L’ordonnance du 5 juin 1983, au delà des raisons officielles qui semblent en être le fondement, n’est que la consécration sur le plan juridique de la volonté du pouvoir mauritanien d’asseoir davantage sa main mise sur tous les secteurs de la vie économique du pays. Après avoir accaparé le pouvoir politique (voir Manifeste du négro-mauritanien opprimé) et étendu sa domination sur le plan culturel (arabisation presque totale du pays au mépris de l’identité culturelle des Négro-africains),il ne lui restait plus, compte tenu des perspectives alléchantes de l’après barrage, qu’à exproprier les paysans noirs de la vallée de leurs terres .C’est à cette fin qu’à été édictée l’ordonnance 83 127 du 5juin 1983. Les objectifs officiellement poursuivis par l’ordonnance sont de 3 ordres:

 

 

– Objectifs  politiques: « l’ordonnance qui unifie la législation (une seule loi pour tous)est une mesure d’intégration nationale. Elle permet de consolider la souveraineté de l’Etat en renforçant le pouvoir central sur les terres face à l’émiettement des pouvoirs locaux sur les territoires collectifs ».

– Objectifs économiques. « L’Etat doit pouvoir entreprendre des projets de développement agricole sans être paralysé par la résistance des propriétaires fonciers. La nouvelle législation lui donne juridiquement les moyens. Le système des droits coutumiers qui immobilise la terre est aboli. Le passage à l’individualisation et à la propriété privée doit pouvoir libérer les initiatives et permettre une mise en valeur plus intensive ».

-Objectifs sociaux: » La réforme doit permettre l’éradication des rapports sociaux dépassés (servage, khamessat)et l’accès de tous, sans discrimination la propriété ».

Un examen approfondi des dispositions de l’ordonnance et des modalités de son application montre que la réalité est tout autre: la nouvelle loi foncière n’est en effet qu’un maquillage juridique destiné à dissimuler la colonisation des terres du sud par les hommes d’affaires Beydanes du système.

Il importe toutefois, avant d’analyser le contenu de l’ordonnance et d’en dévoiler les buts (politique, économique) inavoués, de présenter sommairement le système traditionnel de tenure des terres. Système contre lequel la nouvelle loi prétend s’élever au nom de la modernité.

PRESENTATION DU SYSTÈME TRADITIONNEL

Jusqu’en 1983, l’Etat mauritanien n’a pas ressenti, contrairement à la plupart des Etats d’Afrique de l’Ouest, la nécessité de se doter d’une loi foncière. Pendant vingt trois ans donc, les pouvoirs publics se sont accommodé du statu quo qui prévalait et qui se caractérisait par la coexistence des systèmes traditionnels de tenure des terres et de quelques éléments de droit moderne.

Ce dualisme était géré par la loi du 2 août 1960 portant réorganisation domaniale. Ce texte ne remettait pas fondamentalement en cause les droits coutumiers sur la terre. En effet, à côté des droits généralement admis au profit de l’Etat en matière de Droit Administratif des Biens (expropriation pour cause d’utilité publique, appartenance à l’Etat des terres sans maître et des terres vacantes, etc..), la loi reconnaissait et confirmait « les droits fonciers comportent une emprise évidente et permanente sur le sol », (l’article 3 de la loi).

QU’EST CE QUI CARACTÉRISAIT LE SYSTÉME TRADITIONNEL ?

Dans le Fuuta, le Gidimaxa-Gajaaga, le Waalo et, d’une façon plus générale, dans la cosmogonie africaine, la terre tout comme l’eau, le ciel, l’air, est insusceptible d’appropriation au sens du droit romain. Elle est une création de Dieu pour la survie de l’Espéce. Elle appartient aux vivants et aux morts, elle abrite les ancêtres. Elle est une propriété collective et indivise. Elle ne peut en aucun cas être aliénée.

La terre peut cependant supporter certains droits, dont la mise en œuvre incombe au doyen du lignage ou au chef du village. Ce dernier répartit les terres en fonction des besoins de chaque membre de la communauté. Il peut également accorder un droit de culture à un étranger (Sammba remooru) moyennant le paiement d’une redevance.

Le bénéficiaire de ce démembrement du droit de la « propriété » qu’est l’usus est appelé traditionnellement, en milieu pular, JOM JEYNGOL, littéralement le propriétaire du feu ou JOM LEWRE, le propriétaire de la hache. Celui qui accorde le droit d’usage est appelé JOM LEYDI : C’est le « propriétaire » de la terre. Les redevances qui lui sont versées peuvent prendre 3 formes :

-L’Asakal ou Zakat qui est d’origine religieuse et qui représente le1/10 de la récolte ;

-Le Njooldi: Droit d’entrée ou pas de porte versé chaque année au début de la mise en culture ;

Le Cootiigu: Taxe sur l’héritage payée au maître de la terre par les héritiers légitimes d’un détenteur défunt d’un droit de culture.

Une fois ces redevances acquittées, le Jom leydi ne peut ni cultiver la terre pour son propre compte, ni la prêter, ni la louer à d’autres personnes.

QUELLES SONT LES TERRES SUR LESQUELLES S’EXERCENT CES DROITS?

Elles sont de deux types. le Waalo et le Jeeri.

Le Jeeri est constitué de terres en hauteur. Elles sont en quantité quasi illimitée. Elles ne font pas pour le moment l’objet (pour résumer grossièrement) d’appropriation » au sens traditionnel du terme. Elles appartiennent à qui les cultive.

Le Waalo est composé de terres inondées chaque année, oú sont pratiquées des cultures de décrue. Ce sont les terres les plus fertiles et donc les plus convoitées. Le Waalo est la propriété du village. Chaque lignage de celui-ci possède une partie du waalo commun. La répartition des parcelles pour la culture se fait à l’intérieur des lignages. Chaque doyen de lignage opère la répartition entre les adultes mâles de la descendance.

La distinction entre le waalo et le jeeri a des conséquences sur le loyer qui varie suivant la plus ou moins profonde inondation de la terre. Le waalo est généralement loué en contrepartie du versement de la moitié de la récolte : c’est le REM-PECCEN. Si la location porte sur plusieurs années, le loyer peut-être payé en une seule fois. Pour les terres les moins inondées, le loyer correspond au 1/10 de la récolte.

Ainsi présenté, le système traditionnel comportait d’indéniables avantages, notamment sur le plan humain. En effet, dans une société en équilibre stationnaire2le droit traditionnel anti individualiste visait avant tout à assurer la sécurité du groupe ou du moins la sécurité de l’individu dans le groupe ».

Le chef du lignage ou du village « en attribuant des parcelles à chaque famille et en tenant compte de la proportion de bouches à nourrir et d’individus susceptibles de mettre en valeur le sol, évitait à la fois l’accaparement du sol et sa sous utilisation ». Le système comportait en outre un avantage d’ordre écologique, en raison notamment de la pratique de la culture itinérante. A côté de ces avantages, le régime coutumier comportait cependant de nombreux inconvénients : il était profondément inéquitable et était, par certains de ses aspects, un obstacle au développement économique et social.

C’est ainsi que les femmes disposaient en général de droits très inférieurs à ceux reconnus aux hommes. Dans le Fuuta, elles n’ont pas le droit d’hériter des terres des collectivités villageoises. Seul leur est reconnu le droit de prélever sur les récoltes une certaine quantité destinée à leur subsistance : c’est le Cuubi=1 à 10 corbeilles suivant la fortune du frère.

Une autre iniquité résidait dans le paiement de certaines redevances, notamment dans la différenciation qui était faite entre le « Jom Jeyngol » qui est un membre de la communauté et le « Sammba remooru » qui est étranger. Alors que pour le premier l’Asakal était dû par famille, l’étranger lui, devait le payer par loungan et par tête. Mais l’injustice la plus remarquable tenait au fait que les terres appartenaient en grande partie aux grandes familles nobles(Rimbe).Et un « Gallunke »(d’origine esclave), par exemple, aura beau cultiver une terre pendant des années, il n’en sera pas pour autant propriétaire, la prescription acquisitive n’existant pas en droit traditionnel.

