En avril 1989, un incident frontalier opposant des éleveurs peuls mauritaniens à des agriculteurs soninké sénégalais dégénère en violences intercommunautaires meurtrières conduisant les gouvernements sénégalais et mauritanien à procéder brutalement au rapatriement de leurs ressortissants respectifs ; le gouvernement mauritanien procède dans ce contexte à l’expulsion vers le Sénégal et le Mali de 120.000 mauritaniens noirs majoritairement Halpulaaren.

Si les causes profondes de ces violences s’inscrivent dans l’histoire à long terme entre les deux pays et une conjoncture particulière liée à la crise sénégalo-mauritanienne, elles ont également été en partie le produit d’une radicalisation des rapports sociaux, opposant des élites partisanes d’une arabisation du pays à celles défendant une revalorisation des cultures « négro-africaines », sur fond d’enjeux politiques (le contrôle de l’appareil étatique) et fonciers (le contrôle des terres pastorales et agricoles du sud mauritanien). De fait, une mainmise sur le Sud du pays s’opéra via une redistribution de terres spoliées et la destruction ou la réoccupation de nombreux villages et hameaux par des Maures Beydanes ou des Harratines, ces derniers ayant été le fer de lance du mouvement de spoliation des terres.

La première tentative de rapatriement en 1995, qui appuya des retours déjà entamés de facto par les populations elles-mêmes dans le cadre de stratégies de survie, fut juridiquement un échec de par le refus politique de reconnaître aux réfugiés leur citoyenneté et de résoudre les enjeux fonciers, politiques et identitaires sous-jacents à leur expulsion. L’organisation d’un retour officiel des réfugiés ressurgit à l’occasion de la transition démocratique de 2005, l’Union européenne, inscrit « la facilitation du retour des réfugiés dont la nationalité mauritanienne est établie et la prise des mesures nécessaires pour leur réintégration dans leurs droits(1) » en tant que condition sine qua non d’une reprise de la coopération.

La résolution de la question du rapatriement, au cœur des débats de la présidentielle de mars 2007, s’est traduite très rapidement par la signature, le 12 novembre 2007, d’un accord tripartite Sénégal- Mauritanie-HCR(2) jetant les bases juridiques du retour(3) et la mise en œuvre d’un programme de rapatriement. Si le gouvernement multiplia les gestes en faveur des rapatriés (nomination symbolique d’un Haalpulaar à la tête de l’Agence Nationale d’Appui et d’Insertion des Réfugiés, reprise du rapatriement dès octobre 2007, distributions médiatisées de kits alimentaires et de cartes d’identité) ces actions n’ont, en pratique, concerné qu’un nombre relativement limité de personnes.

La restitution de terres aux rapatriés évoquée lors des Journées nationales de concertation de novembre 2007 – dont les recommandations indiquent qu’elle devait être opérée «dans la mesure du possible» et qu’à défaut des parcelles équivalentes devront être attribuées – est depuis assez peu abordée de par sa sensibilité politique. Par ailleurs cette question présente le risque de réactiver une rhétorique d’autochtonie cristallisée sur la race dans un contexte ou de multiples divisions scindent les communautés à l’échelle locale.

 

Dans le village d’Houdallaye par exemple, des Peuls se sont établis en 1993, qui n’avaient pas été expulsés en 1989 mais spoliés de tous leurs biens et contraints de se déplacer de 30 km. Constitués d’une vingtaine de concessions, ils virent, en 2008, s’installer sur leurs terres de culture plus de 100 familles qui refusèrent de se soumettre à leur autorité. Houdallaye se présente désormais comme un village à deux têtes avec d’un côté, le chef des Peuls déplacés en 1989, et de l’autre, le chef des rapatriés en 2008. Le premier évoque la situation avec rancune : «Voilà plus de dix ans que nous demandons de l’eau, juste un puits mais on n’a rien reçu, c’est nous ici qui souffrons le plus. Eux ont tout eu au Sénégal, et maintenant c’est encore à eux que l’on distribue de l’aide et c’est eux qu’on installe sur nos champs. »

Le rapatriement et la résolution du passif humanitaire ont eu, enfin, pour conséquence la démultiplication d’organisations agissant au nom des « victimes » des exactions de 1989-1993: le Covire (Collectif des victimes de la répression) regroupe des associations de veuves, d’orphelins, et de militaires rescapés, le Reve (Regroupement des Victimes des Evènements de 89/91) se présente comme un regroupement de toutes les victimes de 1989, mais est formé de fonctionnaires rentrés lors de la première vague de 1995, ou encore le Copeco/89 rim qui regroupe les opérateurs «économiques» victimes des événements de 1989. Ces collectifs, une trentaine, sont regroupés au sein de la Fondah (Forum des organisations nationales des droits de l’homme en Mauritanie) et défendent les intérêts et les revendications de certaines victimes (cadres civils ou militaires), sans toujours représenter ceux de la majorité (les éleveurs et agriculteurs).

 

* L’expression ici se réfère moins à l’ensemble des persécutions de la période 1986-1993 qu’aux exactions des années 1989-1993.

1. Council of the European Union. Council Decision concerning the conclusion of consultations with the 14 Islamic Republic of Mauritania under Article 96 of the Cotonou Agreement, 2006

2.Les Mauritaniens réfugiés au Mali ne seront pas pris en compte dans le plan de rapatriement de par leur faible représentativité politique et visibilité médiatique.

3. En 1989, 64 000 réfugiés étaient recensés par le HCR au Sénégal. Depuis lors, aucun recensement global n’a été effectué et les estimations varient entre 40 000 et 20 000 réfugiés. Le nombre de personnes rapatriées en Mauritanie en 2008 (7000) reste relativement faible par rapport au nombre total de réfugiés mauritaniens

 

Source: Advisory Services to Support Food Security Agenda (SUFSA)

« Etat des lieux de la question foncière en Mauritanie »

Mars 2014
Lettre de marché numéro
2013/323403-Version 1

 

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