« Avec la disparition de Louis Hunkanrin, le Dahomey pleure un de ses meilleurs fils qui, par son courage, son cran inégalable, sa ténacité, sa culture immense et sa capacité inouïe de travail, demeurera la fierté du pays, sa gloire, son héros.» Salomon Biokou.

Au début des années 1970, un établissement d’enseignement secondaire portant le nom de Louis Hunkanrin a été ouvert à Porto-Novo. Il était situé en face de l’actuel château d’eau du quartier Ayimlonfidé. L’ouverture de ce cours secondaire a été effectuée sans aucune manifestation particulière, et dans la ville qui portait avec une fierté légitime, à cette époque, son titre de Centre intellectuel du Dahomey, le Cours Louis Hunkanrin était un parmi tant d’autres. Et pourtant, ce nom était chargé de symboles pour des générations de Dahoméens.

Le Cours Louis Hunkanrin a disparu depuis des lustres de la carte scolaire de la République du Bénin. Et, dans son Porto-Novo natal, aucune place, aucune rue, ne rappelle le souvenir de cet intrépide héros de la lutte pour l’émancipation, non seulement de son pays, mais aussi des peuples noirs.
Intrépide, Louis Hunkanrin l’a été toute sa vie. Héros aussi. Son engagement sans concession pour la défense des droits de ses compatriotes en ces années de domination coloniale rude lui fait mériter ce titre. «Le lion est mort » est le titre de l’éditorial que l’hebdomadaire l’Aube Nouvelle lui consacre dans son édition du 4 juin 1964, pour annoncer son décès survenu le 28 mai.

Louis Hunkanrin est né le 25 novembre 1886 à Porto-Novo. La ville était sous protectorat français, un parapluie sous lequel le roi Toffa 1er avait jugé nécessaire de se mettre pour échapper aux visées expansionnistes de son cousin d’Abomey. En 1894, la colonisation de ce qui sera le territoire français du Dahomey commence avec la défaite du roi Béhanzin. Louis Hunkanrin est dans sa huitième année ; il va donc grandir dans un environnement marqué par les diverses mesures qu’édicte le colonialisme triomphant pour pérenniser sa domination.
Le jeune Louis commence ses études primaires à l’école des missionnaires catholiques, les premières à être ouvertes dans la colonie. Il les achève à la toute nouvelle école laïque d’où il sort major de sa promotion en 1905. Le brillant écolier de Porto-Novo fait partie de la première promotion de l’école normale de Saint-Louis au Sénégal (ex-école des « otages ») où sont formés les instituteurs indigènes. A sa sortie, Louis est nommé à l’école de Ouidah. Très vite, il s’engage dans l’action militante.

Condamné, emprisonné, révoqué

A peine arrivé à son poste, le jeune instituteur se met au service de ses concitoyens pour les défendre contre les divers abus de l’administration coloniale. Pour bien mener la lutte, il crée au Dahomey, la première section de la Ligue des Droits de l’Homme.
La répression s’abat sur Louis Hunkanrin en 1910. Il est pour la première fois condamné, emprisonné et enfin révoqué. C’est le début d’une véritable guerre, à plusieurs épisodes et sur plusieurs fronts entre lui et les différents administrateurs de la colonie.
Le jeune instituteur est contraint de quitter le Dahomey au cours des années 1913-1914 ; il part à Dakar où il devient l’un des rédacteurs du journal « La Démocratie du Sénégal » dont le directeur est Blaise Diagne. Les campagnes menées par le journal aboutissent au succès de son directeur aux élections législatives de 1914, en tant que premier représentant d l’Afrique noire à l’Assemblée nationale française.

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Revenu au Dahomey, Louis Hunkanrin est l’objet de nouvelles poursuites. Il doit se réfugier dans la clandestinité. En effet, pendant son absence, de nombreuses condamnations par contumace ont été prononcées contre lui, à l’instigation du gouverneur Noufflard demeuré célèbre pour son caractère vindicatif. Mais les campagnes de Louis Hunkanrin vont aboutir à la révocation du gouverneur dont les agissements avaient passé les bornes.
Le remplaçant de Noufflard, le gouverneur Fourn, maintient le mandat d’arrêt contre Louis Hunkanrin qui reste dans la clandestinité de 1914 à 1918. A cette période, Blaise Diagne, avec le titre de « commissaire de la République dans l’Ouest africain » et rang de gouverneur général, arrive au Dahomey dans le cadre d’une mission pour l’intensification du recrutement des tirailleurs pour contribuer à la défense de la « mère patrie. ».

