Le 11 janvier, les réseaux sociaux mauritaniens, notamment les groupes de discussion WhatshApp et Facebook, diffusaient deux vidéo d’une séance de torture infligée par des Maures, aux voix jeunes, à un descendant d’esclave, un hartani, prénommé Ethmane. Les circonstances, la cause, le lieu et la date restaient indéterminés. L’échange verbal entre les protagonistes laisse entrevoir la probabilité d’une expédition punitive suite à une tentative de larcin ; les tortionnaires, qui filment la scène et s’y expriment distinctement, non sans l’agonir la victime d’insultes et exigent l’identité de son complice.
Hamza, l’un des assaillants, réclame, en réparation du préjudice allégué, que le présumé voleur lui cède son épouse pour une nuit. Ethmane, ensanglanté, y compris à l’entrejambe, supplie, demande pardon et sanglote ; des soufflets pleuvent sur sa tête, bandée au niveau des yeux. Dans le second film, d’à peine quelques secondes, le visage tuméfié témoigne de coups et blessures portés en réunion. Tout le dialogue se déroule en hassaniya, l’arabe vernaculaire du Sahara.
La famille de Ethmane Ould Brahim prétend que ses assaillants l’ont interpellé en soirée du dimanche 7 janvier, à proximité d’un restaurant de la commune de populaire de Dar Naïm, pour lui demander du feu avant de se mettre à le ruer de coups. Dans l’enregistrement audio que Hamza envoie à son ami, le premier raconte plutôt l’histoire d’une intrusion chez lui, tard dans la nuit, à 3 h 30. Il aurait alors poursuivi et maîtrisé l’inconnu qui fuyait pour escalader le mur. Après une empoignade entre les deux, le présumé voleur, muni d’une épée, aurait été neutralisé par un une entaille de tournevis aux côtes. Des proches, appelés en renfort, accourent grâce à appel téléphonique ; ils décident, ensemble, de le conduire, dans la malle arrière d’un véhicule, à la plage de Nouakchott, située 7 kilomètres plus loin. Là, toujours selon la voix, ils le molestent copieusement à plusieurs et éteignent des mégots de cigarettes dans son anus. Le témoin précise : «Nous n’avons pas voulu filmer cette scène à cause d’éventuels ennuis.» Sur le ton de la moquerie et l’accent du sarcasme, des mots d’insultes à l’endroit des «nègres esclaves» ponctuent le récit.
L’ouvrage achevé, les exécutants jettent leur proie inanimée dans le Commissariat de police de Dar Naïm I, au lever du jour. Hamza dit être rentré chez lui pour s’endormir. Ismaël Ould Brahim, le frère de Ethmane, apprend l’évènement dès le 8 janvier mais ne parvient à le rencontrer que le lendemain. Le vendredi 12, il se rend au bureau du procureur près le tribunal de Nouakchott-Nord et lui montre la vidéo de la séance de torture. Ce dernier promet de diligenter une enquête. Parmi le groupe de tortionnaires sont formellement reconnus un gendarme dénommé Cheikhna Ould Issaoui, Hamza Youssouf et, ironie du sort, un Saddam ; l’un d’eux exercerait le métier de médecin.
Le 14 janvier, Ethmane, présenté par une partie de la presse comme un délinquant multirécidiviste, poursuivait sa garde-à-vue ; à la même date, les lyncheurs jouissaient d’une entière liberté.
L’environnement
Le racisme en Mauritanie ne constitue en rien une nouveauté. Il relève d’une banalité sociale dont témoignent des siècles d’esclavage et deux décennies de persécution des ethnies négro-africaines du Sud. L’insolite, ici, réside dans l’usage assumé de sévices, relevant de la privatisation de la justice, par des auteurs peu enclins à l’anonymat ; leur volonté de se donner en exemple, au travers de l’image, témoigne d’une certaine sérénité. Pour parvenir à un tel degré d’assurance, il fallait aux apprentis suprématistes la certitude de l’impunité.
Certes, la Mauritanie dispose de lois exemplaires en matière de promotion de l’égalité et de répression des atteintes à l’intégrité du corps mais elles ne servent, in fine, qu’à occulter la permanence des crimes prétendument combattus. Une juridiction spécialisée dans les pratiques serviles et le trafic de personnes, une loi contre la stigmatisation, un mécanisme de pénalisation des traitements inhumains et dégradants se soldent, jusqu’ici, par l’absence de condamnation. Pourtant, comme l’attestent plusieurs rapports internationaux, le pays s’immerge dans la violation de la dignité des gens ; plus l’arsenal du droit s’enrichit, davantage s’aggravent les situations visées. Les partenaires extérieurs, quelquefois par naïveté, souvent en vertu du cynisme de la patience, misent sur «les engagements», le «renforcement des capacités», la ratification des conventions et traités et autres diversions à l’épreuve desquels les oligarchies du tiers-monde excellent.
Déni officiel et complaisance extérieure se conjuguent, alors, au nom de la non-ingérence pour perpétuer des pouvoirs de prédation et de brutalité. La Mauritanie confirme l’usage ; bien plus qu’ailleurs, l’étranger diplomate risque, assez vite, d’y succomber aux cadeaux et sirènes de l’hospitalité vicieuse en contrepartie d’un regard flou sur le présent et les perspectives d’un système de domination voué à se reproduire par la violence à la fois symbolique et physique, il recueillera bien des faveurs. Aujourd’hui, l’hégémonie ethno-tribale bénéficie d’une quasi-connivence dans le reste du monde. Or, évidence du paradoxe, l’essence «racialiste» de l’oppression s’appuie sur un potentiel d’extrémisme religieux en diffusion accélérée dans la sous-région. La République islamo-arabiste de Mauritanie, projet de Talibanie incrustée entre de l’Afrique de l’Ouest et le Maghreb, n’a pas encore épuisé ses ressources d’inhumanité. Le pire arrive.
Que faire ?
Il ne s’agit plus de dénoncer, encore moins d’argumenter, tant l’itération de telles bavures jalonne la lutte pour une Mauritanie émancipée des privilèges de naissance sur le chemin de la rationalité et en adéquation au cours de l’histoire. L’effort de la non-violence, vers la rupture, suivra sa nature conflictuelle parce qu’aucune construction sociale ne consent d’elle-même à renier l’iniquité qui la fonde et en garantit la reproduction. Dans cet espace d’ignominie où torturer un Noir, en 2018, tient de la distraction, il n’y a désormais de communauté de destin, non plus d’avenir en commun. L’immunité des uns produit la révolte des autres. Ainsi évolue le genre humain.(…)
Source : algeriepatriotique.com