La grande colère de la population noire

LE MONDE | 05.02.1979  | PHILIPPE DECRAENE.

Nouakchott. –  » En Mauritanie, tous les centres de décision sont arabo-berbères « , dit un jeune fonctionnaire mauritanien connu pour son attitude critique à l’égard du gouvernement de Nouakchott. Si excessifs que puissent paraître ces propos, ils reflètent parfaitement l’état d’esprit qui prévaut actuellement au sein d’une partie importante de la population noire de Mauritanie.

Après l’éphémère sentiment de soulagement qui suivit l’éviction de l’ancien président Ould Daddah de la scène politique par les putschistes qui s’emparèrent du pouvoir le 10 juillet dernier, beaucoup de Noirs mauritaniens ne cachent pas leur déception. Ils expriment un mécontentement croissant qu’ils justifient notamment par le fait que l’armée mauritanienne étant surtout composée de soldats noirs, ils ont fourni l’essentiel de l’effort de guerre au Sahara. Ils accusent aujourd’hui l’équipe gouvernementale du colonel Moustapha Ould Saleck de racisme avec la même vigueur qu’ils condamnaient son prédécesseur.

Les conciliabules se multiplient entre contestataires. Des libelles de plus en plus nombreux, et de plus en plus véhéments, circulent au grand jour, non seulement dans les grandes agglomérations de la vallée du fleuve Sénégal où la population noire est très largement majoritaire, mais également dans la capitale. Les allées et venues entre Saint-Louis, ville sénégalaise la plus proche, Dakar, capitale de  » l’État frère  » voisin, et Nouakchott permettent de véhiculer de façon permanente des idées qui créent un climat de défiance entre les deux communautés ethniques qui cohabitent en Mauritanie : les Maures, ou bidânes, de race blanche, et les Sahelo-soudaniens, de race noire, qui appartiennent aux tribus peulh, sarakollé, soninké, toucouleur ou bambara, que l’on retrouve notamment au Sénégal et au Mali. » Nation arabe  » et  » nation nègre « 

Un élément socio-politique nouveau contribue à accentuer l’effervescence parmi les Noirs. Les hâratins, ou affranchis, groupe social fortement métissé, s’étaient, jusqu’à une date récente, toujours considérés comme  » Blancs  » et, à ce titre, faisaient cause commune avec les Maures. Désormais, la plus grande partie d’entre eux ont changé de camp, estimant que leur intérêt était de mener le même combat que les Noirs, s’ils voulaient totalement se soustraire à la tutelle de leurs anciens maîtres.

 

Cette évolution est notamment une des conséquences sociologiques de la sécheresse désastreuse qui a ravagé durant plusieurs années le Sahel mauritanien. La plupart des Noirs étant agriculteurs et sédentaires, alors que la majorité des Maures est composée d’éleveurs nomades, les premiers ont beaucoup plus gravement souffert des effets de la sécheresse.

L’arabisation systématique menée par les dirigeants de Nouakchott qui, après avoir admis l’existence de l’arabe et du français comme langues nationales, ont vigoureusement privilégié le premier, contribue à exacerber les revendications des sahélo-soudaniens. Ceux-ci refusent de se plier à l’exigence de transcription de leurs diverses langues maternelles en arabe, et militent également en faveur de la défense de la francophonie. En effet, l’usage du français leur permet de communiquer plus aisément entre eux ainsi qu’avec les Maures.

 » Peut-on faire de la Mauritanie une nation arabe, sans accepter qu’elle soit une nation nègre ? -, demande clairement un tract récemment diffusé à Nouakchott. Les rédacteurs de ce texte critiquent l’appartenance de leur pays à la Ligue arabe, dans la mesure où, estiment-ils, certains Maures s’opposent au maintien de liens entre la Mauritanie et l’Organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal (O.M.V.S.), ou la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, qui donne à l’État mauritanien une large ouverture en direction de l’Afrique noire. Ces censeurs proclament que leur pays doit être  » un État multinational  » et accusent les Maures de se comporter en colonialistes répressifs et oppressifs à l’égard des Noirs.

Certains intellectuels noirs considèrent que  » les négro-africains font les trais de l’indépendance néocoloniale « . Ils protestent :  » Ne criera-t-on pas au scandale le jour où un négro-africain de Mauritanie osera afficher haut sa négritude ? Par contre, ne voyons-nous pas les courants baasistes (Irak et Syrie) ou les tendances pro-marocaine et nassérienne s’entrecroiser et rivaliser dans le pays ?  » Dénonçant  » l’apartheid hypocrite « , ils affirment que  » la politique chauvine et tribale de Moktar Ould Daddah est continuée aujourd’hui… Les Négro-Africains restent citoyens à 50 %…  » Aussi exigent-ils la mise en place  » de nouvelles institutions politiques effectivement démocratiques permettant la solution correcte de la question nationale…  » parce que  » l’indépendance est pour tous les citoyens ou elle ne sera pas « 

Les rumeurs persistantes qui circulent à Nouakchott à propos d’un récent recensement dont les autorités refuseraient la publication  » parce qu’il constate que les éléments noirs de la population sont devenus majoritaires  » contribuent à entretenir un climat passionnel.

