Le 28 novembre 1960, date de l’indépendance de la Mauritanie, va marquer les débuts d’un enchevêtrement de mesures et de politiques qui, sur la durée, vont scinder les populations mauritaniennes et exacerber les passions communautaires à partir des années 1980 ( Il est évident que bien avant l’indépendance des tensions….) C’est un élément important qu’il convient de saisir pour comprendre la nature de la répression qui touchera plus tard le pays. En effet, faisant abstraction totale de l’hétérogénéité ethnique et culturelle qui caractérise la Mauritanie, Moctar Ould Daddah, le premier président après l’indépendance, décide une arabisation partielle du système éducatif, ignorant des populations qui ont toujours usé de la langue française dans leur parcours scolaire.

Cela signifiait en clair que la priorité était dorénavant accordée à la composante arabe du pays et que la Mauritanie se détournait de ce qui jusque-là constituait son identité profonde, à savoir la revendication d’une forte diversité ethnique et d’un fort métissage culturel.

En réaction à cette première mesure, quelques lettrés de la communauté négro-africaine portent à la connaissance des autorités leur refus de voir le système totalisant arabo-berbère inhiber l’identité noire de la Mauritanie (Le « Manifeste des dix-neuf » étant le texte dans lequel ces cadres formulent leurs revendications). Rien ne change vraiment malgré les premières agitations ethniques de 1966 réprimées dans le sang.

Mais ce n’est que des années plus tard, après plusieurs coups d’État et la prise du pouvoir par le colonel Sid’Ahmed Ould Taya (en décembre 1984), qu’un palier supplémentaire sera franchi dans la politique de marginalisation de la frange négro mauritanienne.

 

La situation allant crescendo, des intellectuels noirs membres du FLAM (Front de libération des Africains de Mauritanie), à l’instar des signataires du Manifeste des dix-neuf, rédigent le « Manifeste du négro mauritanien opprimé », le but étant de mettre en exergue l’écart de condition existant entre population noire et population blanche. Il s’agissait de mettre en lumière les inégalités qui subsistaient dans divers secteurs de la vie professionnelle et sociale. Les protestations grandissantes sont très vite perçues par le pouvoir militaire comme une menace puisqu’elles sont assimilées à une volonté de déstabilisation. Dès lors l’arbitraire du pouvoir se fait plus visible, avec notamment les renvois de cadres et d’intellectuels.

 

Le 22 octobre 1987, des officiers noirs de l’armée mauritanienne décident de renverser le régime en place, estimant qu’il existait un système étatique à deux vitesses qui d’un côté favorisait les populations blanches et de l’autre brimait les populations noires dans leur désir d’affirmation en tant que citoyens mauritaniens. Le projet est avorté avec l’arrestation des officiers. Un procès expéditif condamne à mort trois d’entre eux alors que les autres sont jetés en prison. C’est dans ce contexte d’extrême tension que les « événements de 1989 » se déclenchent et avec eux la répression dans sa dimension extensive.

Saisissant le prétexte qu’offrait un incident survenu entre éleveurs mauritaniens et paysans sénégalais à la frontière des deux pays dans la localité de Diawara, le 9 avril 1989, les autorités, poussées par l’aile nassérienne et nationaliste du pouvoir, mettent à exécution un projet sortant de l’ordinaire. Il s’agissait en effet d’éliminer ou à défaut de déporter l’ensemble des populations noires de l’autre côté de la frontière mauritanienne, c’est-à-dire du coté sénégalais.

Alors que des plusieurs officiers noirs et quelques intellectuels sont torturés voire assassinés, dans le pays tout entier, les populations civiles d’origine africaine sont déportées (75 000 selon un recensement du HCR) ou éliminées physiquement (plus de 300 civils assassinés, selon un bilan officiel, revu à la hausse par les associations de victimes). À ce propos, le quotidien Libération du 29 mai 1989 rapportant quelques témoignages, écrit : « Dans les rues de Nouakchott, des camionnettes se sont dirigées vers des cibles désignées d’avance. Devant les domiciles de «Sénégalais» qui, souvent, n’étaient en fait que des mauritaniens négro-africains, les Harratines, anciens esclaves affranchis, descendaient sur l’injonction de leurs maîtres. Leur œuvre destructrice accomplie comme un travail méthodique pendant trente-six heures, a servi de détonateur à une folie meurtrière spontanée. » La répression ne cessera qu’avec les dénonciations internationales, les interventions de quelques chefs d’États africains et de la France, qui vont contraindre la Mauritanie à mettre fin à ce qui aurait pu être une épuration ethnique aboutie.

 

A lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *