Il y a juste 25 ans, le 14 juin 1993, une assemblée factice et aux ordres, qui n’avait de nationale que le nom, adoptait une loi d’auto-amnistie. Le seul objet de ce texte inique était de dédouaner des criminels, notamment au sommet de l’Etat mauritanien, de leurs forfaits : crimes contre l’humanité, violations des droits humains, crimes de masse odieux visant la communauté négro-africaine de Mauritanie, exécutions extra-judiciaires, pogroms, déportations massives, spoliations, brimades en tous genres, tortures, emprisonnements….
L’instigateur de cette entreprise diabolique de purification ethnique, conduite au nom d’une politique assimilationniste et discriminatoire d’arabisation, le sinistre colonel Moawiyya Ould Sid’Ahmed Taya, aujourd’hui en fuite au Qatar, est resté impuni. Nombre de ses complices occupent aujourd’hui encore des postes de responsabilité au sein de l’Etat mauritanien et perpétuent son action. Ils continuent à être des acteurs acharnés d’un racisme d’Etat qui se cache de moins en moins.
Le 14 juin 1993, « l’Assemblée nationale » mauritanienne adoptait une loi au titre lapidaire, intitulée « loi portant amnistie ». Texte de circonstance, cette loi aurait pu aussi bien s’intituler loi d’auto-amnistie car tel est son vrai objet.
Forte de trois articles seulement, elle garantit en son article 1er «amnistie pleine et entière aux membres des forces armées et de sécurité auteurs des infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992 et relatifs aux événements qui se sont déroulés au sein de ces forces et ayant engendré des actions armées et des actes de violence ».
La rédaction pour le moins maladroite du texte lui donne un caractère énigmatique. Elle susciterait chez le plus blasé des lecteurs une quête de décryptage tant la formulation comporte des sous-entendus et appelle des questions.
Que s’est-t-il donc passé entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992 ? (drôle de balisage !). De quels « événements » s’agit-il ? « Des actions armées et des actes de violence ». Lesquels ? Quelles ont été les victimes de ces « actions » et de ces « actes » que la loi qualifie d’infractions ? Qui a perpétré ces infractions jugées suffisamment graves pour donner lieu à une loi d’amnistie ? Qui sont les coupables ? Les « forces armées » ? Soit. Dans leur totalité, du haut en bas de l’échelle ? Tous coupables ? Ou plus vraisemblablement, des éléments identifiés? Qui exactement ? Il semblait que le b.a.-ba de la démarche pénale tendait, dans la mesure du possible, à individualiser les faits, leurs auteurs et la sanction le cas échéant.
Comme pour faire bonne mesure, les législateurs étendent l’amnistie « aux citoyens mauritaniens auteurs des infractions armées suite aux actions armées et actes de violence et actes d’intimidation accomplis durant la même période ». Rebelote. La lecture de ce point 2 (les juristes diraient alinéa) de l’article 1er génère le même type de questions que les précédentes.
L’article 2 de la loi enfonce le dernier clou du cercueil :
« Toute plainte, tout procès-verbal ou document d’enquête relatif à cette période concernant une personne ayant bénéficié de cette amnistie sera classé sans suite ».
Cet article a le mérite de la clarté. Il raye d’un trait des faits d’une extrême gravité. Commis à la fin des années 80, ils ciblaient spécifiquement les populations Négro-africaines de Mauritanie.
Deux types principaux de faits sont en cause :
Les pogroms perpétrés contre ces populations et les déportations par milliers dont elles ont été victimes suite aux « événements d’avril 1989. (Euphémisme consacré). Un rappel s’impose à ce propos. Il sera bref car les faits sont connus. Du moins de l’extrême majorité des Mauritaniens.
