«… Je m’en fous, celui qui décorne je le flingue et je rends  compte qu’il est mort de diarrhée ». C’est le lieutenant Ghaly, nouveau patron du fort qui parle. II s’adresse a un groupe de détenus. Et c’est pendant ses tout premiers jours au fort. Des énormités de  cette facture-la, a base de cynisme, d’enfantillage ou de vulgarité, qui illustrent bien certains traits de sa personnalité, le lieutenant  Ghaly nous en fournira une bonne quantité. Presque quotidiennement, pendant tout le temps qu’il fera au fort. Cette sortie sadique et gratuite lui vaudra de la part de certains détenus le surnom de « Flingueur ».

Le lieutenant Ghaly avait-il eu de la part de ses chefs pour consignes de nous rudoyer ? Et en officier béni oui-oui, s’était-il borne a exécuter a la lettre ces instructions, sans discernement ? Ou bien s’estimant nanti du feu vert de ses chefs, donna- t-il libre cours, dans l’application des instructions qu’il avait, a des excès de zèle, a l’arrogance, au cynisme ? Tout ceci réuni pourrait avoir dicte son comportement a l’égard des détenus. Quoiqu’il en

soit, le lieutenant Ghaly débarque au fort le 3janvier 1988 avec  une volonté manifeste de maltraiter les détenus en les humiliant.  Dans ses bagages, les fameuses chaines destinées a nous ferrer. Ainsi que six de nos camarades : Gorgui Sarr, Sambou Youba, Ly Moussa Hamet, Diallo Alassane, Toumbo Haby et Sy Abdoulaye Malikel. Arrêtés en septembre 1986 à  Nouadhibou, ils y furent jugés et emprisonnés jusqu’a leur transfert a Oualata.

Autant par ses expressions argotiques tantôt teintées d’enfantillage, tantôt de vulgarité, que par sa démarche et sa manière de porter son pistolet, le lieutenant « flingueur » donnait plus  l’image d’un personnage d’un western que celle d’un officier. Pour un rien il fulminait contre les détenus. Durcissait les conditions de   détention. Infligeait des sanctions extrêmes sans aucune mesure  avec ce qu’il qualifiait de faute. Il avait un côté théâtral répugnant.

Tout était pour lui prétexte pour montrer qu’il était seul maitre à bord. Comme si quelqu’un contestait cette fonction nullement enviable. II lui arrivait aussi de manifester une propension aux débats  avec les détenus. Mais oubliait que sur ce plan, la qualité de « patron » du fort ne se conjuguait pas forcement avec qualité du raisonnement et lucidité analytique. II ne supportait pas la contradiction. II la considérait comme un délit de lèse-majesté, une atteinte a son autorité, une avanie. Dans ce cas, il sévissait. Ce qui arriva le 6 janvier 1988. Trois jours seulement après son arrivée au fort. Ce jour-la, au cours d’une discussion qu’il provoqua, notre camarade SALL Ibrahima lui fit remarquer que les chaines que les détenus portaient aux pieds étaient incompatibles avec les travaux  qu’ils effectuaient et qu’elles relevaient d’une pratique esclavagiste  d’un autre siècle. Assortie d’exemples historiques, la réflexion de  notre camarade faite avec autorité et sur un ton professoral, fut perçue par le « flingueur » comme une offense personnelle.

Toujours a l’affut du moindre prétexte pour sévir, le « flingueur » ne laissa pas l’occasion lui échapper. II décréta que notre camarade fut ligote, torturé  et exposé  au soleil au milieu de la cour, de façon qu’il soit visible des autres détenus.

Extrait de «  j’étais à Walata » de BOYE Alassane Harouna

Pages 97 et 98

Témoignages d’une de ses victimes

« (…) On vous a fait venir ici pour vous tuer. Vous ne retournerez jamais auprès de vos familles. Nous vous tuerons tous à petit feu, et nous ferons des rapports dans lesquels nous dirons que vous êtes morts de paludisme. C’est fini pour vous. C’est ma mission.

C’est le lieutenant Ghaly  Ould  Soufi, nouveau patron de la prison mouroir de Walata qui parle

« Autre torture angoissante, le simulacre d’exécution. Surtout lorsque le lieutenant Ghaly Wul SOUVY, en manque de drogue, était surexcité. Il s’amusait alors à poser sur la tempe du supplicié son pistolet qu’il venait de charger devant celui-ci. J’ai vécu personnellement cette expérience le lundi 4 janvier 1988 pour avoir protesté contre l’utilisation des entraves aux pieds (des chaînes) qui faisaient saigner nos chevilles. On me conduisit dans une pièce, juste à l’entrée du fort avec le capitaine Abdoulaye Hachim KEBE qui était enchaîné avec moi. Après quelques remarques désobligeantes à l’endroit de celui-ci, il ordonna qu’on le détachât pour le renvoyer auprès des autres qui avaient été réinstallés dans la grande pièce de détention.