D’autre part, le rapprochement qui s’esquisse entre le Front Polisario et les autorités mauritaniennes inquiète sérieusement certains éléments particulièrement combatifs de la communauté noire. Ceux-ci ne dissimulent point, en effet, qu’une solution de type fédéral entre Sahraouis et Mauritaniens  » équivaudrait assurément à la phagocytose de l’ethnie noire non arabe « . C’est la raison pour laquelle les éléments les plus politisés de l’intelligentsia négro-africaine préconisent la restitution pure et simple de l’ancien Rio-de-Oro espagnol au Front Polisario, mouvement qu’ils n’hésitent pas, pour leur part, à qualifier de  » seul représentant authentique des aspirations du peuple sahraoui… « 

Sans être aussi explosive qu’en 1966, année pendant laquelle plusieurs dizaines de personnes trouvèrent la mort au cours de sanglants incidents raciaux, la tension entre les communautés noire et blanche peut mener à de nouveaux affrontements. C’est avec la recherche obstinée d’un règlement négocié au Sahara occidental, avec la solution de la crise économique et financière que traverse la Mauritanie, avec la mise en veilleuse des polémiques qui opposent les uns aux autres les membres du Comité militaire du redressement national, comme ceux du gouvernement, un des principaux sujets de préoccupation des dirigeants de Nouakchott.


NOUAKCHOTT S’INQUIÈTE D’UN REGAIN D’EFFERVESCENCE PARMI LA POPULATION NOIRE

LE MONDE | 09.02.1979

Nouakchott (A.F.P.) – La fièvre suscitée pendant vingt-quatre heures à Nouakchott par le conflit opposant les communautés maure et noire, notamment sur la question de l’arabisation de l’enseignement et de l’administration en Mauritanie sembla être retombée dès mardi 8 février. Cependant, plusieurs personnes, soupçonnées de  » participer à une campagne d’intoxication « , ont été arrêtées mardi et mercredi.

D’autre part, après avoir examiné la tension qui a brusquement secoué lundi la capitale mauritanienne, le Comité militaire de redressement national (C.M.R.N) a demandé au gouvernement de prendre  » toutes les mesures qui s’imposent pour dissiper l’intoxication qui sévit dans le pays « . Le C.M.R.N. a également réclamé l’arrestation des  » fauteurs de troubles  » et de  » tous les coupables de menées subversives visant à saper les bases morales de l’unité et de la cohésion de notre peuple « .

Dans une déclaration publiée mardi 6 février par le quotidien  » Chaab « , le ministre de l’intérieur, le commandant Jiddou Ould Saleck, a vivement dénoncé les  » groupuscules  » qui animent, depuis plusieurs jours, une  » campagne d’intoxication  » sous forme de slogans muraux hostiles au régime ou par diffusion de rumeurs et de tracts alarmistes. Il n’a pas exclu que cette action  » bien orchestrée  » soit téléguidée de l’extérieur pour  » déstabiliser le régime  » et s’est engagé à réprimer avec la plus grande fermeté les fauteurs de troubles en recourant au besoin à la peine capitale.
Tout avait commencé vendredi 2 février lorsqu’un groupe d’enseignants noirs avait décidé de déclencher une grève en début de semaine pour protester contre l’option d’arabisation de l’enseignement. Plusieurs interventions auraient finalement incité ces enseignants à renoncer à leur mouvement.

Mais, dès novembre dernier, M. Seck Mame Diack, alors ministre de l’éducation, s’était prononcé pour le maintien du bilinguisme (arabe et français)  » dans la vie future du pays « , mettant implicitement en cause le programme d’arabisation décidé par le Comité militaire de redressement national (C.M.R.N.). Cette prise de position déclencha à l’époque de sérieux remous, au point que le ministre de l’intérieur dut  » réaffirmer l’attachement du pays, dans son ensemble, à la culture arabo-islamique « .
Mauritanie


LE MONDE | 16.03.1979

• Une dizaine de mauritaniens de race noir soupçonnés d’avoir favorisé la confection et la diffusion de tracts hostiles au Comité militaire de redressement national (C.M.R.N.) ont été arrêtés mardi 13 mars à Nouakchott. Plusieurs de ces personnes sont des cadres supérieurs connus pour leurs opinions  » modérées  » à l’égard des problèmes culturels qui divisent les communautés maure et négro-africaine de Mauritanie. Leur interpellation suscite une grande réprobation dans certains milieux responsables de la capitale mauritanienne.


LE MONDE | 21.03.1979

 

DIX MAURITANIENS, soupçonnés d’avoir favorisé la diffusion de tracts hostiles au régime, et arrêtés le 11 mars (le Monde du 16 mars), ont été libérés à la fin de la semaine dernière, apprend-on à Nouakchott. Il s’agit, pour la plupart, de cadres supérieurs, qui ne feraient l’objet d’aucune poursuite judiciaire. D’autre part, un  » contrôle préalable  » est imposé par le ministre mauritanien de l’information sur certaines dépêches de presse de journalistes en poste à Nouakchott émanant de  » sources non officielles  » ayant trait à la question du Sahara occidental et aux  » problèmes culturels  » entre les communautés maure et noire de Mauritanie. – (A.F.P.)


Le président Saleck est investi de  » tous les pouvoirs  » à Nouakchott Les inquiétudes du Sénégal

LE MONDE | 22.03.1979 | PIERRE BIARNÈS.

Dakar. – L’évolution de la situation au Sahara occidental et ses répercussions en Mauritanie sont suivies avec une attention de plus en plus inquiète par les dirigeants sénégalais. Ceux-ci ne cachent plus désormais leurs préoccupations au sujet de l’avenir des populations noires de leur voisin du nord et commencent même à nourrir des craintes pour la sécurité du Sénégal.

Jusqu’à présent, le président Senghor a été l’un des plus fermes soutiens de la Mauritanie, précieux  » État-tampon  » entre le Sénégal et les puissances maghrébines, dont il redoute les ambitions au sud du Sahara. À la fin des années 50, il a repoussé les offres de partage que lui faisait alors Rabat avec autant de fermeté qu’il s’oppose aujourd’hui aux visées algériennes.
Des solutions de rechange

On estime ici que l’armée mauritanienne, qui avait été beaucoup renforcée les premières années de la guerre du Sahara, ne serait plus en mesure de faire face au Polisario si celui-ci décidait de reprendre les hostilités. En effet, tandis que la plupart des officiers se consacrent désormais à la seule politique, un très grand nombre d’hommes de troupe ont regagné leurs foyers. Par contre, les Sahraouis ont considérablement renforcé leur implantation, non seulement au Tiris-el-Gharbia mais aussi dans de vastes zones à l’intérieur des anciennes frontières de la Mauritanie.

Une partie importante des membres du Comité militaire de redressement national (C.M.R.N.), dont le chef de file paraît être le commandant Jiddou, ministre de l’intérieur, estime qu’il n’y a plus d’autre solution que de reconnaître purement et simplement la République arabe sahraouie démocratique et de renouer avec Alger. Une autre fraction du C.M.R.N., conduite semble-t-il par le lieutenant-colonel Haïdalla, chef d’état-major général de l’armée, est, par contre, toujours d’avis de résister et de demeurer fidèle à l’alliance marocaine.

D’autre part – observe-t-on à Dakar, – les nouveaux dirigeants mauritaniens ont malencontreusement relancé depuis quelques mois la  » querelle linguistique  » qui, en 1966, avait déjà failli plonger le pays dans la guerre civile. Afin d’enlever aux Noirs le quasi-monopole qu’ils détenaient dans la fonction publique à la fin de l’époque coloniale, durant laquelle ils avaient fréquenté pratiquement seuls l’école française, le président Ould Daddah avait décidé de faire de l’arabe la seconde langue officielle de la Mauritanie, à égalité avec le français, et il avait réformé l’enseignement en conséquence. Ses successeurs, quant à eux, paraissent vouloir éliminer totalement le français de l’administration et des programmes scolaires au profit de l’arabe. Ils donnent aussi l’impression de vouloir écarter de tous les secteurs modernes de la vie nationale la plupart de leurs compatriotes noirs. Les nouvelles relatives à l’arrestation de personnalités noires opposées à l’équipe dirigeante qui parviennent ici depuis quelques semaines sont accueillies avec un mécontentement grandissant par l’opinion sénégalaise. Celle-ci redoute que ne vienne à se constituer une entité mauritano-sahraouie inféodée à Alger et au sein de laquelle les Noirs seraient encore davantage marginalisés.

Éliminer le français de l’administration
Enfin, on semble craindre parfois ici que l’évolution en cours ne débouche sur un report de la mise en chantier des importants travaux d’aménagement de la vallée du fleuve Sénégal. Ces travaux, en effet, profiteront d’abord aux cultivateurs de race noire qui habitent le sud de la Mauritanie, et, dans la situation présente, leurs compatriotes maures pourraient être tentés de freiner le projet.

