II était 22 heures ou 23 heures ce 22 mars 1988. La nuit était calme. Les détenus restés dans la salle, malgré la fatigue et le sommeil ne purent dormir. Ils étaient angoisses et se posaient mille et une questions sur le sort de leurs 22 camarades quand, soudain, plusieurs cris de douleurs, tels un coup de tonnerre dans un ciel Serein, vinrent oppresser ce calme et cette tranquillité nocturnes. Ces cris dont 1’echo était amplifié par la nuit devenaient de plus en plus forts. Ils émanaient de plusieurs personnes et semblaient provenir du côté Est du fort. II n’y avait pas de doute possible : nos 22 camarades étaient soumis à une véritable séance de torture en guise de punition pour leurs cadenas cassés.

II était 16 heures ou 17 heures ce 22 mars 1988 quand, à l’intérieur de notre dortoir, Sy Alassane dit « Galess », l’un des détenus de droit commun eut une altercation avec un autre détenu. Incident anodin qui aurait pu être circonscrit dans notre dortoir, mais qui, du fait de la fougue et de la turbulence de « Galess », fut porte à la connaissance des geôliers. « Galess » fut convoqué pour  explications. Hors de lui, encore sous l’effet de la colère, « Galess » ne s’était pas rendu compte que son cadenas cassé n’était pas dissimulé par les chiffons enroulés sur !es anneaux de sa chaine. D’emblée, les geôliers s’aperçurent de l’anomalie de son cadenas. Vérification faite, ils se rendirent compte que le cadenas était bien fracturé. Pris à défaut, se sachant exposé à une sanction  sévère qu’il ne voulut sans doute pas subir seul, «Galess», qui savait qu’il n’était pas seul dans son cas, fit comprendre aux geôliers que dans la salle il y en avait d’autres dont les cadenas étaient cassés. II n’en fallait pas plus pour nos geôliers qui se contentaient de beaucoup moins que ça pour le faire – pour  procéder à une fouille systématique de tous les détenus. L’altercation de « Galess » avec un détenu devint une goutte d’eau dans un océan. Elle fut oubliée par les geôliers. L’alerte fut donnée, et tous les gardes mobilisés. Un par un, tous les détenus furent soumis à une inspection systématique de leurs chaines. Au crépuscule de cette journée du 22 mars 1988, cette opération inspection des chaines aux pieds révéla  22 éléments qui avaient le cadenas de leur chaîne cassé.

Ces 22 camarades furent aussitôt mis en quarantaine. Tandis que ceux qui étaient restés dans la salle étaient dépossédés de tout : Effets (pots, sacs, bouteilles, etc.) confisqués, lampe à pétrole supprimée, les quelques lucarnes de la salle hermétiquement bouchées avec des pierres et du banco. De jour comme de nuit, nous étions dans une obscurité presque totale. C’est dans ces conditions que nous parvinrent, dans la nuit du 22 mars 1988, les cris de nos 22  camarades que les geôliers torturaient a cœur joie, en plein air, au milieu de la nuit.

Ils  étaient tous torse-nu, couchés à plat ventre à même le sol caillouteux, les mains et les pieds suffisamment écartés. Alors, tels  des charognards autour d’un cadavre, cinq geôliers traitaient le  détenu dont chaque membre était plaqué au sol par un geôlier- tortionnaire. Le cinquième, muni d’un fil électrique ou d’un ceinturon, battait a cœur joie le détenu. Et quand il était fatigué de le rouer de coups, l’un des quatre tortionnaires qui maintenait le détenu cloué au sol, prenait le relais. Quand ce n’était pas une grosse pierre qu’ils posaient sur le dos du détenu, le temps qu’ils récupèrent leurs forces. Le détenu restait inerte, affaibli, abîmé. II n’était plus qu’une loque humaine. Pleurer, crier, gémir, extérioriser sa

