Camille Evrard est docteure en histoire contemporaine, actuellement chercheure à l’université de Toulouse Jean Jaurès. Elle soutient en 2015 à la Sorbonne sa thèse sur la transition militaire à l’indépendance mauritanienne : « De l’armée coloniale à l’armée nationale en Mauritanie : une histoire militaire sahélo-saharienne, de la conquête à la guerre du Sahara occidental ». De passage à Nouakchott, pour une conférence à l’institut français de Mauritanie, le mardi 29 novembre, elle répond aux questions de Mozaikrim, par rapport aux grande étapes fondatrices d’une armée mauritanienne, bien plus complexes qu’on ne l’imagine, dans un contexte actuel où le révisionnisme ambiant d’une frange idéologique au pouvoir, en quête d’une identité glorieuse nouvelle, modifie allègrement les faits historiques, toujours têtus. Entretien sans langue de bois.
Des anciens combattants, notamment de la guerre du Sahara et d’Indochine photographiés par Yero Djigo. De gauche à droite :Hanneck Ould Sidi, El Kassem Ould Sabar, Tfoil Ould Sidi Ahmed et le colonel Anne Amadou Baboly. Montage: Mozaikrim
Comment est venue l’idée de ce sujet très particulier (géographiquement et historiquement) de ce sujet de thèse ?
J’étais militante à l’association « Survie » de François-Xavier Verschave, au début des années 2000. C’est la première structure à dénoncer et théoriser l’univers de la Françafrique (néologisme inventé par François-Xavier Verschave – ndlr). A l’époque, Rafael Granvaud travaillait sur la coopération militaire entre la France et ses anciennes colonies. Et c’est François-Xavier qui suggère de faire quelques chose sur les relations militaires entre la France et l’Afrique. Vaste sujet ! Il me fallait un cas d’étude. Du coup, je vais dans les archives diplomatiques des indépendances au quai d’Orsay, en me disant que quelque chose s’en dégagerait.
A la même période je fais mon premier voyage en Afrique, au Sénégal, à Bakel, pour visiter ma soeur qui y oeuvrait dans un staff humanitaire. Et là, je découvre un vieux mauritanien qui me dit qu’il a fait la guerre au nord de la Mauritanie en 1958 (l’opération Ecouvillon – ndlr). Je ne savais rien de cela, et en creusant un peu, je trouve des tonnes d’informations dans les archives de l’armée française. Là mon cas d’étude était trouvé, d’autant plus que la Mauritanie est sous-étudiée dans le champ africaniste francophone, et sans doute mondial. Son histoire récente en fait un cas très particulier au moment des indépendances, même si ça se passe mécaniquement comme partout dans la sous-région. Dans les archives Foccart, on voit bien les chemises qui ont servi de chancelleries en chancelleries pour aller négocier les accords dans les différentes anciennes colonies françaises en Afrique, de 1956 à 1966. Ça c’était pour mon DEA.
Pour la thèse, j’ai choisi le sujet en constatant la pléthore d’études sur l’armée coloniale, mais aucune qui tirait le fil jusqu’aux indépendances et même après. Mon idée était donc de ne pas m’arrêter à cette barrière un peu factice de l’indépendance, mais de faire l’histoire globale de l’armée en Mauritanie. Le début de cette histoire était difficile à marquer : est-ce que c’est après la seconde guerre mondiale? Ou le début de la conquête? Finalement j’ai choisi la fin de la conquête.
Pourquoi ?
Parce que c’est le moment où on comprend que la colonisation du Sahara est une affaire de militaires. C’est le moment où les troupes françaises, du Maroc, de l’Algérie et de Dakar, se rejoignent à Tindouf et dans le nord mauritanien en 1934. Là j’avais mon point de départ, même si pour le mettre en contexte, je devais auparavant parler des combats de résistances, des Regueibat dans le Trab El Bidhan historique, mais également dans la vallée du Sénégal. C’est une histoire un peu fade à mon avis, même si c’est cette période qui préoccupe le plus les mauritaniens aujourd’hui (sourire).
Justement! On est en pleine actualité de poussées nationalistes, et révisionnistes par la même occasion, sur les « martyrs » de la résistance…
Cela a été vu de tous les temps : l’écriture d’un roman national nouveau. Parce qu’on connaît parfaitement bien ce pan de l’histoire mauritanienne. C’est parfaitement bien documenté. Mais pour une histoire totalement équilibrée, il y a en Mauritanie des individus plus compétents que moi pour sourcer les archives francophones et arabophones, pour raconter cette histoire, sans raconter une histoire rêvée d’un côté ou de l’autre.
