Trente ans après le début du génocide perpétré contre leur communauté, des Noirs mauritaniens réclament toujours un procès contre le Colonel Maawiya Ould Sid’Ahmed TAYA

En novembre 1989, Amnesty International a publié un rapport de 30 pages sur les violations des droits de l’homme recensées en Mauritanie entre 1986 et 1989. Ce rapport était intitulé Mauritanie 1986-1989: Contexte d’une crise. Trois années d’emprisonnements politiques, de tortures et de procès inéquitables (AI Index AFR 38/13/89).

Depuis la publication de ce document, la situation des droits de l’homme en Mauritanie s’est considérablement aggravée. Les exécutions extrajudiciaires, l’usage de la torture, les traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés à des villageois ont atteint un niveau particulièrement alarmant dans le sud du pays.

Les cibles des forces gouvernementales et des milices haratines (descendants d’esclaves noirs affranchis partageant la langue et la culture des Maures ou Beïdane) sont des villageois négro-africains sélectionnés en fonction de leur appartenance à un groupe ethnique déterminé, celui des « Halpulaar » (ceux qui parlent le pulaar, la langue peule).

L’armée, les forces de sécurité et les milices haratines arrêtent, torturent ou tuent des villageois non armés sans craindre ni action disciplinaire ni poursuite judiciaire. Des centaines de Mauritaniens noirs ont été l’objet d’arrestation, de persécution et souvent d’assassinat sous les prétextes les plus divers. De très nombreux prisonniers sont détenus sans inculpation ni jugement pendant de longues périodes, en violation totale des dispositions du Code de procédure pénale. Le sort de dizaines de personnes arrêtées par les forces gouvernementales ou par les milices est inconnu. Un couvre-feu à horaire variable selon les villages et les régions est en vigueur.

Mauritanie-Nouadhibou-Clandestin-12mars2006-1-8

Officiellement le gouvernement n’a pas proclamé l’état d’urgence dans la vallée du fleuve Sénégal, mais le comportement des forces de sécurité laisse à penser qu’il existe de fait.

A plusieurs reprises Amnesty International a attiré l’attention de la presse et de l’opinion publique internationale sur ces graves violations des droits de l’homme. Toutefois, c’est le différend sénégalo-mauritanien qui a dominé l’attention de la communauté internationale, mettant ainsi la terrible situation des droits de l’homme en Mauritanie à l’abri des commentaires et des critiques de la communauté internationale.

Ce qui est en cours dans le sud de la Mauritanie est une guerre déguisée pour laquelle une communauté utilise les moyens et la puissance de l’Etat contre une autre.

Amnesty International a demandé aux autorités mauritaniennes de mettre fin aux exécutions extrajudiciaires, à la torture et aux arrestations et détentions illégales dans la vallée du fleuve Sénégal. Elle a aussi demandé au gouvernement de désarmer les milices qui ne sont pas officiellement constituées et faire respecter les droits de l’homme par les membres des forces de sécurité et des milices officiellement constituées.

Voilà brièvement résumé le contenu d’un nouveau rapport d’Amnesty International intitulé Mauritanie / Violations des droits de l’homme dans la vallée du fleuve Sénégal. Toute personne désireuse d’en savoir plus sur cette question est invitée à prendre connaissance de ce rapport publié par Amnesty International en français, arabe et anglais, le 2 octobre 1990 (AI Index AFR 38/10/90).

MAURITANIE

Violations des droits de l’homme dans la vallée du fleuve Sénégal

  1. INTRODUCTION

En novembre 1989, Amnesty International a publié un rapport de 30 pages sur les violations des droits de l’homme recensées en Mauritanie entre 1986 et 1989. Ce rapport était intitulé Mauritanie 1986-1989 : Contexte d’une crise. Trois années d’emprisonnements politiques, de tortures et de procès inéquitables (AI Index AFR 38/13/89).

Depuis la publication de ce document, en dehors de la libération d’une vingtaine de prisonniers politiques, parmi lesquels des prisonniers d’opinion, la situation des droits de l’homme en Mauritanie s’est considérablement aggravée. Les exécutions extrajudiciaires, l’usage de la torture, les traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés notamment à des villageois, ont atteint un niveau particulièrement alarmant dans le sud du pays.

Les forces gouvernementales et les milices composées de Haratines (descendants d’esclaves noirs affranchis partageant la langue et la culture des Maures ou Beïdane) prennent pour cibles des villageois négro-africains appartenant notamment au groupe ethno-linguistique des « Halpulaar » (ceux qui parlent le pulaar, la langue peule).

Il apparaît clairement que les victimes sont sélectionnées en fonction de leur appartenance à un groupe ethnique déterminé. L’armée, les forces de sécurité et les milices haratines patrouillent dans les villages et commettent de graves violations des droits de l’homme sans craindre ni action disciplinaire ni poursuite judiciaire.

Le rythme des expulsions, qui avait baissé à la fin de 1989, s’est accéléré au cours des six premiers mois de 1990 : plusieurs milliers de Mauritaniens noirs ont été expulsés vers le Sénégal et le Mali. Par ailleurs, des milliers de Mauritaniens noirs ont fui les exactions pour se réfugier par villages entiers au Mali et au Sénégal.

A plusieurs reprises Amnesty International a attiré l’attention de la presse et de l’opinion publique internationale sur ces graves violations des droits de l’homme. Toutefois, c’est le différend sénégalo-mauritanien qui a dominé l’attention de la communauté internationale, mettant ainsi la terrible situation des droits de l’homme en Mauritanie à l’abri des commentaires et des critiques de la communauté internationale.

En diverses occasions, Amnesty International a exprimé ses préoccupations au Gouvernement mauritanien en l’invitant à prendre des mesures pour mettre fin aux violations répétées des droits de l’homme dont les forces de sécurité se sont rendues responsables au cours de ces derniers mois. Mais les autorités n’ont pas cru devoir répondre aux appels de l’organisation.

Au mois de juin dernier, Amnesty International a adressé une lettre à chacun des chefs d’Etat et de gouvernement qui participaient au sommet franco-africain de La Baule, pour porter à leur connaissance la gravité des violations des droits de l’homme commises contre des civils non armés dans le sud de la Mauritanie, l’un des pays représentés au sommet.