Le 9 avril 1989, une divagation de troupeaux appartenant à des éleveurs mauritaniens avait conduit des paysans sénégalais, dont les champs avaient été endommagés, à franchir la frontière pour reconduire le bétail en territoire mauritanien. Il s’ensuivit des frictions et l’assassinat de 2 Sénégalais en Mauritanie. Ce qui engendra des tensions entre la Mauritanie et le Sénégal entrainant des expulsions symétriques des ressortissants de chacun des 2 pays. Phénomène malheureusement courant en Afrique. Mais ici avec une variante. Et non des moindres.
En effet, la terrible spécificité de la situation est qu’au-delà des traditionnelles expulsions croisées, évidemment regrettables, les autorités mauritaniennes de l’époque dirigées par le colonel Moawiyya Ould Taya, tirèrent prétexte de la crise avec le voisin sénégalais pour déporter massivement, dans des conditions particulièrement inhumaines, des citoyens négro-africains mauritaniens vers le Sénégal et le Mali leur déniant de ce fait leur citoyenneté de toujours. Au moins 24000 d’entre eux survivent encore dans ces 2 pays. D’aucuns assimilèrent cette entreprise à une purification ethnique en raison de son ampleur et de son caractère planifié. Elle s’inscrivait en tout cas dans une politique systématique de discrimination, de racisme et d’arabisation rampante dont les Négro-africains sont les victimes depuis l’indépendance du pays. Au fil des années, la démarche s‘est à la fois a systématisée et globalisée.
La seconde catégorie de faits a trait à l’exécution extra judiciaire, en novembre 1990, de militaires négro-africains dans le cadre d’une épuration massive de l’armée de ses éléments noirs. Cela est particulièrement vrai pour les officiers.
De manière générale, on imagine aisément l’inspiration politique de la loi de 1993. Son objectif est d’assurer une totale impunité à des coupables de faits visant sélectivement une composante du pays. Loin d’être isolés, ces faits renvoient à une vision globale dont les marqueurs sont l’arabisation ou plutôt son instrumentalisation, l’assimilation et l’exclusion qui en découlent. Sous cet angle, les déportations représentent l’étape ultime d’un processus de marginalisation à l’œuvre dans le pays depuis des décennies avec des inflexions suivant les dirigeants et les périodes.
C’est donc bien un système qui est en cause. Bien qu’il en ait été un des artisans les plus implacables, ce système ne se confond pas avec le seul colonel Moawiyya. Si tel avait été le cas, il ne lui aurait pas survécu. Or à l’exception du Président Sidi Ould Cheikh Abdallah, élu Président de la République en mars 2007 mais renversé dès août 2008 par l’actuel Président, aucun des successeurs de Moawiyya ne s’est réellement et officiellement désolidarisé de ce dernier. Et pour cause ! Par contraste, il faut reconnaître à M. Sidi Ould Cheikh Abdallah une approche plus audacieuse de la question du racisme d’Etat en Mauritanie, notamment dans un discours prononcé le 29 juin 2007 et qui a fait date.
Il faut dire que tant Monsieur Mohamed Ould Abdelaziz, le président actuel que son prédécesseur, le Président dit de transition Ely Ould Mohamed Vall furent, à un moment ou à un autre, proches du colonel Ould Taya dont ils ne se s’éloignèrent que pour des ambitions personnelles.
On n’efface pas l’histoire d’un trait de plume. En fuite au Qatar, le colonel Ould Taya a échappé-du moins pour l’instant- à la justice des hommes. Grâce à la détermination de différents acteurs de la vie associative, des survivants, des organisations, l’oubli ne s’est pas installé. La voix des victimes commence (enfin) à être entendue. Une actualité récente vient d’apporter un certain réconfort. Le Comité d’experts des Nations Unies dédié à toutes les formes de discrimination raciale vient en effet d’ « exprimer sa préoccupation face au flou entourant la responsabilité dans les exécutions extra-judiciaires en 1990 et 1991 ». (Voir notre site. 15 mai 2018). Le Comité recommande en conséquence l’abrogation de la loi de 1993. Il était temps. Cela ne ressuscitera pas les morts. Mais c’est un bon début. Et ce n’est que le début.
Le département communication des Flam