Tout en demeurant, pour le moment, fidèles à leur politique traditionnelle de soutien à l’existence d’un État mauritanien dans la limite des frontières héritées de la colonisation, les dirigeants sénégalais commencent donc à envisager des solutions de rechange pour le cas où cette position deviendrait intenable. Déjà, dans une interview accordée à Jeune Afrique, en décembre 1977, et que rappelait ces jours-ci encore l’unique quotidien national sénégalais le Soleil dans une série d’articles qui se faisaient l’écho de ces inquiétudes, le président Senghor n’hésitait pas à évoquer la  » légitimité  » dont pourraient se prévaloir cinq cent mille négro-africains pour réclamer leur indépendance si on se hasardait à donner un État à soixante-dix mille Sahraouis. Ces dernières semaines, d’autre part, à l’occasion d’entretiens avec plusieurs diplomates en poste à Dakar, le chef de l’État sénégalais a fait savoir qu’il n’hésiterait pas à exiger des Nations Unies l’organisation d’un référendum permettant à la communauté noire de Mauritanie de s’autodéterminer s’il s’avérait qu’elle est réellement menacée.
Il semble bien que ce point de vue a été également exprimé dans le message que le ministre des affaires étrangères du Sénégal, M. Moustapha Niasse, a remis samedi 17 mars, à Nouakchott, au président Saleck.
Pour être éventuellement en mesure de porter secours à leurs frères de race, les Sénégalais renforcent systématiquement leur dispositif militaire le long de leur frontière septentrionale.
Mauritanie


LE MONDE | 30.03.1979

UN FRONT DE LUTTE ARMEE pour l’autodétermination des populations négro-africaines des régions Sud-mauritaniennes du Walo, du Fouta et du Guidimaka, en abrégé  » Front WALFOUGUI « , vient de se constituer. C’est ce qui ressort d’une lettre adressée, le 26 mars, aux ambassadeurs accrédités à Dakar, et dont copie a été envoyée, mercredi, à la presse étrangère. Ce document est signé d’un certain Alioune Diaw, qui pourrait être un officier de gendarmerie, déserteur de l’armée mauritanienne.


LA CRISE MAURITANIENNE

LE MONDE | 09.04.1979

Mise à genoux économiquement par les attaques répétées du Front Polisario jusqu’à ce que celui-ci décrète unilatéralement un cessez-le-feu en juillet 1978 ; menacée d’éclatement par l’agitation des populations noires du Sud qui s’estiment brimées par les dirigeants maures arabophones ; constatant qu’en dépit de l’arrêt des combats les guérilleros sahraouis ont renforcé leur implantation dans le nord du pays et dans la province du Tiris-El-Gharbia (ex-Rio-de-Oro, au Sahara occidental), la Mauritanie se débat depuis des mois dans d’inextricables difficultés.
Depuis le coup d’État militaire qui a renversé en juillet 1978 le  » père de la nation « , M. Ould Daddah, le régime des colonels a connu plusieurs soubresauts. Le dernier en date vient d’avoir lieu avec la formation d’un cabinet sous la direction d’un nouvel  » homme fort « , le colonel Ahmed Ould Bouceif, et la mise en place d’un Comité militaire de salut national, qui se substitue à l’ancien Comité militaire de redressement national, remanié il y a quinze jours seulement par le chef de l’État, le colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck, dont la position sort affaiblie de cette  » révolution de palais « .

Dès son accession au pouvoir, le colonel Ould Saleck avait affirmé la volonté de son pays de parvenir à la paix en trouvant une solution pacifique au conflit du Sahara occidental associant toutes les parties intéressées. Pour atteindre son but, il avait pris quelque distance à l’égard de Rabat, fait des  » ouvertures  » à Alger et entamé des contacts avec le Front Polisario. Au fil des mois, il a dû constater qu’il s’attaquait à la quadrature du cercle.

Le président-colonel devait compter avec cinq partenaires directs ou indirects – France, Algérie, Polisario, Maroc et Sénégal, – dont les intérêts sont loin d’être concordants et qui jouent leur jeu en fonction de leurs problèmes intérieurs ou de leurs préoccupations stratégiques. À la suite du décès du président Boumediène, son successeur, le colonel Chadli Bendjedid, a durci sa position, sans doute pour ne pas être accusé de brader l’héritage. Dégagé sur son flanc sud par le cessez-le-feu, le Polisario a concentré ses efforts sur le Maroc, qui connaît une situation économique et sociale difficile. Pressé par l’ensemble de la population, le roi Hassan II semble décidé à se battre sur tous les fronts, tout en espérant un compromis qui lui éviterait d’entrer en conflit ouvert avec l’Algérie. Entretemps, le Sénégal a apporté son soutien aux populations du Sud mauritanien et menacé de défendre leur droit à l’autodétermination. La France, enfin, tout en demeurant active en coulisse, a adopté une position plus équilibrée pour éviter de s’engager outre mesure dans le  » guêpier  » saharien.