Comme l’année dernière, les autorités mauritaniennes ont réagi en accusant Amnesty International de prendre le parti du Sénégal dans le conflit qui oppose les deux pays et d’ignorer les exactions commises contre des Mauritaniens au Sénégal. Dans un message envoyé à l’organisation à la fin du mois de juin 1990, le ministre de la Justice, Sow Adama Samba, a écrit :

« … Oui trop c’est trop mais point surprenant quand on sait qu’Amnesty International nous a habitués au manque de souci face aux exactions, aux tueries dont ont été victimes les Mauritaniens dans tous les villages ou toutes les villes du Sénégal ou que d’autres Mauritaniens continuent aujourd’hui à vivre en tant qu’otages réduits aux travaux forcés dans toutes les régions sénégalaises et par la volonté du Gouvernement sénégalais … »

En novembre 1989, le Ministre de l’information avait demandé à Amnesty International d’intervenir en faveur de 250 000 Mauritaniens qui seraient détenus, selon les autorités mauritaniennes, dans des camps de concentration au Sénégal. Les enquêtes entreprises par l’organisation n’ont pas permis de confirmer ces allégations. D’autres organismes impartiaux tels que le Comité international de la Croix-Rouge ont mené des enquêtes indépendantes et ont atteint les mêmes conclusions qu’Amnesty International. Il apparaît donc que les autorités mauritaniennes exploitent leur différend avec le Gouvernement sénégalais et font des déclarations injustifiées relatives aux violations des droits de l’homme dont des Mauritaniens seraient victimes au Sénégal pour éviter de donner des réponses précises aux diverses informations de massacres, d’arrestations et de torture qu’Amnesty International a portées à leur connaissance, soit par écrit, soit lors de diverses rencontres entre des représentants de l’organisation et des diplomates mauritaniens en Afrique, en Europe et en Amérique.

Les sujets d’inquiétude d’Amnesty International en Mauritanie demeurent :

– Les exécutions extrajudiciaires ;

– L’usage de la torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

– Les arrestations et détentions illégales.

A ces préoccupations déjà anciennes sont venues s’ajouter celles relatives aux « disparitions ».

  1. LE CONTEXTE ACTUEL DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME

2.1 Le contexte ethnique

Les principales communautés qui cohabitent en Mauritanie sont :

Les Maures : appelés aussi Beïdane, nom dérivé du mot arabe signifiant « blanc ». Ce groupe d’origine arabo-berbère parle le hassanya, une variante de l’arabe. Les Maures sont disséminés principalement dans les régions désertiques et sahéliennes du pays.

Les Haratines : noirs de peau, ils sont de langue et de culture maure. Ce sont les descendants des esclaves des Maures. Ils sont rattachés aux tribus de leurs maîtres ou anciens maîtres.

Les Wolof : ils vivent dans le sud-ouest (autour de Rosso-Mauritanie) et sont agriculteurs.

Les Soninké : sédentaires, ils habitent principalement dans la zone de Sélibaby, bien que des poches de peuplement soninké existent dans d’autres régions du sud, notamment à Kaédi.

Les Halpulaar : ceux qui parlent la langue peule (le pulaar). On les appelle également Peuls. Ailleurs en Afrique de l’ouest, ils sont connus sous le nom de Fula (Mali, Guinée) ou Fulani (Nigéria, Cameroun).

Traditionnellement, les Halpulaar vivent au Fuuta Tooro, une région située à cheval sur la Mauritanie et le Sénégal, de part et d’autre du fleuve Sénégal. En leur sein, on distingue les agriculteurs sédentaires (appelés Toucouleurs) et les éleveurs nomades (Fulaabé ou Fulbé). D’ouest en est, les principales régions habitées par les Hal-pulaar en Mauritanie sont dans la région du fleuve Sénégal, autour des villes suivantes : Rosso-Mauritanie, Boghé, Kaédi et Sélibaby.

Ce groupe ethnique négro-africain est la principale cible des violations des droits de l’homme constatées en Mauritanie depuis quatre ans. Les membres de cette ethnie sont considérés par les autorités comme ceux qui contestent la prédominance politique, économique et culturelle du groupe arabo-berbère, même si les premiers contestataires des inégalités entre les différentes communautés et de l’accaparement de l’appareil d’Etat au profit des Maures se recrutaient au sein de toutes les ethnies noires.

La vallée du fleuve où vivent les Hal-pulaar recèle la plupart des terres cultivables dans un pays couvert par le désert. Certains Hal-pulaar ont vu le décret de juin 1983 sur la réorganisation foncière et domaniale comme une tentative du gouvernement et de la communauté maure pour prendre les terres des habitants traditionnels de la vallée. Par ailleurs, la sécheresse a entraîné, ces dernières années, une émigration des nomades vers les villes et une pression accrue sur les terres de la vallée du fleuve Sénégal. Les barrages construits dans le cadre de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) qui regroupe le Mali, le Sénégal et la Mauritanie, vont permettre, entre autres, l’irrigation de 400 000 hectares dans la vallée. Ces projets de mise en valeur ont aussi ravivé les antagonismes interethniques.

La partie mauritanienne de la vallée du fleuve Sénégal est le théâtre des violations décrites ci-dessous.

2.2 Le contexte politique

Les violations des droits de l’homme se passent dans un contexte marqué par une intensification des activités des groupes d’opposition et des milices pro-gouvernementales.

A la suite de l’expulsion massive et forcée de dizaines de milliers de Mauritaniens noirs en 1989, le gouvernement a installé dans des villages du sud et sur les terres appartenant aux autochtones, qui ont été expulsés du pays, des Haratines dont certains ont été rapatriés du Sénégal à la suite des affrontements intercommunautaires d’avril 1989.

Dès septembre 1989, des informations sont parvenues à Amnesty International indiquant que les autorités ont distribué des armes aux populations nouvellement installées dans les villages du sud.

Parmi les Mauritaniens expulsés vers le Sénégal, des groupes se sont formés et traversent le fleuve qui sert de frontière entre les deux pays pour récupérer leur bétail et leurs biens confisqués lors de leur expulsion. Ces groupes sont connus sous le nom de « commandos peuls ». Ils ont commencé à opérer d’abord à partir du Sénégal, ensuite du Mali, quand des flots de réfugiés sont arrivés dans l’ouest de ce pays. Ils commettent des actes de violence à l’égard des forces gouvernementales et des populations installées sur leurs terres. Ils protègent également la fuite des villageois quittant la Mauritanie par crainte des exécutions extra-judiciaires et autres exactions des forces de sécurité.