La thèse de Cheikhna Wagueye porte sur la résistance soninké du Fouta Toro, du 18ème au 20ème siècle. Il explique cela très bien. Il n’y a pas une tribu, une famille,une communauté qui a résisté plus que d’autres, même si il faut souligner que les Regueibat ont particulièrement donné du fil à retordre à la France coloniale jusque dans les années 50. Mais par exemple également, du début du 20ème siècle, à l’indépendance, il n’y a pas une famille qui n’a pas prêté allégeance à la France à un moment ou un autre où cela l’arrangeait.
Le problème c’est quand on veut faire, ou refaire une histoire où tout rentrerait dans les cases. Ce n’est pas possible : parce que si on commence à regarder les détails, on s’aperçoit que les choses sont toujours complexes. En plongeant récemment dans l’histoire des Dey Cherifs par exemple, à travers le témoignage d’un ancien goumier parachutiste qui en est issu, Ould Sabar, et les écrits de Pierre Bonte, on voit bien que les Dey Cherifs d’une fraction particulière, n’ont pas un statut particulier supérieur, mais en même temps, ils ont toujours porté les armes, et on voit bien qu’ils ont une fonction de régulation et de support des familles dominantes. Et il se trouve que chez eux, les français vont énormément recruter ! Pour autant ce n’est pas les soi-disant « grands guerriers descendants d’arabes ». On peut multiplier ce genre d’exemples pour nuancer cette question, dans tous les coins de la Mauritanie. En plongeant au niveau local, et tribal, on voit que certains à un moment donné soutenaient les français parce que cela leur apportait certains avantages. Pierre Bonte l’explique très bien, et le documente également, par rapport à son étude anthropologique de l’émirat de l’Adrar. On ne peut donc pas réécrire une histoire de la résistance d’un seul prisme, c’est impossible.
C’est une constante nationaliste universelle, l’écriture d’un « roman national nouveau »?
Oui. Même en France, ce n’est que récemment que l’on commence à parler de la Libération, et à quel point tout le monde s’est mal comporté; pareil pour la résistance française : elle n’est pas si héroïque que cela au vu de récentes archives libérées. Tout pays passe à un moment par cette crise identitaire sur son histoire et veut romancer des faits complexes, donc les simplifier. Le truc en Mauritanie, c’est que ça vient très tardivement et que ce n’est pas quelque chose qui va cimenter une nation qui se cherche encore.
Votre thèse commence donc à la fin de la conquête coloniale; elle se termine quand?
Ce qui me semblait être une vraie innovation pour cette thèse, c’était de faire l’histoire de l’armée nationale mauritanienne, à travers trois périodes-clés: des années 30 aux années 50. C’est là que prend forme ce que j’appelle le « mythe méhariste », c’est-à-dire cette histoire commune d’officiers français qui ont servi ici avec les tirailleurs d’un côté, et les goumiers de l’autre. C’est une relation très particulière qui structure et donne une couleur à l’armée coloniale dans le Sahel-Sahara qu’on ne trouve pas ailleurs.
Ensuite cette transmission des prérogatives de l’armée à un moment de chaos complet, malgré tout ce qu’on a pu en dire, et qui couvre l’intervalle historique de 1955 à 1965. les autorités françaises ne savent pas trop comment gérer cette transmission, comment s’adapter à toutes ces réformes pour « l’outre-mer » (terme administratif pour les colonies -ndlr).
En 1955 on commence à s’exciter sur les plans d’africanisation des cadres: l’institution militaire reconnaît qu’elle doit s’adapter avec la loi-cadre, mais comment faire quand tout cela se fait en catimini !? D’autant plus que dans la zone qui est la Mauritanie aujourd’hui, on n’a quasiment aucun cadre, et les africains sont limités dans les grades, à part ceux originaires des 4 communes du Sénégal. Mais le problème est qu’on a recruté des tirailleurs plus particulièrement dans certaines régions, et évidemment pas beaucoup en Mauritanie, ni au Niger. Et comme ils servent encore au moment des indépendances, il faut leur payer les réclams, et dans les pays où on a peu recruté, se pose la question de savoir comment on fait.
Dans les pays biculturels, comme ici, au Mali ou au Niger, les goumiers n’avaient le statut de militaire régulier jusqu’en 1958, donc ils n’avaient pas la même formation, ils n’avaient pas les mêmes entraînements, les mêmes anciennetés etc.. C’est très confus au moment des indépendances.