Jugeant que la balance avait trop penché du côté d’Alger, le colonel Ould Saleck avait éliminé, le 22 mars, trois ministres jugés trop favorables aux thèses du Polisario et pas assez sensibles aux revendications des Noirs du Sud. Il semble que cette mesure n’ait pas suffi et que, face à la double pression de Rabat et de Dakar, l’entrée en scène du colonel Bouceif ait ramené un peu plus le pendule vers le centre, sinon vers les thèses  » pro-marocaines « , le colonel Ould Mayouf ayant été également écarté. Toutefois, l’évacuation des troupes de Rabat stationnées en Mauritanie, qui devait être achevée le 30 mars, a été stoppée.

Dans l’immédiat, le principal souci des dirigeants mauritaniens est de sauvegarder l’intégrité territoriale de leur pays. Nul doute que la France ne les y ait encouragés par la bouche de M. Journiac, conseiller de M. Giscard d’Estaing, qui vient de se rendre à Nouakchott. Mais dans la partie extrêmement complexe qui se joue, la Mauritanie ne dispose que de faibles cartes.


Le président Senghor a rendu visite aux nouveaux dirigeants de Nouakchott

LE MONDE | 11.04.1979  | PIERRE BIARNÈS.

Nouakchott. –  » C’est l’intérêt du Sénégal que la Mauritanie soit unie, prospère et stable « , a déclaré le président Senghor, dès son arrivée à l’aéroport de Nouakchott, lundi 9 avril, pour une brève  » visite de travail « .
Après avoir fait savoir de diverses façons que le Sénégal ne laisserait pas se dégrader outre mesure la situation des populations négro-africaines qui cohabitent avec les Maures au sein de la République islamique, le chef de l’État sénégalais entendait rappeler aux nouveaux maîtres de la Mauritanie les grandes lignes de la politique traditionnelle de Dakar vis-à-vis de leur pays.

Considérant la Mauritanie comme un précieux État-tampon, qui leur évite d’avoir une frontière commune aussi bien avec le Maroc qu’avec l’Algérie, les dirigeants sénégalais se résigneraient avec peine à la partition qui ne pourrait que résulter, selon eux, de la mainmise algérienne sur Nouakchott par Polisario interposé. À un moment où, d’autre part, vont enfin démarrer les travaux d’aménagement du fleuve Sénégal, ils souhaitent vivement que n’éclate pas dans la République voisine une guerre civile qui ruinerait, pour un temps indéterminé, des projets dont dépend, de façon essentielle, l’avenir de leur agriculture et de leur industrie.

Nouvel  » homme fort  » de la Mauritanie, le lieutenant-colonel Ould Bouceif ne pouvait pas prendre des engagements précis alors que ses pouvoirs de premier ministre ne sont pas encore juridiquement définis et que l’équipe gouvernementale qui l’entoure n’est probablement que provisoire. On a toutefois remarqué au cours de la visite que le premier ministre éclipsait par son assurance le colonel Saleck, bien que celui-ci soit toujours chef de l’État en titre.


LES ÉTUDIANTS NOIRS MANIFESTENT CONTRE LA PLACE DE L’ARABE DANS L’ENSEIGNEMENT
LE MONDE | 09.05.1979

Nouakchott (A.F.P.). – Des manifestations d’étudiants et de lycéens se sont produites lundi 7 et mardi 8 mai à Nouakchott où les problèmes culturels qui opposent épisodiquement les communautés maure et noire de Mauritanie suscitent depuis quelques jours un regain d’agitation. À l’origine de cette nouvelle agitation se trouve l’augmentation du coefficient de l’instruction civique dispensée exclusivement en langue arabe dans l’enseignement secondaire.

Les élèves mauritaniens de race noire, pour la plupart de culture francophone, protestent contre cette décision qui, à quelques semaines des examens de fin d’année, avantage, selon eux, les étudiants maures arabophones.

Dans la matinée de lundi, un groupe d’étudiants s’est livré à des déprédations dans un collège de Nouakchott qui a dû être évacué. Plus d’une centaine d’élèves ont ensuite défilé dans les rues de la ville en scandant des slogans hostiles aux autorités.

Mardi les forces de l’ordre ont chargé quelques centaines d’étudiants rassemblés au stade de Nouakchott, faisant plusieurs dizaines de blessés. Certains seraient sérieusement atteints.