Outre les « commandos peuls », des groupes d’opposition qui recrutent parmi les réfugiés mènent aussi des opérations armées en territoire mauritanien. Ce sont :

– Les FLAM (Forces de libération africaine de Mauritanie), front mis en place en 1983 et qui a rédigé Le manifeste du Négro-Mauritanien opprimé, document reprochant au gouvernement d’avoir marginalisé les Mauritaniens noirs. Plusieurs membres et sympathisants des FLAM ont été emprisonnés entre 1986 et 1990. Un certain nombre de personnes arrêtées en 1989 ont été accusées d’être membres des FLAM. Lesautorités n’ont pas apporté la preuve de ces allégations dans tous les

cas.

– Le FRUIDEM (Front de résistance pour l’unité, l’indépendance et la démocratie en Mauritanie). Créé en août 1989, il s’est fixé comme objectif de « renverser le chauvinisme d’Etat, sauvegarder l’existence et l’unité de la Mauritanie et rechercher une solution juste et démocratique aux contradictions entre nos nationalités ». Le FRUIDEM diffuse un bulletin trimestriel intitulé « Résistances ».

– Le FURAM (Front uni pour la résistance armée en Mauritanie). Ce front est né d’une scission des FLAM en avril 1990. Il « opte pour la lutte armée, seule alternative aujourd’hui, pour la réalisation d’un Etat uni et stable ».

Depuis le début de l’année 1990, plusieurs changements sont intervenus au sein du Gouvernement mauritanien. Le colonel Djibril Ould Abdallahi, ministre de l’intérieur, a été remplacé en février 1990. Son successeur, le colonel Mohamed Sidina Ould Sidya, a été à son tour révoqué à la fin du mois d’avril 1990. Le colonel Brahim Ould Ali N’Diaye, chef d’état-major de la Garde nationale, principal corps impliqué dans les massacres et les arrestations dans le sud depuis avril 1989, a lui aussi été révoqué en février 1990.

En revanche, un ancien prisonnier politique, Mohamed Yehdih Ould Breidelleil, dirigeant du parti Baath arabe socialiste pro-iraquien, a été nommé secrétaire exécutif du Comité militaire de salut national, l’instance dirigeante du pays. Ould Breidelleil avait été condamné en septembre 1988 à deux ans de prison pour ses activités à la tête de la section mauritanienne du parti Baath pro-iraquien. Il a été libéré en décembre 1989 quand le président Ould Taya a réduit d’un an les peines de tous les prisonniers politiques.

Le parti Baath prône l’unité et la renaissance de la nation arabe. Les Baathistes mauritaniens veulent établir des liens étroits entre leur pays et le monde arabe, l’Iraq en particulier. En septembre 1988 pendant un procès devant la chambre de sûreté de l’Etat, certains dirigeants Baathistes ont critiqué la lenteur du processus d’arabisation du pays et « l’immigration excessive » des Noirs.

2.3 Le contexte juridique

A la connaissance d’Amnesty International, le gouvernement n’a pas proclamé l’état d’urgence dans le sud. Par conséquent, le Code de procédure pénale qui contient des dispositions précises garantissant et protégeant les droits de l’homme est toujours en vigueur. Or, il apparaît clairement que toutes les opérations des forces gouvernementales s’effectuent en dehors du cadre de la loi mauritanienne.

Selon le Code de procédure pénale, les personnes arrêtées par les forces de sécurité doivent être déférées au parquet dans les 48 heures suivant leur arrestation pour être officiellement inculpées et voir leur dossier instruit, ou être libérées. Cette période de garde à vue ne peut être renouvelée qu’une fois sur autorisation écrite du Procureur de la République ou du président du tribunal régional. Elle peut être prolongée jusqu’à 30 jours dans les cas d’atteinte à la sûreté de l’Etat. La pratique actuelle des forces de sécurité en matière de détention viole la loi. La loi punit également les délits de coups et blessures volontaires ainsi que les meurtres. Ces dispositions ne sont pas non plus respectées par les forces de sécurité qui ne font l’objet d’aucune poursuite en justice.

La République islamique de Mauritanie n’a pas ratifié les principaux traités internationaux adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies en vue d’assurer le respect des droits de l’homme dans le monde, c’est-à-dire le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (adoptés en 1966) et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (adoptée en 1984). Elle a en revanche ratifié, le 26 juin 1986, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée par l’Organisation de l’unité africaine en juin 1981. En ratifiant cette Charte, la Mauritanie s’est engagée à respecter :

– Le droit à la jouissance des droits et libertés sans distinction de race, d’ethnie, de couleur…(article 2) ;

– L’intégrité physique et morale de la personne (article 4) ;

– Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale (article 7 (d)).

Il ressort de certaines déclarations officielles que les autorités justifient la répression contre les Mauritaniens noirs en la considérant comme une lutte légitime contre une situation insurrectionnelle ou une agression extérieure. Or il semble que les victimes des forces de sécurité soient plutôt des civils non armés résidant dans les villages. Il s’agit là d’une guerre déguisée, pour laquelle une communauté utilise les moyens et la puissance de l’Etat contre une autre.

Les forces gouvernementales impliquées dans les violations des droits de l’homme proviennent des corps suivants :

– La garde nationale : c’est un corps paramilitaire chargé du maintien de l’ordre et de la surveillance des zones frontalières, d’où le rôle qu’elle joue dans la région du fleuve, proche à la fois du Sénégal et du Mali. Elle est administrée par un état-major distinct de celui de l’armée et dépend du ministère de l’intérieur.

– La gendarmerie : elle opère habituellement dans les zones rurales, contrairement à la police cantonnée dans les villes.

– L’armée : elle est active dans la vallée où elle dispose de garnisons dans certaines villes. La présence d’unités d’élite basées dans la ville d’Atar a aussi été signalée.

A partir de leurs baseshabituelles, les forces armées et de sécurité organisent des patrouilles régulières dans les zones rurales. Elles disposent de postes de stationnement dans certains gros villages.

