Monsieur Kane Ibrahima Amadou, ex-brigadier de la Garde nationale mauritanienne, ancien prisonnier au fort de Oualata, « rescapé du mouroir de Oualata » selon ses propres termes, a tenu à témoigner sur « 28.Com » des conditions d’incarcération, des tortures et mauvais traitements qui lui furent infligés ainsi qu’à à ses co-détenus par celui qu’il nomme le « génocidaire». L’ex brigadier se dit prêt à toute confrontation avec son ex gêolier. Le texte ci-dessous est une traduction d’un témoignage réalisé initialement en langue Pulaar.

Je m’appelle Kane Ibrahima Mamadou, ex brigadier de la Garde nationale, rescapé du mouroir de Oualata. J’appartiens à la première promotion des sous-officiers de la Garde nationale, corps que j’ai intégré le 1er octobre 1981.

Je remercie 28.com de l’occasion qui m’est offerte de livrer à mon tour mon témoignage à propos de l’ancien  lieutenant Ghali Ould Soufi.

J’ai connu le Lieutenant Ghali Ould Soufi au CIGN (Centre d’Instruction de la Garde Nationale) de Rosso où j’étais en poste. Lui-même venait d’être recruté pour intégrer l’EMIA (Ecole Militaire Interarmes d’Atar). Avant de rejoindre cette école, les recrues devaient obligatoirement suivre une formation de base de trois mois à Rosso.

Je me souviens d’une sortie effectuée à 70 km de Rosso. Nous avions organisé sur le chemin du retour un raid nocturne à 7km de la ville. C’est moi, en tant que commandant de de peloton, qui ai appris au lieutenant et à ses camarades élèves officiers ce qu’on appelle l’ «emplacement individuel».

J’ai retrouvé l’ex lieutenant devenu commandant à l’Etat-major de la Garde nationale. Par la suite, le 22 octobre 1987, après mon arrestation à la suite de la prétendue tentative de coup d’Etat, j’ai été conduit au camp militaire de Jreida, jugé puis condamné à 10 ans de prison et à une amende de 500 000 Ouguiyas. J’ai retrouvé Ghali Ould Soufi à la prison de Oualata. A l’époque, il était lieutenant deux galons. Je le revois encore muni de chaînes métalliques qui nous étaient destinées. Il a apporté ces chaînes, accompagné de l’adjudant Mohamed Ould Boubali, du brigadier Feth, du brigadier-chef Ould Habib.

Je connaissais bien Ould Feth pour avoir travaillé avec lui au B1 à l’Etat-major. Quant à Mohamed el Habib, nous étions tous deux encadreurs à Rosso. Quand j’ai compris que prisonniers à Oualata, nous devions être enchainés deux par deux et que je serai enchainé avec le Commissaire Ly Mamadou, j’ai supplié le lieutenant de m’enchainer plutôt avec un prisonnier de ma génération alors que le commissaire serait plutôt de celle de mon père. La promiscuité et l’atteinte évidente à l’intimité qu’elle créait me gênaient. La réponse du lieutenant Ghali Ould Soufi a été cinglante : « Je m’en fiche de vous. Vous êtes tous des hommes ». Le commissaire pourrait en témoigner.

Le lieutenant avait pour manie d’ouvrir systématiquement la porte de nos cellules tous les matins dans le seul but de nous insulter. « Je vous flingue » était sa formule favorite. Il la répétait tout le temps. Les détenus pourront tous en témoigner, qu’il s’agisse des anciens militaires ou des militants des FLAM. Il nous traitait d’impies, de koufars et ironisait : Vous n’imaginez quand même pas la Mauritanie gouvernée par un Noir.

Le lieutenant avait aussi pour habitude d’exhiber son pistolet en menaçant régulièrement de nous flinguer : si l’un d’entre vous s’aventure à me répondre, je le flingue, je le tue et je dirai dans mon rapport qu’il est mort de diarrhée.

Le scénario était toujours le même. Tous les jours, plusieurs fois par jour, on avait droit aux insultes, aux injures. Le lieutenant se souciait peu que certaines de ses victimes avaient appartenu à la même promotion que lui, que certaines autres étaient tellement plus âgées que lui. Ce comportement était peut-être dû à la conduite et aux travers connus de tous qu’il avait avant d’intégrer la Garde nationale.

Un traumatisme nous a tous marqués et les anciens prisonniers ne peuvent que s’en souvenir. Il s’agit des sévices infligés un jour au Professeur  Ibrahima Abou SALL. Le lieutenant Ghali Ould Soufi l’avait brutalement extrait de sa cellule et attaché dans la cour de la prison par 45 voire 50 degrés. Attaché et sauvagement torturé, Nous avons tous été sous le choc de l’horrible mise en scène.

L’ex Commandant Ghali Ould Soufi s’est par ailleurs rendu coupable de crimes contre l’humanité, de traitements inhumains et dégradants sur des populations entières de la Vallée comme le fait de regrouper des personnes de tous âges et de tous sexes et de les mettre à nu avant de les soumettre à des humiliations inqualifiables. Tous ces faits et comportements sont documentés avec précision. Les habitants de la Vallée ont gardé de Ghali Ould Soufi le souvenir d’un criminel, d’un tortionnaire pervers capable de tout. Il sait ce qu’il a fait et les gens de la Vallée le savent encore plus. Un homme sans foi ni loi ; Les circonstances de  sa révocation de la Garde nationale le prouvent.

Ce ne sont pas les soutiens et les alibis factices qui sauveront le tortionnaire Ghali Ould Soufi. Le « flingueur » n’imaginait pas qu’un jour, il serait confronté à ses agissements. Qu’il comprenne une fois pour toutes que lui-même et les autres tortionnaires de son espèce ne pourront plus jamais dormir tranquilles .Ils n’échapperont pas à la CPI. Les témoins survivants y veilleront. Ceux qui ont subi le calvaire de Oualata, militaires, civils, militants des FLAM n’ont pas oublié et n’oublieront jamais.

En ce qui me concerne, je défie Ghali Ould Soufi de nier les faits. Je suis prêt à une confrontation avec lui à sa convenance, sous la forme qu’il souhaite, à la radio, à la télé. Faits contre faits. Preuves à l’appui. Je suis sûr que ses autres victimes rescapées vivant en Amérique, en Europe et ailleurs y sont également disposées.

Kane Ibrahima Amadou, ex-brigadier de la Garde nationale mauritanienne,  rescapé du mouroir de Oualata

le 7 mars 2020


Note de Flam-mauritanie.org

Après avoir piteusement nié les faits, l’ancien tortionnaire fait mine de regretter et a présenté des excuses aussi peu sincères que cyniques à Ibrahima SALL.

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