Le Sud partageait ces traditions avec le pays maure(le nord). A cet égard Capot Rey écrivait «: Un hartani prenait-il l’initiative de défricher un coin de terre jusque là sans maître, le terrain une fois mis en valeur pouvait être revendiqué par un marabout ou un guerrier en vertu de la coutume »trab-el-beydane »qui reconnaît au conquérant arabe un droit implicite sur toutes les terres sans maître »

ANALYSE DE L’ORDONNANCE

La nouvelle loi foncière se propose donc de mettre terme aux archaïsmes du système traditionnel de tenure des terres et de mettre en place un cadre juridique mieux adapté aux nécessités du développement. Derrière ces motivations apparemment pertinentes, se cache un objectif, déjà appréhendé par le Manifeste du Négro-mauritanien Opprimé d’avril 1986 :

– Procurer aux hommes d’affaires Beydanes du Système une nouvelle source d’enrichissement, confortant ainsi leur emprise sur tous les secteurs de la vie économique et, corrélativement, empêcher l’émergence d’une bourgeoisie agraire noire dont la puissance financière aurait remis en cause la suprématie politique des maures blancs.

– Susciter des contradictions au sein de la communauté noire du pays en orientant les revendications économiques et sociales des Harmonies, par ailleurs légitimes, vers les terres du waalo.

Ce dernier objectif a d’ailleurs été provisoirement atteint par la déportation au Sénégal et au Mali de villages entiers de la vallée et le remplacement, sur ces mêmes villages, des paysans Haal-pulaaren, Soninko et Wolofs par des Haratines.

L’ensemble des dispositions de l’ordonnance s’articule autour de ce double objectif.

L’ordonnance affirme d’abord, en son article 1er, que « la terre appartient à la nation. Tout mauritanien, sans discrimination d’aucune sorte, peut, en se conformant à la loi, en devenir propriétaire pour partie ». Elle dispose ensuite (art 3)que le système de la tenure foncière traditionnelle du sol est aboli.

Sur ces nouvelles bases, le texte établit une distinction entre les patrimoines fonciers traditionnels, désormais susceptibles d’individualisation (art.6)et le domaine de l’état, oú des concessions peuvent être attribués à des personnes physiques ou morales(art.12).

DOMAINE DE L’ETAT

L’article dispose que quiconque « désire accéder à la propriété d’une terre domaniale doit impérativement obtenir au préalable la concession : celle-ci ne devient définitive et n’emporte transfert de propriété qu’après mise en valeur réalisée aux conditions imposées par le cahier des charges et, s’il y a lieu, par l’acte concession ».

Dans la pratique, les choses se passent comme suit : un privé Beydane, aidé par l’Administration locale, s’installe irrégulièrement sur des terres présumées relever du domaine de l’Etat. Une fois le terrain occupé, le privé n’a plus qu’à engager la procédure de régularisation prévue par l’art.8 de l’ordonnance. Ses chances d’aboutir sont d’autant plus grandes qu’il existe en Mauritanie une loi non écrite en vertu de laquelle une circonscription administrative ne peut être dirigée par un natif du coin. Moyennant quoi, la quasi-totalité des postes de gouverneurs, des préfets, de chefs d’arrondissements et de commandants de gendarmerie dans la région du fleuve, sont détenus par des Beydanes.

La situation s’est d’autant plus compliquée que ces dernières années, le Gouvernement a accordé des « quasi-concessions ». Il s’agit d’autorisations d’exploiter à titre précaire et révocable. Juridiquement celles-ci ne peuvent être tenues pour des concessions au sens ou l’entend l’ordonnance car l’exploitant à titre précaire n’a, selon la circulaire spéciale 020/MINT du 29 juillet 1985, aucun droit de propriété sur le sol sauf décision judiciaire ou concession régulière ultérieure.

La quasi-totalité des autorisations accordées l’a été à des « habitants de Nouakchott disposant de gros moyens « , euphémisme qui désigne des riches commerçants Beydanes de la capitale. Octroyées dans la précipitation la plus totale-celle qui sied aux affaires ? – et sans que ne soit précisé leur cadre juridique, ces autorisations ont constitué pour les bénéficiaires un moyen particulièrement commode et rapide d’accéder à la concession définitive. Il suffit en effet, pour cela, d’un minimum d’investissement.