– Les milices haratines : apparemment, elles ne sont constituées sur aucune base légale. Les Haratines installés sur les terres des Noirs expulsés ont été armés par les autorités et invités à organiser leur propre défense. Amnesty International a été informée également que certaines autorités profitent des liens de dépendance existant entre maîtres et Haratines pour enrôler ceux-ci dans les milices.

De façon générale, les milices ne se limitent pas à la défense en cas d’attaque, elles mènent des expéditions punitives contre des civils non armés habitant dans les villages. Dans certains cas, les Haratines qui refusent les violences gratuites sont menacés de représailles par les agents de la sécurité qui les encadrent lors des expéditions.

  1. LES EXACTIONS AU QUOTIDIEN

Dans les villages et zones rurales du sud, les villageois en général, et les membres du groupe ethnique noir des Hal-pulaar en particulier, sont les victimes de très nombreux abus commis par les forces de sécurité. Les contrôles d’identité et les fouilles sont très fréquents, un couvre-feu est en vigueur, les arrestations arbitraires sont nombreuses, accompagnées souvent de tortures et de viols. De nombreux massacres ont aussi été perpétrés par les forces de sécurité. Tous ces abus sont illégaux tant aux termes de la loi mauritanienne que des normes internationalement reconnues.

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Des contrôles d’identité sont fréquemment effectués dans les villages où les habitants de l’ethnie « hal-pulaar » ou peule doivent non seulement montrer leurs cartes d’identité mauritanienne, mais aussi prouver que tous leurs ascendants sont mauritaniens. Au début de mars 1990, tous les habitants de Toumbou, dans l’arrondissement de Gouraye (Sélibaby), ont été rassemblés à côté du cimetière du village et maltraités par les militaires qui leur reprochaient d’être des « Peuls de Abdou Diouf », le président du Sénégal.

Certaines personnes de nationalité mauritanienne, nées au Sénégal pendant la colonisation à l’époque où Saint-Louis du Sénégal était la capitale de la colonie de la Mauritanie, ont été victimes de persécution, d’arrestation et d’expulsion.

Dans de nombreux villages, les populations sont contraintes de fournir la nourriture nécessaire à l’entretien des troupes stationnées ou en patrouille. Les moutons et les chèvres des villageois sont confisqués à cet effet. Dans la nuit du 8 au 9 mai 1990, un habitant de Sinthiane Padalal (dans le département de Maghama), Harouna Demba Diallo dit Hadji, âgé de 34 ans, a été arrêté et accusé d’être un opposant parce qu’il n’avait offert aucune bête à manger à l’armée présente dans le village malgré le troupeau de boeufs dont il disposait. Il a été sévèrement battu et laissé près du village d’où il s’est enfui au Sénégal en traversant le fleuve. Son corps était couvert de blessures (voir les photographies nos 1 et 2).

Plusieurs habitants de Sinthiane Padalal ont été arrêtés et torturés. Une liste de villageois ayant de la famille au Sénégal a été dressée par les autorités. Ils sont souvent arrêtés et maltraités. Quelques personnes appartenant à cette catégorie ont été attachées, battues, puis enfermées dans des maisons. Pour intimider les habitants, les militaires sortent du village, tirent des coups de fusils en l’air et retournent en courant dans le village.

Un couvre-feu est en vigueur dans tous les villages du sud. Il varie selon les régions, de 5 ou 7 heures du soir au petit matin. Dans ces régions rurales où les gens n’ont pas nécessairement de montre, où c’est la position du soleil qui sert d’indicateur du temps, des personnes sont mortes à cause de la non-observation du couvre-feu, car les éléments des forces armées et de sécurité tirent à vue sur tous ceux qui rentrent des champs et des pâturages après le couvre-feu. Ces assassinats constituent, du point de vue d’Amnesty International, des exécutions extrajudiciaires, car il n’existe aucune information laissant à penser que les personnes tuées étaient engagées dans des actes de violence mettant en danger la vie d’autres personnes. Dans aucun des cas connus d’Amnesty International les personnes abattues n’étaient impliquées dans une forme quelconque d’opposition violente.

Ainsi au début du mois de janvier 1990, Hamady Djoumo Bâ, un pêcheur de 50 ans, originaire de Djéol, près de Kaédi, a été abattu parce qu’il était sorti de sa maison avant la fin du couvre-feu. Dans d’autres cas, des personnes ont été tuées avant l’heure du couvre-feu. Dans le même village de Djéol, le 5 mars 1990, dans l’après-midi, Abdoul Bouka N’Diaye, 30 ans, et Mamadou N’Diaye, 19 ans, ont été abattus après avoir été arrêtés par la garde nationale, alors qu’ils allaient pêcher. Des membres de la garde leur ont attaché les mains dans le dos avec leurs filets et les ont amenés en un lieu appelé « Thiourouyal » où ils ont été exécutés. Ce sont là clairement des exécutions illégales et extrajudiciaires, car les victimes étaient en état d’arrestation au moment de leur mise à mort.

Dans certains villages, les membres de l’ethnie hal-pulaar ou peule doivent avoir une autorisation préalablement établie par l’autorité militaire pour conduire les animaux aux pâturages, pêcher ou aller aux champs. Mais cette autorisation ne semble pas être une garantie contre les arrestations. Dans la première quinzaine d’avril 1990, cinq personnes du village de Wothie, près de Boghé, dont Lô Boubacar Amath, 43 ans, ancien marin, ont été arrêtées par une patrouille de l’armée apparemment parce qu’elles pêchaient. Or, elles disposaient d’une autorisation de pêche délivrée par le commandant de la brigade de gendarmerie de Bababé. Ces personnes seraient parmi les villageois détenus au camp militaire d’Azlat situé entre Aleg et Boghé. Elles n’étaient toujours pas libres, à la connaissance d’Amnesty International, à la fin du mois de juillet 1990.

Les arrestations sont opérées sous des prétextes divers. Ainsi à la fin du mois de mai 1990, Ciré Djékou Sow, âgé de 66 ans, a été arrêté par la garde nationale entre la ville de Kaédi et le village de Djéol, à la suite d’un contrôle au cours duquel on a trouvé dans ses affaires la facture d’un poste radio acheté par son fils au Sénégal. Il a été sévèrement torturé au « Jaguar ». Transféré à la prison de Kaédi, Ciré Djékou Sow a été détenu avec six autres personnes jusqu’au 4 août, date à laquelle les sept ont été libérés et obligés de traverser le fleuve vers le Sénégal, nus, les forces de sécurité ayant brûlé leurs vêtements. Ciré Djékou Sow a été enchaîné pendant toute sa détention et n’a eu droit à aucune visite.