Donc comment créer les gardes nationales, les gendarmeries nationales, les polices et les armées nationales avec cette ratatouille ?! J’entends beaucoup « les armées nationales sont nées du transfert des armées coloniales aux pays ». Mais non ! C’est bien plus compliqué que cela.
Comment se comportent les élites locales à ce moment charnière?
Justement, les élites locales commencent à laisser voir leurs propres agendas, et compliquent encore plus la situation, rendant cette période de 55 à 65 encore plus cruciale : comment Mokhtar Ould Daddah et son équipe ont fait des choix sur les goumiers par exemple est très intéressant. L’exemple le plus évident : les français, surtout pendant les échauffourées dans le nord, à la fin des années 50, avaient besoin de recruter des partisans maures, des gens qui étaient là pour le nombre, mais surtout pour de l’action psychologique, car il fallait lutter contre la propagande marocaine de l’Istiqhlal. Donc on recrute plein de gens avec des contrats d’appointés, des précaires quoi ! Et des goumiers tribaux, c’est-à-dire des gens qui fonctionnent encore avec un chef traditionnel. Ils ont des prébendes, reçoivent de l’argent, des armes etc.. Pareil : qu’est-ce qu’on fait de ces gens-là à l’indépendance? Est-ce qu’on continue à entretenir des goumiers tribaux, alors que l’idée de Mokhtar Ould Daddah est de créer une nation. Pour le coup, il a vraiment essayé, et il prend la décision dès le début de 1960, avec son cabinet militaire tout récent, de démobiliser tous les goumiers tribaux, que l’état ne peut pas rémunérer, et qui sont fondés sur des statuts traditionnels éculés. Il fallait des gens désireux de s’engager pour la nation, d’où la création d’un nouveau corps armé. C’est un exemple de comment l’agenda mauritanien commence à être prééminent dans la formation de l’armée nationale.
Quelle est la troisième et dernière période-clé de votre étude de cas ?
Ce qui me semblait original dans cette thèse, c’était d’essayer, et je suis très humble sur ce que j’ai réussi à faire (sourire), de faire l’histoire de l’armée nationale mauritanienne. J’ai voulu aller jusqu’à la guerre du Sahara occidental, pour aller jusqu’à la déposition de Mokhtar Ould Daddah en 1978, mais aussi parce que c’est la première vraie guerre, le baptême de feu de cette armée nationale. J’ai fait avec des sources de seconde main, avec les entretiens que j’ai pu des survivants de cette période, des livres écrits sur la guerre au Sahara, surtout du point de vue Sahara-Maroc, mais rarement du point de vue de la Mauritanie, et quelques rares archives incomplètes. Après 1968 c’est plus compliqué les archives, autant en Mauritanie qu’en France.
Comment ça se fait que ce soit si compliqué en France ?
Ha ça c’est la loi sur les archives en France. Il y a 50 ans de délai à partir de la fin de l’évènement historique. Actuellement je peux facilement aller jusqu’en 1966, maintenant qu’on est en 2016, au-delà c’est presque impossible. Ça dépend de la sensibilité des sujets aussi. Ça fait 5 ans que je demande une dérogation pour les archives de l’opération Lamantin au Sahara occidental (quand les jaguars français aident en 1977 l’armée mauritanienne). C’est une opération extérieure donc ils sont très nerveux au niveau du ministère de la Défense (pour des raisons de secret-défense, une dérogation de ce ministère est nécessaire pour les événements récents – ndlr), sans raison à mon avis.
Vous abordez les questions de quotas communautaires dans votre thèse?
C’est presque un aveu d’échec de ma part, mais j’ai évacué cette question de proportions communautaires, entre maures, toucouleurs, haratines, soninkés etc… Mais c’est plus par défaut d’éléments qu’autre chose. Il n’y a aucune statistique fiable sur les statistiques civiles, donc vous pouvez aisément imaginer que c’est encore plus vide côté militaire!
Pourtant, je pense que le moment de la guerre est crucial, car c’est là qu’on recrute à tour de bras. Il y a une évolution exponentielle du nombre d’engagés dans l’armée mauritanienne : on passe de 2.000 à 17.000 individus en 4 ans (de 1976 à 1979 – ndlr) ! On enrôle notamment beaucoup de Haratines à ce moment-là. Mais il y a eu tous les pans de la société mauritanienne qui y étaient représentés. J’ai vu des anciens gardes qui m’ont dit grosso modo : « on était jeunes, on n’avait pas vraiment de perspective, pas de boulot, la garde a été un choix qui s’est imposé ». Il y a donc sincèrement eu une vague d’élan patriotique mais également une grande partie pour qui c’était de l’alimentaire avant tout.
