« On peut se préparer à la fin. Pas au chagrin». A présent, je crois avoir compris en quoi. Nous étions quelques-uns à pressentir le pire espérant qu’il serait déjoué. Le pire est hélas advenu ce funeste 26 mars. Un « jour de tristesse». «Ton» président, M. Ba Mamadou Sidi, ne pouvait mieux dire. «Ton» parce que je sais à quel point tu t’es et à quel point tu es identifié au mouvement auquel tu as concédé une large part de ta vie. Les FLAM ont grandi avec toi.
Et tu as vieilli avec les FLAM. Tu as été des leurs dès le départ. A un moment où «être FLAM ou Flamiste» pouvait exposer et a exposé à des risques mortels ! Tu n’as jamais déserté. Surtout pas en 2014 quand d’aucuns prirent du champ. «Liquidation» dit ton président. Aurais-tu songé à cette formule de Ahmadou Kourouma dont l’évidence n’est qu’apparente : « quand on refuse, on dit non ». La comparaison t’aurait probablement amusé. Comme Kobe Bryant, tu es ce que les Américains appellent un « one team man». Ton président traduit : « loyauté, patriotisme et fidélité sa vie durant». Assurément. Mais sans sectarisme. Tu aimais, faisant fi de toute affiliation politique, célébrer ceux que tu définissais comme des précurseurs de ton « autre » engagement, la promotion de la langue et des cultures pulaar : Murtudo Diop, Saïdou Kane… Ibrahima Sarr. Oui, ton président a assurément raison de considérer que ta disparition est un « jour de tristesse » pour les poètes et les hommes de culture. Je crois pouvoir affirmer que tu en étais un sans conteste. La culture pulaar que tu as tant chantée, au propre comme au figuré, tu ne la voulais pas fossilisée, mais vivante, ancrée dans son temps. Tu tenais à ce que nul n’ignore qu’elle est aussi écrite. D’où la recherche d’ancrage dans l’actualité que tu scrutais dans les fables et adages que tu aimais tant. Jambéré waawi lekki par exemple (la hache vient toujours à bout de l’arbre). En conteur, tu pouvais disserter sur les divers genres musicaux pulaar, leur fonction sociale et te lançer dans la distinction entre les musiques Léélé, Gumbala, Pékane, Dilléré, les Beyti…et j’en passe. La minute d’après, tu lisais un de tes textes magnifiant les éclats technologiques de la ville et de la vie occidentales tout en te distanciant à certains égards pour conclure à l’universalité du savoir qui libère. Gandal tehti yimbé to tammpata. Littéralement, le savoir peut conduire au confort.
La culture, tu la voulais facteur de cohésion. La Mauritanie de ta naissance comptait-elle avec toi ? Ton long et désormais définitif exil est un indice. Pourtant, tu semblais avoir le bon profil. En principe. Sacré parcours ! Ouvert par des études coraniques et une scolarisation exclusivement en arabe, ton père ne souhaitant pas que tu sois alphabétisé en français. Tu passeras un concours de recrutement pour devenir enseignant en arabe. Auparavant, tu recherchas un enseignement approfondi en Charia. A l’époque, regrettes-tu, l’ «arabe» n’était pas si développé en Mauritanie. Cocasse ? Evidemment, tu n’ironisais pas. Plus tard, tu suivis une formation technique en Libye. L’arabe est, pour ainsi dire, la langue dans laquelle tu t’es formé et à laquelle tu as formé d’autres. Arabophone tu fus jusqu’au bout des ongles. Tu es donc la preuve que ce «statut» n’est pas antinomique avec un discours critique sur les objectifs et les modalités de l’ « arabisation » tels que tu les perçois. Ton propre parcours et celui d’autres leaders de ton mouvement signifieraient-ils que l’équation FLAM égale phobie de la langue arabe tient du raccourci partisan et de la recherche de disqualification? Tu t’es largement « rattrapé» depuis. Frustré de ta méconnaissance initiale du français du fait du veto paternel, tu décidas de rattraper le temps perdu. D’abord par l’initiation à cette langue au sein du Département Etudes françaises pour Etrangers à Bordeaux, ensuite par la préparation du diplôme des Hautes études des pratiques sociales à l’Ecole des Hautes Etudes et du Diplôme universitaire de Gestion et résolution des conflits…Un parcours qui sera couronné par un poste d’enseignant dans 2 universités parisiennes. Sacrée trajectoire ! Tes choix professionnels ne devront rien au hasard. Il y a des métiers que l’on ne choisit pas (seulement) pour la fiche de paie. « Toujours prêt au compromis », dit ton président. Tous saluent ton ouverture d’esprit, ton goût et ton sens du dialogue et de la conciliation. Neddo jam (un homme de paix, de conciliation) est une qualité souvent citée à ton sujet. Il n’est donc pas étonnant que tu aies opté pour la médiation comme activité professionnelle. La ligue de l’enseignement fera appel à tes compétences et te confiera des missions de formation à la médiation. Avec ton sens consommé de l’autodérision, tu te décriras en « marabout raté égaré dans les universités françaises». « Raté» n’est assurément pas le mot qui te caractérise. Humble, oui. Modeste, deux fois oui.
Il y aurait eu tant à dire de ta vie de militant associatif : les longues heures dans les halls de gare glacials, la vie de famille en pointillés à force d’être désertée, certes pour la bonne cause, les nuits sur des couchages de fortune…et tant d’autres petites servitudes.
S’agissant de ton action au sein de ton mouvement, il appartiendra aux FLAM de la conter. Gageons qu’ils s’y emploieront. Il y a de quoi faire. Moi aussi j’aurais eu davantage à dire et à écrire. Seulement voilà. L’espace m’est compté. Je m’en voudrais de terminer sans avoir une pensée pour ton épouse et les tiens. Cela fait trente ans que nous nous connaissons. Aujourd’hui, le moment est venu pour moi de te dire tout simplement : Au revoir l’ami. Repose en paix.
Je ressens une immense tristesse. La mort de mon ami Oumar me laisse désemparé. Nous nous connaissions depuis près de 30 ans. Nous avions fait du soutien scolaire ensemble auprès des enfants de banlieue et avions voyagé ensemble en France et en Europe pour des vacances. C’était quelqu’un de très attentionné, un grand poète, un grand humaniste. Je perds un ami très cher. Il va beaucoup nous manquer.