Je commencerai cette intervention par un hommage à mes compagnes de lutte qui nous ont quittées pendant ma période d’exil et à qui je dédie cette journée:

– la 1ère épouse de Teen Youssouf Gueye, la vieille Mariata N’Diaye qui malgré son âge n’a jamais manqué à un seul rassemblement pour faire valoir nos droits auprès des autorités ;

 – sa seconde épouse Nenné KAMARA a été déportée pendant les évènements de 1989, même elle qui avait perdu son mari en 1988 n’avait pas été épargnée par les sbires du régime. Elle est morte en exil.

 – Faama DIOP, l’épouse de Abdoulaye SAAR, suite à une longue maladie dont j’ai appris la mort en exil,

 – Faati DEM qui nous a quittées suite à une maladie qui aurait pu être diagnostiquée plus tôt, si sa préoccupation première n’était pas le bien-être de son mari incarcéré, Djibril Hamet LIH.

Mon intervention s’intitule : « Le rôle de la femme mauritanienne dans le combat de  libération nationale »

Cet intitulé restrictif devrait me cantonner à parler des femmes mauritaniennes à l’occasion de la journée des femmes, de toutes les femmes.

J’aurais voulu vous parler du rôle des femmes dans les luttes d’autres pays qui ont fait avancer la condition des femmes dans le monde entier car toute victoire d’une femme dans un lieu a un impact certain dans un autre endroit de la planète.

Ainsi

Je vous aurais parlé de Rosa Louise McCauley Parks, née le 4 février 1913, Tuskegee, Alabama États-Unis et morte le 24 octobre 2005 à Detroit, Michigan), qui devint une figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis, ce qui lui valut le surnom de mère du mouvement des droits civiques de la part du Congrès américain.

Rosa Parks devient une icône pour le mouvement des droits civiques

Je vous aurais parlé des femmes Tamoul appelées « Oiseaux de le liberté » dans le Eemal tamoul. Les « Oiseaux de la liberté » on d’abord été cantonnées aux tâches ménagères, notamment à la cuisine. Mais au fil du temps elles ont commencé à participer aux combats. La contribution des femmes était proportionnellement faible en raison des barrières culturelles mais des femmes ont fait parties des premières cellules militantes qui ont été formées dans divers endroits du Tamil Eelam.

La première chef de la brigade des femmes, Vasanthi dit Sothia, est morte en 1990

Je vous aurais parlé de Benazir Bhutto, femme politique pakistanaise née à Karachi le 21 juin 1953. Elle a été la première femme à diriger un pays musulman.

Après huit années d’exil à Londres, Benazir Bhutto est de retour à Karachi, le 18 octobre 2007 afin de préparer les élections législatives de 2008.

Le 27 décembre 2007, alors qu’elle devait participer à une réunion électorale de son parti, le Parti du peuple du Pakistan, un kamikaze tire sur elle et l’atteint au cou avant d’actionner sa ceinture d’explosifs. Benazir Bhutto est atteinte.

Sa mort a donné lieu à plusieurs manifestations et à des émeutes au Pakistan. Il a également suscité de nombreuses réactions politiques dans le monde entier.

Je vous aurais parlé des Mères de la place de mai appelées les « Folles »

Historiquement, ces femmes ont commencé en 1977 à marcher une demi-heure tous les jeudis, sur la place de Mai, pour montrer leur opposition à la junte militaire et pour réclamer des nouvelles et des renseignements sur leurs enfants, leurs maris, leurs proches disparus du jour au lendemain sans laisser de traces : torturés, violés, anéantis, détruits par les officiers qui étaient alors au pouvoir (de 1976 à 1983).

Les Mères de la place de Mai sont l’unique organisation de femmes en Argentine, activiste des droits de l’homme. Depuis près de trente ans, elles se sont battues pour retrouver leurs enfants enlevés par la dictature militaire (1976-1983). Plusieurs des fondatrices ont été assassinées à leur tour en décembre 1977.

Bien sûr à un moment de leur histoire, deux lignes se créèrent : « Mères de la place de Mai, ligne fondatrice » et l’autre l’« Association des mères de la de la place de Mai »

Les « Mères de la place de Mai, ligne fondatrice » ont accepté les dédommagements versés à certaines familles par le gouvernement d’Alfonsín (200 000 dollars), alors que les autres refusaient des compensations pécuniaires et affirmaient que celles-ci allaient interférer avec les procès et prépareraient la voie à des amnisties ultérieures.

