Tout le mois de mai Kirinapost donne la parole à des ressortissants sénégalais et mauritaniens impliqués ou habitant la région frontalière entre les deux pays, histoire de replonger dans un des épisodes les plus sombres des relations entre les deux peuples. Salimata Lam est une mauritanienne. Elle est coordinatrice de programmes à SOS-Esclaves depuis 2010. Héroïne discrète et engagée, Salimata se bat au quotidien en faveur des droits humains. En 1989, la fonctionnaire qu’elle était a vécu dans sa chair les troubles entre la Mauritanie et le Sénégal puisqu’elle a été déportée vers le Sénégal avec son époux, brusquement coupée de sa fille d’un an, en sevrage chez ses parents…
« 20 policiers nous ont trouvés à la maison, nous ont menés à l’aéroport avec simplement les habits que nous portions, nous sommes à bord mis d’un vol d’Air Algérie et en moins d’une heure, hébétés nous étions au Sénégal. Vous imaginez sans peine, à quel point la vie de l’individu bascule alors dans l’inconnu le plus absolu. En 1 heure nous étions devenus apatrides, en 1 heure j’étais coupée de ma fille, en 1 heure je perdais mon travail, en 1 heure je perdais ma maison, en 1 heure je ne savais plus si je reverrai les miens. » C’est ainsi que Salimata raconte la douloureuse épreuve qu’elle vécut en 1989 sur mozaikrim Over-blog com.
« Malgré tout, nous sommes restés debout » lance-t-elle. « Nous avons dénoncé, nous avons parlé, nous ne nous sommes pas laissé faire ! Et nous sommes revenus dans notre pays. C’est notre pays, je le dis avec fierté, même si ce pays est l’un des plus moches au monde, de par sa politique d’État raciste. Rien ne peut remplacer votre pays, malgré la ségrégation évidente que personne ne peut nier aujourd’hui, des écoles dites d’excellence, aux concours publics, parfois annulés quand trop de « kwars » (noirs – NDLR) sont présents dans les admis; on a vu ça. Le seul diplôme valable aux yeux de l’État, c’est parler et écrire arabe » continue Salimata.
Comment deux peuples si proches en sont arrivés à une telle situation de déchirement ? Pour la militante cela ne fait aucun doute: « c’est la volonté du colonisateur et des politiques qui ont suivi la colonisation ».
« Au-delà du voisinage, les deux peuples sont parents. C’est la volonté du colonisateur et des politiques qui ont suivi la colonisation que se sont créées ces frontières physiques qui n’ont pas pu couper les liens de sang, la communauté de la culture, de l’histoire, la communauté des besoins et des intérêts entre les peuples des deux pays. Les évènements de 1989 ont été douloureux et leurs souvenirs restent vivaces par ce qu’ils ont fait vivre ,d’un côté et comme de l’autre, à des milliers de Sénégalais et de Mauritaniens, des exactions, des pertes humaines, des pertes de biens et enfin, ont créé des hommes et des femmes en manque de repères comme les réfugiés mauritaniens et les Maures sénégalais qui se sont retrouvés en Mauritanie » se souvient cette enseignante pour personnes atteintes de cécité, métier qu’elle n’a du reste plus pratiqué après les évènements.
Aujourd’hui, elle s’est investie dans la défense des droits de l’homme ayant elle-même subie des violations à un moment de sa vie. 30 ans après les évènements de 1989, les blessures ne sont pas encore guéries et il est important de les panser par des actions d’envergure et une volonté politique forte pense Salimata.
« C’est par orientation et volonté politique que ces évènements sont advenus. Je pense que ce sera par une volonté et un engagement politiques forts de l’État qui déterminera des orientations citoyennes pour que plus jamais cela n’arrive. Ma conviction est forte que si l’État prend et met en œuvre des mesures allant dans le sens d’instaurer une dynamique de démocratiser le système de gouvernance, de poser les jalons menant vers une cohésion sociale, s’inscrit dans la lutte contre le racisme, l’exclusion, les discriminations de toutes sortes, la Mauritanie ne vivra plus jamais ce genre d’évènements, ce qui malheureusement n’est pas le cas à l’heure actuelle » prévient-elle.
En attendant, Salimata, avec fierté, reste debout. Avec détermination et patience, va de plaidoyer en plaidoyer aux niveaux national et international pour aider son pays à changer et à évoluer sur la question des droits humains. Avec méthode, elle œuvre inlassablement pour la fin des pratiques discriminatoires à l’endroit les femmes et surtout pour qu’advienne la fin de l’esclavage. Salimata est convaincue qu’il ne suffit pas de décrets ou de lois pour qu’une pratique comme l’esclavage soit éradiquée.
Crédits-Photos: Al Jazeera & Le Point
Source:kirinapost.com