A quelques jours d’intervalle, un télescopage éditorial bienvenu nous a offert une belle occasion d’optimisme. N’exagérons rien cependant. Il s’agit d’un optimisme relatif et, pour tout dire, trouble mais suffisamment rare pour ne pas être apprécié à sa mesure.

Le 7 mars 2018, le site « Kassataya » livrait à ses lecteurs un entretien avec Monsieur Ibrahima Moctar Sarr, président de l’AJD /MR. Le parlementaire s’y faisait alarmiste. « Dans cinq à six ans, il n’y aura plus de Noirs dans l’administration mauritanienne » prédisait-il. Bien plus conséquent quant à son contenu, le propos de Monsieur Sarr débordait ce seul cri d’alarme. Il est vraisemblable toutefois, en raison d’un certain tropisme, que l’esprit public privilégiera cet élément par rapport à d’autres considérations, également présentes dans l’échange.

Un peu plus de deux semaines plus tard, le 24 mars, Monsieur Abdel Wedoud Ould Cheikh, universitaire mauritanien exerçant en France, constatait au micro de Radio France Internationale (propos repris notamment sur le site flam-mauritanie.org) : « la présence des Noirs dans l’administration est quasi nulle ». A quelques jours de distance, le politique et l’universitaire parvenaient donc, sans vraisemblablement s’être concertés, à un constat quasi identique. Un entretien croisé associant les deux hommes sur ce thème eut été sans doute d’un grand intérêt. Cela étant, l’auteur de ces lignes choquera peut-être en considérant que le plus important, en cette double occurrence, tient moins au constat lui-même qu’aux qualités respectives des « constatants ». Et davantage encore au(x) statut(s) de Monsieur Ould Cheikh. Suivez mon regard. Foin d’hypocrisie. Disons-le tout net. Le fait que ce dernier soit issu de la « communauté arabe » est incontestablement signifiant et est de nature à armer un peu plus le propos de Monsieur Sarr. Le fait que Monsieur Abdel Weddoud Ould Cheikh soit de surcroît un universitaire, s’exprimant en cette qualité, a pour avantage de neutraliser le soupçon de parti pris qui pourrait peser a contrario sur le politique Sarr et son discours. Précisons néanmoins que chacun des deux protagonistes recèle sa propre valeur et qu’aucun des deux n’a besoin de l’autre pour être légitime. Sur le terrain de la légitimité, l’un et l’autre auraient, probablement, des « armes » à faire valoir.

S’intercalant entre les deux entretiens évoqués, le site flam-mauritanie. org , commémorait à son tour, le 23 mars, la mémoire de Mohamed Ould Dogui sous le titre « quand ould dogui rendait hommage aux flam« quand ould Dogui rendait hommage aux flam. A cette occasion, le site reproduisait un article de l’intéressé intitulé Le refus, publié le 27 décembre 2002. Il n’en fallait pas plus pour que cet alignement des astres incite à imaginer que, tous comptes faits, la Mauritanie pourrait être autre chose que ce pays voué au noir ou blanc et qu’il était possible, y compris sur des sujets sensibles, surtout sur des sujets sensibles, de chahuter ce clivage obsédant et, à terme, mortifère.

Du coup, pourquoi ne pas reprendre un instant, juste un instant, le refrain (remanié) d’une chanson-hymne célèbre ? Imaginons.

Imaginons, des intellectuels, des penseurs ou tout simplement des patriotes de bonne volonté, tous issus de la communauté arabe de Mauritanie, déplorant en chœur la marginalisation voire l’exclusion de leurs concitoyens négro-africains. Imaginons-les exigeant qu’il y soit mis un terme sans attendre.

Imaginons des figures politiques, d’hier (prises de remords le cas échéant) et d’aujourd’hui (lucides), des syndicalistes, des autorités morales, tous appartenant à la frange arabe de notre pays, communiant dans le rejet du racisme et du système qui l’aurait couvé et l’aurait fait prospérer.