Par la suite, la « ligne fondatrice » s’est déclarée en faveur de l’exhumation des corps et de l’identification des victimes. Elles veulent à la fois faire le deuil et faire juger les responsables des violations des droits de l’homme.

En revanche, l’Association des Mères de la place de Mai se montre davantage politisée, et essaie de faire survivre les rêves, et les idées politiques des enfants disparus. Elles refusent tout hommage ou commémoration qui ferait abstention de l’engagement politique et « révolutionnaire » de leurs enfants disparus.

Elles s’opposent à toute négociation avec le pouvoir et à toute indemnisation.

«  Nous ne vendrons jamais le sang de nos enfants. Il n’y a pas d’argent qui puisse payer la vie de ceux qui l’ont donnée pour le peuple. Les réparations économiques nous répugnent, nous voulons la justice. Nous voulons la prison pour les assassins, qu’ils soient incarcérés. (…) Nous ne voulons pas non plus de monuments, tout est sur la mort, monument aux morts, réparation pour les morts, exhumation des morts, musée des morts. Nous les Mères avons lutté toute la vie pour la vie : nous n’avons jamais imaginé que nos enfants pouvaient être morts. »

Vous comprendrez pourquoi j’ai été plus longue sur cette partie, parce que ces femmes, à un une plus grande échelle, ont vécu ce que nos veuves en Mauritanie vivent jusqu’aujoud’hui : les divisions, l’acceptation des indemnisations et le refus d’abdiquer tant que les coupables ne sont pas punis et que la vérité soit connue.

Je vous aurais également parlé, plus près de nous du rôle de la femme guinéenne dans sa lutte de libération entamée avant, mais surtout aux lendemains du 28 septembre 1958.

Alors qu’elle a  été un acteur important dans le mouvement de libération nationale de la Guinée, elle a du ensuite lutter pour sa propre dignité contre des coutumes et traditions religieuses rétrogrades qui la cantonnaient à un rôle subalterne.

Elle se sont beaucoup mobilisées pour le départ de la junte au pouvoir dirigée par le capitaine Dadis Camara. Elles ont de ce fait payé un lourd tribu. Certaines d’entre nous ont participé à la marche qu’elles ont organisée ici à Paris pour dénoncer la lourde répression qui s’était abattue sur elles le 28 septembre 2010 dans le stade de Conakry

Je vous aurais parlé de toutes ces femmes qui, de par leur action ont fait avancer la cause des femmes.

Mais on m’a demandé de vous parler du rôle des femmes mauritaniennes dans le combat de  libération nationale », thème très précis et qui ne cadre pas dans la situation que nous vivons en Mauritanie où il s’agit d’une lutte de survie pour ne pas être considéré comme citoyen de seconde zone. Toutes les luttes sur le terrain dénoncent la discrimination et l’esclavage qui sévissent en Mauritanie. Les militants, de par leurs engagements subissent des traitements inhumains et sont la plupart du temps incarcérés par le régime.

Maître Fatimata M’Baye, entre autres, Présidente de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) et vice-présidente de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme  (FIDH) : considérée comme une icône de la lutte pour la défense des droits de l’Homme , elle s’implique beaucoup dans la défense de ces victimes de la répression

Le combat de Fatimata Mbaye date de 1983. Beaucoup de personnes ignorent que sa sœur Pini Sao et elle furent les seules femmes arrêtées en 1986 et qu’elles purgèrent 6 mois de prison à la prison de femmes de Beyla. Elle fut arrêtée lors de la publication du « Manifeste du négro-mauritanien opprimé » pour distribution illégale de tracts.

Si, aujourd’hui, elle ne se réclame d’aucun parti politique, elle est cependant constante dans son combat contre l’injustice,

Elle n’hésite pas à monter au créneau quand il s’agit de défendre les opprimés de tout bord et de s’exprimer pour dénoncer et critiquer des décisions des régimes successifs qui portent atteintes aux droits humains.

Membre fondateur de l’association SOS-Esclaves, elle parle au nom de tous les opprimés. Ce qui lui vaut, en février 1998, un nouveau séjour en prison, après la diffusion en France d’un documentaire sur les séquelles de l’esclavage en Mauritanie.

Si elle a choisi de faire le droit, dit-elle « c’est pour être au service des « sans-droits » et des sans voix ».

Le 26 septembre 1999, elle est devenue la première africaine à recevoir le prix de Nuremberg, en Allemagne. Créée en 1995, cette distinction récompense tous les deux ans une personnalité remarquée par son combat pour le respect des droits de la personne humaine.

C’est ainsi qu’elle se définit : militante des droits humains

En 1986, au moment des arrestations du 4 septembre et après, les femmes de détenus se sont mobilisées dans une lutte quotidienne pour apporter une assistance matériel à leurs maris et défendre leurs droits bafoués par le système en place qui voulait donner un exemple à tous ceux qui avaient l’intention de leur emboiter le pas pour lutter contre les discriminations et le racisme en Mauritanie.

Dès la première semaine des arrestations, la connexion s’est faite, bien sûr, d’abord entre les femmes de détenus qui avaient tissé des liens entre elles du fait de l’engagement de leurs maris dans la même organisation antérieure à la création des FLAM. On était quelques unes dans ce cas.

Il leur fallait localiser l’endroit où se trouvaient leurs maris.

Une fois ce lieu localisé : l’école de Police.

Il leur fallait les voir. Le seul moyen était de les attendre au tribunal où ils devaient être présentés. La date n’était pas connue. Qu’à cela ne tienne, tous les matins elles s’installaient devant la porte du Palais de justice et attendaient jusqu’au jour où le fourgon est arrivé avec les prisonniers. Cette présence a duré tout le temps de l’instruction.

Après le verdict qui a été très lourd, il a fallu s’organiser pour amener les repas tous les jours midi et soir. Des moments qui étaient des occasions de rencontrer et d’échanges devant la prison, surtout le soir.

Un moment fort aussi bien sûr : l’ouverture de la prison pour les visiter pendant 1 mois. Ce qui en réalité était fait pour canaliser l’attention sur eux pendant que le procès des militaires se déroulait.

Le départ pour Oualata et la découverte de la façon dont ils sont partis

Les sit-in devant le bureau du directeur de la synthèse au ministère de l’intérieur pour exiger l’envoi des affaires de leurs maris. Ce qui n’a abouti que 3 mois plus tard.

Ensuite, leur vie a été rythmée des rumeurs (évasion etc, sans aucune vraie information) , jusqu’à  l’annonce du décès de Teen, qui avait été précédé de celui de Bâ Alassane qui leur avait été caché.

A partir de ce moment l’inquiétude ne les quitte plus. Elles multiplient les sit-in devant le ministère de l’intérieur, de la justice et même du représentant de la ligue des droits de l’homme en Mauritanie Ghali O/Abdel Hamid pour connaître les conditions de détention de leurs époux et obtenir des droits de visite. Mais rien n’y fait. N’eut été le décès de Teen à Néma, rien n’aurait jamais filtré de ce qui se passait à Oualata.

Décès de deux (2) autres : Bâ Abdoul Ghoudous et Djigo Tafsirou  qui a déclenché une mobilisation générale nationale et internationale

Un droit de visite leur a été finalement accordé et elles sont partie à Aïoun, où le transfert des détenus avait eu lieu au mois de mars, plus précisément le 8 mars (elles fêtaient la journée des femmes à leur façon) jusqu’au 19 mars.

Dans leur cas, dans notre cas, on parlera plutôt de lutte pour la défense des intérêts des victimes dans le cadre des droits humains. Pourquoi cette requalification, parce que parler du rôle des femmes dans la lutte de libération en Mauritanie suppose une mobilisation de tous les instants et à tous les niveaux qu’on soit victime ou non. C’est un idéal pour lequel des femmes (et des hommes) sont prêtes à braver tous les risques, jusqu’à la perte de la vie humaine pour faire triompher un idéal de justice et de paix dans leur pays ou ailleurs.

 Certaines d’entre nous ont continué ce combat qui leur est devenu quotidien, d’autres sont retournées dans leur rôle premier de gardiennes de foyers. Mais ne vous y trompez pas, même à la maison, même si vous ne les voyez pas sur les fora politiques, elles ne sont pas absentes du terrain politique, car leur assistance permanente permet à leurs hommes, eux, d’être sur la brèche.