Comment l’institution de l’armée a absorbé cette évolution trop rapide du nombre d’engagés ?
L’évolution trop rapide des effectifs a désorganisé l’institution, déjà qu’elle n’était pas opérationnelle, n’ayant jamais mené une guerre. Cela a été très difficile. Il y avait des unités un peu fourre-tout qui n’avaient pas le même niveau d’instruction, et d’entraînement. Et il y a des histoires de maltraitances de chefs d’unité, pour des raisons purement raciales. Il y a un enjeu national à faire rigoureusement cette histoire, et cela demande une énorme campagne d’entretiens, avec tous les grades, des soldats aux officiers, en passant par les sous-officiers.
Durant cette « transmission » de prérogatives, avez-vous observé des traits de caractère propres à l’armée française dont l’armée mauritanienne aurait hérité ?
C’est la grosse question ! Ce que j’essaye de montrer dans la thèse c’est que je ne crois pas que cette question soit pertinente, car du point de vue des structures et de la culture militaire théorique, évidemment tout ça hérite de l’armée française, sauf que l’armée française au désert, est un certain type d’armée française ! On ne peut pas parler de modèle car l’armée française au Sahara s’est tellement adaptée au terrain, qu’elle est une autre, et totalement différente de l’armée métropolitaine, même si ses cadres sortent des écoles comme Saint-Cyr, de même que les premiers officiers mauritaniens issus des écoles françaises.
Mais en dehors de cette doctrine théorique partagée, cela n’a pas de consistance sur le terrain. J’ai rencontré des officiers et sous-officiers mauritaniens, sur cette question qui me disent que dans le cadre des coopérations militaires régionales auxquelles la Mauritanie participe, il y a une différence entre l’armée mauritanienne, et celle égyptienne ou algérienne, qui sont passées par la période soviétique. Ce ne sont pas du tout les mêmes cultures doctrinaires. Pourtant les mauritaniens, très vite, se sont formés au Maroc, au Soudan, en Irak, en Arabie Saoudite, en Algérie, essentiellement dans les pays arabes, après une période de coopération très étroite avec l’armée française jusqu’en 72, et après le retour des français pour la guerre au Sahara.
Néma. Visite du président de cette époque: Moktar ould Daddha. Un détachement du 15ème groupe nomade du Hodh lui rend les honneurs. Crédit : Michel Jauniaux
En parlant de doctrine et de formations dans les pays arabes, notamment l’Irak, abordez-vous la question de l’émergence du baathisme dans l’armée mauritanienne ?
Pour le coup je n’ai eu en mains assez d’éléments pour le constater. C’est apparu probablement dans les années 80. Ce que je peux dire, c’est que comme la coopération franco-mauritanienne s’arrête au moment des grandes décisions de Mokhtar Ould Daddah sur l’ouguiya, sur la nationalisation de la MIFERMA, la Mauritanie est en 1972-73, un des premiers pays de l’ancien empire colonial français à manifester la volonté de renégocier les différents accords de coopération, dont ceux militaires. Presque automatiquement, la France réduit cette coopération militaire, que l’état mauritanien réclame à nouveau, relativement vite, au moment de la guerre du Sahara.
C’est logique que ce soit à partir de ce moment que la Mauritanie commence une coopération militaire avec d’autres pays, d’autant plus que le Maroc reconnaît en 1969 son existence. La ligue arabe suivra le mouvement dans la foulée. Mais je n’ai aucun élément matériel qui sous-tend cette supposition. J’ai parlé avec un ancien chef d’état-major sous la Transition d’Ely Ould Mohamed Vall, qui me raconte qu’il était parti faire l’école en Algérie, juste avant la crise avec Boumediene qui mène à la guerre au Sahara occidental.
En étudiant l’histoire de l’armée mauritanienne, peut-on évoquer son rôle, ou son manque d’implication dans la cohésion nationale ?
