un impact économique et social appréciable et seulement dans la mesure où les intérêts légitimes de petits propriétaires sont sauvegardés.

ART.21.-Le droit de propriété ne peut être empêcher le réalisation d’un projet d’intérêt national ou régional et ne saurait en particulier entraver l’expansion harmonieuse d’une agglomération urbaine.

Nul ne pourra cependant être contraint de céder ses droits si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une compensation.

ART.22.-Tous puits et forage situés en dehors des propriétés privées sont déclarés d’utilité et d’usage publics.

ART.23.-L’espace vital des agglomérations rurales est protégé. Les modalités de cette protection seront précisées par voie réglementaire.

ART.24.-Les droits individuels régulièrement constitués sur des fonds de terre de toute nature sont facultativement soumis au régime de l’immatriculation.

L’immatriculation devient cependant obligatoire à l’occasion de certains transferts de propriété limitativement énumérés par la réglementation foncière.

ART.25.-Les droits qui ne résultent pas d’une concession définitive sont assujettis, préalablement à leur inscription, à une procédure administrative de vérification.

ART.26.-Les contestations domaniales relèvent exclusivement de la compétence des chambres mixtes des tribunaux régionaux.

Les règles de la procédure civile ordinaire s’appliqueront chaque fois qu’elles ne sont pas contraires aux dispositions sus-énoncées.

ART.27.-L régime juridique de la propriété foncière demeure fixé par la Chariâa pour tout ce qui n’a pas été réglé par la présente ordonnance.

ART.28.-Des décrets pris en conseil de ministres préciseront en tant que besoin les modalités d’application de cette ordonnance, qui abroge et remplace la Loi N°60-139 du 02 Août 1960.

ART.29.-La présente ordonnance sera publiée suivant la procédure d’urgence et exécutée comme loi de l’Etat.

Fait à Nouakchott, le 05 Juin 1983.

Pour le Comité Militaire de Salut National,

Le Président

Lieutenant-Colonel Mohamed Khouna ould Haïdalla.

 

Les terres de la vallée du Sénégal : Question nationale et enjeux fonciers

 

En Mauritanie, la sécheresse qui avait duré de 1967 à 1993 et la progression de la désertification dans le Sahel subsaharien ont modifié considérablement l’écologie au détriment des économies traditionnelles et de l’occupation de l’espace. Leurs effets replacent aujourd’hui les zones d’eau (les bassins du fleuve Sénégal et de ses affluents le Xaaraxooro et le Gorgol situés sur la rive mauritanienne) et de pâturages dans des enjeux économiques de plus en plus importants.

Un phénomène qui n’est cependant pas nouveau dans l’histoire des territoires du Bassin moyen du Sénégal. Les terres du waalo (partie du lit majeur submergée par la crue annuelle) et celles du jeeri  (ensemble des terres bordières toujours exondées sur lesquelles sont pratiquées des cultures pluviales) représentent encore un potentiel économique important, capable de nourrir une population de près de 2 000 000 de personnes occupant le bassin du fleuve Sénégal et répartie entre le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Il suffit d’exploiter avec une utilisation intelligente l’eau et la terre. Ce que n’arrive pas à faire la Mauritanie qui a l’imprudence politique d’associer les intérêts socio-économiques de ses populations à des préoccupations d’ordre idéologique qui ont ainsi favorisé l’installation  d’une crise endémique qui la fragilise et qui menace son existence. Cette situation  donne à la question posée et qui est l’objet de ce colloque toute sa légitimité dans le cadre des pays du bassin du fleuve Sénégal.

Cadre de l’étude

Cadre géographique

Avec une superficie de 1.030 000 Km2, le territoire de la République islamique de Mauritanie est situé dans la partie nord-ouest de l’Afrique, entre les zones sahélienne dans le sud et le sud-est, saharienne dans le reste du pays. A l’ouest, sur la façade atlantique, il s’étend du Cap Blanc à l’embouchure du Sénégal. Il est limité au nord-ouest par le Sahara occidental, au nord-est par la République d’Algérie, à l’est et au sud-est par la République du Mali, au sud et au sud-ouest par la République du Sénégal avec lequel la Mauritanie partage les territoires de la moyenne vallée du fleuve du même nom et qui est la partie la plus sensible du bassin du Sénégal du fait des intérêts économiques et politiques qu’elle représente.

 

Populations

Sa population musulmane à 100% est estimée entre 2.300.000 et 2.500.000 habitants. Comme tous les autres pays africains hérités des constructions coloniales, l’espace politique et administratif de la Mauritanie est un assemblage de morceaux de territoires très hétérogènes qui appartenaient à des Etats nationaux précoloniaux dont les pays avaient été conquis militairement par le colonialisme français. C’est pourquoi on retrouve de part et d’autre de ses frontières des populations appartenant aux mêmes  ethnies  éclatées entre ses pays voisins. Ainsi, sur sa frontière du sud elle partage ses populations wolof et Fulɓe (ou HaalPulareeɓe)  et H’râtîn (Basse vallée du Sénégal), Fulɓe (ou HaalPulareeɓe) et Sooninko (Moyenne vallée) avec la République du Sénégal. Sur celle du sud-est, elle partage ses populations Sooninko, Fulɓe (ou HaalPulareeɓe)  et Bambana (Haut-Sénégal) avec les Républiques du Sénégal et du Mali. Elle partage sa population arabo-berbère composée de Bîdhân et  de H’râtîn[1] avec le Mali (Est), l’Algérie (Nord-est) et le Sahara occidental (Nord-ouest).

La Mauritanie reste un des pays les plus pauvres du monde avec un p.n.b. inférieur à 300 dollars. Le développement de son économie moderne reste limité à la pêche maritime et aux industries extractives (fer et cuivre dans le nord-ouest). Les importants gisements de gypse (nord-ouest) et de phosphate (moyenne vallée du Sénégal) sont très peu exploités. Le secteur rural demeure potentiellement le secteur le plus important de l’économie, car il occupe près de 65% de la population totale, même s’il ne représente aujourd’hui que 19% du p.i.b.

 

Le territoire de Mauritanie occupe une pénéplaine aux deux tiers saharienne. Seule la zone sahélienne occupée par le bassin moyen et la région deltaïque du Sénégal  (le seul cours d’eau permanent qui existe dans le pays) bénéficie de pluies plus fréquentes. La vallée alluviale comprise entre le Fallemme (un des principaux affluents) et l’Atlantique a toujours représenté un intérêt économique important grâce à ses terres de culture et à ses pâturages. L’économie traditionnelle agro-pastorale permet de pratiquer des cultures céréalières de décrue et pluviales (variétés de sorgho-Sorghum-bicolor L, de mil-Pennisetum glaucum et maïs-Zea mays L) dans les bassins du Sénégal et de ses affluents, et de la phéniculture dans les oasis situées dans le centre et le nord du pays. Depuis une quarantaine d’années a été introduite sur les terres de décrue du Sénégal la riziculture de type asiatique dans de petits périmètres irrigués pour chercher à supprimer le déficit céréalier du fait de la sécheresse. L’intérêt de l’agriculture irriguée a augmenté depuis que la nouvelle bourgeoisie arabo-berbère a commencé à y investir ses capitaux il y a une quinzaine d’années.

 

Malgré sa grande richesse en cheptel (bovins, ovins, caprins, camelins, assins), l’élevage reste aujourd’hui très handicapé par le rétrécissement des superficies des pâturages. Pendant la saison sèche qui dure environ 9 mois, la quasi-totalité du cheptel mauritanien reste concentré dans la vallée du Sénégal, donc dans des territoires de plus en plus réduits où une cohabitation entre éleveurs et agro-pasteurs ne peut être viable que s’il existe un respect consensuel des règles bien établies de production et d’exploitation.

 

Le fleuve Sénégal et ses potentialités hydro-agricoles.

 

Le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, dans le cadre de l’Organisation pour la mise en valeur du Fleuve Sénégal (O.m.v.S.) cherchent depuis 1972 à résoudre le problème de déficit économique par une exploitation de toutes les potentialités hydro-agricoles. Cet organisme sous-régional  a en charge le développement des pays du bassin du fleuve Sénégal, y compris la construction et la gestion des deux barrages :

– Celui de Manantali sur le Bafing. Situé à quelques 1000 km en amont au Mali ce barrage constitue un réservoir de 22 milliards de mètres cubes d’eau. Achevé en 1988 il est prévu pour la régulation du débit dans la moyenne vallée afin de réaliser trois objectifs :

 

* générer 800 gigawatt-heure/an d’énergie hydroélectrique pour alimenter en électricité les trois pays, mais particulièrement la Mauritanie et le Sénégal ;

* permettre une double culture irriguée sur 405 000 ha de terres cultivables dont

240 000 pour le Sénégal, 156 000 pour le Mali et 109 000 pour la Mauritanie. Ceci permettrait aux populations de la vallée de pratiquer jusqu’à deux récoltes par an auxquelles il faut ajouter une troisième, celle des  cultures pluviales du jeeri ;

* permettre la navigabilité permanente du fleuve entre Saint-Louis à l’embouchure et Kayes au Mali.

 

– Le barrage de Jama (achevé en 1985) est  situé à 27 km de l’embouchure. Sa fonction est d’empêcher la remontée des eaux salées de l’océan Atlantique constatée jusqu’environ 200 km à l’intérieur du fleuve en période des basses eaux. Avec la construction d’une digue sur la rive mauritanienne, le barrage permet d’élever le niveau de l’eau douce  pour une irrigation plus importante des terres de la basse vallée.

Depuis une trentaine d’années, la lente mais progressive descente des populations venues du nord et du centre de la Mauritanie vivant exclusivement de l’agriculture et de l’élevage est difficilement ressentie par les autochtones du sud comme des menaces d’ordre économique, culturelle et physique pour une région qui se caractérise par l’exiguïté de ses superficies «utiles »[2] qui formaient déjà, avant la sécheresse, un fragile équilibre entre ses habitants, entre cultures et bétail. Au départ, les relations conflictuelles entre agro-pasteurs et nomades intéressaient en réalité très peu le pouvoir politique de Nouakchott. On peut dire que c’est à partir de 1979-80 que celui-ci intégra réellement ce que le colonisateur français avait qualifié d’«espace utile» (vallée du Sénégal) dans le débat de ce qu’on appelle en Mauritanie la Question nationale et qui oppose du point de vue idéologique et racial les Noirs non arabes (Sooninko, Bamana, Wolof et Fulɓe) aux Arabo-berbère.

Pour une meilleure compréhension de notre propos, il est utile de faire un bref rappel historique du contexte politique et idéologique que la Mauritanie avait hérité à son indépendance et qui a été entretenu depuis lors par les héritiers politico-administratifs du pouvoir colonial français après 1960.

 

Le fondement colonial de «la Question nationale» (1899-1960)

 

La question identitaire dans le discours politique en Mauritanie est quelque chose de relativement ancien. On peut même dire qu’elle naquit avec la colonie. En effet, dès sa création théorique  (décembre 1899), les coloniaux français avaient introduit le débat sur l’identité raciale et ethnique de la future colonie à créer. On parlait alors de créer un «espace unitaire maure »[3] et de créer une Mauritanie dont les principes fondamentaux devraient reposer sur les «(…) facteurs de l’unité culturelle maure et saharienne »[4]. Les débats identitaires commencèrent à prendre une véritable importance politique à partir de 1958, avec une série de publications, dans la presse de Dakar au  Sénégal et dans celle de Paris en France, de déclarations de dirigeants appartenant respectivement aux deux tendances nationalistes négro-africaine et arabe.

La volonté de confier la direction politique du pays sur des considérations raciales et ethniques, la conviction acquise par les dirigeants Bidan que la Mauritanie est une « colonie ethnique maure », les prises de position des Noirs contre cette perception politique des choses, tout cela constituait un ensemble de facteurs psychologiques peu favorables à un avenir politique stable en Mauritanie. C’est dans ce contexte de suspicions et de querelles culturelles entre dirigeants des entités ethnico-raciales que la colonie accéda à l’indépendance en novembre 1960. Les dirigeants politiques noirs souhaitaient que leur «communauté raciale » restât arrimée au Mali et au Sénégal, tandis que les Bîdhân voulaient être rattachés au monde arabe auquel ils s’identifient. Les déclarations de politiques racistes et chauvines des uns, les mises au point politiques des autres donnèrent d’emblée le ton des aspirations très contradictoires qui préfiguraient des lendemains difficiles pour le pays.

 

Le renforcement de la politique d’arabisation par l’éducation, perçue comme un moyen d’organiser l’hégémonie de la nationalité bîdhân, joua le rôle de catalyseur dans les crises raciales et ethniques cycliques qui opposent les deux parties depuis 1960. Les premiers affrontements raciaux sanglants qui secouèrent le pays eurent lieu en février 1966, après la promulgation des lois 65 025 et 65 026 du mois de janvier 1965 rendant de manière insidieuse la langue arabe obligatoire dans l’enseignement primaire et secondaire.

 

Thèse ethniciste et politique d’arabisation.

 

Cette politique d’hégémonie ethnico-raciale est justifiée dans la  construction d’une argumentation historique qui lie intimement l’espace (la Mauritanie assimilée au Trab-el-Bîdhân, le «Pays des Bîdhân») à l’ethnie (arabo-berbère), et la race («blanche») d’où la résurgence de la thèse développée à l ‘époque coloniale : Faire de la Mauritanie un «espace unitaire maure ».