C’est ma personne qui l’intéressait après que j’eusse protesté contre les traitements dont nous faisions l’objet, comme si nous n’étions pas des êtres humains. Après qu’il eût renvoyé dans la salle de détention le capitaine KEBE, le brigadier Brahim wul …. et le garde Makha wul …. , mes deux bourreaux Hrâtîn, se mirent à « s’occuper de moi ». Ils me lièrent les mains derrière le dos, avec les jambes repliées sur mon postérieur. Torse nue, je fus allongé à plat ventre. Ghali posa son pied droit chaussé d’une botte lourde sur ma tête en appuyant fort. Mon nez, plaqué au sol était bouché par du sable qu’aspiraient mes narines. Je lui entendis prononcer alors cette phrase en réponse aux protestations : « (…) C’est normal que vous soyez enchaînés parce que vous êtes des Nègres, et le droit des Nègres c’est d’être enchaînés parce qu’ils sont des esclaves (…) ». Makha Wul …. enchaîna immédiatement : « Oui, tu es Vulaani. Il paraît que vous ne nous aimez pas, nous les H’râtîn. Tu vas le payer aujourd’hui, sale Vullaani ».

Ses propos furent suivis par les premiers coups de cordes. Plus je criais, plus il s’acharnait sur mon corps. J’entendis Ghali lui dire : « Frappes à la nuque. Frappes à la nuque. Gassaramark Kowri ». J’avais tellement crié que je n’entendais plus ma voix qui était cassée. J’avais si mal que je ne ressentais plus mon corps endolori, et surtout ma nuque. Ils me jetèrent dehors dans la cour, en continuant à me frapper. Je continuais à crier. Des cris qui attirèrent l’attention de mes compagnons de prison. Certains étaient debout devant la fenêtre en train de regarder la scène. D’autres qui revenaient de la corvée passèrent devant moi, choqués par le spectacle dont je faisais l’objet. Pour dissuader d’autres intentions contestataires, je fus exposé donc torse nue, à genoux pendant près de 12 heures dans la cour. Je tremblais à cause de la douleur piquante qui s’était installée dans mon corps. Cette souffrance était aggravée par le vent froid et sec du mois janvier.

De temps en temps, pour me faire souffrir encore, on versait sur moi un saut d’eau froide qui me réveillait de ma torpeur. Les tortures avaient commencé vers 11h. Je fus exposé ainsi jusqu’au crépuscule. C’est grâce aux interventions du lieutenant Djibril YONGANE accompagné des deux autres lieutenants feu Abdoul Qhouddous BAH (mon cousin) et Abdarahmane DIA qui étaient des camarades de promotions de Ghali Wul SOUVY à l’Ecole inter armes d’Atar que je fus détaché et renvoyé dans la salle d’incarcération, auprès de mes camarades. Mon dos était lacérée et ma nuque enflée. L’infirmier Cheikh wul…. refusa de me soigner sous prétexte qu’il obéissait aux consignes du lieutenant Ghali Wul SOUVY. C’est grâce à des médicaments que Youba SAMBOU avait apportés avec lui en cachette que je réussis à bénéficier des premiers soins. Pendant trente-cinq jours, je ne pouvais coucher sur le dos. Je dormais à plat ventre.

Les lieutenants Dahi Wul MOHAMED et Ghaly Wul SOUVY, l’adjudant Wul BOWBALI tous de la Garde nationale répétaient souvent que nous n’avions droit à rien sauf aux tortures et à la mort. Souvent drogué, tortionnaire machiste, ce lieutenant-flingueur (car il aimait bien répéter qu’il allait nous flinguer tous) disait à qui voulait l’entendre : « (…) On vous a fait venir ici pour vous tuer. Vous ne retournerez jamais auprès de vos familles. Nous vous tuerons tous à petit feu, et nous ferons des rapports dans lesquels nous dirons que vous êtes morts de paludisme. C’est fini pour vous. C’est ma mission. Ordre du patron (…)».

Ibrahima Abou SALL

Ancien prisonnier politique de l’Ecole de police, des geôles de Nouakchott, de Waalata et d’Ayoun el Atrouss

Montpellier, le 25 juin 1994

Conférence nationale de la Section française d’Amnesty International. Montpellier

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