La colonisation des terres de la vallée par des hommes d’affaires Beydanes, au moyen de ces autorisations, se fera d’autant plus rapidement que les collectivités villageoises ne peuvent, elles, en bénéficier. La circulaire entend par cette discrimination empêcher que ne se perpétue la situation à laquelle l’ordonnance a voulu mettre fin : à savoir l’existence d’un droit qui ne se rattache ni à une personne physique ni à une personne morale.

La multiplication des autorisations d’exploiter à titre précaire et révocable ne peut manquer de susciter des réactions violentes de la part des habitants de la vallée. Le ministre de l’intérieur en est du reste tellement conscient qu’il écrit dans sa circulaire «: il serait prévisible que des telles autorisations déclenchent des frictions que les gouverneurs et autres autorités déconcentrées devront contenir par les moyens dont ils disposent « , autrement dit la répression. On notera au passage la très grande « disposition » au dialogue dont le Gouvernement fait preuve dans la gestion du problème foncier !

PATRIMOINES FONCIERS TRADITIONNELS

En ce qui concerne les patrimoines fonciers collectifs, l’art.3 de l’ordonnance précise que l’individualisation est de droit. Toute personne appartenant à une collectivité ayant des droits coutumiers sur la terre, peut demander l’individualisation. L’on peut d’ores et déjà noter le machiavélisme de cette disposition. Quiconque connaît l’organisation sociale qui prévaut dans la région du fleuve sait qu’aucun paysan ne prendra le risque de rompre la solidarité immémoriale du système villageois en demandant l’individualisation. Ce serait une véritable hérésie.

Peuvent aussi demander l’individualisation tous ceux qui ont contribué à la mise en valeur des terres ; l’art.8 du décret d’application de l’ordonnance précise que « sont réputés avoir participé à la mise en œuvre initiale ou contribué à la pérennité de l’exploitation tous ceux qui, par leur travail ou par leur assistance, ont permis la réalisation et le maintien de cette mise en valeur ». Là égalemt, des frictions peuvent surgir du fait que des individus n’appartenant pas à la communauté villageoise ou au lignage ont pu contribuer à la mise en valeur comme simples bénéficiaires d’un droit de culture. C’est généralement le cas des Haratines.

 « MISE EN VALEUR », TERRES MORTES », DEVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIALE »

Lorsque toutes ces subtilités juridiques s’avèrent insuffisantes pour venir à bout de la résistance des paysans de la vallée(les cas de Rindiaw, Ndiorol,Olo ologo,etc),l’Administration peut toujours recourir aux notions floues à souhait de « mise en valeur » et de « développement économique et social ». En ce qui concerne la premiére, elle est présente à toutes les étapes de la procédure et fait partie de ces termes génériques qui viennent à la rescousse de l’administration lorsqu’elle n’a plus d’arguments à opposer aux paysans.

C’est en effet cette notion de « mise en valeur » qui permet aux occupants spontanés de régulariser leur situation. C’est encore elle qui permet à ceux qui ne sont présents sur le terrain que depuis 2 ans de demander l’individualisation parcequ’ayant participé à la viabilisation du sol. C’est toujours ce concept « fourre-tout »qui  rend la concession définitive. C’est enfin la « mise en valeur »qui, a contrario, fait tomber dans le domaine de l’état les « les terres mortes ».

Que recouvre cette dernière notion empruntée à la charria ? Selon l’art 4 de l’ordonnance, » sont réputées mortes, les terres qui n’ont jamais été mises en valeur ou dont la mise en valeur n’a pas laissé de traces évidentes ». Lorsque l’absence de mise en valeur est constatée, ces terres sont versées dans le patrimoine de l’Etat qui peut alors les redistribuer sous forme de concession.

Cette disposition peut être source de beaucoup de difficultés en raison notamment du caractère pour le moins vicieux de la définition retenue.

