L’ancien secrétaire général des Nations unies de 1997 à 2006 s’est éteint le week-end dernier. Paris Match a recueilli les souvenirs de son entourage.

«Il est parti en paix, avec un petit sourire sur le visage.» Lundi dernier, Nane Annan est à la fondation de son mari, Kofi Annan, décédé deux jours plus tôt. Elle a passé le week-end entourée d’amis et de membres de la famille, mais elle veut dire un mot à tous ceux qui, jusqu’à la fin, ont œuvré à ses côtés. Chacun raconte un souvenir. Un participant plaisante : «On parlait tout bas, pour respecter la dignité du boss.»

Fred Eckhard, qui a travaillé avec lui pendant plus de huit ans en tant que porte-parole des Nations unies, nous confie : «Un jour, Kofi fait monter quelques journalistes dans sa suite pour prendre l’apéritif. Je m’occupe de servir les petits-fours. Alors Kofi lâche en me regardant : “Je l’entraîne à son prochain job.”» Et tout le monde rigole. C’était Kofi Annan. Aucune méchanceté dans cette plaisanterie, qui vise à détendre l’atmosphère. «Il était tout sauf arrogant, se souvient Eckhard. Quand je l’ai rencontré pour la première fois, je l’ai trouvé à la fois indéchiffrable, réservé et à l’écoute. Il m’a posé plein de questions sur ma vie qui m’ont mis à l’aise.» Kofi Annan savait se souvenir des prénoms des enfants et épouses de ses collaborateurs, ou donner un coup de fil réconfortant en cas de drame familial. Son sang-froid et sa classe patricienne étaient légendaires. «Il n’a pas sauté de joie quand je lui ai annoncé qu’il avait le prix Nobel de la paix, poursuit l’ancien porte-parole. Ce n’était pas son genre. Il était 4 heures du matin, j’étais à sa résidence officielle, devant laquelle 25 journalistes attendaient. Quand le verdict est tombé, j’ai vu sur son visage flotter un léger rictus, ce qui déjà voulait dire beaucoup !»

Parfois qualifié de «pape laïc» par ses nombreux admirateurs, Kofi Annan est peut-être la dernière star à avoir dirigé les Nations unies. Né il y a quatre-vingts ans dans une tribu aristocratique du Ghana, Kofi Annan est arrivé aux Etats-Unis grâce à une bourse de la fondation Ford, qui a financé une partie de ses études d’économie et de relations internationales. Ses diplômes en poche, il entre à l’Onu en 1962 et gravit les échelons jusqu’à prendre la tête du département des opérations de maintien de la paix. Il va s’illustrer en donnant son feu vert au bombardement par l’Otan, en août 1995, des positions de l’armée serbe de Bosnie, une opération qui rendra possibles les accords de paix de Dayton. Les Américains applaudissent et voient en lui un successeur idéal à Boutros Boutros-Ghali, qu’ils n’aiment pas. Kofi est ainsi le premier Noir africain à accéder au poste suprême, le 1er janvier 1997. Le racisme, il connaît, confie-t-il l’année suivante à Match. «Avant que je devienne secrétaire général, malgré mes responsabilités, il m’est fréquemment arrivé d’entrer dans une pièce et de voir la surprise dans le regard des autres, car ils ne s’attendaient pas à ce qu’un Africain ait cette position.»

Avec Nane, sa seconde épouse, blonde artiste suédoise et avocate, il forme un couple atypique et solaire. «Nous avons une chance folle de nous être rencontrés», a-t-il dit à Match. Sa stature morale et son sens de la négociation font sensation sur la scène internationale. En 1998, il rencontre Saddam Hussein, au grand dam des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, qui menacent –déjà– l’Irak. Bill Clinton et Tony Blair accusent le dictateur de cacher des armes chimiques. A contrecœur, ils laissent Kofi Annan partir à Bagdad. La médiation avec Saddam se solde par un succès : le président irakien s’oppose d’abord à l’entrée des inspecteurs de l’Onu dans ses palais où l’on suspecte que les armes chimiques sont stockées («ces palais sont mes maisons», dit-il alors), mais accepte le compromis que lui propose Kofi, qui lui offre des garanties pour être le «moins intrusif possible». Magie de la diplomatie… Le spectre du conflit est écarté. Il reviendra pour de bon en 2003, après les attentats contre le World Trade Center. Kofi Annan s’élève contre la «guerre illégale» de George W. Bush, avec lequel il s’entend pourtant bien. Il est rejoint dans son effort par son ami Jacques Chirac. Les deux hommes ont de nombreuses affinités, à commencer par l’intérêt que porte le président français à l’Afrique, dont il connaît quasiment tous les leaders.