 

Du point de vue de cette construction idéologique qui est devenue une idéologie d’Etat, la rive droite du fleuve Sénégal fait partie intégrante de «l’espace arabe » qui a été occupée par des populations non arabes à la faveur de la colonisation, d’où la thèse de la «Teera Nullis »qui veut que ce territoire qui forme aujourd’hui la Mauritanie était vide de peuplement humain avant l’arrivée des Arabes Beni Hassan à la fin du XVIème siècle[5]. Dans son numéro 129 du mois d’avril 1969, le mensuel Watan al Arabi développait des théories sur la pureté raciale de l’«espace mauritanien» dans lequel doit vivre l’«homo mauritanicus » identifié à l’Arabe. Des photos de Bîdhân (hommes «blancs ») et de Bîdhâniya (femmes «blanches ») sont produites dans ce numéro avec des légendes précisant que ces hommes et ces femmes «blancs» représentaient l’ «authentique » population de la Mauritanie à vocation «arabo-musulmane ». Toujours dans le même numéro, sont publiées des photos des pirogues remplies de Noirs  traversant le fleuve Sénégal. On lance alors un appel pour que ce morceau de la «patrie arabe » (Watan al Arabi), la Mauritanie, sauvegarde sa «pureté arabe » face à cette  «al ihtilal al zounji » («invasion noire ». La Mauritanie est alors assimilée à la Palestine, d’où l’appellation de «Seconde Palestine » qu’on lui donne. Les Bîdhân, sont désignés par cette idéologie sous le vocable de «Palestiniens » et les Noirs non arabes vivant dans le pays de «Juifs» qu’il faut refouler sur la rive sénégalaise.

 

Il faut préciser que la circulation d’une rive à l’autre du fleuve Sénégal est une chose normale car, malgré l’existence de cette frontière artificielle créée entre les colonies du Sénégal et de la Mauritanie par le décret du 25 février 1905, ce fleuve n’a jamais été une frontière pour les populations autochtones vivant à cheval sur les deux rives, encore moins un élément de rupture. Le Sénégal et son bassin forment une entité géographique (terres du waalo, terres du jeeri) qui ont permis à leurs habitants d’élaborer au fil des temps une socio-économie fondée sur l’agriculture, l’élevage et la pêche. La création de cette frontière artificielle au milieu d’une unité géographique homogène a favorisé le dysfonctionnement de ce mode d’organisation socio-économique. Ces activités au quotidien d’une rive à l’autre qui durent depuis des siècles, donc bien avant l’arrivée des Européens en Afrique, sont donc assimilées aujourd’hui par une idéologie à une invasion de la Mauritanie par des populations noires. Rappelons que la Mauritanie a été créée par le colonisateur français d’abord sur le papier le 29 décembre 1899 et constituée sous sa forme actuelle avec intégration de la rive droite à partir d’un arrêté du  10 avril 1904[6].

 

Cette thèse a justifié l’action politique des campagnes de dépopulations des Noirs non arabes de la vallée par des campagnes d’expulsions des soi-disant Noirs étrangers  et de massacres de  d’autres civils et militaires noirs entre 1989 et 1990.

 

L’application de cette thèse dans la politique foncière.

 

Si cette thèse n’a pas trouvé son application pratique déjà dans les années soixante c’est parce qu’un dispositif administratif et militaire capable d’organiser une dépopulation n’était pas encore mis en place. D’ailleurs, le régime en exercice de l’époque, celui de Mokhtar Ould Daddah (28 novembre 1960-10 juillet 1978), même s’il appliquait systématiquement la politique d’ethnicisation de l’Etat en vue d’une hégémonie politique, culturelle et économique totale des Arabo-berbère, n’avait pas montré une volonté de pratiquer une politique d’épuration ethnique par une dépopulation de la rive mauritanienne de ses Fulɓe (ou HaalPulareeɓe), Wolof et Sooninko. La prise du pouvoir par les militaires le 10 juillet 1978 favorise une mise en place progressive d’un dispositif d’application d’une épuration ethnique. La conjonction de trois facteurs favorables se présente entre 1979 et 1983. Elle permet l’application de la politique de dépossession des terres et de dépopulation des Noirs (Fulɓe ou HaalPulareeɓe, Sooninko et Wolof) de la vallée du Sénégal :

 

– Le premier facteur touche à l’aggravation de la sécheresse et ses conséquences sur l’exode des nomades arabo-berbère et leurs importants troupeaux de dromadaires dans la vallée, et la sédentarisation de certains. A partir de 1979-1980, les conflits deviennent de plus de plus fréquents et violents entre agro-pasteurs noirs et propriétaires Bidan de dromadaires qui provoquent des dégâts importants des cultures[7]. Ici, la carte arabe a été appliquée à fond par le régime de Nouakchott. Ainsi en 1982 à Ouad Naga, le colonel Mohamed Khouna Ould Haïdallah, alors président du comité militaire de Salut national (C.m.s.n./mai 1980-décembre 1984), incite les familles nomades et sédentaires bidhân et h’râtîn vivant dans la région administrative d’Aleg et touchées par la sécheresse à migrer vers la vallée du Sénégal « (…) la sécheresse a tout détruit. Il n’y a plus d’eau dans nos puits, plus de pâturages pour le bétail. Allez dans le Sud, vous y trouverez de l’eau et de la terre pour cultiver (…)». Son successeur, l’actuel Président, le colonel Ould Taya ira plus loin dans cette option lors de sa visite officielle au Gidimaxa, dans le sud-est, au début de l’année 1987. Répondant aux doléances d’une délégation des agriculteurs sooninko qui avaient réclamé une protection de leurs cultures contre les dégâts impunis causés par les troupeaux de dromadaires, le gouverneur de cette région administrative, Dah Ould Abdel Jelil, l’actuel ministre de l’intérieur, des Postes et Télécommunications, avait répondu à la place du président que « (….) les dromadaires étaient aussi mauritaniens que les villageois de la vallée du Sénégal. Ces animaux avaient donc le droit de venir s’abreuver au fleuve comme les agriculteurs avaient le droit de cultiver leurs terres (…)».

 

– Le second facteur déterminant est la politique d’investissements entreprise dans l’agriculture irriguée rentière par la nouvelle bourgeoisie politico-administrative et militaire bîdhân sur les terres du fleuve. Entre 1977 et 1978, une campagne contre l’O.m.v.S fut menée par les nationalistes arabo-berbères qui s’évertuèrent à démontrer que la Mauritanie n’avait aucun intérêt économique et politique à rester membre de cette organisation. Cette revendication entre dans le cadre de la politique d’orientation intégrale vers le monde arabe qui veut que la Mauritanie se désolidarise de tous les organismes de développement sous-régionaux subsahariens[8]. Un revirement est observé à partir de novembre 1979 pour tenir le nouvel argument selon lequel les Arabo-berbère doivent bénéficier au même titre que les populations de la vallée des aménagements d’infrastructures hydroélectriques de l’O.m.v.S. Du point de vue de ces nationalistes, cette revendication trouve une seconde légitimité dans le fait que les principaux pays qui financent les barrages sont des pays arabes, l’Arabie Saoudite, le Koweït, Abou Dhabi. Viennent seulement ensuite la France, l’Allemagne, l’Italie, le Canada, les Etats Unis et les organismes internationaux comme le F.e.d., la B.a.d., le P.n.u.d. Cet argument fut déterminant dans la prise de décision sur la réforme foncière.

 

– Le troisième facteur touche à l’esclavage. La question sur cette  institution, son abolition en 1981 et surtout sa politisation par les H’râtîn-Abîd qui ont décidé de prendre en main leur destin socio-économique et politique constituent une menace réelle pour le Système Bîdhân qui construit et qui gère l’hégémonie ethnique arabo-berbère. C’est pourquoi il évite toute contradiction antagoniste qui affaiblirait son bloc ethnique dans le combat qu’il prétend lui faire mener contre le bloc multiethnique non arabophone. En effet, la clientèle communautaire H’râtîn-Abîd arabophone représente dans ce conflit ethnico-racial qui divise la Mauritanie un enjeu militaire important. Car les descendants d’esclaves sont devenus un instrument militaire dont il a été démontré l’efficacité meurtrière dans la répression lors des conflits raciaux de février 1966. Ils ont confirmé ce rôle lors de la crise d’avril-juin 1989 à Nouakchott, et lors des massacres des militaires noirs non arabophones entre novembre et décembre 1990. Les initiateurs de la campagne trouvèrent donc dans les revendications sociales et politiques de El Hor, un mouvement de cadres et d’intellectuels H’râtîn-Abîd crée en mars 1978, une opportunité pour donner à la campagne en faveur d’une réforme foncière une légitimité encore plus grande.. « La terre à ceux qui la travaillent » fut un slogan largement diffusé par le Système Bidan qui, appuyé sincèrement par les courants de la gauche marxiste-léniniste et maoïste mauritanienne toutes ethnies confondues, fit miroiter les terres de la vallée aux masses H’râtîn-Abîd et à leurs dirigeants politiques. Cette campagne sociale plutôt démagogique qui a fini par montrer son caractère pernicieux et très dangereux visait en réalité à orienter les légitimes et irréversibles revendications sociales et économiques des H’râtîn-Abîd  vers les terres alluviales du Sénégal afin de susciter des contradictions antagonistes entre cette communauté et les populations non arabophones de la vallée.

 

Face à toutes ces pressions politiques et sociales, le gouvernement du colonel Mohamed Khouna Ould Haydallah  promulgua donc l’ordonnance n°83 127 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale. Cette « réforme foncière » n’a touché, jusqu’à présent, que les terres de la vallée du Sénégal, objet des convoitises de l’agro-busness et qui représentent la majeure partie des surfaces aménageables indispensables à l’autosuffisance alimentaire du pays. En effet, paradoxalement, les importantes terres des oasis et des graara dans le Trab-el-Bîdhân ne sont nullement touchées par l’application de cette réforme. Les articles 1, 3, 9, 11, 12 et 14  de l’ordonnance de 1983 favorisent jusqu’à aujourd’hui des confiscations «légalisées » des terres. La circulaire n° 020/MINT du 29/07/85 intitulée «circulaire spéciale relative à la campagne agricole », adressée par le ministre de l’intérieur aux gouverneurs et préfets permet «l’achat des terres» par la classe d’affaires bîdhân issue de la bourgeoisie formée des trois composantes compradore, politico-administrative et militaire. Cette politique de confiscation des terres est facilitée par la réforme de l’administration territoriale entièrement arabisée instaurée depuis le régime de Mokhtar Ould Daddah et dont le commandement (gouverneurs et adjoints, préfets et sous-préfets) dans les quatre régions du fleuve est exclusivement réservé à des administrateurs arabo-berbères. Les confiscations des terres étaient faites sous la protection de la Garde nationale et de l’armée nationale et du Corps de la police qui répriment les révoltes des populations spoliées de leurs terres de culture, malgré les protestations des groupes lignagers propriétaires traditionnels des terres de culture, car dans la vallée du Sénégal, la propriété individuelle n’existe pas dans le mode de gestion et d’exploitation des terres et du bétail[9]. Pour donner à ces confiscations une apparence de légitimité, le gouvernement accorde des autorisations d’exploiter des terres à titre précaire et révocable, mais cette procédure est la voie classique par laquelle l’Etat permet de régulariser l’occupation après une mise en valeur intempestive de la propriété (décret n°90.020 du 31 janvier 1990).

 

Le 11 septembre 1991, un sit-in des habitants agro-pasteurs des villages de Sinycu-Deyba et de Sinycu-Bummaka dans leur plaine alluviale de MBargu  se termina  par un massacre. Une fusillade fit 3 villageois tués et 4 autres grièvement blessés par balles tirées par des éléments d’un détachement de la Garde nationale venu protéger, sur ordre du préfet, une famille Bîdhân à qui le gouverneur de Kayhayɗi avait attribué des terres qui appartenaient à ces deux  villages. Cette forme d’appropriation par des particuliers est devenue classique depuis les premières campagnes agricoles qui suivirent la réforme de 1983. Aucun village de la vallée, qu’il soit habité par des Wolof, des Fulɓe (ou HaalPulareeɓe), des Sooninko,  même les Adouaba des H’râtîn-Abîd dont certaines sont installées dans la vallée depuis le début du siècle à l’occasion de la politique d’allégement des conditions d’esclavage menée par l’administration coloniale n’échappent à ces dépossessions «légalisées».

Le Waalo-Barak (départements et arrondissements,  depuis Kër Maseen Seen  jusqu’à Kër Muur) est le premier pays touché. Dans sa progression vers l’est du fleuve, la politique d’occupation des terres de culture par des hommes d’affaire entraîne une nouvelle forme d’occupation, la colonisation.

 

Le Fuuta Tooro (arrondissements de Teekaan, de Wuro Elimaan (Dar-el-Barka), département de Ɓoggee, de Bahbaalɓe, MBaany, de Kayhayɗi, de Magaama) et le Gidimaxa (région administrative du Gidimaxa) sont de plus en plus touchés.  Les dernières campagnes de confiscations des terres suivies de répression des villageois propriétaires ont eu lieu dans les provinces du Tooro (arrondissement de Dar-el-Barka) en juin 2000 et du Hirnaange Boosoya à Beelinaaɓe (Département de Kayhayɗi) en août 2000. Comme d’habitude, pour contrer les populations de la vallée, gouverneurs, préfets, sous-préfets, chefs d’arrondissements exigent aux agro-pasteurs des titres fonciers pour prouver leurs droits sur les terres de leurs ancêtres[10]. On exige donc aux paysans de la vallée du Sénégal ce que les membres de la société bîdhân sont eux-mêmes incapables de fournir.

 

L’application de cette politique de confiscation des terres à partir de 1987 a placé le bassin moyen du Sénégal dans une situation de crise endémique grave qui touche l’ensemble des populations vivant sur les deux rives.  Car toutes les familles d’agriculteurs qui appartiennent aux mêmes parentèles que celles installées sur la rive mauritanienne et ayant la nationalité sénégalaise (parce que toutes ces populations ont été sénégalisées ou mauritanisées par l’administration coloniale française) ont vu confisquer leurs terres qu’elles possédaient depuis des siècles, bien avant les invasions arabo-islamistes, donc bien avant l’arrivée des Européens dans la vallée du Sénégal.