L’armée et la garde nationale procèdent également à des regroupements forcés de villageois dans le but de mieux les contrôler. En février 1990, les villages de Gourel Pé, Liradji, Marsel et Gourel Manadji, dans la région de Sélibaby, ont été incendiés par les militaires et leurs habitants ont été forcés à se regrouper sous surveillance militaire dans le village de M’Bomé. De février à mai, ces habitants ont été régulièrement maltraités, les hommes battus à coups de bâton et de fouet, et des cas de viols de femmes ont été signalés.

  1. LES ARRESTATIONS ET DETENTIONS ILLEGALES

Des centaines de personnes sont arbitrairement détenues en Mauritanie, la plupart, du simple fait de leur race ou de leur appartenance ethnique. Les arrestations sont opérées tant par les forces de sécurité (police, gendarmerie) que par l’armée et la garde nationale en dehors de toute légalité, c’est-à-dire en violation des propres lois de la Mauritanie. Dans les nombreux cas constatés par Amnesty International, les périodes de détention sans inculpation ni jugement peuvent atteindre plusieurs mois, souvent plus d’un an.

Il est impossible de répertorier dans ce document tous les cas de détentions illégales connus d’Amnesty International, mais nous pouvons distinguer plusieurs catégories de détenus qui sont l’objet de préoccupations de l’organisation.

4.1 Les détentions avant expulsion

Des dizaines de personnes ont été détenues pendant plusieurs semaines avant leur expulsion. Une femme de 35 ans, par exemple, a été détenue au commissariat central de Nouakchott entre le 17 mars et le 27 mai 1990, date à laquelle elle a été expulsée vers le Sénégal en même temps que 50 autres personnes. Les forces de sécurité, qui avaient confisqué tous leurs biens avant de les expulser, les ont obligées à traverser nues le fleuve Sénégal. Dans un autre cas, deux jeunes femmes ont été battues au commissariat de Rosso et leurs bijoux confisqués avant leur expulsion en février 1990.

Les témoignages des personnes expulsées indiquent que dans les commissariats de police des villes, comme Nouakchott et Rosso, sont détenus des dizaines de Mauritaniens noirs, mais aussi des Sénégalais, des Maliens, des Guinéens et des Ghanéens.

4.2 La détention d’opposants présumés au gouvernement

Des opposants présumés au gouvernement, tous de race noire, ont été arrêtés tant à Nouakchott qu’à l’intérieur du pays. A Kaédi, des enseignants de l’Ecole nationale de formation et de vulgarisation agricoles (ENFVA), du collège et du lycée, parmi lesquels Harouna N’Dongo et Oumou Kalsoum Barro, ont été arrêtés au cours du mois d’octobre 1989 et détenus à la sûreté de Kaédi. Ils étaient soupçonnés d’être membres des FLAM. Ils ont été relâchés en janvier 1990 sans inculpation ni jugement.

A Nouakchott, Ladji Traoré (voir la photographie no 3), économiste et ancien prisonnier d’opinion , a été arrêté aussi le 18 octobre 1989 par des agents de la sécurité de l’Etat ; depuis cette date, il est détenu sans inculpation ni jugement. Aucune raison officielle n’a été donnée pour justifier son arrestation. Des sources officieuses disent que Ladji Traoré, qui appartient au groupe ethnique négro-africain des Soninké, a été arrêté à cause de son opposition à la politique gouvernementale d’expulsion des Mauritaniens noirs. Selon des informations reçues par Amnesty International, il serait détenu à Nouakchott dans une maison utilisée par la police comme centre de détention où son droit aux visites n’est pas respecté. Cette détention semble être illégale aux termes des propres lois de la Mauritanie. Amnesty International croit que Ladji Traoré est un prisonnier d’opinion, détenu du fait de l’exercice non violent de ses droits fondamentaux.

4.3 La détention de personnes qui se sont opposées à la confiscation de leurs biens

Dans les villages, des personnes qui manifestent leur opposition à la confiscation de leurs biens ont été détenues souvent pendant de longues périodes. C’est le cas notamment de Yoro Lam, éleveur de 45 ans, originaire de Zereyga, près de Foum Gleïta (M’Bout) qui est détenu sans inculpation ni jugement à la prison de Nouakchott depuis juin 1989. Avec son frère, Abdramane Lam, 43 ans, il s’était opposé à l’expropriation de leur bétail par les gendarmes venus les expulser vers le Sénégal. Abdramane Lam a été abattu par les gendarmes qui ont tenté de cacher son corps en le jetant dans un marigot. Yoro Lam a été arrêté et les membres de leur famille ont été déportés au Sénégal (voir les photographies nos 4 et 5).

Il avait été arrêté en avril 1983 et accusé de détournement de deniers publics. Il a été jugé et acquitté par la cour spéciale de justice le 28 janvier 1985. Il semble que la véritable raison de son emprisonnement eut été ses divergences avec de hauts responsables gouvernementaux. Amnesty International l’a considéré comme un prisonnier d’opinion.

4.4 Arrestation et détention à la suite d’incursions de groupes deréfugiés

Les forces de sécurité ont procédé à l’arrestation de villageois quand elles ont été informées que des réfugiés vivant au nord du Sénégal ou au Mali étaient revenus pour récupérer leurs biens ou participer à des opérations armées. Il semble que ces arrestations soient une forme de vengeance générale en l’absence de preuves matérielles que les détenus aient été en contact avec les réfugiés revenus. Ces formes de vengeance ou de représailles sont illégales selon la loi mauritanienne et interdites par les normes internationales relatives aux conflits armés. Cependant, les autorités n’ont pris aucune sanction à l’égard des agents des forces de sécurité responsables de ces actes.