On peut d’abord faire remarquer que la plupart des terres appartenant aux villages étant à la lisière du Jeeri, elles ne sont que rarement touchées par les crues. Si bien que l’Administration de la preuve de l’absence de mise en valeur ne pose aucune difficulté particulière. La tâche des pouvoirs publics est rendue d’autant plus facile qu’en raison de la sécheresse qui a sévi ces dernières années, la mise en valeur est devenue tout simplement impossible. On notera enfin que pour mettre en valeur, il faut des moyens. Or les paysans qui fondaient beaucoup d’espoir sur la SONADER pour obtenir des intrants, ont vu l’aide qui leur était octroyée par ce service public se raréfier, voire cesser, la SONADER ayant été détournée de ses objectifs initiaux. On retombe alors dans la quadrature du cercle : pas de moyen, pas de mise en valeur ; pas de mise en valeur, plus de terre !

Le second stratagème auquel l’Etat peut recourir est celui de « développement économique et social ».

C’est au nom de ce  » développement économique et social » que les pouvoirs publics peuvent exproprier les petits paysans qui, après avoir franchit toutes les entraves légales, administratives  et culturelles, ont pu acquérir un lopin de terre. L’ordonnance prévoit en effet que la propriété privée individuelle doit céder devant la réalisation d’un projet d’intérêt national ou régional. C’est à dire les grands travaux agricoles nécessitant de gros investissements. Pour mener à bien ces « projets d’intérêt national ou régional », il importe de disposer d’instruments juridiques permettant d’exproprier au plus vite les petits paysans. C’est à cet impératif que répond la notion de « développement économique et social »(l’art.10 de l’ordonnance).

Les fameux « projets d’intérêt national et régional  » ne concerneront à n’en pas douter que des hommes d’affaires Beydanes, seuls en mesure, grâce aux énormes moyens financiers mis à leur disposition par les pouvoirs publics et le Système bancaire, de réaliser les dits projets. A terme, cette politique aura pour conséquence la transformation des paysans de la vallée en ouvriers agricoles travaillant pour le compte des Businessmen Beydanes du Système.

En conclusion à cette étude, nous examinerons quelques dispositions de l’ordonnance que nous n’avons pas abordées jusqu’ici. Nous reviendrons également sur les motivations réelles de la Réforme.

DISPOSITIONS PARTICULIÈRES DE L’ORDONNANCE

Ces dispositions soit confèrent à l’Administration une liberté de manœuvre telle que les paysans se retrouvent privés de tout moyen de défense ; soit aboutissent à des conséquences pratiques absurdes. Mentionnons d’abord l’abolition générale et absolue des coutumes à laquelle, au nom de la Charria, procède l’ordonnance. Contrairement à ce que le texte affirme, la loi islamique n’imposait nullement une telle solution. Nombreux en effet sont les cas dans lesquels, les juges musulmans ont eu recours aux coutumes comme source auxiliaire du droit. On invoque à cet égard l’exemple de Malick qui fit appel à la coutume pré-islamique de Médine. L’on pouvait donc « sans sortir de la loi adopter une attitude moins radicale à l’égard de la coutume De façon à ce que sa lente élimination produise le moins possible de tensions sociales » Il importe également de relever que l’article 7 de l’ordonnance déclare irrecevable en justice les actions foncières collectives et radie du rôle des juridictions les affaires pendantes de même nature. D’où la question de savoir, dans l’hypothèse d’une radiation, à qui appartiennent les textes ainsi libérés : à l’Administration ou aux derniers exploitants ? il est fort probable dans le cas des terres du sud que l’Etat n’aura aucun scrupule à les reverser dans son domaine.

De même, il convient de noter l’incroyable déséquilibre introduit par l’article 14 de l’ordonnance. D’après cette disposition, le justiciable qui met en cause la domanialité d’une terre doit intenter son action dans le délai d’un mois qui suit la notification de la mise en demeure de quitter les lieux. Il n’a plus alors que deux mois pour produire ses moyens de preuve. Alors qu’aucun délai n’est imparti à l’Administration pour déposer son mémoire en réplique. Deux conséquences en résultent pour les paysans de la vallée : d’une part, l’existence de preuve écrite assortie « de délais stricts et de pièces à produire nombreuses dans une société paysanne où les manières de vivre le temps et l’écrit divergent fortement de celles véhiculées par le droit moderne issu de la colonisation » aboutit pratiquement à priver les paysans de tout moyen de défense. D’autant qu’il suffit à l’Etat, étant donné qu’aucun délai ne lui est imposé, de faire traîner les choses en longueur pour continuer à disposer d’une terre sur laquelle pèse une présomption de domanialité.