 

Ce conflit qui oppose le régime de Nouakchott aux intérêts des Noirs non arabes de Mauritanie d’une part, à ceux du Sénégal d’autre part atteignit son paroxysme en avril-juillet 1989. On déplore des centaines de morts dans les deux pays. Cette crise de 1989 donna l’occasion au régime de Nouakchott de réaliser sa première campagne de purification ethnico-raciale en faisant « expulser » massivement vers le Sénégal et le Mali près de 120 000 Noirs, particulièrement des agriculteurs et des pasteurs après confiscations de leurs terres et leurs milliers de têtes de bétail. Des villages entiers furent dépeuplés pour être repeuplés ensuite par des familles H’râtîn-Abîd dont quelques-unes bénéficièrent d’une redistribution de quelques lopins des terres et de quelques têtes du bétail confisqués.

 

Cependant, la part importante des terres confisquées a été redistribuée à des hommes d’affaires. On distribua le bétail à des familles Bîdhân installées récemment sur les hautes terres la vallée du fait de la sécheresse.  Dans le cadre de la campagne de modification de l’occupation de l’espace ethnique les villages sont aujourd’hui rebaptisés avec des noms arabes et occupés par des familles Bîdhân ou H’ratîn. C’est ce que constate d’ailleurs l’Agence française de développement quand il  écrit : « Le fleuve Sénégal : la rive mauritanienne en voie de colonisation : sur la rive mauritanienne du Sénégal habitée traditionnellement par les Noirs, les Maures blancs ont afflué et créé de nouveaux villages. Depuis la réforme foncière domaniale et foncière de 1983, des milliers d’hectares leur ont été attribués. Ils ont aussi pris en main l’administration et certains conseils municipaux. L’amertume est grande chez les autochtones qui ont l’impression de vivre une nouvelle colonisation »[11].

 

Cette situation interne en Mauritanie est compliquée par les rapports complexes que ce pays entretient avec le régime sénégalais d’une part,  les populations de la vallée appartenant aux mêmes ethnies que celles de la rive mauritanienne d’autre part. Depuis la crise de 1989, la Mauritanie continue d’ignorer systématiquement les droits des Sénégalais riverains du fleuve et propriétaires de terres situées sur la rive droite. Les autorités administratives locales continuent de confisquer leurs terres, en violation du droit privé international. Face à cette situation les populations sénégalaises concernées accusent les gouvernements du Sénégal qui se succèdent de faire preuve de laxisme qui amène des observateurs à les soupçonner de complicité avec le Système Bîdhân, malgré leur menace de saisir la Cour Internationale de Justice. En effet, certains pensent que le lobby wolof de la confrérie musulmane des Mourides dont l’actuel président, Abdoulaye Wade, est un fervent disciple, cherche à faire appliquer la même politique que les Bîdhân sur les terres de la rive gauche. Les Mourides avaient fait une première tentative en 1994 dans le département de Podoor, sous le régime d’Abdou Diouf qui avait fait marche arrière face à une menace de conflit ethnique entre Fulɓe (ou HaalPulareeɓe) et Wolof disciples du Mouridisme. Les terres de la rive gauche sénégalaise  étant elles aussi très convoitées par de puissants lobbies d’affaires mourides originaires des régions centrale et côtière de la République du Sénégal, on se demande quelle sera l’attitude du nouveau régime du Sénégal élu au mois de mars dernier, face à une possible coalition  entre le lobby ethnico-religieux mouride wolof du Sénégal et les hommes d’affaires Bîdhân de Mauritanie. La façon dont les gouvernements des deux pays contrôlés politiquement et idéologiquement par ces deux ethnies ont aménagé une résolution de la crise de mai-juin dernier autour du projet hydraulique interne du Sénégal[12], le silence politique du Sénégal sur l’impunité du racisme d’Etat, les déportations et les massacres des Noirs en Mauritanie ont renforcé les doutes sur le régime sénégalais soupçonné de collusion avec le Système Bîdhân qu’il prétend pourtant combattre.

 

En tout cas, face à ces crises politiques qui opposent la Mauritanie et le Sénégal, l’O.m.v.S. a enregistré des retards importants dans l’exécution de son programme initial. Ces crises pèsent lourdement sur son fonctionnement. Elles hypothèquent l’avenir de la coopération entre les trois Etats, et peuvent remettre en cause à tout moment les principes fondamentaux qui avaient conduit les trois à se regrouper en vue de mettre en valeur toutes les potentialités économiques de ce fleuve qui les unit. La Mauritanie a joué souvent le rôle d’empêcheur de tourner en rond. Elle a toujours été dirigée par des régimes politiques qui n’ont jamais fait mystère de leurs préoccupations premières, une arabisation exclusive du pays, refusant par conséquent de s’installer dans des réalités géographiques, historiques et socio-culturelles dans lesquelles le pays a été tracé. Les préoccupations de ses directions politiques n’ont rien à voir avec celles auxquelles se représentent au quotidien les populations du bassin moyen du Sénégal qui ne cherchent qu’à rentabiliser les potentialités économiques de ce fleuve. Cette absence d’unité d’intérêts se traduit souvent par leur politique d’absentéisme à l’occasion des réunions des chefs d’Etat membres. Après la C.e.d.e.A.o., les analystes de la géopolitique des pays de l’Afrique de l’ouest s’attendent à ce que ses dirigeants satisfassent aux revendications politiques des nationalistes exclusivistes qui formulées depuis les années 70, à savoir le départ de la Mauritanie de l’O.m.v.S.[13]. En cas de départ du pays de cette organisation sous régionale, les conséquences ne seront pas seulement économiques. Elle accélérera le processus des conflits ethniques et raciaux malheureusement  inévitables mis en conditions favorables par le Système Bîdhân depuis l’application subjective de la réforme foncière et domaniale. Ces conflits auxquels aucun des pays de la sous-région ne sera à l’abri remettront inévitablement en cause l’entité de la géographie politique et administrative de la Mauritanie.

 

Conclusion

 

En Mauritanie, il apparaît que la question de partage des terres de culture et des pâturages au bénéfice des populations rurales touchées par la sécheresse et la désertification n’est pas une préoccupation primordiale, même si on installe ces populations aux premières loges pour justifier la politique d’appropriation en cours d’exécution. Ici, l’eau et la terre sont devenues des instruments de réalisation  d’un programme qui était d’abord  politique et idéologique, puis économique. En effet, dans le champs d’une opposition entre les populations agro-pastorales et nomades dont les intérêts économiques sont très souvent divergents, mais pas antinomiques, les régimes du Système Bîdhân favorisent l’implantation sur la rive mauritanienne d’une agriculture rentière de spéculation qui bénéficie au lobby d’affaires Bîdhân, d’où la coalition entre celui-ci et le nationalisme Bidan qui a toujours cherché dans le contrôle des territoires du Sud à réaliser son programme  d ‘ «homogénéisation culturelle et ethnique arabe de la Mauritanie».

Face à cette situation difficile et inquiétante nous nous permettons de reprendre la question posée et la conclusion pessimiste suivantes de l’anthropologue Bernard CROUSSE qui avait effectué en 1992 une mission dans la vallée du Sénégal  pour le compte de la Banque mondiale : «A quand des solutions satisfaisantes pour tous les partenaires en présence ? Manifestement l’horizon est bouché et on ne voit pas approcher les éclaircies bienfaisantes attendues(…)»[14]. Chacune a toute sa légitimité.

 

Bibliographie

Travaux universitaires

 

-BA, Yaghoub Aboubacry : «Les problèmes fonciers et le développement agricole au Gorgol», Mémoire de fin d’études, Ecole nationale d’Administration, Nouakchott, 1986.

 

-BARO, Mamadou Amadou : «Contribution à une étude socio-économique d’expériences d’aménagements hydro-agricoles en Mauritanie. Cas du périmètre pilote du Gorgol». Mémoire, Faculté des lettres et sciences humaines, Université de Dakar, 1984.

-NDIAYE, Abou Souleymane : «Les  problèmes du secteur rural en Mauritanie et ses projets ruraux dans le cadre du IVè Plan», Mémoire de maîtrise. Faculté du droit, Université de Dakar, 1983.

 

-NDIAYE, Yéro : «Périmètres irrigués et coopératives villageoises de la région du Gorgol», Mémoire de fin d’études, Ecole nationale supérieure, Nouakchott, 1983.

 

-OULD DIH, Cheikh : «Incidence de la culture irriguée sur la situation socio-économique des populations de la rive droite du fleuve Sénégal», Ecole nationale supérieure agronomique de Montpellier, 1983

 

-YALL, Zakaria : «L’organisation de la propriété foncière et domaniale en Mauritanie», Mémoire de fin d’études, Ecole Nationale d’Administration, Nouakchott, 1985.

Ouvrages

 

-ADAMS, Adrian : «La terre et les gens du fleuve : jalons, balises», Paris, l’Harmattan, 1985.

 

-ALOVO-KANE, Henriette : «La sécheresse en Mauritanie. Un dossier d’information», UNICEF, 1984

 

-BOUTILLER, Jean-Louis : « La Moyenne vallée du Sénégal. Etude socio-économique« , Paris, Presses Universitaires de France, 1962.

 

-De CHASSEY, F. : «L’Etrier, la houe et le livre : Les sociétés traditionnelles au Sahara et au Sahel», Paris, Anthropos, 1977.

 

-lam, Aboubakry Moussa. : «La fièvre de la terre», Paris, L’Harmattan, 1991.

 

-lam, Abuubakry Muusa : «Paalel Njuumri», Dakar, Editions Papyrus-Gie, 2000. 220 p. O.M.V.S. (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal) : « Etudes socio-économiques du bassin du fleuve Sénégal« . 4 parties. Réédition 1984. Parie 1 : Présentation générale du bassin du fleuve.

 

-SALEM-MURDOCK, Muneera ; HOROWITZ, Michael M. : « Les barrages de la controverse. Le cas de la vallée du Sénégal« , Paris, L’Harmattan, 1994. 318 p.

Articles

 

-BECKER, Charles, LERICOLLAIS, André : « Le problème frontalier dans le conflit sénégalo-mauritanien », Politique Africaine, n°35, octobre 1989, pp. 149-155

 

-BOUTILLER, Jean-Louis & SCHMITZ, Jean : « Gestion traditionnelle des terres ‘système de décrue/système pluvial) et transition vers l’irrigation : le cas de la Vallée du Sénégal

 

-BOUTILLER, Jean-Louis : « , Paris, Cahiers des Sciences humaines, XXIII (3-4), 1987, pp. 533-544.

 

-CROUSSE, Bernard : «Etatisation ou individualisation. La réforme foncière mauritanienne de 1983», Paris, Politique Africaine, N° 21, mars 1986, pp. 63-76.

-CROUSSE, Bernard. «Logique traditionnelle et logique d’Etat. Conflits de pratiques et de stratégies foncières : le cas de Mbagne,», in CROUSE, Bernard., LE BRIS, et LE ROY, Etienne (dir.), «Espaces disputés en Afrique noire. Pratiques foncières locales», Paris, Karthala, 1986, pp. 199-217.

 

-CROUSSE, Bernard. : «La Mauritanie, le foncier et l’après-barrage», Paris, Politique Africaine, n° 30, juin 1988, pp. 83-88.

 

-CROUSSE, Bernard et HESSELING, Gerti : « Transformation foncière dans la vallée du Sénégal. Enjeux politiques et ethniques », Paris, Politique Africaine, N° 55, «Mauritanie, un tournant démocratique», octobre 1994, pp. 89-100

 

-GADEN, Henri : «Du régime des terres de la vallée du Sénégal au Fouta, antérieurement à l’occupation française», Paris, Bulletin du Comité d’Etudes Historiques et Scientifiques (BCEHS), AOF, n°4, 1935, t 18 (XVIII), pp. : 403-414, mises au point et rectification de l’article paru dans le Bul. Com. Af. 1911, rens. Col. , p. 246.

 

-GUEYE, Youssouf : « Essai sur les causes et conséquences de la micro-propriété au Fouta-Toro », Dakar, BIFAN, B.t.XIX, n°1-2, 1957, pp. 28-42.

 

-KOITA, Tidiane : « Migrations, pouvoirs locaux et enjeux sur l’espace urbain » Transformations foncières dans la vallée du Sénégal. Enjeux politiques et ethniques », Paris, Politique Africaine, N° 55, «Mauritanie, un tournant démocratique», octobre 1994, pp.101-109

 

-PARK, T.K. ; BARO, Mamadou ; NGAÏDE, Tidjane : « Les conflits fonciers et la crise du nationalisme en Mauritanie », Madison-Wisconsin, Land Tenure Center, 1991, 54 p.

 

-SECK, Sidi Mohamed : « Bassin du fleuve Sénégal, aspects fonciers et organisationnels dans le développement de la culture irriguée», OMVS, 1985.

 

-TOUPET, Charles : «L’eau et l’espace au Sahel : l’exemple de la Mauritanie», Revue de géographie de Lyon, 1983/3.

 

-VIDAL, André : « Etude sur la tenure des terres indigènes au Fouta », CEHSAOF, tome 18, n°4, oct-déc. 1935, pp. 415-448.

 

-WANE, Mamadou : « Réflexions sur le droit de la terre des Toucouleurs ». BIFAN. t. 42. Série B. n° 1. 1980 paru le 30 novembre 1981.

 

Annexes

 

-Ordonnance n°81 234 du 9 novembre 1981 portant abolition de l’esclavage en République Islamique de Mauritanie

 

– Ordonnance n°83-127 du 5 juin 1983. Journal officiel de la République Islamique de Mauritanie, 25è année, 592-593, 25 juin 1983, pp. 364-366.

 

– Circulaire n°020/MINT du 20/07/85 intitulée «circulaire spéciale relative à la campagne agricole » adressée par le ministre de l’Intérieur aux gouverneurs et préfets.

– Décret 90-020 du 31 janvier 1990 abrogeant et remplaçant le décret n° 84-009 du 19 janvier 1984 portant application de l’ordonnance  n°83-127 du 5 juin 1983, Journal officiel de la République islamique de Mauritanie du 28 février 1990 pp. 364-366.

 

– Arrêté n° R 181/IMRD du 17 novembre 1986 portant création d’un Bureau des Affaires foncières et de législation rurale.

 

– Circulaire n° 023/MIPT/CM/MV du 26 août 1990 à Monsieur le Wali du Trarza et Messieurs les hakems des Moughataa de Rkiz et de Rosso relative à l’attribution de terrains à usage agricole.

 

– Arrêté n° R  206  du 5 novembre 1990 fixant les attributions des services en matière de politique foncière dans le secteur rural, Journal officiel de la république islamique de Mauritanie du 28 novembre 1990.

 

– Création d’un Bureau foncier à Rosso en 1991

 

– Création d’un Bureau foncier à Kaédi en 1993

 


[1] Cette Communauté est composée de deux sous-ensembles, les H’râtîn proprement dits qui sont des descendants d’esclaves et les Abîd qui sont en encore soumis au régime d’esclavage bien que celui-ci ait été supprimé en Mauritanie par une ordonnance n°81 234 du 9 novembre 1981.

Parmi les H’râtîn on distingue sans lisibilité :

-Les Adhab : qui seraient des descendants des populations autochtones, les Bafuur, qui ont été assimilés à la Culture arabo-berbère, sans aucun lien avec l’esclavage. On prend l’exemple des  Imragen (les pêcheurs) sur les côtes de la Mauritanie

-Les Khâdra qui sont d’anciens esclaves libérés qu’on assimile aussi à des descendants des Bafuur assimilés. Ils restent très attachés à leurs anciens maîtres. Ils sont généralement assez aisés mais sont toujours surtaxés par les  Bîdhân (Maures « blancs » qui, de cette façon, allègent leurs propres taxes

Voir :

L’Autre Afrique  du 6 août au 2 septembre 1998 : «Mauritanie. Interview de Messaoud Ould Boulkheir». pp.24-26

– SOS Esclaves Mauritanie. Rapport annuel 2000. Quatrième rapport. 38 p.

 

[2] GUEYE, Youssouf : « Essai sur les causes et conséquences de la micro-propriété au Fouta-Toro », Dakar, BIFAN, B.t.XIX, n°1-2, 1957, pp : 28-42.

[3]MARTY, Paul : « Considérations sur l’unité des pays maures de l’Afrique occidentale française», in Annuaires et Mémoires du CEHS/AOF, série B, 1916, pp.262-270.

[4] MARTY, Paul : « Considérations ….. ». op. cit.

[5]Thèse reprise le 31 juillet dernier par un des dirigeants nationalistes Bîdhân Ahmed El Waffi invité par la télévision privée qatariote Al JAZEERA dans l’émission « Dayfoun wa quadhyah » qui  captée dans le monde entier

[6] ANS (Archives Nationales du Sénégal). 9G 21. Pièce 106

[7]Le dromadaire provoque aujourd’hui dans la vallée des destructions importantes sur les cultures, destructions contre lesquels personne n’ose porter plainte de peur de subir les foudres de l’administration civile et militaire locale dont les agents se solidarisent avec cet animal pour des raisons socio-économiques (car le dromadaire représente chez les Bîdhân ce que la vache représente chez les Fulɓe (HaalPulareeɓe) et aussi, dans le contexte de la Question Nationale, à cause de cette compétition ethnique pour le contrôle économique des terres de la vallée. Cette situation provoque souvent des conséquences psychologiques assez graves chez les populations agro-pastorales de la vallée du Sénégal. Le dromadaire concurrence beaucoup les bovins, les ovins et les caprins pour les pâturages. Une des principales demandes formulées par les communes du Sud jumelées à leurs homologues françaises est l’installation de clôtures électriques de protection contre les dromadaires.

Voir l’article « Dans le Sud mauritanien, Dieu ne tue pas les chameaux ! » in  FLAMBEAU. Bulletin trimestriel n°19. Janvier-février-mars 2000. P.10.

[8] En application de cette politique, la Mauritanie a quitté le 26 décembre 1999 la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) dont elle est membre fondatrice.

[9]GUEYE, Youssouf : «Essai sur les causes et conséquences de la micropropriété au Fouta-Toro», Dakar, BIFAN, B.t.XIX, n°1-2, 1957, pp : 28-42.

[10]GADEN, Henri : «Du régime des terres de la vallée du Sénégal au Fouta, antérieurement à l’occupation française», Paris, Bulletin du Comité d’Etudes Historiques et Scientifiques (BCEHS), AOF, n°4, 1935, t 18 (XVIII), pp : 403-414, mises au point et rectification de l’article paru dans le Bul. Com. Af. 1911, rens. Col. P. 246.

[11] L’Agence française de développement. Pressdoc Numéro 588 16-22 octobre 2000 citée par Afrique Agriculture du mois d’octobre 2000.

[12]D’après des études, il  ressort que chaque année, le fleuve Sénégal perd près de 10 milliards de mètres cubes d’eau qui se versent en mer, au niveau du barrage de Diama. Ces mètres cubes d’eau n’étant pas valorisés, la Mission d’études et d’aménagement des vallées fossiles (M.e.a.v.f.)), une structure d’études sénégalaise propose de lancer en 1994 le programme de revitalisation des vallées fossiles (P.r.v.f.) d’ici à l’an 2000. L’objectif final étant de prélever une partie de ces excédents d’eau afin de l’utiliser pour le développement du Sénégal qui doit passer nécessairement par celui de l’agriculture irriguée et par l’élevage sédentarisé. La réalisation du P.r.v.f  nécessite un budget de 30 milliards de francs C.f.a.. La vallée fossile couvre une zone comprise entre le Sine-Saloum qui est un bras de mer estuaire et le fleuve Sénégal. Elle se compose de six vallées individualisées dont celles du Ferlo (1200 km), du Sine (200 km), du Carcar (300 km), du Sandougou (360 km). Parmi ces vallées, celles du Sine et du Saloum devront, pour leur revitalisation, tirer leur eau des affluents du Haut-Ferlo qui sera revitalisé par une prise sur le Fallemme, affluent du Sénégal. En plus de faire venir l’eau sur un parcours de près de 3000 km, la M.e.a.v.f. devrait mener «(…) des actions curatives de revitalisation des vallées (…) et de leurs principaux affluents et défluents », «(…) des opérations visant la prévention d’une fossilisation des cours d’eau au sud du pays ». Ces actions permettront ainsi une sécurisation de la mise en valeur de l’ensemble du réseau hydrographique du Sénégal. Elles intègrent aussi la construction d’ouvrages contre la salinisation. La Mauritanie s’oppose à ce projet en arguant d’un manque d’eau du côté des défluents qui serait dû à la mise en œuvre de la première phase du projet de revitalisation des vallées fossiles, d’où la crise dite des vallées fossiles de mai-juin dernier qui faillit replonger la sous-région dans un conflit aux conséquences incalculables, 10 ans après celui de 1989.

[13] Durant ces années, l’Irak, puis la Libye s’étaient portés candidats pour réaliser des aménagements agricoles sur la rive mauritanienne. Le premier pays ne fit aucune réalisation. Le second créa avec la Mauritanie une structure dénommée So.ma.li.d.a. (Société mauritano-libyenne de développement agricole) à qui on attribua des ha de terres dans le Waalo (région administrative du Trarza) et qui n’a présenté jusqu’à aujourd’hui aucune incidence agro-économique favorable aux populations. .

[14]CROUSSE, Bernard et HESSELING, Gerti : « Transformations foncières dans la vallée du Sénégal. Enjeux politiques et ethniques », Paris, Politique Africaine, N° 55, «Mauritanie, un tournant démocratique», octobre 1994, pp.89-100, p.100.

 

 

Colloque du 24 au 26 octobre 2000

Université Léopold  Sédar SENGHOR

(Alexandrie-Egypte)

 

Ibrahima Abou SALL                                           

Historien

Questions foncières et « passif humanitaire » 1989/1991*

 

 

En avril 1989, un incident frontalier opposant des éleveurs peuls mauritaniens à des agriculteurs soninké sénégalais dégénère en violences intercommunautaires meurtrières conduisant les gouvernements sénégalais et mauritanien à procéder brutalement au rapatriement de leurs ressortissants respectifs ; le gouvernement mauritanien procède dans ce contexte à l’expulsion vers le Sénégal et le Mali de 120.000 mauritaniens noirs majoritairement Halpulaaren.

Si les causes profondes de ces violences s’inscrivent dans l’histoire à long terme entre les deux pays et une conjoncture particulière liée à la crise sénégalo-mauritanienne, elles ont également été en partie le produit d’une radicalisation des rapports sociaux, opposant des élites partisanes d’une arabisation du pays à celles défendant une revalorisation des cultures « négro-africaines », sur fond d’enjeux politiques (le contrôle de l’appareil étatique) et fonciers (le contrôle des terres pastorales et agricoles du sud mauritanien). De fait, une mainmise sur le Sud du pays s’opéra via une redistribution de terres spoliées et la destruction ou la réoccupation de nombreux villages et hameaux par des Maures Beydanes ou des Harratines, ces derniers ayant été le fer de lance du mouvement de spoliation des terres.

La première tentative de rapatriement en 1995, qui appuya des retours déjà entamés de facto par les populations elles-mêmes dans le cadre de stratégies de survie, fut juridiquement un échec de par le refus politique de reconnaître aux réfugiés leur citoyenneté et de résoudre les enjeux fonciers, politiques et identitaires sous-jacents à leur expulsion. L’organisation d’un retour officiel des réfugiés ressurgit à l’occasion de la transition démocratique de 2005, l’Union européenne, inscrit « la facilitation du retour des réfugiés dont la nationalité mauritanienne est établie et la prise des mesures nécessaires pour leur réintégration dans leurs droits(1) » en tant que condition sine qua non d’une reprise de la coopération.

La résolution de la question du rapatriement, au cœur des débats de la présidentielle de mars 2007, s’est traduite très rapidement par la signature, le 12 novembre 2007, d’un accord tripartite Sénégal- Mauritanie-HCR(2) jetant les bases juridiques du retour(3) et la mise en œuvre d’un programme de rapatriement. Si le gouvernement multiplia les gestes en faveur des rapatriés (nomination symbolique d’un Haalpulaar à la tête de l’Agence Nationale d’Appui et d’Insertion des Réfugiés, reprise du rapatriement dès octobre 2007, distributions médiatisées de kits alimentaires et de cartes d’identité) ces actions n’ont, en pratique, concerné qu’un nombre relativement limité de personnes.

La restitution de terres aux rapatriés évoquée lors des Journées nationales de concertation de novembre 2007 – dont les recommandations indiquent qu’elle devait être opérée «dans la mesure du possible» et qu’à défaut des parcelles équivalentes devront être attribuées – est depuis assez peu abordée de par sa sensibilité politique. Par ailleurs cette question présente le risque de réactiver une rhétorique d’autochtonie cristallisée sur la race dans un contexte ou de multiples divisions scindent les communautés à l’échelle locale.

 

Dans le village d’Houdallaye par exemple, des Peuls se sont établis en 1993, qui n’avaient pas été expulsés en 1989 mais spoliés de tous leurs biens et contraints de se déplacer de 30 km. Constitués d’une vingtaine de concessions, ils virent, en 2008, s’installer sur leurs terres de culture plus de 100 familles qui refusèrent de se soumettre à leur autorité. Houdallaye se présente désormais comme un village à deux têtes avec d’un côté, le chef des Peuls déplacés en 1989, et de l’autre, le chef des rapatriés en 2008. Le premier évoque la situation avec rancune : «Voilà plus de dix ans que nous demandons de l’eau, juste un puits mais on n’a rien reçu, c’est nous ici qui souffrons le plus. Eux ont tout eu au Sénégal, et maintenant c’est encore à eux que l’on distribue de l’aide et c’est eux qu’on installe sur nos champs. »

Le rapatriement et la résolution du passif humanitaire ont eu, enfin, pour conséquence la démultiplication d’organisations agissant au nom des « victimes » des exactions de 1989-1993: le Covire (Collectif des victimes de la répression) regroupe des associations de veuves, d’orphelins, et de militaires rescapés, le Reve (Regroupement des Victimes des Evènements de 89/91) se présente comme un regroupement de toutes les victimes de 1989, mais est formé de fonctionnaires rentrés lors de la première vague de 1995, ou encore le Copeco/89 rim qui regroupe les opérateurs «économiques» victimes des événements de 1989. Ces collectifs, une trentaine, sont regroupés au sein de la Fondah (Forum des organisations nationales des droits de l’homme en Mauritanie) et défendent les intérêts et les revendications de certaines victimes (cadres civils ou militaires), sans toujours représenter ceux de la majorité (les éleveurs et agriculteurs).

 

* L’expression ici se réfère moins à l’ensemble des persécutions de la période 1986-1993 qu’aux exactions des années 1989-1993.

1. Council of the European Union. Council Decision concerning the conclusion of consultations with the 14 Islamic Republic of Mauritania under Article 96 of the Cotonou Agreement, 2006

2.Les Mauritaniens réfugiés au Mali ne seront pas pris en compte dans le plan de rapatriement de par leur faible représentativité politique et visibilité médiatique.

3. En 1989, 64 000 réfugiés étaient recensés par le HCR au Sénégal. Depuis lors, aucun recensement global n’a été effectué et les estimations varient entre 40 000 et 20 000 réfugiés. Le nombre de personnes rapatriées en Mauritanie en 2008 (7000) reste relativement faible par rapport au nombre total de réfugiés mauritaniens

 

Source: Advisory Services to Support Food Security Agenda (SUFSA)

« Etat des lieux de la question foncière en Mauritanie »

Mars 2014
Lettre de marché numéro
2013/323403-Version 1

Mauritanie: une nouvelle réforme foncière pour légitimer l’accaparement des terres de la vallée!