Ne dit-on pas que « derrière tout grand homme il y a une femme »

 Mais, n’empêche, j’aimerais bien les voir plus dans les réunions politiques et surtout adhérer dans les mouvements politiques et pas seulement dans les associations humanitaires.

Depuis 1960, même dans les mouvements avant-gardistes,  n’impliquaient pas réellement les femmes dans le combat contre le racisme d’Etat. Elles se mobilisaient lorsque leurs maris étaient arrêtés. Mais en dehors de ces actions conjoncturelles pour lesquelles elles font un travail remarquable, il n’y avait pas une implication dans l’action politique proprement dite. Cette réelle mobilisation a commencé réellement dans la seconde moitié des années 70 (Quelques individualités au sein du MND, au MEEN puis au sein du l’UDM, du MPAM et des FLAM)

 A l’instar de la députée Kadiata Malick Diallo, qui membre de l’Union des Forces du progrès (UFP), tient bien son rôle dans les tribunes de l’Assemblée Nationale en tant que députée élue du peuple.

Inlassablement, elle titille le gouvernement sur les questions d’actualité liées au sort des populations toutes ethnies confondues. Et surtout elle se fait le chantre de la cause des Noirs pour tout ce qui touche à la mise en cause de la citoyenneté : du règlement du passif humanitaire, à la confiscation des terres de la vallée en passant par l’enrôlement des populations qui a pris une tournure discriminatoire quand il s’agissait des populations noires du pays.

Elle n’a pas hésité a affirmé au journal Alakhbar lors des évènements qui ont touché l’université que « Lorsque le pouvoir s’est agi de faire la répression contre les étudiants, cela a pris une tournure un peu sectaire ; c’est-à-dire que la cible principale est devenue les étudiants négro-africains ».

Elle concluait également dans un article publié dans for mauritania le 17.02.2012

« dans mon travail de députée, je souffre régulièrement de pratiques racistes et ségrégationnistes. Je suis connue. Je n’hésite pas à exhiber ma carte de parlementaire.  Pourtant, il y en a qui me mettent des bâtons dans les roues et pratiquent à mon encontre  le racisme le plus cru. Si moi, députée jouissant d’une certaine immunité, suis victime du racisme et de la discrimination, qu’est ce qu’il en serait des Négro-africains simples citoyens ? Ils doivent certainement en baver. ».

Mais sa combativité et sa pugnacité lui valent d’être auréolée du titre de meilleure parlementaire Mauritanienne de l’année 2011

Aminetou Mint El Moctar, milite pour la défense des droits de l’homme en Mauritanie, et se bat contre toutes formes de discrimination, notamment envers les femmes, à travers son Association des Femmes Chefs de Famille (AFCFM).

Même si son combat est centré sur la lutte contre les violences faites aux femmes, entre autres les mariages forcés, l’esclavage moderne des petites filles employées dans les maisons bourgeoises, Aminetou ne se cantonne pas à ce seul rôle.

Ces prises de position en faveur du règlement de certaines questions brûlantes comme le passif humanitaire, le dossier des déportés, le phénomène de l’esclavage sont connues des mauritaniens.

Sur le plan politique elle milite pour l’accès aux sphères de décision des femmes mauritaniennes.

Figure emblématique dans son pays, son engagement est également reconnu à l’étranger. Après avoir obtenu le Prix des droits de l’homme de la République française en 2006, elle a reçu le 14 juin 2010 des mains de la secrétaire d’Etat américaine Hilary Clinton une distinction pour son combat contre l’esclavage moderne.

Ce que nous avons vécu en 1986 et qui a été vécu par d’autres femmes après nous constitue plus une mobilisation de femmes, comme je le disais plus haut pour la défense des intérêts des victimes dans le cadre des droits  humains.

Cette caractéristique ne concerne pas seulement les femmes noires, les femmes arabo-berbères aussi savent se  mobiliser quand leurs maris, frère et fils subissent des violations de droits humains :

 En 1988, nous avons pendant une période côtoyé les femmes des détenus baashistes mobilisées elles-aussi pour secourir leurs maris.