Et puisque l’imagination peut tout, déportons-nous en 1989 et imaginons des compatriotes, là aussi tous arabes, par centaines, par milliers, faisant barrage, au figuré comme en vrai, aux convois de concitoyens négro-africains en passe d’être déportés de leur terre. Imaginons-les hurlant : Pas en notre nom. Nous ne voulons pas être complices.

Imaginons, face à l’innommable, une ou plusieurs voix emblématiques que compte le pays criant, du haut de leur magistère symbolique, leur sidération : au nom de Dieu, de l’Islam et de l’éthique, pas ça. Respect de la vie et respect de la dignité humaine.

Imaginons un Général de Bollardière mauritanien, sortant du rang, surgir de notre armée pour tonner : je me désolidarise. Auriez-vous oublié le capitaine un tel ? Souvenez-vous du commandant un tel, un compagnon d’armes mort au combat. Souvenons-nous du sang des morts. Au Sahara en guise d’exemple.

Imaginons des rappeurs enragés scandant, à l’image d’Aretha Franklin : Respect et ajoutant : touchez pas aux nôtres. « Touchez-pas à (leur) nationalité ». Si le slogan avait existé, « black lives matter » auraient-ils dit peut-être.

Imaginons un duo biracial entonnant, à la manière de Mac Cartney et de Michael Jackson « Ebony and ivory » ou plutôt l’équivalent. Un timbarma …. un Yela aux paroles revues devraient faire l’affaire.

Imaginons la tragédie cuvée, un juriste mauritanien arabe, soucieux de vérité et intransigeant avec les faits, repoussant d’un revers de manche un euphémisme équivoque pour asséner : Ceci porte un nom. Et ce nom n’est sûrement pas « passif humanitaire ». C’est de crime contre l’humain qu’il s’agit.

Imaginons un journaliste avide de vérité et d’exactitude signant : je viens témoigner de ce que j’ai vu. J’ai vu des déportations et non plus seulement des expulsions. Je tiens à préciser que ne me serais pas consolé des secondes.

Imaginons un historien, par définition soucieux du passé, acquiesçant à cette remise en ordre pour mieux rappeler une litanie de précédents. Par définition d’hier. Et ailleurs.

Puisque nous aussi ne faisons que passer, imaginons, passé le règne du « maître des forges de l’enfer », son successeur soldant les comptes et, implorant : Au nom du pays et de son peuple, je demande pardon. Pardon aux déportés qui ont survécu et qui, enfin de retour sur leurs terres, seront rétablis dans leurs droits. Pardon aux rescapés miraculeux des geôles funestes. Pardon aux survivants. Je ne manquerai pas de le répéter encore et encore. Devant la Commission Vérité et réconciliation ou Vérité et Concorde ou Vérité et Harmonie ou encore Vérité et Unité…..

Imaginons, justement, un groupe de rescapés d’une prison mouroir quelconque énoncer, du haut de leur calvaire, de leurs séquelles et de leur restant à vivre : je persiste à penser que pas plus qu’hier qu’aujourd’hui, mon ennemi n’est pas le Maure mais le racisme.

Et de citer Nelson Mandéla à l’attention des plus inflexibles : « Si moi j’ai pu pardonner, vous, vous devriez au moins essayer ». Et de citer Martin Luther King : « La réconciliation, non la victoire », Léopold Sédar Senghor : « Les racistes sont des gens qui se trompent de colère ».

Fadaises que tout cela ? Peut-être. Il n’est pas interdit d’imaginer autre chose que ce que nous avons. Après tout, c’est à échapper au réel que sert l’imagination. Il n’est donc pas interdit d’imaginer un pays où la solidarité nationale, ne céderait, jour après jour, dangereusement du terrain face aux particularismes de toutes sortes, un pays qui ne soit pas à deux voire à plusieurs vitesses, où chaque groupe s’exprime de son donjon et s’adresse aux siens et aux siens seulement.

« Aimer son pays pour un fonctionnaire c’est quelquefois oser un pas de côté » disait Michel Rocard. Ce qui vaut pour le citoyen fonctionnaire devrait valoir pour le citoyen tout court.

Tijane  Bal

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