 

La problématique foncière suscite des problèmes qui contribuent à saper l’unité nationale mauritanienne, au niveau urbain mais surtout rural depuis la ruée des investisseurs étrangers, notamment du Golfe, sur les terres africaines. Une situation à laquelle la Mauritanie n’a pas échappé. Et les tensions sont perceptibles au niveau de la vallée du fleuve, une bande réduite de terres arables bordant le fleuve Sénégal.

Face aux tensions et à l’accaparement des terres par des hommes d’affaires et des spéculateurs qui essayent de servir d’intermédiaires aux investisseurs du Golfe pour des terres qui ne leur appartiennent pas, les tensions se multiplient, notamment au niveau de la région de Brakna.

Les difficultés liées à cette question sont illustrées par cette déclaration de Yahfoudhou Ould Youssouf, président de la Cour suprême révélant que «les litiges fonciers ont représenté plus de 38% des affaires soumises à la haute juridiction pendant l’année écoulée».

Le président de la Cour s’exprimait vendredi à l’occasion d’une table ronde de 2 jours axée sur «la sécurité foncière» et réunissant des hauts responsables de l’administration, des magistrats et divers acteurs de la justice, des chercheurs et sociologues, ainsi que des experts de questions liées à la gestion du foncier.

L’objectif de cette réunion, selon ses initiateurs, est d’établir «un diagnostic de la structuration des problèmes fonciers en Mauritanie, d’identifier les contraintes et les nouvelles exigences induites par les impératifs de développement et de dégager les axes d’une réforme pour un nouveau système foncier».

La multiplication des litiges fonciers induit «de multiples répercussions: forte pression sur l’administration et la justice, entrave aux activités économiques et à la mise en œuvre d’importants projets, perturbation de la cohésion sociale, etc.

D’où la nécessité de légiférer à travers un nouvel arsenal juridique global, clair et précis, de nature à favoriser la confiance dans les rapports économiques et sociaux, les opportunités d’échanges et d’exploitation du potentiel foncier national au service du développement», soulignent les participants.

Ce constat pousse aujourd’hui les autorités à envisager une prochaine réforme foncière aux contours encore largement méconnus. Pour rappel, la première loi dans ce domaine datait de 1960. Elle a été abrogée par une ordonnance adoptée le 05 juin 1983 par le régime militaire. Selon l’avis des participants, l’Ordonnance de 1983 était révolutionnaire mais sa mise en œuvre a été catastrophique.

Pour Sarr Mamadou, président du Forum des organisations nationales de droits humains (FONADH), collectif d’une vingtaine d’ONG, «cette ordonnance est intervenue comme une mesure d’urgence pour accompagner une décision d’un Comité militaire visant à abolir l’esclavage et prise à la fin de l’année 1981.

Elle était conçue comme une réponse à la revendication du droit d’accès à la terre de la part des populations victimes de cette pratique». Ainsi, ajoute t-il, «par rapport au contexte, la démarche pouvait être considérée comme une révolution».

Ce texte fait de la terre une propriété de la nation devant être mise à la disposition de tout citoyen en mesure d’en assurer l’exploitation. Ainsi, la loi confère-t-elle des pouvoirs d’attribution des terres aux représentants des autorités publiques selon les tailles solicitées : 10 hectares –par les préfets, 30 hectares par les gouverneurs de régions, 100 hectares par le ministre des finances et au delà, les compétences d’attribution sont dévolues au conseil des ministres.

«Dans sa mise en œuvre, cette loi a créé une véritable anarchie avec des attributions à la pelle et en violation des règles prescrites par l’esprit et la lettre du texte. On assiste à la dépossession des propriétaires traditionnels légitimes, à un accaparement de grandes superficies au profit de l’agro-business étranger et national, sous prétexte de réaliser des projets d’investissement mais dans une opacité totale», déplore le président du FONADH.

D’ailleurs, l’application de cette loi s’est limitée à la région de la vallée du fleuve Sénégal. Et ce n’est pas par hasard. L’objectif était tout simplement l’accaparement des terres de la vallée appartenant globalement aux communautés négro-africains (mauritaniennes non arabes) et dans une moindre mesure aux Haratines. Elle a permis à de riches hommes d’affaires proches des cercles du pouvoir de devenir de grands propriétaires terriens grâce à la complicité des autorités locales (préfets, gouverneurs, etc.).

Désormais conscientes de cette situation, les autorités mauritaniennes envisagent une réforme foncière. Un comité interministériel et une commission technique ont été institués à cet effet.

Dans cette perspective, le FONADH réclame une implication des communautés paysannes et des Organisations de la Société Civile (OSC). Préalablement à toute réforme, le collectif préconise «un moratoire de 5 ans dans toutes les attributions foncières en vue de faire un état des lieux et de purger les droits des propriétaires traditionnels légitimes.

C’est seulement après ce lifting qu’il faut envisager une réforme dans le cadre d’une démarche inclusive associant tous les acteurs des questions foncières», souligne le président du FONADH.

Il est fort probable qu’il ne sera pas entendu,….

Le 360

Déclaration : L’accaparement des terres de la vallée du fleuve continue !

 

Depuis quelques années on constate une véritable ruée en faveur de l’accaparement des terres de culture de la vallée du fleuve Sénégal. Ce mouvement a d’abord été encouragé par les Autorités de l’Etat mauritanien au cours des années quatre vingt, sous le fallacieux prétexte de l’application de l’ordonnance 83-127 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale.

Ce mouvement s’est surtout amplifié à la faveur des évènements de 1989, avec la déportation vers le Sénégal et le Mali des dizaines de milliers de paysans et d’éleveurs, qui avaient vécu grâce à l’exploitation des ressources naturelles de cette vallée ; exploitation qui était le fait de leurs ancêtres depuis plusieurs siècles déjà…

Ce mouvement, loin de s’amenuiser, a continué, en dépit de l’organisation d’un retour organisé des réfugiés, de 2008 à 2012. Non seulement des terres de culture de décrue ont été distribuées à d’autres compatriotes, au mépris des besoins des populations autochtones, mais encore une distribution s’organise en faveur d’opérateurs étrangers, notamment du Moyen Orient arabe.

Ainsi, dans la zone de Dar el Barka, un conflit perdure entre les paysans autochtones et l’Etat qui a décidé, unilatéralement, d’attribuer des milliers d’hectares de terres de culture et de pâturage à des opérateurs saoudiens.

Aujourd’hui c’est dans la zone de Tékane que cet accaparement se manifeste : des engins du génie militaire (agissant en entreprise de travaux !) sont en train d’effectuer des travaux d’aménagement dans une zone de culture et de réserve foncière, en vue d’une occupation prochaine.

Cette opération s’effectue sans aucune information aux populations locales. Il semble même que le premier responsable de la wilaya ne serait pas au courant de cette opération.

Cette situation est grosse de difficultés. Car au moment même où l’ensemble de l’opinion publique mauritanienne manifeste le désir de voir régler de façon juste et durable les nombreux conflits fonciers le long de cette vallée du fleuve, des opérations d’accaparement continuent avec un mépris certain des populations locales, dont les seules ressources sont ces terres.

Face à cette situation explosive, les responsables et militants des organisations membres du FONADH :

– expriment leur solidarité sans faille aux populations de la zone de Tékane concernée ;

– condamnent avec la dernière énergie les agissements tendant à dessaisir les paysans de la vallée de leurs terres ;

– exigent des autorités le respect du principe de la priorité à l’agriculture familiale, au détriment de l’agro-business, comme l’indiquent les instances internationales compétentes ;

– demandent à tous les citoyens épris de paix et de justice d’œuvrer ensemble, en vue de trouver une solution juste et durable aux nombreux conflits fonciers nés des attributions abusives des terres de culture et même des aménagements réalisés par les paysans de la vallée du fleuve Sénégal. Les organisations signataires

• Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH)

• Collectif des Rescapés Anciens Détenus Politiques Civils Torturés (CRADPOCIT)

• Collectif des Veuves

• Comité de Solidarité avec les Victimes des Violations des droits de l’homme (CSVVDH)

• Groupe d’Etudes et de Recherches sur la Démocratie et le Développement Economique et Social (GERDDES)

• Ligue Africaine de Droits de l’Homme / Section Mauritanie

• Regroupement des Victimes des Evénements 89 -91 (REVE)

• SOS-Esclaves

• Association Des Femmes Chefs de Familles (AFCF)

• Association Mauritanienne pour la Promotion de la Culture et de la Langue Sonninke (AMPCLS)

• Association pour la Renaissance du Pulaar en Mauritanie (ARPRIM)

• Association pour la Promotion de la Langue Wolof (APROLAW)

• Association d’Appui au Développement à la Base des Communautés (SALNDOU)

• Association pour le Développement Intègre de l’Enfant (APDE)

• Association pour le Renforcement de la Démocratie et l’Education Citoyenne (ARDEC)

• Ligue Mauritanienne des Droits de l’Homme (LMDH

Source : Fonadh

 

Les accaparements des terres sont désormais considérés par la CPI comme des crimes contre l’humanité

 

 

(Agence Ecofin) – C’est une annonce aux allures de coup de tonnerre dans un environnement où les multinationales sont habituées à une relative impunité. La Procureure générale de la Cour pénale internationale Fatou Bensouda (photo) a affirmé jeudi dans un document de politique générale sur « la sélection et la hiérarchisation des affaires » que les destructions de l’environnement et les accaparements de terres seront désormais traités comme des crimes contre l’humanité.

« Mon bureau s’intéressera particulièrement aux crimes impliquant ou entraînant des ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles ou l’expropriation illicite de terrains », précise t-elle dans le document. « Il ne s’agit pas d’ajouter de nouveaux crimes à ceux déjà listés dans le traité fondateur de la CPI, le Statut de Rome. Ce que nous reconnaissons, c’est une nouvelle emphase sur ces crimes.

Cette décision transforme la CPI en véritable tribunal international du 21e siècle. Elle envoie un message puissant qui pourrait être entendu par les aspirants coupables  », a expliqué Helen Brady, du bureau du procureur, à l’AFP.

Si cette décision peut paraître surprenante, elle rencontre l’agrément de nombre d’organisations de défense de l’environnement et des droits des populations autochtones.

« L’accaparement des terres n’est pas moins dommageable que la guerre en termes d’impacts négatifs sur les populations civiles. L’annonce de la Cour pénale internationale devrait constituer un signal aux dirigeants d’entreprise et aux investisseurs qu’ils ne peuvent plus considérer l’environnement comme un terrain de chasse », s’est ainsi réjouie Alice Harrison de l’ONG Global Witness auprès de L’Express.

Quant à la directrice de l’ONG, Gillian Caldwell, elle estime que cette annonce aura au moins le mérite de la dissuasion.

« La décision de la procureure montre que l’époque de l’impunité est terminée. Les présidents-généraux et les politiciens complices des accaparements violents de terres, de la destruction des forêts tropicales ou de l’empoisonnement de sources d’eau potable pourraient se retrouver à La Haye, en compagnie de criminels de guerre et de dictateurs », analyse t-elle.

Souvent tancée de partialité et d’inefficacité, la juridiction basée à La Haye, qui n’a jusque là poursuivi que des responsables (majoritairement africains) de génocides et de crimes de guerre, compte donc redorer son blason sur l’autel de la cause environnementale.

Des avocats ont déjà envoyé un dossier au procureur pour lui demander d’enquêter sur les cessions foncières au Cambodge.

Souha Touré

Source : agenceecofin.com

 

 

Les terres du waalo. Un extrait du « Manifeste du Négro-mauritanien opprimé… »‏

 

Nous avons dit que l’objectif du Système Beydane était de contrôler systématiquement toutes les ressources de l’économie mauritanienne : banques, commerce, pêche, mines. Ayant compris l’enjeu économique que représentera l’agriculture en Mauritanie dans la perspective de l’après barrage OMVS, il s’est attelé depuis quelques années, dispositif juridique à l’appui, à une réforme foncière en vue de contrôler les fertiles terres alluviales du fleuve Sénégal.

A/ LES TERRES ALLUVIALES DU WAALO : ENJEU POLITIQUE ET REFORME FONCIERE

L’histoire des terres du Waalo se confond avec celle des populations Sooninke, Wolof, Haalpulaaren qui habitent dans cette partie de la vallée du Sénégal. Malgré la sécheresse, les terres du walo demeurent encore un potentiel économique inépuisable, capable de nourrir l’ensemble des populations de la vallée du Sénégal, vivant en Mauritanie, au Sénégal et au Mali. Il suffit de les réexploiter avec une utilisation rationnelle de la terre et de l’eau. Les pays concernés, cherchent, par le moyen de l’OMVS (Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal), à résoudre ce problème.

Au départ, le régime de Moktar O/ Daddah avait adhéré à l’OERS (Organisation des Etats Riverains du fleuve Sénégal) devenue plus tard OMVS pour des raisons essentiellement de politique sous-régionale. Le facteur économique ne pouvait être une préoccupation de ce régime et de la classe politique beydane en général, qui voyaient en cette organisation sous-régionale un moyen de développement économique et social du Sud.

D’où le slogan « saborder l’OMVS, parce qu’elle ne profitera qu’aux Noirs ». La théorie du Daddahisme sur le développement du Sud était connue : un Sud développé habité par des Noirs serait une menace politique car le Sénégal n’a jamais définitivement renoncé à ses anciens territoires de la rive droite. Un territoire pauvre n’est guère alléchant pour les esprits irrédentistes. Il faut donc maintenir un Sud appauvri, démuni et dépendant économiquement du Nord.

C’est dans cette optique que l’on a orienté vers le Nord ou annulé de nombreux projets de développement industriel et agricole destinés initialement à la vallée du Sénégal :

– usine de sucre installée à Nouakchott au lieu de Kaédi,

– construction d’une route bitumée reliant Rosso à Sélibaby,

– investissements agricoles pour le Gorgol détourné vers la fameuse « opération charrue » en 1965 dans les Hodh,

– investissements de petits et moyens périmètres détournés en faveur de projets de reconstructions de palmeraies en Adrar et au Tagant, etc. ….

N’eut-il été l’insistance de la RFA, de la Banque Mondiale et de la république populaire de Chine, le casier rizicole de Rosso, le PPG de Kaédi et le CPB (le casier pilote de Boghé) ne seraient jamais aménagés.

A partir de 1978, un groupe de pression opposé à la participation de la Mauritanie à l’OMVS s’est constitué. Ses principaux dirigeants étaient : Mrs. Mohamed O/ Seybout (alors conseiller juridique de l’OMVS), Youba O/ Benani (alors Directeur de la Société Nationale de Développement Rural – SONADER), Mohameden O/ Baba (actuel directeur de la société susnommé), Mokhtar O/ Zamel (alors ministre du Plan), Sid’Ahmed O/ Bneïjara (alors ministre de l’économie et des finances) et Ely O/ Alaf, à l’époque Secrétaire Général de l’OMVS. Ce groupe avait publié un mémorandum qui avait la prétention de démontrer le peu d’intérêts économiques que la Mauritanie trouverait au sein de cet organisme. Selon ce document, seuls le Sénégal et le Mali allaient réellement en bénéficier.

En contrepartie du départ de la Mauritanie de L’OMVS., les pays arabes (Libye, Irak, Koweït) et le FADES. (Fonds Arabe de Développement Economique et Social) proposèrent de financer des aménagements agricoles dans des régions à dominante ou exclusivement beydanes : l’Irak avec le projet Aftout, le La SAMALIDA (société Mauritano-Lybienne de Développement Agricole) qui a confisqué tout bonnement des terres à des personnes de la région de Rosso, le FADES avec la reconstitution des oasis en Adrar, en Assaba et au Tagant. C’est dans ce cadre que le Secrétaire Général de l’AODA. (Organisation Arabe pour le Développement Agricole) a effectué une visite de travail à Nouakchott dans le courant du mois de novembre 1985.

C’est la ruée des organismes agricoles arabes vers les terres du Waalo.

Mais les tentatives pour faire quitter la Mauritanie de l’OMVS sont demeurées vaines jusqu’à ce jour. La menace d’un conflit racial et les conséquences politiques graves pour une « Mauritanie beydane » dans la sous-région sont les principales raisons qui ont empêché jusque là les gouvernements beydanes à franchir le Rubicon.

D’ailleurs la sécheresse et la famine vont faire évoluer l’opinion beydane sur les aménagements agricoles dans le sud et sur l’OMVS. Cette sécheresse a provoqué aussi un important mouvement des populations sinistrées vers les centres urbains administratifs et économiques. La vallée du Sénégal (les deux rives) est une des régions d’accueil des populations nomades et leurs troupeaux. Cette arrivée massive de populations allogènes devient une menace politique et économique pour un Sud qui se caractérise par l’exiguïté des espaces utiles qui formaient déjà, avant la sécheresse, un fragile équilibre avec ses populations autochtones.

La famine, l’exode et la fixation des nomades arabo-berbères et leurs troupeaux dans le Sud sont donc les données nouvelles qui vont amener la classe politique et intellectuelle beydane à modifier son opinion sur l’OMVS et ses aménagements : la théorie de l’espace vital est née. Cette classe est d’accord pour la création des grands et petits aménagements agricoles dans la vallée, à condition qu’ils soient gérés par la SONADER (puisque cette société est contrôlée entièrement par des éléments beydanes) ; elle est également d’accord pour que la Mauritanie retrouve pleinement et entièrement sa place au soin de l’OMVS. Mais le préalable de tout ceci est la redistribution des terres alluviales du Sénégal, afin que les populations beydanes en bénéficient !!

Pour récupérer la plupart de ces terres, on recoure à trois moyens :

1/ – la réforme foncière,

2/ – les rachats des terres grâce à l’argent « prêtés » par les banques de l’Etat, le Fonds National et certains pays arabes à des commerçants et des éléments issus de la classe politico-militaire.

3/ – l’argumentation historique pour démontrer l’antériorité du beydane en terre mauritanienne.

I°/ La réforme foncière

Pour légaliser cette confiscation, le gouvernement de Haïdallah promulgue l’ordonnance n° 83 127 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale.

Cette « réforme foncière » concerne particulièrement les terres de la vallée du Sénégal qui représentent la quasi totalité des surfaces aménageables indispensables à l’autosuffisance alimentaire du pays. Mais derrière ce slogan, elle vise un double objectif.

a/ économique par la confiscation légalisée des terres au bénéfice des populations beydanes, particulièrement sa bourgeoisie compradore à qui on permet le rachat des terres

b/ politico-social en essayant d’orienter les légitimes et irréversibles revendications sociales et économiques, (mais trop inquiétantes pour le Système Beydane) des Haratines vers ces terres du Waalo, pour susciter des contradictions antagonistes entre les composantes de la Communauté négro-mauritanienne.

On saisit difficilement cet altruisme inhabituel des Beydanes qui font miroiter les terres aux paysans haratines. On se pose la question de savoir pourquoi les oasis et les grara du Nord, du Centre-Est et de l’Est qui ont été cultivées par des générations d’esclaves dont ces paysans haratines sont les descendants ne sont pas intégrés dans ces champs de miroitement.

2°/ Le « rachat » des terres

L’ordonnance n° 83 127, notamment en ses articles 1, 3, 9, 11, 12 et 14 favorise le « rachat » des terres. A la lecture de cette ordonnance, on demeure convaincu que le législateur (qui ne peut être qu’un Beydane) ignore toutes les réalités civilisationnelles d’une société (Haalpulaar, Wolof, Soninké) pour qui la terre est à la base de la formation de sa structure socio-économique, politique et culturelle.

Il existe deux types d’exploitants qui soi-disant achètent des terres :

– des éléments de « la classe prétorienne » comme les Lt colonel Boukhreiss, O/ Alioune N’Diaye, Djibril O/ Abdallah, le commandant O/ Dey et les grands commerçants, d’une part ;

– les « coopératives agricoles » beydanes qui, dans la réalité sont des commerçants (petits et moyens) disposant de moyens financiers plus faibles, d’autre part.

Les premiers font exploiter les terres confisquées par des ouvriers agricoles (pour la plupart des Haratines, mais on trouve de plus en plus de Walo-Walo et de Haalpulaar).

Les seconds, les « coopératives agricoles » beydanes assimilent officiellement leurs ouvriers à des coopérateurs associés, pour détourner l’esprit de la loi 67/71 du 18 juillet 1967 portant statut de la coopération.

Cette néo bourgeoisie bénéficie des complicités financières au niveau des banques, du Fonds National de Développement et des dons arabes pour « racheter » les terres et les mettre en exploitation.

Nous saisissons l’occasion pour rappeler aux populations du Sud qu’il est formellement interdit de vendre la terre. Boycottez, bannissez, tous ceux qui encouragent la vente des terres. La terre appartient au village. La seule réforme foncière acceptable pour nous est celle qui permet la redistribution de la terre proportionnellement aux besoins entre tous les membres du village.

Les pénibles conditions économiques dues à la sécheresse font des paysans du Sud des proies faciles face à la rapacité de cette bourgeoisie politico-militaro-commerçante. Le paysan du Sud, victime de malnutrition se laisse vite tomber dans le mirage des sommes, mêmes modiques, que ces requins font agiter devant ses yeux.

A cette occasion, nous stigmatisons la politique discriminatoire que le Commissariat à l’Aide Alimentaire pratique à l’endroit de la Communauté négro-mauritanienne. La Mauritanie bénéficie d’une aide alimentaire internationale destinée à l’ensemble de sa population victime de la sécheresse et de la famine, et non presque exclusivement à la population beydane. Le C.A.A. est dirigé par des éléments baassistes et nassériens chauvins qui ne méritent aucunement la confiance des donateurs étrangers. Les régions à dominante arabo-berbère regorgent de produits alimentaires provenant de ces dons. Les campagnes du Sud sont celles qui reçoivent de l’aide une fois tous les deux (2) ou trois (3) ans.

L’administration territoriale dans le Sud, contrôlée presque exclusivement par des Beydanes, y joue un rôle fondamental en collaboration avec le C.A.A. C’est elle qui, en effet, prétend, dans ses correspondances adressées à cette institution gouvernementale, que les populations du Sud ne sont pas sinistrées, pour qu’elles ne bénéficient pas d’une aide alimentaire. Les autorités gouvernementales concernées et le C.A.A. restent insensibles bien sûr aux protestations des populations noires.

Et pourtant, une partie de cette aide alimentaire continue d’être acheminée par des moyens détournés, vers le Sahara Occidental.

Cette situation nous oblige à réclamer la présence de représentants des organismes donateurs pour superviser et contrôler la distribution de leurs dons à l’ensemble des populations mauritaniennes sans discrimination raciale et culturelle.

c/ L’argumentation historique

Depuis quelques années des théories historiques continuent d’occuper une place importante dans la recherche de l’argumentation beydane pour chasser les Noirs du Sud et y installer cette population beydane victime de la sécheresse celle-ci, comme on le sait, est en train de chasser une importante population nomade du Nord, et du Centre-est vers le bassin du fleuve Sénégal.

Populations et bétail, émigrent vers les zones d’occupation permanente où l’agriculture est pratiquée. L’exiguïté de l’espace vital et le déséquilibre démographique ont créé une situation de conflits raciaux permanents avec destruction de cultures, agressions armées contre des paysans isolés, suivies souvent de mort d’hommes (incidents de Lexeïba dans le Gorgol en 1985).

Toute réaction de défense légitime de la part des Noirs est réprimée par les autorités régionales (gouverneurs, préfets, chefs d’arrondissements, commandants de brigade de gendarmerie beydanes). Tant et si bien que les paysans n’osent guère s’attaquer au bétail destructeur. Ils n’osent même plus protéger leurs cultures par des clôtures en fil de fers barbelés . Le dromadaire maure est devenu le fléau numéro un des cultures du Jeeri et du Waalo, bien avant les phacochères, les cynocéphales et les sauteriaux.

Certaines familles nomades se sédentarisent dans les villes de Rosso, Bogué, Kaédi, Bababé, M’Bagne, Magama, Sélibaby, Gouraye etc….. Les administrateurs beydanes leur distribuent gratuitement des lots de terrains de construction sur les terres de culture des Kollade et du Jeeri (à Boghé, Kaédi, Sélibaby, Bababé, etc.) : ce sont les Jedida.

Mais cela ne suffit pas. On cherche maintenant à confisquer les terres de culture dont les familles propriétaires sont connues depuis des siècles pour les distribuer aux nouveaux venus sous prétexte qu’ils sont victimes de la sécheresse. Mais, les Noirs ne le sont-ils pas ? Les administrateurs interprètent malhonnêtement l’ordonnance en leur faveur ; son article 1er, par exemple qui prétend que « la terre appartient à la nation et tout mauritanien, sans discrimination d’aucune sorte, peut, en se conformant à la loi, en devenir propriétaire, pour partie ».

Face aux réactions de défense des intérêts vitaux des Noirs, l’intelligentsia beydane se met à inventer des théories historiques pour justifier les prétentions de sa communauté :

« Les Noirs de Mauritanie sont des descendants d’anciens footballeurs immigrés du Mali, du Sénégal et de Guinée » . « Les Beydanes sont les Palestiniens de la Mauritanie dont la terre a été spoliée par les Noirs qui sont leurs Juifs »!!. « La Mauritanie, seconde Palestine de la patrie arabe » !! (Journal Watan El Arabian). « Les Noirs sont des Sénégalais qui ont envahi la Mauritanie » [propos d’un étudiant nassérien lors de la conférence du Directeur de l’Institut des Langues Nationales (ILN) sur les langues nationales en 1983 à l’ENA].

« Si les Noirs ne sont pas contents, ils peuvent rentrer chez eux, au Sénégal » (propos que l’on entend souvent dans les taxis . « Les Noirs sont des Sénégalais qui nous envahissent dans nos administrations. Ils sont jusque au sein du CMSN » !! (Propos tenus par le Commandant Ahmed Mahmoud O/ Deh, le hérault de la classe politico-militaire et actuel Permanent du CMSN).

On retrouve ces théories historiques jusque dans les enseignements d’histoire et de géographie au Koweït. Toutes ces idées rappellent, à n’en pas douter, celles d’un Cheikh Sidya Baba qui, dans une lettre adressée au Gouverneur Coppolani réclamait « … le refoulement des Noirs sur la rive gauche, car les terres que ceux-ci occupent sur la rive droite appartiennent aux maures ». Selon toutes ces versions, la Mauritanie était terra ex nihilis avant l’arrivée des Arabo-berbères. Paradoxale identité avec la théorie sur l’antériorité de l’occupation de l’espace en Afrique du Sud développée par l’Apartheid.

En tout cas, la Communauté négro-mauritanienne doit prendre très au sérieux toutes ces élucubrations historiques qui sont, malgré tout, un apport logistique pour le programme de confiscation des terres alluviales du Sud.

En 1960, nous avions pris pour des élucubrations idéologiques et culturelles les revendications pour l’arabisation d’une Mauritanie que les Beydanes assimilaient déjà au monde arabe. En 1985, voilà où nous en sommes : une Mauritanie arabisée à 95 % et les Noirs menacés d’expulsion de leur patrie historique.

Quelqu’un a écrit que « … Dans les sociétés de classes (pour la Mauritanie, nous pouvons parler de races), l’histoire fait partie des outils par lesquels la classe dirigeante maintient son pouvoir. L’appareil d’Etat cherche à contrôler le passé à la fois au niveau de la politique pratique et au niveau de l’idéologie. L’Etat, le pouvoir organisent le temps passé et façonnent son image en fonction de leurs intérêts politiques et idéologiques ».