Le député Blaise Diagne joue de son influence et arrive à faire lever tous les mandats d’arrêt contre l’ancien rédacteur de son journal à Dakar. Louis Hunkanrin lui apporte un précieux concours pour réussir sa mission ; lui-même fait partie des 120 soldats qui vont rejoindre le 90e bataillon de tirailleurs sénégalais à Rufisque. C’est sur le front d’Orient que le tirailleur Louis Hunkanrin est affecté. A la fin de la guerre, il va prendre ses distances vis-à-vis de Blaise Diagne quand il découvre que ce dernier va se servir de lui pour assouvir ses ambitions politiques, en lui imposant des démarches aux antipodes de ses convictions. Entre autres, il était question de le réconcilier avec Noufflard dont Blaise Diagne était pour la réhabilitation.
Brouillé avec Diagne, Louis Hunkanrin s’engage dans une activité dont il va devenir quelques années plus tard, la figure emblématique. Il s’agit du journalisme.
En effet, Hunkanrin fonde à Paris « Le Messager dahoméen » dont la direction politique est confiée à un avocat à la Cour d’Appel de Paris, M. Max Clainville- Bloncourt. Il s’y livre à des dénonciations au vitriol des abus et incohérences de la politique colonialiste.

Le séjour en France de Louis Hunkanrin prend fin en 1922. Il retourne au Dahomey où entre-temps un ami avocat avait obtenu du ministère des Colonies, l’annulation des 50 ans de prison et 75 ans d’interdiction de séjour prononcés contre lui. De telles condamnations devraient refroidir pour de bon, l’ardeur de tout militant, ayant connu les conditions de vie de la clandestinité, et de l’exil forcé en ces temps du colonialisme triomphant. Mais, il en fallait plus pour décourager le jeune homme de 26 ans. Dès son retour, il reprend la tête de l’organisation qu’il avait mise sur pied en 1914 dans le cadre de la campagne du recrutement des tirailleurs. Mais l’administration coloniale est aux aguets. Et ce qui est rentré dans l’histoire sous l’appellation « incidents de Porto-Novo de février 1923 » va lui donner l’occasion de frapper encore durement Louis Hunkanrin.

Dix ans de déportation en Mauritanie

Le 17 février 1923, des notables de Porto-Novo publient une pétition contre l’établissement de nouveaux impôts (droits de marché) et l’abus du travail forcé. En réaction, le gouverneur déploie des forces de répression sans aucune commune mesure avec la protestation des populations.
Louis Hunkanrin, déjà dans le collimateur de l’administration depuis son retour, est arrêté parmi « les meneurs » indexés. Avec le prince Sonigbé Mikpon, il est déporté en Mauritanie. C’est le début de dix ans d’internement à Tichit, en plein désert. Malgré les conditions extrêmement pénibles de son incarcération, il ne baisse pas les bras. Il va même jusqu’à prendre la défense des populations locales dont il découvre certains aspects de la vie socioculturelle qu’exploitent les Colons pour mieux asseoir leur domination. C’est ce qui l’amène à rédiger « L’esclavage en Mauritanie », étude qui eut un écho considérable.

En septembre 1933, au terme des dix années passées dans le désert mauritanien, Hunkanrin est libéré et autorisé à retourner à Porto-Novo. Dans l’espoir de le « retourner », le gouverneur général le réintègre dans l’administration ; il est affecté au bureau des affaires politiques pour étudier les coutumes locales, dans le cadre du grand travail de rédaction des coutumes de l’Afrique occidentale française (Aof). Mais le nouvel employé de l’administration a une perception particulière de sa mission : il reçoit et écoute les plaintes de ses compatriotes. Les rapports qu’il rédige ne plaisent pas et il est licencié.
En réalité, dès son retour, Louis Hunkanrin a repris son activité journalistique, mais en cachette, étant donné ses fonctions officielles. Pendant sa déportation en Mauritanie, les journaux se sont multipliés, leurs promoteurs ont su mettre à profit une décision du procureur de la République en fonction à Porto-Novo en 1923 qui a autorisé la publication de feuilles sous gérance responsable de « sujets » français. Cette brèche a permis aux « lettrés » dont le pourcentage était assez élevé dans les villes comme Porto-Novo, Cotonou, Ouidah, Abomey de s’engager dans l’édition de journaux.

