J’ai été amené, à plusieurs reprises, à dénoncer le plus grand et le plus indigne mal du troisième millénaire: l’existence sur ce globe terrestre d’inégalités raciales ! On me dirait que ce n’est pas là un fait nouveau, que partout dans le monde où cohabitent des communautés humaines différentes par leurs langues, leurs religions ou les couleurs de leurs peaux, il y a eu (ou y a encore) des inégalités ! Je répondrai que la particularité du racisme mauritanien, c’est justement qu’il a été suscité par l’Etat qui continue encore aujourd’hui de l’entretenir.

On me répondra que pourtant la constitution mauritanienne ne prévoit aucune disposition raciste, que les lois de notre république consacrent l’égalité des citoyens, je reviendrai à la charge pour dire ceci : c’est justement là le plus terrible des racismes car autant il est relativement absent dans les textes régaliens en général et dans la loi organique en particulier, autant il est omniprésent dans le vécu quotidien des Mauritaniens !

Du racisme d’Etat

Pourquoi la Mauritanie est un Etat raciste? Et pourquoi ce racisme est un racisme d’Etat? Si je juge nécessaire de répondre à ces deux interrogations, ce n’est certainement pas à cause de difficultés épistémologiques liées aux termes définitionnels de ce syntagme. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, aussi accessible que soient ces termes, c’est l’écrasante majorité de la classe politique et civile qui semble d’accord pour l’occulter à jamais! Dans les cercles politiques –y compris (je devrais dire surtout) dans les partis politiques– dans les médias et à fortiori dans les milieux officiels, l’affirmation de l’évidente existence dans notre pays du racisme d’Etat est un tabou! «Haze maa yin ngal» vous dira-t-on lorsque, sidéré par l’hypocrisie générale, vous osez le crier haut et fort!
Le racisme messieurs, est effectif lorsque, sans pour autant que ce ne soit écrit ni dans la constitution, ni dans aucune autre loi, le gouvernement mauritanien affiche toujours une dizaine de Noirs sur un effectif d’une trentaine de ministres pendant que plus de 80% de la population mauritanienne sont noirs! La proportion des Noirs baisse de manière encore plus draconienne au niveau des secrétaires généraux des ministères, des directeurs de départements ministériels, des chefs de service, des gouverneurs, des préfets, des chefs d’arrondissement etc.…, parce qu’il s’agit là de postes moins visibles depuis l’étranger.

De la complicité de l’intelligentsia et de la classe politique

Ainsi, les communautés noires de Mauritanie que sont les Hratines, les Peuls, les Soninko et les Wolofs sont systématiquement réduits au strict minimum de leur nombre et relégués aux périphéries par rapport aux postes de responsabilités. Le plus inadmissible c’est que cet état de choses est considéré par une frange importante de la minorité dominante (Maures blancs) comme normal.
Cette situation qui dure en s’amplifiant depuis les indépendances a fini par instaurer une configuration économique, sociale et urbaine clairement révélatrice de ce racisme: comme au temps de la colonisation, à Nouakchott par exemple, les Noirs sont, pour l’écrasante majorité, relégués dans les quartiers populeux, insalubres, sans eau et bien des fois sans électricité (Cinquième, Sixième, Quebé, Arafat, Basra Couva…). Au plan national, les régions du sud (Guidimakha, Gorgol, Trarza, Brakna Assaba) sont laissées pour compte dans tous les projets de développement initiés par l’Etat, ou alors ne bénéficient que des miettes, de sorte qu’une ville comme Sélibaby est pendant toute les saisons hivernales coupée du reste du pays faute d’infrastructures routières avec tout ce que cela comporte comme victimes sur les routes et dans les hôpitaux corrompus.
Dans l’appréciation de cette dramatique situation, l’objectivité voudrait que l’on s’intéressât tout particulièrement au sein de la communauté noire, à une de ses composantes: les Harratines. Ces hommes et ces femmes auxquels la Mauritanie doit l’essentiel de son essor économique et qui sont «remerciés» par un déni de leur humanité! A eux seuls les Harratines, qui sont racialement noirs, linguistiquement arabes et culturellement hybrides (nous aurons l’occasion de revenir sur cette question) constituent au moins 40% de la population mauritanienne. Et pourtant dans la haute et moyenne administration, ils ne représentent même pas 5%. Le système raciste et esclavagiste qui a dirigé la Mauritanie depuis les indépendances a décidé que leur place est ailleurs :
-ils doivent être la pièce détachable des camions et autres remorques qu’ils doivent décharger à longueur de journées et de nuits pour que les commerces se développent et que les banques augmentent leurs chiffres d’affaire.
-ils doivent servir de manœuvres dans l’édification des châteaux de Tevrag Zeina, ils doivent aussi occuper ces lieux, mais juste le temps des travaux, pour surveiller le matériel. Mais une fois que le chantier devient une luxueuse maison habitable, ils doivent immédiatement s’en aller ailleurs, à la recherche d’une nouvelle pitance, aux côtés d’un autre chantier ou sous d’autres baraques…