Ibiraahiima Abuu SAL/ 2014, seeɗto, 06 dewo biir (dimanche, 06 avril 2014)

 

Accaparement des terres de la vallée, le régime de Mohamed O Abdel Aziz ne recule pas

 

Ignorant sciemment les contestations des paysans et éleveurs qui font valoir leurs prétentions sur des terres de culture et de pâturages qui leurs appartiennent selon la législation, mais aussi selon les usages et les coutumes.

 

Il s’en suit un torrent de protestations des paysans et éleveurs de la zone concernée qui refusent d’entériner une telle expropriation. Mais l’Etat a renoncé ou suspendu pour le moment, ses prétentions sur les terres des communes de Aéré M’Bar, d’El Vrah, de Bababé et de Boghé.

L’Etat vient de louer la cuvette de «Karawlatt-Woulou N’Diaye» d’une superficie de 3200 hectares dans le Walo à l’AAAID (Autorité Arabe de l’Investissement et du Développement Agricole) le 15 janvier 2015 en conseil des ministres pour un bail emphytéotique de 25 ans, moyennant 16 millions de dollars par an, selon certaines sources, 1 milliard de dollars US par an, selon d’autres sources.

 

Cette population noire entretien des liens très affectifs avec la terre. Toute l’histoire et la culture, bref, l’organisation sociale de ces communautés gravite autour de la terre. Une dimension sociologique totalement ignorée par les pouvoirs publics qui ne sont mus que par des intérêts financiers maquillés sous le couvert d’une vraie fausse politique d’autosuffisance alimentaire.

 

L’Etat, en agissant de la sorte, opte clairement pour le bradage des terres de culture exploitées depuis des siècles par les populations noires autochtones contre quelques billets de pétrodollars versés dans l’opacité par le royaume Saoudien à des courtiers nationaux.

Un plan ourdi par le pouvoir pour chasser les Noirs de la Vallée du Fleuve Sénégal, c’est le sentiment qui prédomine aujourd’hui chez les populations expropriées ou en voie de l’être.

 

Et l’attribution d’une terre obéît à un arsenal juridique. Il doit respecter le code pastoral, le code forestier, le code environnemental et avoir une dimension sociologique. Rien de tout cela n’a été respecté contrairement à ce qu’a affirmé, la secrétaire générale du ministère de l’Agriculture, Iziza Mint Kerballi le 2 Mai 2015 devant les paysans à Darel Barka.

Jusque-là, toutes les autorités qui sont passées devant les populations contestataires à Darel Barka, n’ont pas convaincu. Ils n’ont pas brandit, une seule fois la convention signée entre le gouvernement Mauritanien et l’AAAID sur ce projet. Pourquoi nos gouvernants cachent-ils encore ce document comme ce fut le cas lors de l’attribution de 31 000 hectares à « Rajii ?

 

Si réellement le pouvoir œuvre dans l’intérêt vital des populations ; pourquoi, ne les a-t-il pas associés dès le début des pourparlers avec ces investisseurs ? Et ces communautés qui vivent de l’agriculture et l’élevage sont appelées tout simplement à disparaitre de la carte, dans le cas où se projet est réalisé ou à se transformer en esclaves des sociétés multinationales.

 

Source : Journal Le Terroir (Mauritanie).

 

 

La reforme foncière mauritanienne du 5 juin 1983 ou comment faire main basse sur les terres de la vallée du fleuve Sénégal, une analyse des Flam

 

L’ordonnance du 5 juin 1983, au delà des raisons officielles qui semblent en être le fondement, n’est que la consécration sur le plan juridique de la volonté du pouvoir mauritanien d’asseoir davantage sa main mise sur tous les secteurs de la vie économique du pays. Après avoir accaparé le pouvoir politique (voir Manifeste du négro-mauritanien opprimé) et étendu sa domination sur le plan culturel (arabisation presque totale du pays au mépris de l’identité culturelle des Négro-africains),il ne lui restait plus, compte tenu des perspectives alléchantes de l’après barrage, qu’à exproprier les paysans noirs de la vallée de leurs terres .C’est à cette fin qu’à été édictée l’ordonnance 83 127 du 5juin 1983. Les objectifs officiellement poursuivis par l’ordonnance sont de 3 ordres:

 

 

– Objectifs  politiques: « l’ordonnance qui unifie la législation (une seule loi pour tous)est une mesure d’intégration nationale. Elle permet de consolider la souveraineté de l’Etat en renforçant le pouvoir central sur les terres face à l’émiettement des pouvoirs locaux sur les territoires collectifs ».

– Objectifs économiques. « L’Etat doit pouvoir entreprendre des projets de développement agricole sans être paralysé par la résistance des propriétaires fonciers. La nouvelle législation lui donne juridiquement les moyens. Le système des droits coutumiers qui immobilise la terre est aboli. Le passage à l’individualisation et à la propriété privée doit pouvoir libérer les initiatives et permettre une mise en valeur plus intensive ».

-Objectifs sociaux: » La réforme doit permettre l’éradication des rapports sociaux dépassés (servage, khamessat)et l’accès de tous, sans discrimination la propriété ».

Un examen approfondi des dispositions de l’ordonnance et des modalités de son application montre que la réalité est tout autre: la nouvelle loi foncière n’est en effet qu’un maquillage juridique destiné à dissimuler la colonisation des terres du sud par les hommes d’affaires Beydanes du système.

Il importe toutefois, avant d’analyser le contenu de l’ordonnance et d’en dévoiler les buts (politique, économique) inavoués, de présenter sommairement le système traditionnel de tenure des terres. Système contre lequel la nouvelle loi prétend s’élever au nom de la modernité.

PRESENTATION DU SYSTEME TRADITIONNEL

Jusqu’en 1983, l’Etat mauritanien n’a pas ressenti, contrairement à la plupart des Etats d’Afrique de l’Ouest, la nécessité de se doter d’une loi foncière. Pendant vingt trois ans donc, les pouvoirs publics se sont accommodé du statu quo qui prévalait et qui se caractérisait par la coexistence des systèmes traditionnels de tenure des terres et de quelques éléments de droit moderne.

Ce dualisme était géré par la loi du 2 août 1960 portant réorganisation domaniale. Ce texte ne remettait pas fondamentalement en cause les droits coutumiers sur la terre. En effet, à côté des droits généralement admis au profit de l’Etat en matière de Droit Administratif des Biens (expropriation pour cause d’utilité publique, appartenance à l’Etat des terres sans maître et des terres vacantes, etc..), la loi reconnaissait et confirmait « les droits fonciers comportent une emprise évidente et permanente sur le sol », (l’article 3 de la loi).

QU’EST CE QUI CARACTÉRISAIT LE SYSTÉME TRADITIONNEL ?

Dans le Fuuta, le Gidimaxa-Gajaaga, le Waalo et, d’une façon plus générale, dans la cosmogonie africaine, la terre tout comme l’eau, le ciel, l’air, est insusceptible d’appropriation au sens du droit romain. Elle est une création de Dieu pour la survie de l’Espéce. Elle appartient aux vivants et aux morts, elle abrite les ancêtres. Elle est une propriété collective et indivise. Elle ne peut en aucun cas être aliénée.

La terre peut cependant supporter certains droits, dont la mise en œuvre incombe au doyen du lignage ou au chef du village. Ce dernier répartit les terres en fonction des besoins de chaque membre de la communauté. Il peut également accorder un droit de culture à un étranger (Sammba remooru) moyennant le paiement d’une redevance.

Le bénéficiaire de ce démembrement du droit de la « propriété » qu’est l’usus est appelé traditionnellement, en milieu pular, JOM JEYNGOL, littéralement le propriétaire du feu ou JOM LEWRE, le propriétaire de la hache. Celui qui accorde le droit d’usage est appelé JOM LEYDI : C’est le « propriétaire » de la terre. Les redevances qui lui sont versées peuvent prendre 3 formes :

-L’Asakal ou Zakat qui est d’origine religieuse et qui représente le1/10 de la récolte ;

-Le Njooldi: Droit d’entrée ou pas de porte versé chaque année au début de la mise en culture ;

Le Cootiigu: Taxe sur l’héritage payée au maître de la terre par les héritiers légitimes d’un détenteur défunt d’un droit de culture.

Une fois ces redevances acquittées, le Jom leydi ne peut ni cultiver la terre pour son propre compte, ni la prêter, ni la louer à d’autres personnes.

QUELLES SONT LES TERRES SUR LESQUELLES S’EXERCENT CES DROITS?

Elles sont de deux types. le Waalo et le Jeeri.

Le Jeeri est constitué de terres en hauteur. Elles sont en quantité quasi illimitée. Elles ne font pas pour le moment l’objet (pour résumer grossièrement) d’appropriation » au sens traditionnel du terme. Elles appartiennent à qui les cultive.

Le Waalo est composé de terres inondées chaque année, oú sont pratiquées des cultures de décrue. Ce sont les terres les plus fertiles et donc les plus convoitées. Le Waalo est la propriété du village. Chaque lignage de celui-ci possède une partie du waalo commun. La répartition des parcelles pour la culture se fait à l’intérieur des lignages. Chaque doyen de lignage opère la répartition entre les adultes mâles de la descendance.

La distinction entre le waalo et le jeeri a des conséquences sur le loyer qui varie suivant la plus ou moins profonde inondation de la terre. Le waalo est généralement loué en contrepartie du versement de la moitié de la récolte : c’est le REM-PECCEN. Si la location porte sur plusieurs années, le loyer peut-être payé en une seule fois. Pour les terres les moins inondées, le loyer correspond au 1/10 de la récolte.

Ainsi présenté, le système traditionnel comportait d’indéniables avantages, notamment sur le plan humain. En effet, dans une société en équilibre stationnaire2le droit traditionnel anti individualiste visait avant tout à assurer la sécurité du groupe ou du moins la sécurité de l’individu dans le groupe ».

Le chef du lignage ou du village « en attribuant des parcelles à chaque famille et en tenant compte de la proportion de bouches à nourrir et d’individus susceptibles de mettre en valeur le sol, évitait à la fois l’accaparement du sol et sa sous utilisation ». Le système comportait en outre un avantage d’ordre écologique, en raison notamment de la pratique de la culture itinérante. A côté de ces avantages, le régime coutumier comportait cependant de nombreux inconvénients : il était profondément inéquitable et était, par certains de ses aspects, un obstacle au développement économique et social.

C’est ainsi que les femmes disposaient en général de droits très inférieurs à ceux reconnus aux hommes. Dans le Fuuta, elles n’ont pas le droit d’hériter des terres des collectivités villageoises. Seul leur est reconnu le droit de prélever sur les récoltes une certaine quantité destinée à leur subsistance : c’est le Cuubi=1 à 10 corbeilles suivant la fortune du frère.

Une autre iniquité résidait dans le paiement de certaines redevances, notamment dans la différenciation qui était faite entre le « Jom Jeyngol » qui est un membre de la communauté et le « Sammba remooru » qui est étranger. Alors que pour le premier l’Asakal était dû par famille, l’étranger lui, devait le payer par loungan et par tête. Mais l’injustice la plus remarquable tenait au fait que les terres appartenaient en grande partie aux grandes familles nobles(Rimbe).Et un « Gallunke »(d’origine esclave), par exemple, aura beau cultiver une terre pendant des années, il n’en sera pas pour autant propriétaire, la prescription acquisitive n’existant pas en droit traditionnel.

Le Sud partageait ces traditions avec le pays maure(le nord). A cet égard Capot Rey écrivait «: Un hartani prenait-il l’initiative de défricher un coin de terre jusque là sans maître, le terrain une fois mis en valeur pouvait être revendiqué par un marabout ou un guerrier en vertu de la coutume »trab-el-beydane »qui reconnaît au conquérant arabe un droit implicite sur toutes les terres sans maître »

ANALYSE DE L’ORDONNANCE

La nouvelle loi foncière se propose donc de mettre terme aux archaïsmes du système traditionnel de tenure des terres et de mettre en place un cadre juridique mieux adapté aux nécessités du développement. Derrière ces motivations apparemment pertinentes, se cache un objectif, déjà appréhendé par le Manifeste du Négro-mauritanien Opprimé d’avril 1986 :

– Procurer aux hommes d’affaires Beydanes du Système une nouvelle source d’enrichissement, confortant ainsi leur emprise sur tous les secteurs de la vie économique et, corrélativement, empêcher l’émergence d’une bourgeoisie agraire noire dont la puissance financière aurait remis en cause la suprématie politique des maures blancs.

– Susciter des contradictions au sein de la communauté noire du pays en orientant les revendications économiques et sociales des Harmonies, par ailleurs légitimes, vers les terres du waalo.

Ce dernier objectif a d’ailleurs été provisoirement atteint par la déportation au Sénégal et au Mali de villages entiers de la vallée et le remplacement, sur ces mêmes villages, des paysans Haal-pulaaren, Soninko et Wolofs par des Haratines.

 

L’ensemble des dispositions de l’ordonnance s’articule autour de ce double objectif.

L’ordonnance affirme d’abord, en son article 1er, que « la terre appartient à la nation. Tout mauritanien, sans discrimination d’aucune sorte, peut, en se conformant à la loi, en devenir propriétaire pour partie ». Elle dispose ensuite (art 3)que le système de la tenure foncière traditionnelle du sol est aboli.

Sur ces nouvelles bases, le texte établit une distinction entre les patrimoines fonciers traditionnels, désormais susceptibles d’individualisation (art.6)et le domaine de l’état, oú des concessions peuvent être attribués à des personnes physiques ou morales(art.12).

DOMAINE DE L’ETAT

L’article dispose que quiconque « désire accéder à la propriété d’une terre domaniale doit impérativement obtenir au préalable la concession : celle-ci ne devient définitive et n’emporte transfert de propriété qu’après mise en valeur réalisée aux conditions imposées par le cahier des charges et, s’il y a lieu, par l’acte concession ».

