Le retour du refoulé ? par Tijane Bal

Détonateur ou amplificateur ? L’ethnicisation croissante, durant la période récente, du débat public sénégalais est indéniable. D’aucuns pensent que l’élection de Macky Sall y a, dans une large mesure, contribué.

Inhabituel et alarmant

Avec talent, le Président Senghor avait installé l’idée que son pays était la patrie du Jom (dignité) , de la Kersa (pudeur) et de la teranga (sociabilité). La Teranga peut également s’entendre de l’hospitalité ou du vivre ensemble. Le triptyque tenait lieu de devise officieuse à côté de la très officielle « Un peuple, Un but, Une foi ». Le message fédérateur, en filigrane de toutes ces expressions, est aujourd’hui entamé. Pas au point d’attenter à la cohésion du pays. Lequel peut encore se prévaloir d’être un modèle pour le continent. Et ce d’autant plus que l’irrédentisme casamançais semble en veilleuse. Des lecteurs sénégalais sourcilleux pourraient d’ailleurs objecter au signataire de ces lignes qu’ils n’ont pas à recevoir de leçons de cohabitation venant de ce côté-ci du fleuve. N’empêche.

Procès en légitimité

Tout se passe comme si, le temps d’une élection, Macky Sall, malgré une trajectoire politique très conventionnelle, s’était mué, d’homme du sérail, en porte étendard sectaire de son ethnie.

Au lendemain de la présidentielle de 2012, le Sénégal a son premier président « pulaar » depuis l’indépendance. L’événement donne lieu, toutes proportions gardées, à des réactions semblables à celles qui ont suivi l’élection d’Obama. La dimension raciale en moins. Premier président noir pour premier président « pulaar ». Le parallèle est tentant. Des similitudes existent incontestablement. Pour autant, comparaison n’est pas raison.

Le procès en légitimité est un premier point commun. Pour certains Sénégalais, la présence d’un haalpulaar à la tête du Sénégal est incongrue. Comme a pu l’être, pour certains Blancs, l’élection de Barack Obama. Les raisons tiennent en une formule lapidaire : ce n’est pas dans l’ordre des choses.

Assignation

La seconde similitude, corollaire, se résume en deux mots : « assignation identitaire ». A son corps défendant, Macky Sall (comme Obama) est systématiquement renvoyé à sa communauté d’appartenance supposée. Peu importe d’ailleurs que celle-ci soit fantasmée. Le principal est de pouvoir rattacher tous ses faits et gestes à cette appartenance. La stigmatisation vient souvent en sus à l’exemple d’un Obama, traité entre autres joyeusetés, de « foodstamps president » ou littéralement président des bons alimentaires ou président des assistés.

A l’image d’Obama, Macky Sall est lui aussi réduit à ce qu’il est ou est censé être. Une ancienne gloire du football sénégalais a pu déclarer que son échec éventuel serait celui de tous les « Pulaar ». Il s’exprimait, il est vrai, devant un parterre de haalpulaaren supposés acquis à « leur président ». Le propos du sportif induisait une « tribalisation de l’échec » selon la formule d’un écrivain réputé. En cela, il était équivoque.

Cela étant, il faut reconnaître que la mutualisation des sentiments, à plus ou moins bon escient, guette toute communauté se vivant comme minoritaire. Ainsi, en 1962, la sympathie de nombreux haalpulaaaren envers Mamadou Dia, à la suite de son arrestation, traduisait davantage un automatisme communautaire qu’une adhésion politique .Alors même que les motifs de la disgrâce de Dia étaient politiques, d’aucuns ont fait de l’appartenance ethnique de l’ancien Premier ministre une voire l’explication de sa chute.

Fantasmes et rumeurs.

« Hul ko laya » ou il faut redouter la rumeur dit un aphorisme peul. C’est le fameux « pas de fumée sans feu ».

La plus tenace des rumeurs veut que « Macky ne nomme que des Pulaar ». La retombée logique d’une telle inclination est qu’« Il n’y a plus que les Pulaar dans les ministères ». Des consignes strictes auraient même été données en ce sens. Et comme de bien entendu, des « Pulaar » incompétents. Coincidence ? A plusieurs années de distance, Macky et Ahidjo, même combat. Ne disait-on pas en effet de l’ancien Président du Cameroun qu’il avait nommé des Haoussas et des peuls, analphabètes de surcroît, à des postes d’infirmiers aux risques et périls des pauvres patients ? Vrai ou faux ? Quelles preuves ? L’on sait, avec Edgar Morin, que la rumeur se passe allègrement de preuves. Elle se suffit à elle-même et se déploie grâce à sa « circulation circulaire ». A l’image, plus généralement de la parole, qui en est le vecteur. Ko haala addata haala. Autrement dit, la parole est génératrice de paroles. Et de dérapages quelquefois. L’écrit n’est évidemment pas en reste. Une illustration paroxystique en a été donnée en septembre dernier à l’occasion du décès de l’ancien ministre Jibo Ka quand un journal a placé à sa une un titre pour le moins déplacé : le petit berger peul a rejoint le troupeau.

Précédents.

