Ce qui frappe dans le discours de la formation Sawab, c’est surtout son scepticisme au sujet de la politique nationale actuelle ; scepticisme qui cède vite la place à l’alarmisme lorsque le parti aborde le problème de la citoyenneté. Pour lui, la langue arabe est en danger. Cette menace viendrait de son usage de plus en plus marginal dans les cercles officiels. En conséquence, ce parti estime que s’il prenait le pouvoir, il ferait de cette langue l’outil unique de travail dans l’administration.

En réalité, cette question est utilisée comme argument pour contester l’équipe actuelle qui ne s’inscrit pas nécessairement dans l’optique exclusiviste et sectaire. Et c’est cela le problème. Il a été constaté que les officiels – ou certains d’entre eux – qui ne maîtrisent pas l’arabe, n’hésitent pas à utiliser le français. Une telle pratique annonce, pour les tenants du nationalisme dur, un travail corrosif qui va finir par entraîner l’abandon de cette langue et donc surtout remettre en cause l’identité arabe de la Mauritanie. On se souviendra que c’est l’argument de chevet des Nassériens démissionnaires du Prds et des postes de responsabilité dans l’administration, en 1997. C’était à l’occasion de la visite de Chirac en Mauritanie. Dans une interview parue à l’époque dans un journal de la place, l’une des figures de proue de ce mouvement n’a pas hésité à dire que Ould Taya les avait trahis « en voulant ramener le français dans le système éducatif ». La réforme de 1999 était en préparation.

Aujourd’hui, le discours résolument exclusiviste arabe n’est plus de mise ; et c’est là une perspective lourde de menaces pour les tenants de l’idéologie nationaliste arabe. Ce qui explique le discours populiste développé depuis quelques temps dans certains journaux, alertant les citoyens de leur marginalisation programmée par l’actuel gouvernement. Ce qui explique aussi, entre autres raisons, que le président du parti Sawab demande la démission de l’équipe de transition pour incapacité à mener à bien cette transition.

Cet alarmisme ne se justifie pas. D’abord la langue arabe est toujours utilisée ; les émissions dans les médias nationaux sont majoritairement en Arabe, les discours officiels sont en Arabe et absolument personne ne conteste l’Arabe en tant que langue nationale devant être utilisée par tous. Ce qui est contesté, c’est l’arabisation à outrance ; c’est la politique tendant à la généralisation ultra rapide de l’Arabe, sans donner aux citoyens non arabophones – surtout ceux qui ont des responsabilités professionnelles – le temps de se recycler. L’objectif est de les marginaliser, de les empêcher de participer à la construction du pays. Le leur. C’est ce qui s’est passé durant toutes ces années. Et toute entreprise allant dans le sens opposé est fustigée, criminalisée.

Au surplus, cette arabité revendiquée se fonde sur le respect de nos valeurs « génétiquement » arabes. Autrement dit, comme nous sommes Arabes, on doit parler en cette langue. Logique. Et pour ceux qui ne parlent pas Arabe ? La réponse est simpliste : ceux qui ne sont Arabes ne sont pas Mauritaniens. C’est ce qu’avait soutenu Ould El Wavi à El Jezira ; c’est aussi ce qui explique le silence de Ould Nati sur cette même chaîne en 2000 quand il représentait l’Ufd / En de Ahmed Ould Daddah, sur la question des négro-mauritaniens.

Au début des années 80, une expérience d’enseignement des langues nationales a été menée notamment à l’école Annexe de Nouakchott où on enseignait aux enfants d’origines ethniques différentes, la langue de l’autre. Les résultats ont été admirables dans la mesure où l’Arabe communiquait avec le Pulaar dans sa langue ou l’inverse, et ainsi pour les autres. L’harmonie entre ces enfants était palpable. L’expérience a été arrêtée. Décision qui trahit les intentions des cercles ayant en charge le système éducatif de s’opposer à toute initiative visant à créer une solidarité et une unité entre les composantes de ce peuple.

Récemment, la période de transition s’est traduite par certaines mesures tendant à ramener le calme dans le pays. Parmi ces décisions, il y a la loi d’amnistie et les journées nationales de concertation. Deux mesures – entre autres – qui s’opposent à la politique d’épuration qui a été menée toutes ces années durant dans le pays. Plus, lors des voyages de l’ancien président du CMJD dans les wilayas du sud, le tabou a été levé : les questions « sensibles » tel le passif humanitaire, la citoyenneté…ont été évoquées en tant que problèmes nationaux interpellant l’ensemble des Mauritaniens sans distinction. Le 16 juin dernier, le président de la République Sidioca a reconnu les torts faits contre les Mauritaniens déportés et a promis de les ramener chez eux à terme. Ce qui « réintègre » déjà les négro-mauritaniens dans leur rôle naturel d’acteurs incontournables de la vie national. Avec tout ce que cela peut impliquer.

Cela est inconcevable pour les nationalistes arabes. C’est l’échec de toutes ces années de prédation ; c’est surtout l’occasion pour les populations arabes de comprendre, de découvrir la vérité de la bouche même de celui qui a toujours été muselé. De la victime.
Voilà pourquoi, depuis la sortie de Sidioca, certains milieux qui se sentent menacés généralisent cette menace à toute la communauté arabe..

Amar Fall

17 juillet 2007