La disparition, le 11 avril dernier, du Docteur Ba Bocar Alpha a suscité une émotion intense. A la mesure de l’envergure du défunt. Il ne pouvait en être autrement. Le Docteur Bâ Bocar Alpha nous était, au fil des années, devenu familier. Principalement, aux moins jeunes qui avaient l’impression de l’avoir toujours connu. Impression fréquente avec les personnages publics. A titre d’illustration, quel septuagénaire mauritanien n’a dit un jour, banalement, comme s’il s’agissait d’un bon copain, Moktar, Aziz (pour Abdul Aziz Sall. Eh oui, avant Aziz, il y eut Aziz !), Diaramouna (pour D.Soumaré), Hamdi (pour H.Ould Mouknass), Khayar….
Voire Mamoye (pour Mamoye Diarra) ? S’agissant de ce dernier, surtout les jours de grève et /ou de manifestation ! Souvent, la notoriété instaure la familiarité et fait entrer dans nos vies de gens ordinaires des personnalités qui en sont éloignées pour moult raisons. Et la notoriété du Dr Ba Bocar Alpha était évidente. Les multiples hommages qui lui ont été rendus, dont de nombreux par des anonymes sur les réseaux sociaux, en sont un reflet.
Ces lignes se veulent un modeste complément à l’un de ces hommages. Celui, autrement plus informatif, de Ciré Bâ et de Boubacar Diagana. Intitulé « Disparition de Bâ Bocar Alpha. La page des grands bâtisseurs de la Mauritanie se ferme ? », il retrace avec précision le parcours du disparu ; Les signataires l’avaient interviewé des années auparavant. Leur papier pointe ses multiples facettes sans compter son impressionnante plasticité, notamment culturelle. Cette diversité explique dans une large mesure l’ampleur des réactions à la nouvelle de sa mort tant il est vrai qu’il y a toujours plusieurs raisons à un deuil.
Il y a, en premier lieu, partout et toujours, la tristesse naturelle des proches. S’y agrège, en l’espèce, celle d’anciens patients (on sait qu’il y en eut de prestigieux) que le médecin a un jour remis d’aplomb. Et enfin, vient le souvenir de l’homme public, de ses engagements et de son action.
A cela, il faut ajouter la vertu réflexive du deuil dans une société comme la nôtre. Pleurer un mort, c’est aussi revenir et penser à soi. Cela est particulièrement vrai pour les personnes de la même génération que le défunt. La perspective est autre pour les générations d’après. Ne dit-on pas que « lorsque nos enfants grandissent, nous vieillissons » ? Et quand nos parents disparaissent, nous nous sentons plus exposés et comme sans paravent désormais. Nous vieillissons donc encore un peu plus.
S’inscrivant dans un champ plus vaste, la disparition du Docteur Ba Bocar Alpha et, avant elle, celle, plus ou moins récente, d’autres figures négro-mauritaniennes emblématiques revêtent une signification à la fois collective et symbolique. A lui seul, le titre de l’article de Ba et de Diagana en résume les enjeux. Ces disparitions bouclent un cycle et referment une séquence. Ou presque.