Sur un tout autre registre, le Président Sékou Touré, dirigeant emblématique s’il en fut,, décrétait que « derrière chaque peul, il y a un peul ». A la manière des journaux français de la collaboration, dont on a pu dire qu’ils étaient « rédigés en allemand et écrits en français », le président guinéen parlait français mais s’exprimait en malinké. Sa formulation trouve davantage son sens dans cette langue. Sibyllin, son propos véhiculait en réalité le stéréotype selon lequel, tel Janus, tout peul aurait un double visage, serait enclin au double jeu et donc à la fourberie et à la trahison, le fameux « Janfa » tant décrié par les chanteurs du Mandé (entre autres). C’était même là, aux yeux de Sékou Touré, une marque de fabrique. Etonnant de la part d’un dirigeant dont les convictions panafricanistes n’ont jamais été mises en doute. Qu’est-ce qui a bien pu conduire un tel homme à de tels glissements ? La rumeur veut qu’un de nos anciens dirigeants en ait tiré argument pour établir à son tour le caractère irrémédiablement subversif des haalpulaaren de Mauritanie. Après tout, Sékou Touré était noir et donc pas suspect de racisme. Il en va des propos de ce dernier comme des réactions à l’affaire Mamadou Dia. Au départ, il y a « la politique ». Il semble en effet que Sékou n’ait jamais digéré l’opposition politique rencontrée à ses débuts dans le Fouta guinéen et qui fut incarnée principalement par Barry Ibrahima, dirigeant de Démocratie Socialiste de Guinée et plus encore par Barry Diawadou, leader du Bloc Africain de Guinée et, accessoirement, fils de l’Almamy de Dabola. L’un et l’autre ne l’avaient pas suivi dans le « Non » à la Communauté de 1958. Le sort tragique, réservé bien plus tard à Diallo Telli, ancien Secrétaire Général de l’OUA, est une illustration supplémentaire de la rancune tenace du Grand homme. Seul le « bon peul » Saifoulaye Diallo, aura échappé à sa vindicte.

Au-delà de cet exemple, révélateur au plus haut point, il faut bien convenir que les glissements de caractère particulariste n’ont, en Afrique, rien d’exceptionnel dans le débat public. Et c’est précisément leur banalisation qui accentue leur impact délétère sur la conscience collective.

Ils n’émanent pas nécessairement d’où l’on croit. Il y a quelques années, un mouvement politique camerounais, se réclamant pourtant du panafricanisme et du progrès « traitait » régulièrement Ahmadou Ahidjo de « petit peul du nord » comme si ce « statut » avait quelque chose d’infamant mais aussi de « birawandu » (fils de chien). On aurait, hélàs, pu multiplier des exemples de cette nature. L’environnement, notamment politique, y prédispose. Notre Afrique regorge de duettistes ethno-politiques plus ou moins célèbres, plus ou moins anciens transmettant le combat le cas échéant, de génération en génération : Azikiwe/Awolowo au Nigéria, Odinga/Kenyatta au Kenya, Kabila/Tshisekedi en RDC, Eyadema/Olympio au Togo…Il n’est jusqu’au Prix Nobel de littérature, Wolé Soyinka, à avoir été suspecté de solidarité ethnique yoruba avec Moshood Abiola. S’il est bien un sujet méritant une vigilance extrême, c’est celui de l’instrumentalisation de l’ethnicité..

Aucun peuple, aucun pays, n’est et ne doit s’estimer à jamais et totalement immunisé contre les dérives ethnicistes et leurs conséquences. La Côte-d’Ivoire, longtemps érigée en havre de stabilité, en est une parfaite illustration. Elle est encore à ce jour à peine remise des drames récents qu’elle a connus.

Pour en revenir au Sénégal, il faut reconnaître que pour critiquable qu’il ait été par ailleurs, son premier président a, sur le sujet, su faire preuve de sagesse. A lui seul condensé de minorités, il donnait l’impression de n’en privilégier aucune. Sérère dans un univers à dominante wolof, chrétien dans un pays majoritairement musulman, hybride culturellement au point d’être moqué comme « ambassadeur de la France au Sénégal », l’apôtre du métissage et de l’ »assimiler et ne pas être assimilé » se gardait bien d’afficher et a fortiori de cultiver des appartenances particularistes. Sur ce point, son successeur immédiat, Abdou Diouf, a mis ses pas dans les siens. En affichant sa proximité avec le mouridisme , Abdoulaye Wade semble avoir fait un pas de côté et inauguré une exception.. A cet égard, ce n’est pas un hasard si le supposé vote mouride de Touba a été particulièrement scruté à l’occasion du référendum sur le mandat présidentiel initié par Macky Sall , réputé moins populaire au sein de cette ville et auprès de son électorat que son prédécesseur.

Macky Sall, comme tout Chef d’Etat en exercice, est une figure polarisante. A ce titre, il ne peut et ne doit être au-dessus de la critique. Il suffit que celle-ci évite les motifs douteux.

Enfin, puissent ces lignes ne point être exploitées à des fins autres que leur objet. Toute ressemblance avec une situation ayant existé serait pure coïncidence, disait-on au cinéma en guise de mise en garde.

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