La  » libération  » de M. Ould Daddah et les problèmes linguistiques divisent l’équipe dirigeante Le correspondant de l’A.F.P. est expulsé

LE MONDE | 12.10.1979

Dakar (A.F.P.). – Plusieurs dignitaires de l’ancien régime mauritanien ont été arrêtés la semaine dernière au moment où M. Ould Daddah gagnait Paris. Certains ont été relâchés après quelques jours de détention, tandis que deux anciens ministres MM. Hamdi Mouknass (affaires étrangères) et Ahmed Salah (commerce) seraient encore détenus de même qu’un homme d’affaires, M. Boubacar Alfa, ancien ministre de la santé (1963). Ces contradictions apparentes s’expliquent notamment par les divisions au sein du comité militaire de salut national, instance législative et politique de la Mauritanie, qui est le résultat d’un consensus fragile entre diverses tendances, pro-algérienne, pro-libyenne et pro-marocaine. Celles-ci étaient d’accord pour faire sortir la Mauritanie de la guerre et redresser la situation économique du pays par une politique d’austérité.

Toutefois, depuis l’accord de paix d’Alger, les divisions se seraient exacerbées pour diverses raisons.

Ainsi, la décision de  » libérer  » même provisoirement M. Ould Daddah, pour lui permettre de se soigner, aurait été envisagée lors du voyage en France, les 18 et 19 septembre, du premier ministre mauritanien, le lieutenant-colonel Haidalla.

En échange de son soutien pour assurer l’intégrité des frontières de la Mauritanie, appuyer sa politique de neutralité et contribuer à son redressement économique, la France aurait demandé un geste en faveur de l’ancien président, placé en résidence surveillée dans l’extrême sud-est du pays, depuis juillet 1978.

Les Mauritaniens ont accédé à la demande française, mais les préparatifs de départ ont été faits en  » petit comité « , sans débats préalables, ni en conseil des ministres, ni au C.M.S.N., ou des oppositions se seraient certainement manifestées, compte tenu de la position intransigeante adoptée par ses membres vis-à-vis des dignitaires de l’ancien régime.
Cette discrétion s’expliquerait par la crainte d’une rentrée sur la scène politique des partisans de l’ancien régime ou d’un retour rapide à un pouvoir civil, alors que le climat politique intérieur est trouble : parallèlement aux suspicions et aux tracasseries qu’entraînent les changements d’alliances diplomatiques – bien que, officiellement les relations avec le Maroc n’aient pas changé, une campagne contre des menées pro-marocaines déstabilisatrices est officieusement menée, – la proximité des échéances scolaires alourdit le climat politique.
Une commission technique mise sur pied pour étudier ce problème s’est séparée en septembre sur un constat de divergence entre les deux groupes et à demandé au C.M.S.N. de lui fixer son cadre de travail alors que la rentrée scolaire est prévue pour le 29 octobre (primaire) et le 5 novembre (secondaire).

Tous ces problèmes devaient être examinés par le C.M.S.N. élargi aux commandants de régions militaires dont la réunion trimestrielle s’est ouverte lundi 8 octobre et se poursuit actuellement en commissions.


LES AUTORITÉS MAINTIENNENT PROVISOIREMENT L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

LE MONDE | 25.10.1979

Dakar (A.F.P.). – Le comité militaire de salut national mauritanien a rendu publique, mardi 23 octobre, une réforme prévoyant le maintien provisoire d’un enseignement en français pour les élèves dont l’arabe n’est pas la langue maternelle, a annoncé Radio-Nouakchott.
Au cours de sa réunion trimestrielle (le Monde du 12 octobre), le C.M.S.N., l’instance politique suprême a décidé de conserver au français son rôle de langue d’enseignement pour une période transitoire de six ans, tout en réaffirmant la prééminence de l’arabe, appelé à devenir la  » langue nationale unitaire « 

Ces mesures modifient une précédente réforme qui rendait obligatoire l’enseignement de l’arabe à la communauté noire du sud de la Mauritanie, qui avait manifesté son mécontentement.
Le programme proposé par le C.M.S.N. prévoit également une décentralisation de l’administration, la création de conseils régionaux et une restructuration de l’appareil judiciaire qui fondera désormais ses décisions sur le droit musulman.