Avec sa fondation humanitaire, il avait conservé un « emploi du temps de ministre »

Certes, Kofi Annan a aussi eu son lot de détracteurs. Les massacres au Rwanda se sont produits alors qu’il dirigeait le département des opérations de maintien de la paix. Beaucoup lui ont reproché sa passivité et il s’en est excusé en 1999, après la diffusion d’un rapport accablant. Surtout, la fin de son mandat de secrétaire général est entachée par le scandale «pétrole contre nourriture» qui concerne son fils et l’affecte personnellement, même s’il est innocenté par une commission d’enquête. Quand, le 31 décembre 2006, il quitte pour la dernière fois son bureau au 38e étage de la célèbre tour qui abrite le siège des Nations unies, au bord de l’East River à New York, il laisse à son successeur une institution changée et provisoirement sauvée. Son prix Nobel, reçu en 2001, l’a aidé à la défendre contre les Etats-Unis, son principal bailleur de fonds, qui, sous George W. Bush, menacent de lui couper les vivres. «Son grand mérite, estime Stéphane Dujarric, son dernier porte-parole, est d’avoir amené l’Onu dans le XXIe siècle, en l’ouvrant à toutes les forces vives du monde (ONG et entreprises), au-delà des Etats membres. C’était très nouveau à l’époque. Je l’ai vu en 2001, au plus fort de la bataille contre le sida, quand Act Up et d’autres associations accusaient les entreprises pharmaceutiques de vendre leurs médicaments anti-HIV trop cher. Kofi Annan a organisé une médiation dans la plus grande discrétion et les laboratoires, qui commençaient à avoir un problème d’image, ont fini par bouger. Il aurait pu convoquer la presse, mais non, il a préféré servir de pont entre les deux parties, et c’est assez typique de sa méthode.»

Une fois à la retraite, Kofi Annan s’installe à Genève, que sa femme apprécie d’autant plus que sa fille vit à Lausanne. La ville suisse, qui abrite le second siège des Nations unies, présente aussi l’avantage d’être bien reliée à New York et au Ghana, où il va passer quelques mois par an jusqu’à la fin de sa vie, pour retrouver sa famille. L’ex-secrétaire général crée alors sa fondation humanitaire et continue à avoir un «emploi du temps de ministre», témoigne Bijan Farnoudi, le directeur de la communication de l’organisation. «Jusqu’à la fin, poursuit-il, il a sillonné la planète pour délivrer un message de paix. En avril, il est allé en Californie à l’université Stanford puis au siège de Facebook, où il a rencontré Mark Zuckerberg avant de dîner chez lui. La conversation a porté sur les élections à l’heure du numérique. Jusqu’à début août, il semblait fatigué mais en forme.» Sa mort a pris tout le monde par surprise. Le 18 avril, à l’occasion de ses 80 ans, qu’il a célébrés dix jours plus tôt, Kofi Annan a donné sa dernière grande interview télévisuelle à la BBC. Eternel optimiste, il n’a pas caché ses inquiétudes sur la marche du monde actuel, notamment «au Moyen-Orient, dans certaines parties d’Afrique et d’Asie». Le problème, a-t-il estimé, tient essentiellement aux dirigeants. Interrogé sur Donald Trump, il a répondu que le monde n’avait pas besoin de «leaders machos» qui lancent des «menaces de guerre à la télé ou sur Twitter», mais de calme et de sang-froid. Conseil de vieux sage africain…

Source : Paris Match

le 22 aout 2018

Olivier O’Mahony

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