douleur, il n’en avait plus la force tant il était abîmé. Peut-être que la douleur physique peut atteindre une telle intensité qu’elle devient indolore et la souffrance, un tel degré qu’elle devient insensible ? La plupart des 22 éléments furent torturés de cette manière. Le résultat de ces tortures atroces fut de grosses plaies au dos, qui mirent plusieurs mois à se cicatriser. Ces plaies ont laissé des marques indélébiles, visibles aujourd’hui encore sur le dos de plusieurs éléments parmi ces 22 détenus. Nos 22 compagnons, à l’issue de l’œuvre sordide des tortionnaires, étaient plus proches de la mort que de la vie. Mais malgré leur  état, ils furent entassés dans un local qui pouvait à peine contenir dix personnes et qui était hermétiquement clos. Sous l’effet des tortures, ils étaient tous méconnaissables. Se tenaient à peine debout. Et quand ils se déplaçaient, ils boitaient. Certains s’aidaient d’un bâton comme béquille. Ils furent maintenus en quarantaine dans cet état pendant un mois avant de nous rejoindre dans le dortoir.

Dans cette période de fin du mois de mars 1988, probablement au moment même où nos 22 camarades étaient soumis à d’atroces tortures, des rumeurs folles étaient largement répandues dans toutes les grandes villes du Sud de la Mauritanie à prédominante negro-africaine. Qu’elles furent véhiculées et entretenues par des Negro- Africains ne réduit en rien l’invraisemblance de ces rumeurs. En effet, parlant des détenus de Oualata, plusieurs personnes racontaient avoir vu certains d’entre eux à Dakar, avoir entendu que d’autres étaient au Maroc. Certains affirmaient même avoir aidé des détenus à traverser le fleuve pour se rendre au Sénégal. Le comble est que ceux qui véhiculaient de telles rumeurs connaissaient les détenus dont ils parlaient avec un tel flot de détails et de précision qu’ils parvenaient à semer le doute chez leurs interlocuteurs qui se trouvaient être le plus souvent des parents ou proches des détenus. Ceux-ci, sans croire à ces affirmations pour le moins invraisemblables et qu’ils ne pouvaient vérifier, nourrissaient l’espoir qu’elles fussent vraies. D’autant plus qu’elles émanaient des gens qu’ils connaissaient et qui, de leur point de vue, étaient incapables de leur mentir. La période ou de telles rumeurs étaient savamment orchestrées et entretenues, très probablement par les services de renseignements, correspondait à celle où, à Oualata, nos 22 camarades à la suite des tortures de la nuit du 22 mars 1988, étaient plus proches du trépas que de la vie. La propagation de ces rumeurs pourrait avoir été le prélude à une décision du pouvoir de « tuer à petit feu » les détenus. Décision que la pression Internationale empêcha de se concrétiser Auquel cas, il se serait alors agi pour le pouvoir de préparer 1’opinion publique pour faire accréditer I ‘idée de l’évasion des détenus au moment même ou ceux-ci seraient « tués à petit feu ».

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Liste des 22 détenus torturés s dans la nuit du 22 mars 1988    

1 Ibrahima Abou Sail

  2 Diacko Abdoul Kerim  

 3 Barro Moussa Gomel 

4 Diallo Abou Bakri  

 5 Kane Abdoul Aziz   

6 Sy Alassane (dit Galess), detenu de droit commun  

 7 Fara Ba   

8 Dia Amadou Tidjane   

9 Sy mamadou Oumar (dit Saghirou)

  10 Abdoulaye Sarr  

 11 Idrissa Ba   

12 Sambou Youba

  13 Kane Harouna

  14 Kane Sa’idou, n° 1  

 15 N’diaye Ibrahima, détenu de droit commun   

16 Diop Abdoulaye  

 17 Ba Ibrahima Khassoum   

18 Ba Moussa  

 19 Baba Sy   

20 N’Baye N’diaye Fall  

 21 Djiby Doua  

 22 Dia El Hadj

Extrait de «  j’étais à Walata » de BOYE Alassane Harouna

Pages 121 à 123

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