« La Mauritanie perd avec sa disparition le dernier fondateur majeur et l’un de ses bâtisseurs historiques » écrivent d’emblée et non sans raison les duettistes. Leur constat draine une interrogation qui concerne au premier chef la « communauté » négro-mauritanienne et plus spécifiquement encore sa composante haalpulaar sans qu’il faille y voir l’éloge d’un quelconque particularisme. « Que » pleure-t-on avec le décès de Ba Bocar Alpha ? Cette question prend un sens particulier corrélée à la place actuelle de cette entité au sein du système politique et social du pays. S’estimant désormais déclassés et relégués, les haalpulaaren de Mauritanie se plaisent à revisiter (pour s’y réfugier ?) une sorte d’âge d’or que les (presque) moins de soixante-dix ans n’ont pas connu. Une période où des personnalités issues de leur sein rayonnaient et faisaient jeu politique égal ou presque avec les plus éminentes des personnalités maures. Ces porte-drapeaux s’appelaient Amadou Diadié Samba Diom (malencontreusement transcrit Dioum à la page 176 de La Mauritanie, contre vents et marées), Mamoudou Samboly Ba (rebaptisé Mamadou Samboly tout au long du même ouvrage), Cheikh Saad Bouh Kane,……Bâ Bocar Alpha. Leurs noms courent le long des pages des mémoires du président Moktar Ould Daddah. C’est dire ! Le premier président de la République les évoque tantôt comme adversaires tantôt comme alliés mais toujours, à quelques égratignures près, comme d’authentiques protagonistes du débat public dotés de projets politiques. Certes, quelquefois, un zeste de condescendance affleure à l’image de l’appréciation portée sur le Bloc Démocratique du Gorgol qualifié de « petit parti local dont le leader était Mamadou (sic) Samboly Ba ». (p153).
De manière générale, les débats rapportés portaient principalement sur la place du sud mauritanien, de ses populations dans le nouvel Etat mauritanien et/ou sur l’unité nationale. Ce qui, on en conviendra, revient au même.
Dépeignant le paysage politique mauritanien de 1957, l’ancien président le ramène, pour l’essentiel, à trois forces politiques principales : l’Union Progressiste de Mauritanie (UPM) qualifié de « parti dominant », (en fait, le sien et surtout celui de Sidi El Moctar N’diaye), l’Entente mauritanienne de Horma Ould Babana et l’AJM ou association de la jeunesse mauritanienne à laquelle Monsieur Ould Daddah reconnaît du reste « le grand mérite d’avoir été la première formation à prôner l’unité politique du pays ». Et de citer ses dirigeants : Mohamed Ould Cheikh, Ahmed Baba Ould Ahmed Miské, Ahmed Bazaid Ould Ahmed Miské, Soumaré Gaye Siri, Yacoub Ould Boumediana, Koné Aly Béré et…. Bâ Bocar Alpha. (p153).
On sait que par ailleurs que ce dernier fut également membre de l’UGOF ou Union Générale des Originaires du Fleuve, une formation politique à vocation plus « particulariste » (l’expression n’a ici rien de péjoratif) dont la seule dénomination est porteuse de projet politique.
Vraisemblablement échaudé par le choix pro-marocain de M. Horma Ould Babana, soldant quelques comptes avec le Parti Fédéraliste africain de Senghor et de Modibo Keita, créé en 1959, et dont « la gestation et la naissance presque simultanées nous gratifieront de problèmes supplémentaires » se plaint-il, Ould Daddah marque son désaccord avec « l’action menée par les membres mauritaniens au sein du Grand Conseil de l’AOF finissant en faveur de l’adhésion à la Fédération du Mali ». Et de citer cette fois-ci Souleymane Ould Cheikh Sidya, Dah Ould Sidi Haiba, Mohamed Abdallahi Ould El Hassen et Cheikh Saad Bouh Kane. (p191).
Lequel, dans un discours prononcé en mai 1958, soit il y a soixante ans, jour pour jour, tenait des propos qui auraient pu être repris tels quels aujourd’hui tant leur actualité est cinglante. Il convient donc, en conclusion, de lui laisser le mot de la fin :
« La Mauritanie du Chemama veut se sentir égale en droits et en devoirs à son frère du Sahel. L’égalité est une et, en cette matière, il ne saurait y avoir de simulacre… Sous la tente et dans la case, dans les terrains de parcours, de transhumance, de pâturages et dans les lougans, au banc de l’Assemblée territoriale ou du Conseil de Gouvernement, le Mauritanien du Nord et du Sud, doivent, dépouillés de tout complexe, se sentir égaux à tous les niveaux, à tous les échelons de la hiérarchie sociale ». Puisse-t-il être entendu.
Tijane Bal