Le 19 mars 1990, trois habitants de Boghé, dont Thierno Alassane N’Diaye, chef religieux domilicié à Boghé-Less, ont été arrêtés et accusés d’avoir hébergé des réfugiés qui étaient rentrés clandestinement en Mauritanie. Ils étaient toujours détenus à la prison d’Aleg à la fin du mois de juin 1990, sans inculpation ni jugement. Le frère de Thierno Alassane N’Diaye, Thierno Moussa N’Diaye, qui était allé demander des nouvelles des détenus, a été arrêté le 24 mars par des policiers de Kaédi. Il a été libéré deux jours plus tard. En revanche, ses disciples, dont Alioune Hamadi Bâ, chauffeur à la Société nationale de développement rural (SONADER), qui ont protesté contre son arrestation, ont été interpellés et sont toujours détenus à la prison de Kaédi.

Au total, des centaines de villageois noirs sont illégalement détenus en Mauritanie pour diverses raisons, toutes liées à leur origine ethnique.

Amnesty International a reçu des informations indiquant que ces villageois sont détenus dans des camps où ils seraient sous la surveillance de l’armée ou de la garde nationale et soumis aux travaux forcés. Un de ces camps serait à Azlat, entre Aleg et Boghé, où 350 personnes seraient en détention. Certains détenus du camp d’Azlat auraient été libérés au début du mois de juillet 1990.

  1. LES EXECUTIONS EXTRAJUDICIAIRES

Des informations recueillies auprès de diverses sources font état d’une recrudescence alarmante pendant le premier semestre de 1990 des exécutions extrajudiciaires commises tant par l’armée et la garde nationale que par les milices haratines. Il est impossible de savoir exactement combien de Mauritaniens noirs appartenant à l’ethnie hal-pulaar ont été victimes d’exécutions sommaires depuis le début des opérations d’expulsion de Noirs mauritaniens en mai 1989. Mais de très nombreuses victimes ont été recensées dans presque toutes les villes et tous les villages de la rive mauritanienne du fleuve Sénégal. Il semble qu’il n’y ait pas un village qui ne compte ses morts. Les victimes sont presque toutes des villageois non armés. Les autorités mauritaniennes refusent de donner aucune information sur l’étendue des massacres et de reconnaître que les exécutions sont illégales. Cependant, dans une déclaration à Amnesty International en juin 1990, le Ministre de la Justice a insinué que la violence exercée par les forces de sécurité était une réponse légitime aux actes de violence commis par des groupes d’opposants armés.

Les membres des forces armées et de sécurité ainsi que ceux des milices haratines interviennent dans les villages généralement après les incursions de groupes armés en provenance du Sénégal et du Mali, ou après le départ vers ces deux pays de villageois fuyant les exactions de l’armée. Souvent les victimes sont choisies à l’issue des patrouilles et des fouilles de routine entreprises dans les villages. Dans les villages où vivent différents groupes ethniques, la sélection est faite à partir de critères ethniques – les Hal-pulaar sont principalement visés. Quelquefois, les gens sont abattus sans motif apparent autre que leur appartenance ethnique.

Le 10 avril 1990, une patrouille de militaires et de Haratines armés est entrée dans le village de Moudji, près de Sélibaby. Après avoir fouillé les maisons à la recherche d’armes, ils ont arrêté sept personnes dont Silly Youmé Bâ, 47 ans, et Mamadou Demba Sall, 22 ans. Alors que les villageois les croyaient transférés et détenus à Sélibaby, la principale ville de la région, les sept hommes ont été emmenés à quelques kilomètres du village et exécutés. Trois ont été passés par les armes et les quatre autres sont morts, la tête écrasée à coups de pierres. Leurs corps recouverts d’épines ont été retrouvés plus tard par d’autres villageois. Les sept hommes avaient les mains attachées dans le dos, preuve qu’ils étaient prisonniers au moment de leur mort et ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires.

Le 20 avril 1990, à Woyndouyoli, à sept kilomètres de Sélibaby, environ 60 Haratines armés, encadrés par deux militaires dont un brigadier chef de la garde nationale, ont arrêté 15 personnes et les ont ligotées et contraintes de rester au soleil pendant plusieurs heures sans boire ni manger. Plus tard dans l’après-midi, un peloton d’exécution en aurait fusillé quatre, dont Harouna Ousmane Sow et Adama Souleymane Bâ. Les miliciens ont alors emmené les 11 prisonniers restants dont sept, parmi lesquels Adama Oumar Diallo (voir la photographie no 6), ont été exécutés par la suite.

Le 7 mai 1990 à Belendendi, près de Leqceiba-Gorgol dans la région de Kaédi, Dia Bocar Hamadi, âgé de 30 ans, a été tué par des éléments de la garde nationale cantonnés à Talhaya. Il était à la recherche de son bétail que lui avaient pris des Haratines. Quand ses trois frères se sont présentés à la gendarmerie pour se plaindre de sa mort, ils ont été arrêtés et détenus à Kaédi jusqu’au début du mois de juillet. Dia Bocar Hamadi résidait en République populaire du Congo où il était commerçant. Il était revenu au village pour se marier. (Voir la photographie no 7)

Les gardes tirent très souvent à bout portant sur des villageois sans motif apparent. Le 12 avril (15 du mois islamique de ramadan, mois du jeûne, particulièrement important pour les musulmans), à Ngoral-Guidal, près de Boghé, Thierno Saïbatou Bâ, chef religieux de 57 ans, a été abattu par des agents de la garde nationale en présence des villageois. Selon les témoignages recueillis par Amnesty International, le chef religieux venait de se laver dans le fleuve, comme il le faisait tous les jours pendant le ramadan avant la prière de l’après-midi. Il remontait sur la rive pour rejoindre sestalibés (étudiants) quand il a été interpellé par les gardes et abattu. Il n’était manifestement impliqué dans aucun acte de violence. Ses proches ont été autorisés à enterrer le corps. Mais cela n’est pas toujours le cas : dans bien des villages les corps des victimes restent exposés plusieurs jours sans sépulture. Les familles doivent attendre l’autorisation de procéder à l’enterrement selon les règles islamiques. Ce fut le cas notamment d’Abou Lawal Diallo, du village de Dabane, abattu le 20 février 1990 par des militaires basés à Sorimalé, dans le département de Bababé.

Les forces armées et de sécurité et les milices qui sont responsables de ces tueries bénéficient apparemment d’une impunité totale. Dans les régions où les massacres et les exécutions ont lieu, les règles du droit seraient inexistantes. Les autorités judiciaires n’ont, à notre connais-sance, entrepris aucune enquête sur les cas de civils tués par les forces de sécurité. Jusqu’à présent, aucune poursuite ne semble être engagée contre les membres des forces de sécurité responsables des exécutions. Les autorités ne se sont pas montrées désireuses de mettre fin à cette terrible situation et les forces de sécurité ont, semble-t-il, pleins pouvoirs pour tuer en toute impunité. Aujourd’hui c’est par villages entiers que les Hal-pulaar fuient la Mauritanie pour se réfugier au Sénégal et au Mali par crainte des exactions et des exécutions (voir la photographie no 8).

En mai 1990, un représentant d’Amnesty International a rencontré 400 habitants du village de Gourel Mamoudou, dans l’arrondissement de Gouraye (Sélibaby), qui avaient fui la persécution. Deux villageois avaient été exécutés par les gardes et d’autres portaient des cicatrices de tortures infligées par les militaires.

  1. LA TORTURE

La torture du « Jaguar » (qui consiste à attacher les poignets et les pieds de l’individu, à le suspendre à une barre, la tête en bas, et à lui marteler la plante des pieds) est utilisée de façon intensive et quasi-systématique par les agents des forces armées et de sécurité quand ils interrogent les villageois halpulaar (voir les photographies nos 9 et 10). Amnesty International continue de recevoir un très grand nombre de témoignages relatifs à l’utilisation de la torture du « Jaguar » qui tirerait son nom de l’avion français de combat utilisé en Mauritanie pendant la guerre du Sahara occidental, à laquelle la Mauritanie a participé de 1975 à 1979.

Gorel Bâ, cultivateur de 55 ans, du village de Gourel-Mamoudou, a été arrêté à M’Bomé à la fin du mois d’avril 1990 en même temps qu’une dizaine de personnes. Ils auraient été enchaînés, battus et torturés au « Jaguar » par les militaires. Le fils de Gorel Bâ, Moussa, 18 ans, qui saignait du nez à la suite de coups violents, n’a pas reçu de soins pendant sa détention qui a duré 19 jours. Ces personnes ont été arrêtées au cours d’une rafle effectuée par l’armée à la suite de l’incursion d’un groupe de réfugiés venant du Sénégal (voir la photographie no 11).

Souvent les personnes détenues sont aussi torturées par le feu. Un réfugié, âgé de 27 ans, originaire de Toumbou, arrêté par l’armée qui recherchait son frère, a fait le témoignage suivant à Amnesty International (voir la photographie no 12) :

« … Ils ont allumé un feu, ils y ont mis des fers qu’ils ont posé sur ma poitrine et mon cou. Ils ont brûlé les fesses de l’ami de mon frère… Ils nous ont mis une corde au cou et ont attaché la corde à un arbre. Ils ont tiré sur la corde jusqu’à notre évanouissement … »

Un autre réfugié a expliqué qu’il a été gardé pendant 61 jours dans une prison de Sélibaby, avec 15 autres personnes. Ils étaient régulièrement battus et brûlés avec des cigarettes par les gardiens. Après 12 jours de détention, deux personnes sont mortes, deux autres auraient été emmenées et fusillées.

Il semble que l’objectif poursuivi à travers la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants, aille au-delà de la recherche d’informations. Il s’agirait de faire délibérément souffrir les prisonniers sur la seule base de leur origine ethnique, et par conséquent d’intimider d’autres membres de ce même groupe et de les pousser à quitter leur pays.

De très nombreux cas de viols de jeunes filles et de femmes hal-pulaar ont été signalés à Amnesty International. Dans la plupart des cas, les viols sont commis par les agents de la garde nationale et de l’armée pendant leur détention. Amnesty International a reçu des informations détaillées sur le viol de deux femmes qui ont été déportées en février dernier au Sénégal. L’une d’elles, âgée de 25 ans, a été détenue pendant trois mois au commissariat du 2e arrondissement de Nouakchott. Transférée à la direction de la sûreté de Rosso en février 1990, en même temps que quatre hommes et une autre femme, elle a été acheminée vers le poste militaire du périmètre d’Ould Mogheïna, là où s’effectuent les déportations. Pendant toute une nuit les militaires ont abusé d’elle avant de la jeter dans le fleuve qu’elle a traversé pour rejoindre le Sénégal.

  1. LES « DISPARITIONS »

Les opérations menées par les forces gouvernementales contre les Hal-pulaar ont conduit à l’arrestation de centaines de villageois. Le sort de beaucoup d’entre eux est inconnu. Lorsque les prisonniers ne sont pas libérés, il est impossible à leurs proches et à leurs voisins de savoir ce qu’il est advenu d’eux. Il n’y a aucune autorité auprès de laquelle on puisse déposer une plainte sans s’exposer soi-même au risque d’être arrêté à son tour. Plusieurs prisonniers qui ne sont pas au nombre de ceux dont la mort est connue ont « disparu ». Amnesty International craint qu’ils n’aient été victimes d’exécutions extrajudiciaires. Les régions les plus touchées sont celles d’Aleg et de Sélibaby. A Dioudé-Diéry, près de Boghé (Aleg), 16 personnes dont Kanni Sall et Oumar Thiam, un adolescent de 15 ans, ont été arrêtées au mois de mars 1990 par des agents de la garde nationale qui fouillaient des maisons à la recherche d’armes. Emmenées vers une destination inconnue, leur sort est tout aussi inconnu.

Dans la région de Sélibaby, ce sont des familles entières qui ont disparu. A Gourel-Amadou Mamadou, près de Ould Yengé, Adama N’Diaye, 50 ans, son épouse, Salamatou Sow, dite Boolo, et leurs neuf enfants ont été arrêtés par les forces de sécurité et conduits en brousse en février 1990. Nul ne les a revus. En novembre 1989, 27 habitants de Mouta-Ala, près de Ould Yengé, dont Harouna Diaw et Djibo Mody Djabou, ont été interpellés par des militaires à la suite du départ vers le Mali d’éleveurs peuls de la région de l’Aftout. Le sort de ces personnes est inconnu de même que celui de 12 habitants de Nébya près de Ould Yengé (Sélibaby), arrêtés la même semaine par des militaires. En février 1990, des habitants de Guéléwol (Ould Yengé) auraient été enlevés par des militaires basés à Ould Yengé. Dans la région de Sélibaby, des dizaines de villages halpulaar ont été vidés de leurs habitants à la suite d’opérations des forces gouvernementales et des milices. Des villageois ont été déportés, d’autres ont fui les exactions. Certains, qui avaient été arrêtés, ont tout simplement « disparu ».