Notons enfin que l’obligation d’individualisation prévue par l’article 6 de l’ordonnance aboutit lorsqu’elle est suivie de partage à des conséquences Pratiques absurdes «: morcellement des parcelles qui, par leur exiguïté ou leur forme étroite et allongée, deviennent inexploitables  »

OBJECTIFS VÉRITABLES DE LA RÉFORME

Toutes ces dispositions s’inscrivent dans le droit fil des objectifs réels de la réforme. La nouvelle loi foncière n’a pas été élaborée pour promouvoir un développement harmonieux et équilibré du secteur agricole, encore moins pour garantir aux populations rurales de la vallée des revenus substantiels. Son but est tout autre : doter d’une base « base légale » les prétentions foncières des hommes d’affaires Beydanes du système et introduire des dissensions au sein de la communauté Négro-mauritanienne en essayant d’opposer les légitimes revendications des Haratines et la volonté tout aussi légitime des paysans Négro-africains de la vallée de garder la propriété de leur seul moyen de subsistance : la terre.

Pour déposséder les paysans Noirs de leurs terres et attribuer celles-ci aux hommes d’affaires Beydanes, l’ordonnance donne l’Etat une arme à double détente. Celui-ci commence d’abord par élargir à l’infini son domaine. Il dispose pour ce faire de plusieurs instruments juridiques : les terres vacantes et sans maître, les terres mortes, notion dont nous avons montré l’ambiguïté extrême et du reste délibérée, mais aussi d’autres notions aux contours encore plus flous telles la « mise en valeur » ou le « développement économique et social ». Une fois que l’Etat a fait tomber dans son domaine toutes ces terres, il peut procéder à leur redistribution. Il a alors le choix entre les concessions et les autorisations à titre précaire et révocable. Autrement dit, l’étatisation qui découle de la qualification domaniale appliquée aux terres, n’est qu’une étape provisoire dans un processus dont le terme final est l’attribution de domaines fonciers aux agro-businessmen maures du Système Beydane.

Pour susciter des tensions entre Haratines et Négro-africains, l’ordonnance ouvre la possibilité de demander l´individualisation à tous ceux qui ont participé à la mise en valeur de la terre ou au maintien de sa pérennité. Si bien que les individus étrangers à la communauté villageoise- en fait, les Haratines-peuvent se retrouver propriétaires. Cette propriété étant du reste très fictive en raison de la persistance de leur lien de dépendance personnelle vis-à-vis de leurs maîtres: en un mot, ils sont leur cheval de Troie. Et lorsque les Haratines du Sud, du fait des rapports de solidarité tissés avec les paysans Négro-africains, se refusent à disloquer la communauté à laquelle ils ont fini par s’intégrer, l’Etat peut procéder d’office à l’individualisation.

On peut au demeurant s’empêcher de marquer devant une réforme qui ne vaut que pour une partie du pays: le Sud. Alors que celle-ci n’a pas le monopole de l’archaïsme, loin s’en faut. Nous avons cité le mot de Capot Rey sur le TRABEL BEYDANE: les oasis du nord ont cette particularité d’être mises en valeur exclusivement par les Haratines et de n’avoir pour propriétaires exclusifs que des Beydanes. Alors que dans la vallée, ce sont les propriétaires eux-mêmes, si « NOBLES » soient-ils, qui constituent la principale force de travail!

Logiquement donc, ce qui vaut pour le Sud en matière d’intégration nationale, de développement agricole et de justice sociale, devrait, a fortiori, s’appliquer au Nord. Tel n’est pourtant pas le cas. Et cette limitation spatiale-juridiquement non consacrée, mais qui résulte des faits-du champ d’application de l’ordonnance achéve de discréditer la « réforme » qu’elle entend introduire et dévoile sa nature foncièrement RACISTE.

LES FORCES DE LIBEARTION AFRICAINES DE MAURITANIE

(Extrait du Livre Blanc: Radioscopie d’un Apartheid méconnu- Octobre 1989)

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