LES AUTORITÉS MAINTIENNENT PROVISOIREMENT L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

LE MONDE | 25.10.1979

Dakar (A.F.P.). – Le comité militaire de salut national mauritanien a rendu publique, mardi 23 octobre, une réforme prévoyant le maintien provisoire d’un enseignement en français pour les élèves dont l’arabe n’est pas la langue maternelle, a annoncé Radio-Nouakchott.
Au cours de sa réunion trimestrielle (le Monde du 12 octobre), le C.M.S.N., l’instance politique suprême a décidé de conserver au français son rôle de langue d’enseignement pour une période transitoire de six ans, tout en réaffirmant la prééminence de l’arabe, appelé à devenir la  » langue nationale unitaire « 

Ces mesures modifient une précédente réforme qui rendait obligatoire l’enseignement de l’arabe à la communauté noire du sud de la Mauritanie, qui avait manifesté son mécontentement.
Le programme proposé par le C.M.S.N. prévoit également une décentralisation de l’administration, la création de conseils régionaux et une restructuration de l’appareil judiciaire qui fondera désormais ses décisions sur le droit musulman.

Témoignage:

Les événements  de mai 1979

L’année 1979, en Mauritanie, constitue une année charnière qui a permis de mettre au grand jour tous les grands maux que vit le pays et qui ont longtemps été étouffés (la Guerre du Sahara et son cortège de victimes, l’esclavage dont la première abolition intervient,..) dont la crise linguistique qui en réalité cache une grave discrimination dont sont victimes les noirs , et cela par le biais d’une politique outrancière d’arabisation, dont l’unique objectif est d’effacer culturellement le négro-africain de Mauritanie.

Au mois d’avril, le ministre de l’éducation de l’époque, Seck Mame Diack (qui faisait partie des inspecteurs envoyés en 1966 auprès des élèves noirs) pour casser leur grève, va servir d’instrument au système beydane pour signer la circulaire 02 réformant l’enseignement fondamental (renforcement de l’arabe par notamment l’augmentation du coefficient de l’enseignement religieux en arabe, communément connu sous le nom d’IMCR).

Je relate ici les événements tels que je les ai vécus. Je m’excuse auprès des lecteurs pour les éventuelles erreurs ou oublis.

Le lundi 30 avril 1979, vers 10h30, nous étions en classe de Première A3, au lycée de Nouakchott, Abdou Yero Bâ, délégué de classe, entre en trombe et nous informe avoir vu sur le bureau du censeur (directeur de l’établissement) Bâ Samba, une circulaire qui renforçait les coefficients en arabe et IMCR et que nous ne pouvions pas rester indifférents d’autant plus que cette circulaire s’appliquait immédiatement. La conséquence en était le redoublement assuré pour la plupart des élevés noirs car nous étions qualifiés par nos professeurs en arabe de « cancres ».

Je proposais alors de rencontrer les personnes qui avaient dirigés les grèves de l’année précédente pour soutenir l’opposition au renvoi d’un élève maure pour leur exposer la situation et éventuellement envisager des actions de protestation.

Abdou Yero Bâ et moi rencontrâmes dans la matinée Sao Aly Saidou et feu Dia Alassane Abdoul (décédé en 2014 en France), qui, après nous avoir écoutés, sont allés rencontrer le Censeur pour confirmation. Ills convoquèrent dans une des salles du rez-de-chaussée du Bâtiment B du lycée national de Nouakchott, les leaders nasseristes du lycée qui, après nous avoir entendu, déclarèrent que le problème est en fait réel et qu’ils nous soutenaient, mais qu’ils devaient consulter leur hiérarchie pour donner une réponse définitive.

A 15 heures, reprise des cours, nous ous revîmes au même endroit. Ils avaient changé. Ils nous dirent immédiatement qu’en fait que nous luttions contre l’arabisation de la Mauritanie et que le problème dépassait le cadre scolaire et que, dans ce cas, il n’était pas question de soutien.
Nous nous séparâmes donc.

Nous profitâmes pour premier et des jours suivants pour sensibiliser les élèves noirs sur la circulaire.

Le lundi 7 mai à 10h, le premier meeting est organisé devant le bâtiment A et l’appel à la grève est lancé. Les forces de l’ordre avaient été prévenues et étaient présentes depuis tôt le matin dans l’établissement. Le meeting fut tout de même organisé et la grève déclenchée.
Pour la première, les élèves furent divisés en deux groupes, les maures d’un côté et les noirs de l’autre, et les forces de l’ordre au milieu avec les armes braquées sur les noirs. Les élèves décidèrent d’entamer une marche vers le marché. Ils furent rejoints par les lycéennes qui déclenchèrent aussi la grève.

8 mai 1979 au stade de Nouakchott

Après avoir été interdit d’entrée dans le lycée de Nouakchott partir de 8h du matin.

En effet, tout élève négro non accompagné de ses parents ne pouvait pas accéder à sa classe (ce qui n’était pas le cas pour les maures).
Un important dispositif avait été mis en place autour du lycée dirigé par Mamoye Diarra et Sougoufara….