J’ai assisté récemment à un colloque sur les armées africaines à Paris. C’était surtout des politologues (grimace) qui essayaient de comprendre pourquoi globalement elles ne fonctionnaient pas et comment leur donner ce rôle unificateur. La question est mal posée à mon sens, ce que dit d’ailleurs aussi Marielle Debos à travers l’exemple tchadien (thèse en sciences politiques sur les combattants tchadiens : « Le métier des armes au Tchad, le gouvernement de l’entre-guerres » aux éditions Karthala -ndlr) en sociologie politique. Quand on parle avec les stratégistes ou politologues, qui font des études de sécurité, ils sont obsédés par cette question de l’échec patent des armées africaines, malgré les coopérations militaires.
Ce sont des questions légitimes, mais il me semble que le noeud du problème se situe plutôt dans la question de la cohésion de l’armée au niveau horizontal et vertical : d’abord pour le niveau horizontal, il s’agit de l’idée de l’unité nationale. Si toutes les communautés nationales ne sont pas représentées dans l’armée, sur toute la chaîne de commande, il y a un problème de représentativité. Ensuite, et c’est tout aussi crucial, pour une armée solide et efficace, comment la hiérarchie militaire fonctionne. On touche là au coeur de ce qui fait une armée de qualité. Si le soldat n’a pas confiance en son sous-officier, et si ce dernier n’a pas confiance en son officier, si personne ne s’identifie à son supérieur qu’il ne voit pas comme un modèle moral et de méritocratie, ça ne peut pas fonctionner! Or sur le terrain, ce que je constate, c’est que l’officier méprise les sous-officiers, qui méprisent à leur tour les soldats. La chaîne de commandement n’est pas huilée. Quand tu es sous-officier, tu sais que tu le resteras toute ta vie quoi que tu fasses, soit tu es fils d’une « bonne » famille et tu passes directement officier, sans aucun mérite. Si tu es engagé lambda tu resteras soldat toute ta vie. Or une armée sans MERITOCRATIE et sans EXEMPLARITE des chefs, est vouée à s’effondrer sur elle-même!
Une armée qui marche, est fondée sur l’idée que le chef est un autre soi-même, plus abouti car il a donné l’exemple, sa carrière parle pour lui, et il est là pour toi dans les moments difficiles, durant les entraînements, il en bave comme le soldat ! Il va courir 15 kilomètres avec les soldats. Ici on ne voit pas cela. Que l’on soit ou pas en situation de guerre, l’exemplarité du chef est la clé d’une armée assurée d’une chaîne de commandement qui marche. C’est la colonne vertébrale d’une armée, plus que la doctrine militaire, peu importe qu’elle soit d’influence française, irakienne ou autre. Et cela depuis le départ ça ne fonctionne pas.
Certains analyseraient la question en mettant en avant l’héritage colonial…
Oui on peut dire dans une certaine mesure que le système colonial a exacerbé la lecture dichotomique du pays, mais elle existait déjà. C’est sûr que les différents statuts sous la colonisation ont exacerbé des choses, mais malgré tout, les schismes liés à la féodalité des sociétés mauritaniennes étaient là. Peut-on imaginer même aujourd’hui dans ce pays, voir quelqu’un de la vallée, casté, qui commanderait une armée entière, avec la bénédiction de tous? Là il y a toute une imbrication sociologique que je ne maîtrise pas, mais la question se pose.
Par rapport aux questions de méritocratie, de représentativité, et d’exemplarité que l’on vient d’évoquer, jusqu’à quel point ça a joué sur la déliquescence des armées africaines francophones, et mauritanienne en particulier ?
Ces points montrent qu’il y a eu une mauvaise gestion des ressources humaines et matérielles des armées. Les gens se gavent! Cette gabegie militaire a tout aggravé. En conclusion de ma thèse, jusqu’en 1978 notamment, date à laquelle s’arrête mon étude de l’armée mauritanienne, je me pose la question de savoir est-ce que l’avènement des régimes militaires a amélioré les conditions des vrais militaires? Pas du tout ! C’est un paradoxe incroyable. Les militaires, pas plus que Mokhtar Ould Daddah, n’ont pu gérer l’évolution exponentielle des effectifs des armées.
Je termine sur l’exécution de Ould Sidi et Ould Abdelkader par Haïdallah, lors du coup d’état de 1981, en insistant sur ce premier coup d’état avec du sang. Ça marque clairement la fin de l’esprit de corps en Mauritanie, même entre les chefs (Sidiya, Abdelkader et Haïdallah sont de la même génération et de la même promotion – ndlr). Après cela, l’armée ne pouvait pas bien aller, la vraie rupture de l’armée mauritanienne elle est bien là et pas en 1978. j’ai essayé d’accéder à des archives ici mais en vain.
Source : http://www.mozaikrim.com