 

Ce racisme d’Etat qui a fini par instituer la domination politique, économique et culturelle de la communauté raciale blanche sur la communauté raciale noire, s’il a survécu et s’est renforcé, c’est bien à cause de la complicité de l’écrasante majorité de l’intelligentsia de la première et de celle d’une minorité oligarchique noire prête à tout pour s’enrichir. En effet, qu’ils s’appellent Mohamed Oul Mowloud, Ahmed Daddah, Jémil Mansour (pour citer des dits opposant de l’heure), Abdel Aziz, Mint Mouknass, Ba Mbaré ou Kane Hamidou Baba, Moulaye Oul Lahgdaf (mouvance présidentielle), ils sont tous complices avérés de ce racisme grégaire qui exclut la majorité des Mauritaniens à cause de la couleur de leurs peaux ou de leur appartenance linguistique. Les uns veulent maintenir leur suprématie raciale et/ou tribale, les autres sont disposés à sacrifier leur communauté pour garder leurs privilèges bassement matériels.
Tous sont d’accord pour que l’équipe nationale de la Mauritanie s’appelle les «Mourabitounes». Que toute une partie des Mauritaniens boude son équipe nationale rien que pour cette appellation sectaire, raciste et exclusive ne les offusque guère! Comment voulez-vous que les Mauritaniens peuls, soninkés, hatatines ou Wolofs se sentent concernés par une équipe dont la dénomination, au meilleur des cas ne les regarde point, au pire des cas désignent leurs oppresseurs. Les Mourabitounes sont peut-être les ancêtres des Maures blancs, mais les Négro-africains, eux ne se sentent liés à eux ni par la biologie, ni par la génétique, encore moins par la culture. Quant aux Harratines, pour peu qu’ils soient instruits et soient imprégnés de l’histoire, ils savent que leur condition actuelle d’esclaves affranchis (ou d’esclave tout court-version moderne) est née de la pénétration almoravide. Aussi n’est-il point étonnant que cette équipe ne remporte jamais de coupe, puisque ceux qui s’intéressent au sport ne la supportent pas! L’équipe nationale aurait pu s’appeler les «Taureaux» ou les «Bélier » de la Mauritanie, dans un souci de compromis national, mais non, car pour cela il aurait fallu une réelle volonté de construire une véritable nation. Les Habitants de Sélibaby (Guidimakha) se rappellent encore de la réaction méprisante du Gouverneur de leur ville qui, en 1998, à l’occasion de la Semaine de l’Amitié et de la Fraternité (SAFRA), a fait venir de Nouakchott deux joueurs maures blancs parce que selon lui, l’équipe sélibabyenne composée de Peuls, de Soninkés et de Harratines, ne pouvait pas dignement représenter la Mauritanie dans une compétition sous régionale. Il fallait la colorer d’éléments blancs. Aussi les joueurs blancs venus de Nouakchott ne rencontraient leurs camarades que dans le stade, car ils étaient logés ailleurs dans des conditions de petits princes. La colonisation française n’a jamais été aussi cruelle face à ses administrés !

Du génocide linguistique et culturel

Tous sont d’accord que l’hymne national doit continuer à être chanté dans la langue d’une seule communauté linguistique sur quatre qui composent la Mauritanie. De sorte que près de la moitié des Mauritaniens, uniquement parce qu’ils ne sont pas des arabes, ne comprend rien à ce qui était censé l’émouvoir et revivifier sa flamme nationaliste.
La langue arabe qui est une langue nationale comme le Puular, le Soninké et le Wolof est imposée comme la langue officielle. Mais ce qui est inadmissible dans cette institution, c’est que l’officialisation de la seule langue arabe n’est nullement motivée par la volonté de construire une nation unie. Elle répond au seul désir d’ériger la suprématie d’une communauté sur les autres! Sinon, comment expliquer le refus catégorique des différents régimes racistes d’intégrer les autres langues nationales dans le système éducatif? Comment expliquer la suppression, en 1999 de l’Institut des langues nationales et son remplacement par un département des Langues nationales et de linguistique dont la mort fut programmée le jour même de sa création?
Comment, enfin, expliquer l’arrogance, le mépris et l’irresponsabilité du premier ministre Moulaye Ould Laghdaf qui, dans la même semaine, répète à qui veut l’entendre que la Mauritanie est un pays (exclusivement) arabe? En appréhendant ses propos, je me suis dis une chose: la véracité du titre de Docteur que la presse officielle lui colle, ainsi que la carrière de diplomate qui lui est attribuée sont à vérifier! D’abord parce qu’un docteur même en «technique de surface», à moins qu’il soit victime de daltonisme, ne peut ignorer les composantes sociales de son pays, surtout que ce dit docteur est, comme par hasard, premier ministre. Ensuite parce qu’un diplomate même stagiaire est censé savoir qu’on n’insulte pas une communauté nationale surtout que celle-ci a atteint le paroxysme de la frustration et du mépris. A moins que son objectif ne soit de déstabiliser le pays, cela pour je ne sais quelle raison?

M. Moulaye doit savoir qu’en Mauritanie vivent des Peuls, des Soninkés, des Harratines et des Wolofs et que ces communautés racialement noires et culturellement africaines n’ont ni l’intention d’être confondues avec les arabes, encore moins de s’assimiler à la culture arabe! Nous sommes ceux que nous sommes, et il en demeurera ainsi, cela, n’en déplaise à Moulaye l’ignorant! Avec de tels racistes à la tête de nos gouvernements, il n’est pas étonnant que le génocide culturel qui a succédé au génocide de 1989 se poursuive encore infiniment. L’on sait qu’après la tentative de «dé-négrification» de la Mauritanie qui s’est soldée par la mort de milliers de négro-mauritaniens et la déportation de milliers d’autres, des lobbies racistes -auxquels appartiendrait l’actuel premier ministre– s’évertuent à effacer toute trace de culture négro-africaine en Mauritanie, y compris et surtout dans les régions du sud. Ainsi, ce sont des dizaines de villages, de collines, de plaines, de quartier qui, de Nouakchott à l’intérieur du pays, sont rebaptisés avec le seul objectif de faire disparaître l’appellation Puular, Soninké ou Wolof au profit d’une nouvelle appellation maure.
Ce n’est pas non plus étonnant que nos frère déportés de retour dans leur patrie grâce à au Grand cœur de SIDIOCA, se retrouvent brutalisés, emprisonnés, et humiliés, uniquement parce que, conformément à l’accord qu’ils avaient signé au préalable, ils ont osé réclamer leurs maisons et leurs terres de culture!

Avec le même objectif, les racistes d’obédience islamiste, à travers des propagandes décousues, et des décisions arbitraires, s’efforcent de nous imposer les us et coutumes (par exemple ne pas saluer les femmes) ainsi que le mode vestimentaire maure (port du voile) sous le couvert de l’islam. Les uns et les autres doivent savoir une bonne fois pour toute que seul Dieu crée un peuple et il ne sera jamais possible pour des humains de le recréer !
A bon entendeur, salut ! Je ne saurai terminer sans appeler tous les patriotes à constituer un bouclier contre les velléités colonialiste du premier ministre Moulaye Laghdaf sur une partie de son propre peuple!

 

 

Mamadou Kalidou BA est Maître de conférences (Littérature africaine, critique littéraire) à l’Université de Nouakchott. Il nous livre son analyse sur l’état de sa société ou comment une grande majorité de la population mauritanienne se sent mise au ban de la vie nationale.

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