  1. RECOMMANDATIONS D’AMNESTY INTERNATIONAL AU GOUVERNEMENT MAURITANIEN

Amnesty International invite le Gouvernement mauritanien à prendre des mesures urgentes pour :

1) Mettre fin aux exécutions extrajudiciaires dont des membres de l’ethnie halpulaar sont victimes dans le sud du pays, en particulier :

– Donner des ordres clairs et précis aux membres des forces armées et de sécurité chargés du maintien de l’ordre dans le sud, indiquant que les exécutions extrajudiciaires et la torture sont interdites en toutes circonstances et ne sauraient être tolérées ;

– Donner des instructions aux autorités judiciaires d’enquêter sur les allégations d’exécutions illégales perpétrées par les forces de sécurité et les milices et d’entamer des poursuites contre les responsables de violations des droits de l’homme. Amnesty International est très sérieusement préoccupée de l’impunité avec laquelle les forces de sécurité commettent de graves violations des droits de l’homme sans qu’aucune autorité n’intervienne et n’ordonne des sanctions disciplinaires, ou n’engage de poursuites en justice.

Amnesty International demande au gouvernement de dissoudre les milices haratines qui ne sont pas officiellement constituées par les autorités. Celles-ci devraient veiller à ce que les milices bénéficiant d’une autorisation officielle respectent les droits de l’homme.

2) Mettre fin aux détentions arbitraires dont des membres de l’ethnie halpulaar et d’autres ethnies sont victimes :

– Amnesty International lance un appel au gouvernement afin qu’il libère tous les prisonniers d’opinion, c’est à dire toutes les personnes emprisonnées à cause de leurs opinions ou de leur origine ethnique qui n’ont ni utilisé la violence, ni préconisé son usage ;

– Amnesty International invite le gouvernement à mettre en place une autorité indépendante chargée de fournir des informations aux parents et aux organisations non gouvernementales au sujet de tous les détenus, en particulier dans le sud. Cette autorité devra être informée rapidement de l’identité, du village d’origine, ainsi que du lieu de détention et des motifs de l’emprisonnement de toute personne arrêtée. Cette autorité doit avoir un libre accès aux villageois sans crainte d’aucune forme de représailles, afin d’établir ce qu’il est advenu des parents et amis qui sont été arrêtés ou qui ont « disparu ».

La présente détérioration de l’Etat de droit dans le sud a créé un climat de peur qui semble être délibérément entretenu pour intimider les villageois, notamment les Halpulaar. Si le gouvernement souhaite réellement éviter d’être accusé de pratiquer la discrimination raciale contre une composante de la société, ce qui est à la fois contraire aux lois mauritaniennes et interdit par les traités internationaux auxquels la Mauritanie est partie (en particulier la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1966 et ratifiée par la Mauritanie le 13 décembre 1988) , il doit prendre des mesures pour apaiser les craintes des populations du sud et mettre fin aux conditions dans lesquelles des prisonniers ont « disparu » ou ont peut-être été tués.

Des mesures doivent être prises pour mettre fin aux pratiques illégales de détention de prisonniers par les forces de sécurité pendant des semaines ou des mois sans les déférer à une autorité judiciaire, tel que la loi mauritanienne et les normes internationalement reconnues le recommandent. En particulier, cela signifie que le ministère public doit exercer son rôle de contrôle des lieux de détention tant officiels que non officiels pour s’assurer que personne n’est détenu illégalement.

La Mauritanie a ratifié la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, mais n’a pas ratifié d’autres traités relatifs aux droits de l’homme qui sont très importants, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son Protocole facultatif, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Amnesty International demande instamment à la Mauritanie de ratifier ou d’adhérer à ces importants traités relatifs aux droits de l’homme. L’Assemblée générale des Nations Unies a prié tous les Etats qui ne l’ont pas encore fait de devenir parties aux Pactes et d’étudier la possibilité d’adhérer au Protocole facultatif. Elle a prié aussi tous les Etats de ratifier ou d’adhérer à la Convention contre la torture « à titre prioritaire ».

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La Mauritanie n’a pas ratifié la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948.

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1 et 2 Harouna Demba Diallo (dit Hadji) a été arrêté et accusé d’être un opposant parce qu’il n’avait donné aucune bête à manger à l’armée présente dans son village. Il a été sévèrement battu et laissé près du village. Son corps était couvert de blessures.

3 Ladji Troré : Arrêté en octobre 1989, il n’avait pas encore été inculpé ni jugé en septembre 1990.

4 Mariam Lam, fille d’Abdramane Lam abattu par les gendarmes en juin 1989.

5 Les enfants de Yoro Lam. Yoro Lam et son frère Abdramane Lam ont été arrêtés en juin 1989 pour s’être opposés à l’expropriation de leur bétail. Yoro Lam est détenu à la prison de Nouakchott et les membres de sa famille ont été déportés au Sénégal.

6 Adama Oumar Diallo, originaire de Woyndouyoli, a été exécuté extrajudiciairement en avril 1989.

7 Dia Bocar Hamadi, originaire de Belendendi, a été exécuté extrajudiciairement le 7 mai 1990.

8 Halpulaar du village de Gourel-Mamoudou qui ont fui la Mauritanie en mai 1990, par crainte des exécutions, pour se réfugier dans des camps au Sénégal.

9 et 10 La torture du « jaguar » qui consiste à attacher les poignets et les pieds de la victime, à la suspendre à une barre, la tête en bas – parfois au-dessus d’une lampe à gaz – et à lui marteler la plante des pieds.

11 Villageois de Gourel-Mamoudou fuyant vers le Sénégal, en mai 1990. Parmi eux se trouvent Gorel Bâ (devant, au milieu) et son fils Moussa Bâ (devant, à droite) qui ont été torturés après leur arrestation en avril 1990.

12 Cette victime de la torture a été brûlée avec des fers posés sur sa poitrine et son cou. Puis on lui a mis une corde au cou et on l’a attaché à un arbre. On a ensuite tiré sur la corde jusqu’à ce que la victime s’évanouisse.

AMNESTY INTERNATIONAL

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