A 8h30, les élèves dirigés par SAO ALY SAIDOU tentent le forcing de la porte d’entrée et là réaction brutale de la garde. Sao foutut une claque magistrale à Mamoye mais les élèves ne purent pas entrer t se dirigèrent vers le stade de Nouakchott n face de la Main des Jeunes pour y tenir un sitting. Des discours enflammés sur la circulaire 02 qui augmentait à titre rétroactif les coefficients de l’arabe et de l’IMCR qui aurait occasionné le redoublement de 99% des élèves noirs.

(appel avait été fait à cette époque à nos frères haratines qui déclaraient ne pas se sentir concernés).

Vers 10h30, 14 Toyota de la gendarmerie dirigé par le fameux colonel SAO (dont ce sera le seul acte remarqué durant toute sa carrière dans l gendarmerie mauritanienne), en provenance de l’est entrant dans le stade par les murs tombés à cause du vent de sable. Il mit en place un dispositif encerclant les élèves et déclara leur donné 5 mn pour évacuer le stade.
Personne ne bougea. Il fit alors pleuvoir sur les élèves une lie de lacrymogène en blessât plus d’une cinquantaine.

Ces personnes commirent ce jour des actes incroyables. Bâ Soulemane sauta le mur du stade. Diop Mamadou Issagha reçut son fameux coup de crosse qui le fera boiter pendant des jours. Les jumelles Touré (Awa et Peinda), s’évanouiront en même temps quelques minutes après être sorties du stade.

Les élèves énervés ne s’arrêtèrent pas là et se dirigèrent vers le marché pour continuer la lutte. Une dizaine de personnes arrêtées ce jour furent relâchés dans l’après-midi.
Je rappelle ici la bravoure de plusieurs lycéennes et collégiennes : Bâ Maimouna Rassoul dite Bâ Coumba, Bâ Wranka dite Kéré, Bâ Coumba de la BMD, Bâ Diary, Sy Aissata Satigui, Maître Fatimata M’Baye, Dem Toutou et d’autres encore.

La grève continua et se renforça.

A midi, Jean-Claude Mitterrand, représentant de l’AFP de l’époque, fut contacté par moi. Je lui ai dit que des élèves noirs étaient en train de se faire massacrer au stade. RFI qui était notre référence multimédia à l’époque diffusa l’information. Le journaliste de l’AFP fut aussitôt expulsé du pays.

Le lundi 14 mai à 10h, la grève s’était étendue à Kaédi et Sélibaby où des heurts avaient eu lieu entre élèves et forces de l’ordre.

Deuxième meeting au lycée de Nouakchott, deux interventions me marquèrent ce jour-là, Bâ Samba Tchintchin, MND notoire, qui revendiquait l’enseignement des langues nationales (les élèves réagirent mal en disant que cette revendication n’avait pas sa place et qui criaient halte à la manipulation).. Tous les discours étaient traduits en arabe par celui que les anciens élèves continuent encore à appeler Zoumela.
Cette matinée finit par une marche de protestation.

Le mardi 15 avril, quand nous arrivâmes au lycée, la tension était très palpable, le ministre de l’intérieur de l’époque le colonel Dia Amadou de la Garde Nationale. Quand les élèves noirs arrivèrent, l’entrée dans l’établissement leur fut refusée. Ils furent parqués derrière l’école annexe en face de Radio Mauritanie. Une rumeur circulait selon laquelle les soldats allaient incessamment charger contre nous. Quand la nouvelle se propagea, tous les parents, la plupart des anciens combattants, rappliquèrent pour dire qu’il fallait passer sur leurs corps pour attaquer les élèves.

Cette matinée s’acheva sans incident.

Le mardi 22 avril, une nouvelle manifestation fut organisée, cette fois-ci, les forces de l’ordre ripostèrent avec une violence inouïe car le pouvoir en place se sentait menacé. 22 de nos camarades furent arrêtés dont Kébé Moussa, Dieng Mohamed Mountaga dit Mounaye, Ngaidé El Hadj Sidi, Bâ Abdoul dit Vieux, Sy Salah Eddine, et d’autres que je ne voudrai pas nommer ici mais qui se reconnaîtront qui ont fait preuve de bravoure et de solidarité durant leur détention jusqu’au 9 juillet 1979 à Akjoujt.

Le processus poursuivit son chemin,. A cette époque, furent créés les MEEN (Mouvement des Elèves et Etudiants Noirs).

La situation continuant à se dégrader, le lieutenant-colonel Bouceif, premier de l’époque déclara le samedi 9 mai 1979, à la veille de sa mort mystérieuse, qu’à son retour de Dakar, il réglera à son retour de Dakar, ce problème « sans tambour ni trompettes ». Il envisageait de faire arrêter 300 fonctionnaires et 200 élevés négro-mauritaniens, mais le sort en avait autrement décidé de ses projets.

Ibrahima Baila WELE.


 

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