Un Collectif des Familles de détenus a été créé en septembre 2003 pour la défense des intérêts des présumés auteurs de la tentative de coup d’Etat des 8 et 9 juin 2003, dont les femmes sont des proches (mères, sœurs ou épouses)

Elles s’étaient organisées dans le cadre du procès des présumés putschistes aux fins de lutter contre les nombreuses violations des droits de la défense dénoncées dans cette affaire.

Certaines d’entre elles ont mêmes été arrêtées par la Gendarmerie lors de l’ouverture de la première audience du « procès des putschistes », le 21 novembre.

Mais il faut reconnaître que notre mobilisation à l’époque n’était rien à côté de celles qui se sont développées après les massacres de 1990 – 91 et, surtout après l’ère pseudo démocratique de Taya.

En effet, ces regroupements spontanés de femmes touchées dans leur chair par la mort de leurs maris, frères ou fils se sont vite mués en organisations officieusement reconnues et structurées. On y retrouve un bureau embryonnaire avec présidente, secrétaire générale et trésorière : c’est le cas du Collectif des Veuves, dont la présidente Mme Houleye SALL, dont le fils a été assassiné dans l’un des camps de torture et secondée par une secrétaire générale Mme Maïmouna SY, veuve de mon ancien collègue Bä Baïdy Alassane, tué dans des conditions atroces

Elles étaient mieux organisées donc, mais surtout elles étaient encadrées par des avocats et aussi par des militants politiques, qui quoiqu’on dise ont beaucoup contribué à cet état de chose.

On retrouve ici Maître Fatimata Mbaye qui se met à la disposition des rescapés et prend en charge le « Comité des veuves », constitué des femmes de militaires et de civils tués entre 1989 et 1994. Ses prestations sont bénévoles.

Elles étaient sur tous les fronts en Mauritanie par l’organisation de sit-in (d’ailleurs en ce moment seules les femmes osaient faire des sit-in) et en dehors de la Mauritanie par leur participation à tous les fora sur les droits humains. Celui de Dakar tenu par la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples en 2003.

 Sans le courage de ces femmes et de leur ténacité à connaître les circonstances de la mort de leurs proches, le passif humanitaire en Mauritanie serait aujourd’hui aux oubliettes. Car ces femmes ont été les pionnières dans cette lutte rejointes ensuite par la horde d’associations qui regroupent des hommes et aussi des femmes (encore elles).

 Sans aucun doute cette mobilisation et cette ténacité est à l’origine de la prise en charge de l’organisation du pèlerinage d’Inal que Marième  vous entretiendra après moi.

 Je me rappelle de leur voyage en France en 1994 de retour de Vienne où elles étaient allées défendre le dossier des centaines de morts civils et surtout militaires.

 Nous les avions reçues, dans le cadre des activités de l’Association des femmes mauritaniennes du Fleuve que nous venions juste de créer en France. Le but de cette rencontre était de créer un axe Mauritanie – France qui permettrait à ces femmes à l’époque de la répression qui sévissait en Mauritanie d’avoir une voix à l’extérieur. Il fallait amplifier leur lutte d’une façon  internationale. Et qui, mieux que des femmes comme elles, pouvaient jouer ce rôle : nous étions conscientes du problème, nous étions, certaines d’entre nous, des déportées et avions connu une mobilisation semblable, et surtout nous étions en dehors de la Mauritanie, donc plus « courageuses ». Mais à ce moment, le lien n’a pas pu être fait. Je ne rentre pas dans le détail du pourquoi. Tout s’est éclairci par la suite et nous avons pu collaborer d’une autre façon qui leur convenait mieux.

 Nous avions beaucoup d’ambitions au moment de la mise sur pied en décembre 1993 de cette association humanitaire à caractère social et culturel : l’Association des femmes mauritaniennes du fleuve que vous connaissez plus sous le nom AFMAF.

Permettez-moi de vous en parler un peu. N’est-ce pas la journée de la femme ?

Nos objectifs étaient entre autres « le regroupement des femmes négro-africaines de Mauritanie vivant en Europe dans le but d’aider leurs sœurs victimes directement ou indirectement de la répression ».

Mais, je crois que toute notre énergie a été accaparée par le cet objectif qui nous tenait plus à cœur. Nous avons tenté, par nos humbles moyens de soulager nos compatriotes dans les camps. Nous avions ciblé sciemment les femmes car en aidant une femme, on aide toute la cellule familiale : en cas de catastrophe, elle devient chef de famille, elle est plus apte à la prise en charge de la survie du clan, mettant sur pied des activités lucratives.