A cette époque, pas moins d’une demi-douzaine de titres paraissent régulièrement. Il s’agit notamment de « Le Phare du Dahomey » de Augustin Nicoué, « Le courrier du Golfe du Bénin » de Blaise Kuassi (qui sera le gendre de Hunkanrin), « La Voix du Dahomey », « L’Etoile du Dahomey », « La Presse portonovienne).

Louis Hunkanrin va collaborer activement à la Voix du Dahomey et au  »Courrier du Golfe » du Bénin. Le procès intenté à la  »Voix du Dahomey » du 29 janvier au 9 avril 1936 par l’administration coloniale le mettra encore une fois sur le devant de la scène. Tout est parti de la publication, en septembre 1934, d’un entrefilet dénonçant un cas de corruption d’un haut fonctionnaire. L’affaire met l’administration en émoi, les locaux du journal et le domicile du gérant sont perquisitionnés. Les admirateurs du journal dont Hunkanrin, sont arrêtés.

A l’issue du procès, 28 condamnations à amende sont prononcées pour « constitution illégale d’association  » deux pour « vol et recel de documents » et dix pour  » atteinte au respect dû à l’autorité française ».
Parmi les condamnés figure Louis Hunkanrin qui est frappé de 100 francs d’amende. Mais, au cours du procès, le contact établi par un administrateur français avec Hunkanrin va jeter la suspicion sur ce dernier. Face à cette situation, Louis Hunkanrin va se retirer de l’arène politique, meurtri dans sa dignité de patriote qui n’a jamais accepté de faire des concessions à l’adversaire colonialiste. Les documents relatifs à cette période prouveront plus tard qu’il a été l’objet d’une opération de déstabilisation dans l’opinion publique.

Dans la résistance française

Mais de nouvelles épreuves attendent encore l’ex-interné du désert mauritanien. Après la défaite de la France en 1940 face à l’armée de l’Allemagne hitlérienne, c’est le vichysme qui triomphe en Afrique occidentale française. Louis Hunkanrin prend partie sans hésiter pour la résistance incarnée par le général de Gaulle. Voici comment il raconte dans  »L’Eclair » n°8 de décembre 1947 son implication dans la résistance française: «Ma maison de Davié (banlieue de Porto-Novo) étant sur la route du Nigeria anglais, les fonctionnaires, administrateurs ou commis, les commerçants et les marins, patriotes partisans de la continuation de la lutte contre l’Allemagne et ses alliés, s’y cachaient pour se déguiser avant de rejoindre la France libre à Lagos… En route, j’étais chargé à Porto-Novo et dans les autres villes du Bas- Dahomey, de diffuser les tracts édités par les Forces françaises libres que nous rapportaient de Lagos, les pirogues de notre formation».
Cet engagement va conduire Louis Hunkanrin devant le juge d’instruction militaire à Dakar, le 11 septembre 1941. Il est condamné à huit années de réclusion et relégué au camp pénal de Tougan (Soudan). A la fin de la guerre, il ne recouvre malheureusement pas la liberté. L’administration coloniale tenait à ce qu’il reste « hors circuit » pendant la période des consultations électorales de 1945-1946.

C’est finalement le 25 septembre 1947 que le procureur de la République de Bamako décide sa levée d’écrou. Il est remis en liberté le 1er novembre; mais un arrêt du 2 novembre lui inflige dix années d’interdiction de séjour dans tous les territoires de l’Aof. Au Dahomey, un « Comité de défense de Louis Hunkanrin » est créé. Il exige sa réhabilitation. Le député du Dahomey, Sourou Migan Apithy fait appel au Secours populaire de France pour engager une campagne en ce sens auprès du ministère des Colonies.
Après de longs mois d’actions le député Apithy réussit à faire fléchir l’administration coloniale. Louis Hunkanrin est enfin autorisé à regagner sa terre natale. Il fonde un nouveau journal,  »Le Trait d’Union », pour poursuivre ses campagnes de dénonciation de l’arbitraire et des abus. Quand intervint l’indépendance le 1er août 1960, on ne retrouve pas l’irréductible combattant parmi ceux qui se bousculent aux portes du pouvoir. Il avait sûrement conscience que d’autres combats l’attendaient dans le nouvel Etat indépendant. Il s’est éteint le 28 mai 1964. Il avait 77 ans?

Ouvrage de référence

 »La vie et l’œuvre de Louis Hunkanrin » de Guy L. Hazoumè ; Jean Suret- Canale ; A.I.Asiwaju; Mathias Oké et Guillaume da Silva. Librairie Renaissance ; Cotonou-1977

Par Noël ALLAGBADA (Coll. ext.)

Source : lanationbenin.info

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