Dans la pratique, les choses se passent comme suit : un privé Beydane, aidé par l’Administration locale, s’installe irrégulièrement sur des terres présumées relever du domaine de l’Etat. Une fois le terrain occupé, le privé n’a plus qu’à engager la procédure de régularisation prévue par l’art.8 de l’ordonnance. Ses chances d’aboutir sont d’autant plus grandes qu’il existe en Mauritanie une loi non écrite en vertu de laquelle une circonscription administrative ne peut être dirigée par un natif du coin. Moyennant quoi, la quasi-totalité des postes de gouverneurs, des préfets, de chefs d’arrondissements et de commandants de gendarmerie dans la région du fleuve, sont détenus par des Beydanes.

La situation s’est d’autant plus compliquée que ces dernières années, le Gouvernement a accordé des « quasi-concessions ». Il s’agit d’autorisations d’exploiter à titre précaire et révocable. Juridiquement celles-ci ne peuvent être tenues pour des concessions au sens ou l’entend l’ordonnance car l’exploitant à titre précaire n’a, selon la circulaire spéciale 020/MINT du 29 juillet 1985, aucun droit de propriété sur le sol sauf décision judiciaire ou concession régulière ultérieure.

La quasi-totalité des autorisations accordées l’a été à des « habitants de Nouakchott disposant de gros moyens « , euphémisme qui désigne des riches commerçants Beydanes de la capitale. Octroyées dans la précipitation la plus totale-celle qui sied aux affaires ? – et sans que ne soit précisé leur cadre juridique, ces autorisations ont constitué pour les bénéficiaires un moyen particulièrement commode et rapide d’accéder à la concession définitive. Il suffit en effet, pour cela, d’un minimum d’investissement.

La colonisation des terres de la vallée par des hommes d’affaires Beydanes, au moyen de ces autorisations, se fera d’autant plus rapidement que les collectivités villageoises ne peuvent, elles, en bénéficier. La circulaire entend par cette discrimination empêcher que ne se perpétue la situation à laquelle l’ordonnance a voulu mettre fin : à savoir l’existence d’un droit qui ne se rattache ni à une personne physique ni à une personne morale.

La multiplication des autorisations d’exploiter à titre précaire et révocable ne peut manquer de susciter des réactions violentes de la part des habitants de la vallée. Le ministre de l’intérieur en est du reste tellement conscient qu’il écrit dans sa circulaire «: il serait prévisible que des telles autorisations déclenchent des frictions que les gouverneurs et autres autorités déconcentrées devront contenir par les moyens dont ils disposent « , autrement dit la répression. On notera au passage la très grande « disposition » au dialogue dont le Gouvernement fait preuve dans la gestion du problème foncier !

PATRIMOINES FONCIERS TRADITIONNELS

En ce qui concerne les patrimoines fonciers collectifs, l’art.3 de l’ordonnance précise que l’individualisation est de droit. Toute personne appartenant à une collectivité ayant des droits coutumiers sur la terre, peut demander l’individualisation. L’on peut d’ores et déjà noter le machiavélisme de cette disposition. Quiconque connaît l’organisation sociale qui prévaut dans la région du fleuve sait qu’aucun paysan ne prendra le risque de rompre la solidarité immémoriale du système villageois en demandant l’individualisation. Ce serait une véritable hérésie.

Peuvent aussi demander l’individualisation tous ceux qui ont contribué à la mise en valeur des terres ; l’art.8 du décret d’application de l’ordonnance précise que « sont réputés avoir participé à la mise en œuvre initiale ou contribué à la pérennité de l’exploitation tous ceux qui, par leur travail ou par leur assistance, ont permis la réalisation et le maintien de cette mise en valeur ». Là égalemt, des frictions peuvent surgir du fait que des individus n’appartenant pas à la communauté villageoise ou au lignage ont pu contribuer à la mise en valeur comme simples bénéficiaires d’un droit de culture. C’est généralement le cas des Haratines.

 « MISE EN VALEUR », TERRES MORTES », DEVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIALE »

Lorsque toutes ces subtilités juridiques s’avèrent insuffisantes pour venir à bout de la résistance des paysans de la vallée(les cas de Rindiaw, Ndiorol,Olo ologo,etc),l’Administration peut toujours recourir aux notions floues à souhait de « mise en valeur » et de « développement économique et social ». En ce qui concerne la premiére, elle est présente à toutes les étapes de la procédure et fait partie de ces termes génériques qui viennent à la rescousse de l’administration lorsqu’elle n’a plus d’arguments à opposer aux paysans.

C’est en effet cette notion de « mise en valeur » qui permet aux occupants spontanés de régulariser leur situation. C’est encore elle qui permet à ceux qui ne sont présents sur le terrain que depuis 2 ans de demander l’individualisation parcequ’ayant participé à la viabilisation du sol. C’est toujours ce concept « fourre-tout »qui  rend la concession définitive. C’est enfin la « mise en valeur »qui, a contrario, fait tomber dans le domaine de l’état les « les terres mortes ».

Que recouvre cette dernière notion empruntée à la charria ? Selon l’art 4 de l’ordonnance, » sont réputées mortes, les terres qui n’ont jamais été mises en valeur ou dont la mise en valeur n’a pas laissé de traces évidentes ». Lorsque l’absence de mise en valeur est constatée, ces terres sont versées dans le patrimoine de l’Etat qui peut alors les redistribuer sous forme de concession.

Cette disposition peut être source de beaucoup de difficultés en raison notamment du caractère pour le moins vicieux de la définition retenue.

On peut d’abord faire remarquer que la plupart des terres appartenant aux villages étant à la lisière du Jeeri, elles ne sont que rarement touchées par les crues. Si bien que l’Administration de la preuve de l’absence de mise en valeur ne pose aucune difficulté particulière. La tâche des pouvoirs publics est rendue d’autant plus facile qu’en raison de la sécheresse qui a sévi ces dernières années, la mise en valeur est devenue tout simplement impossible. On notera enfin que pour mettre en valeur, il faut des moyens. Or les paysans qui fondaient beaucoup d’espoir sur la SONADER pour obtenir des intrants, ont vu l’aide qui leur était octroyée par ce service public se raréfier, voire cesser, la SONADER ayant été détournée de ses objectifs initiaux. On retombe alors dans la quadrature du cercle : pas de moyen, pas de mise en valeur ; pas de mise en valeur, plus de terre !

Le second stratagème auquel l’Etat peut recourir est celui de « développement économique et social ».

C’est au nom de ce  » développement économique et social » que les pouvoirs publics peuvent exproprier les petits paysans qui, après avoir franchit toutes les entraves légales, administratives  et culturelles, ont pu acquérir un lopin de terre. L’ordonnance prévoit en effet que la propriété privée individuelle doit céder devant la réalisation d’un projet d’intérêt national ou régional. C’est à dire les grands travaux agricoles nécessitant de gros investissements. Pour mener à bien ces « projets d’intérêt national ou régional », il importe de disposer d’instruments juridiques permettant d’exproprier au plus vite les petits paysans. C’est à cet impératif que répond la notion de « développement économique et social »(l’art.10 de l’ordonnance).

Les fameux « projets d’intérêt national et régional  » ne concerneront à n’en pas douter que des hommes d’affaires Beydanes, seuls en mesure, grâce aux énormes moyens financiers mis à leur disposition par les pouvoirs publics et le Système bancaire, de réaliser les dits projets. A terme, cette politique aura pour conséquence la transformation des paysans de la vallée en ouvriers agricoles travaillant pour le compte des Businessmen Beydanes du Système.

En conclusion à cette étude, nous examinerons quelques dispositions de l’ordonnance que nous n’avons pas abordées jusqu’ici. Nous reviendrons également sur les motivations réelles de la Réforme.

DISPOSITIONS PARTICULIÉRES DE L’ORDONNANCE

Ces dispositions soit confèrent à l’Administration une liberté de manœuvre telle que les paysans se retrouvent privés de tout moyen de défense ; soit aboutissent à des conséquences pratiques absurdes. Mentionnons d’abord l’abolition générale et absolue des coutumes à laquelle, au nom de la Charria, procède l’ordonnance. Contrairement à ce que le texte affirme, la loi islamique n’imposait nullement une telle solution. Nombreux en effet sont les cas dans lesquels, les juges musulmans ont eu recours aux coutumes comme source auxiliaire du droit. On invoque à cet égard l’exemple de Malick qui fit appel à la coutume pré-islamique de Médine. L’on pouvait donc « sans sortir de la loi adopter une attitude moins radicale à l’égard de la coutume De façon à ce que sa lente élimination produise le moins possible de tensions sociales » Il importe également de relever que l’article 7 de l’ordonnance déclare irrecevable en justice les actions foncières collectives et radie du rôle des juridictions les affaires pendantes de même nature. D’où la question de savoir, dans l’hypothèse d’une radiation, à qui appartiennent les textes ainsi libérés : à l’Administration ou aux derniers exploitants ? il est fort probable dans le cas des terres du sud que l’Etat n’aura aucun scrupule à les reverser dans son domaine.

De même, il convient de noter l’incroyable déséquilibre introduit par l’article 14 de l’ordonnance. D’après cette disposition, le justiciable qui met en cause la domanialité d’une terre doit intenter son action dans le délai d’un mois qui suit la notification de la mise en demeure de quitter les lieux. Il n’a plus alors que deux mois pour produire ses moyens de preuve. Alors qu’aucun délai n’est imparti à l’Administration pour déposer son mémoire en réplique. Deux conséquences en résultent pour les paysans de la vallée : d’une part, l’existence de preuve écrite assortie « de délais stricts et de pièces à produire nombreuses dans une société paysanne où les manières de vivre le temps et l’écrit divergent fortement de celles véhiculées par le droit moderne issu de la colonisation » aboutit pratiquement à priver les paysans de tout moyen de défense. D’autant qu’il suffit à l’Etat, étant donné qu’aucun délai ne lui est imposé, de faire traîner les choses en longueur pour continuer à disposer d’une terre sur laquelle pèse une présomption de domanialité.

Notons enfin que l’obligation d’individualisation prévue par l’article 6 de l’ordonnance aboutit lorsqu’elle est suivie de partage à des conséquences Pratiques absurdes «: morcellement des parcelles qui, par leur exiguïté ou leur forme étroite et allongée, deviennent inexploitables  »

OBJECTIFS VÉRITABLES DE LA RÉFORME

Toutes ces dispositions s’inscrivent dans le droit fil des objectifs réels de la réforme. La nouvelle loi foncière n’a pas été élaborée pour promouvoir un développement harmonieux et équilibré du secteur agricole, encore moins pour garantir aux populations rurales de la vallée des revenus substantiels. Son but est tout autre : doter d’une base « base légale » les prétentions foncières des hommes d’affaires Beydanes du système et introduire des dissensions au sein de la communauté Négro-mauritanienne en essayant d’opposer les légitimes revendications des Haratines et la volonté tout aussi légitime des paysans Négro-africains de la vallée de garder la propriété de leur seul moyen de subsistance : la terre.

Pour déposséder les paysans Noirs de leurs terres et attribuer celles-ci aux hommes d’affaires Beydanes, l’ordonnance donne l’Etat une arme à double détente. Celui-ci commence d’abord par élargir à l’infini son domaine. Il dispose pour ce faire de plusieurs instruments juridiques : les terres vacantes et sans maître, les terres mortes, notion dont nous avons montré l’ambiguïté extrême et du reste délibérée, mais aussi d’autres notions aux contours encore plus flous telles la « mise en valeur » ou le « développement économique et social ». Une fois que l’Etat a fait tomber dans son domaine toutes ces terres, il peut procéder à leur redistribution. Il a alors le choix entre les concessions et les autorisations à titre précaire et révocable. Autrement dit, l’étatisation qui découle de la qualification domaniale appliquée aux terres, n’est qu’une étape provisoire dans un processus dont le terme final est l’attribution de domaines fonciers aux agro-businessmen maures du Système Beydane.

Pour susciter des tensions entre Haratines et Négro-africains, l’ordonnance ouvre la possibilité de demander l´individualisation à tous ceux qui ont participé à la mise en valeur de la terre ou au maintien de sa pérennité. Si bien que les individus étrangers à la communauté villageoise- en fait, les Haratines-peuvent se retrouver propriétaires. Cette propriété étant du reste très fictive en raison de la persistance de leur lien de dépendance personnelle vis-à-vis de leurs maîtres: en un mot, ils sont leur cheval de Troie. Et lorsque les Haratines du Sud, du fait des rapports de solidarité tissés avec les paysans Négro-africains, se refusent à disloquer la communauté à laquelle ils ont fini par s’intégrer, l’Etat peut procéder d’office à l’individualisation.

On peut au demeurant s’empêcher de marquer devant une réforme qui ne vaut que pour une partie du pays: le Sud. Alors que celle-ci n’a pas le monopole de l’archaïsme, loin s’en faut. Nous avons cité le mot de Capot Rey sur le TRABEL BEYDANE: les oasis du nord ont cette particularité d’être mises en valeur exclusivement par les Haratines et de n’avoir pour propriétaires exclusifs que des Beydanes. Alors que dans la vallée, ce sont les propriétaires eux-mêmes, si « NOBLES » soient-ils, qui constituent la principale force de travail!

Logiquement donc, ce qui vaut pour le Sud en matière d’intégration nationale, de développement agricole et de justice sociale, devrait, a fortiori, s’appliquer au Nord. Tel n’est pourtant pas le cas. Et cette limitation spatiale-juridiquement non consacrée, mais qui résulte des faits-du champ d’application de l’ordonnance achéve de discréditer la « réforme » qu’elle entend introduire et dévoile sa nature foncièrement RACISTE.

LES FORCES DE LIBEARTION AFRICAINES DE MAURITANIE

(Extrait du Livre Blanc: Radioscopie d’un Apartheid méconnu- Octobre 1989)

 

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