La tâche était immense et les moyens faibles, car en dehors des soirées que nous avons pu organisées, l’association n’a comme fonds que les cotisations de ses membres.

Lors d’une interview au journal Survie, à la question : peut-on parler d’un engagement politique de l’A.f.m.a.f. ?

Je répondais : L’AFMAF est une association apolitique. Cependant, ses membres ne peuvent rester indifférentes à la condition insupportable de discrimination raciale et ethnique des populations noires (Bamana, Fulbe, H’râtîn, Sooninko et wolof) de Mauritanie. Toutes les adhérentes à l’AFMAF ont été victimes, directement ou indirectement du régime en place à l’époque en Mauritanie. Certaines sont épouses d’anciens prisonniers politiques, d’autres sont veuves de militaires exécutés pendant les années 1990-91.

Rappelons que, jusqu’à ce jour, les restes de 512 militaires n’ont pas été restitués à leurs familles, sans parler des milliers de civils dont on ignore le sort. Ce qui constitue aujourd’hui le combat du collectif des veuves.

L’humanitaire n’est jamais loin du politique.

A l’occasion de l’assemblée générale de la Section de l’Europe de l’Ouest des FLAM tenue à Massy (France) le 23 mars 2002, j’avais saisi cette occasion pour stigmatiser le comportement en général des militants sur cette question. Mon propos décrivait la situation dans laquelle les hommes ont tendance à confiner les femmes dans une position sociale conforme à nos traditions culturelles, alors que nous sommes tous touchés au même degré par la politique de discrimination ethnico-raciale en Mauritanie.

Si les statuts et le règlement des FLAM traduisent les principes fondamentaux d’égalité entre les femmes et les hommes, il existe un grand écart entre les déclarations de principe politique, les réflexions intellectuelles d’une part et les pratiques de l’autre. Elles sont positionnées dans le second rang alors qu’elles ont toujours joué un rôle important dans le combat que les Africains de Mauritanie mènent, autant et même souvent plus que les hommes qui se débrouillaient ensuite pour confisquer les honneurs. Les dirigeants de l’organisation conditionnés par nos traditions culturelles qui légitiment une supériorité de l’homme sur la femme ne  contribuent pas à démentir ce constat fait par certaines de nos militantes.

Une personne qui milite au sein des F.L.A.M. ne peut être animée par une idéologie qui croit à la supériorité de l’homme sur la femme, à un droit de préséance du premier sur la seconde. Il ne faut pas se contenter de déclarations de principes. Il faut qu’il y ait une cohérence entre les discours politiques et les pratiques sociales afin de mobiliser les femmes et les hommes, jeunes, adultes et personnes âgées car nous sommes tous, sans exclusive, concernés par cette lutte de libération politique, économique et culturelle, par ce combat pour retrouver notre dignité. Il ne doit pas y avoir un droit de préséance lié au sexe et aux origines sociales.

Les consignes militantes doivent être données et imposées à tous de mobiliser vos mères, tantes, sœurs, épouses, filles pour investir le champ de la lutte.

Et bien sûr, j’invite les militants des F.L.A.M. à donner  l’exemple.

Vous me direz que je n’ai pas parlé des étudiantes et de leurs mères qui se sont mobilisées pour leur libération. C’est vrai, mais cette mobilisation rentre dans le cadre des cas définis ci-dessus : la défense des intérêts des victimes dans le cadre des droits  humains, en l’occurrence ici la levée de boucliers de mères pour défendre leurs enfants incarcérés dans des conditions inhumaines.

Je vous remercie de votre attention, et je passe la parole à Yvette Adam pour faire un témoignage sur ce qu’elle a vécu à nos côtés dans notre accompagnement des femmes réfugiées dans les camps au Sénégal et au Mali. Pour elle, c’est un idéal pour lequel elle a bravé tous les risques, jusqu’à la perte de la vie humaine pour faire triompher un idéal de justice et de paix dans un pays autre que le sien et pour des personnes avec lesquelles elle n’avait aucun lien au moment où elle s’engageait dans ces actions.

 La lutte continue !

 Habsa Banor Sall membre du Conseil national des FLAM

Journée anniversaire des FLAM

 Paris le  samedi 10 mars 2012

 

A lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *