Rappelons aussi que, durant la période comprise entre 1896 et 1905, l’administration coloniale avait été représentée exclusivement par la chefferie de province. Nous connaissons déjà les circonstances dans lesquelles celle-ci fut supprimée, avec la révocation de Gujaa Baccili. Au Gidimaxa, le système de l’administration directe ne posait pas de problèmes majeurs tant qu’il s’agissait seulement des populations sédentaires. La surveillance des villages n’exigeait pas de contraintes policières importantes à cause de la petite superficie de la province.

Par contre, elle allait se compliquer avec l’annexion à la Résidence du Gidimaxa des zones de parcours des tribus nomades Bîdhân dont l’administration exigeait un personnel et une structure plus importants. Entre 1906 et 1908, ce sont pourtant les sédentaires et particulièrement la chefferie traditionnelle sooninke qui allaient reprendre une offensive anticoloniale, replongeant le Gidimaxa dans l’contestation contre la présence française qui lésait ses intérêts sociaux et politiques.

 

Nous connaissons déjà les circonstances dans lesquelles celle-ci fut supprimée, avec la révocation de Gujaa Baccili. Au Gidimaxa, le système de l’administration directe ne posait pas de problèmes majeurs tant qu’il s’agissait seulement des populations sédentaires. La surveillance des villages n’exigeait pas de contraintes policières importantes à cause de la petite superficie de la province. Par contre, elle allait se compliquer avec l’annexion à la Résidence du Gidimaxa des zones de parcours des tribus nomades Bîdhân dont l’administration exigeait un personnel et une structure plus importants. Entre 1906 et 1908, ce sont pourtant les sédentaires et particulièrement la chefferie traditionnelle sooninke qui allaient reprendre une offensive anticoloniale, replongeant le Gidimaxa dans l’contestation contre la présence française qui lésait ses intérêts sociaux et politiques.

 

La surveillance des villages n’exigeait pas de contraintes policières importantes à cause de la petite superficie de la province. Par contre, elle allait se compliquer avec l’annexion à la Résidence du Gidimaxa des zones de parcours des tribus nomades Bîdhân dont l’administration exigeait un personnel et une structure plus importants. Entre 1906 et 1908, ce sont pourtant les sédentaires et particulièrement la chefferie traditionnelle sooninke qui allaient reprendre une offensive anticoloniale, replongeant le Gidimaxa dans l’contestation contre la présence française qui lésait ses intérêts sociaux et politiques.

 

Nous avons montré dans le chapitre III de la troisième partie la situation de contestation permanente d’une partie de la population sooninke du Gidimaxa qui saisissait toute occasion qui se présentait à elle pour manifester son hostilité contre la présence coloniale française. Après la suppression du poste de Selibaabi, il n’existait plus aucune présence physique européenne permanente sur l’ensemble du territoire de la province. Rappelons aussi que, durant la période comprise entre 1896 et 1905, l’administration coloniale avait été représentée exclusivement par la chefferie de province. Nous connaissons déjà les circonstances dans lesquelles celle-ci fut supprimée, avec la révocation de Gujaa Baccili. Au Gidimaxa, le système de l’administration directe ne posait pas de problèmes majeurs tant qu’il s’agissait seulement des populations sédentaires. La surveillance des villages n’exigeait pas de contraintes policières importantes à cause de la petite superficie de la province. Par contre, elle allait se compliquer avec l’annexion à la Résidence du Gidimaxa des zones de parcours des tribus nomades Bîdhân dont l’administration exigeait un personnel et une structure plus importants.

 

Entre 1906 et 1908, ce sont pourtant les sédentaires et particulièrement la chefferie traditionnelle sooninke qui allaient reprendre une offensive anticoloniale, replongeant le Gidimaxa dans l’contestation contre la présence française qui lésait ses intérêts sociaux et politiques.

 

La destitution de Gujaa Baccili avait convaincu une nouvelle fois les aristocraties sooninko de l’efficacité de sa stratégie de lutte. Elles n’appliquèrent pas cette stratégie seulement contre les chefs indigènes qui avaient représenté l’administration coloniale. Entre 1901 et 1905, il y eut une succession d’incidents indicateurs de l’état d’esprit de la population. En 1901, l’administrateur Lamy, envoyé en inspection dans le pays fut contraint lui aussi de rejoindre Bakkel «(…) devant l’attitude hostile des habitants» . En novembre 1905, le lieutenant Arbogast vint prendre officiellement possession de la province du Gidimaxa occidental au nom de la nouvelle administration centrale du Territoire civil de Mauritanie. A cette occasion, il réinstalla un poste à Selibaabi et inaugura la première Résidence du Gidimaxa. Les habitants du village, non contents de cette réoccupation, l’«agressèrent physiquement» .

 

La même année, l’administrateur adjoint Cléret en tournée à Joogunturo fut assailli à son tour par quelques habitants de ce village qui étaient armés. Cette hostilité de la population n’empêcha nullement les Français de maintenir le poste. Le successeur de Cléret, l’administrateur Dupont, essaya même de pratiquer une politique de proximité en établissant des relations plus directes avec la population sooninke. Ses supérieurs lui reprocheront plus tard cette politique aux « (…) moyens exclusivement pacifiques (…)», « (…) empreinte d’une trop grande douceur [qui] ne donna pas les résultats attendus» . Ces remarques amenèrent le Gouvernement général à faire la conclusion suivante : « (…) les indigènes déjà turbulents par nature, furent convaincus que nous ne possédions pas les moyens d’action suffisante pour les contraindre à l’obéissance et leur audace s’en accrut d’autant» . Le souci de la chefferie était de faire quitter l’administration dont la présence était jugée de plus en plus préjudiciable à ses intérêts. Elle utilisa tous les moyens pour y parvenir.

 

Rappelons que l’exode avait été utilisé jusque-là par la population sooninke comme l’unique solution pour se soustraire de l’Administration coloniale française. Lorsque des habitants d’un village voulaient se soustraire à une autorité administrative coloniale locale, ils migraient soit dans une autre région de la même colonie, soit carrément dans une autre colonie d’où ils pouvaient se soustraire à toute recherche. Jusque vers la fin de la première décennie du XXème siècle quelques Sooninko migraient au Sénégal oriental ou en Gambie, mais cette méthode de lutte montra bientôt ses limites à cause des moyens de contrôle plus importants que l’Administration coloniale utilisait désormais pour restreindre la circulation et l’émigration. L’Administration mauritanienne sut utiliser les expériences de celles qui l’avaient précédée pour organiser ses relations avec la chefferie. Dans son rapport politique du mois de juin 1908, le Résident du Gidimaxa, Colombani, parle de sa politique de restriction contre les déplacements des Sooninko du sud de la province et ceux de Selibaabi vers le Nord, sur les terrains neufs : «(…) ce village [Selibaby] eut été abandonné complètement si l’émigration de 1906 et 1907 s’était poursuivie cette année», puis il ajoute : «(…) grâce à un service de renseignements organisé avec une extrême difficulté en raison de la solidarité étroite des différentes classes de la population, j’ai pu être averti de l’exode des personnes non autorisées vers les terrains de cultures. Quelques punitions et amendes ont été infligées» . Afin d’empêcher l’abandon des villages, seules étaient autorisées à s’installer sur des nouvelles terres de culture sous-pluviales les personnes qui avaient un permis de cultiver attribué dans des conditions d’installation spécifiques. Après les récoltes, les villageois migrants étaient obligés de réintégrer leurs villages d’origine. Ceux qui avaient émigré sans autorisation étaient réinstallés de force dans leurs villages d’origine «après une répression sévère» . Il faut noter que dans leur exode vers des régions éloignées de la Résidence de Selibaabi, les cultivateurs migrants obligeaient leurs esclaves à les suivre, pour les soustraire à toute influence française qui se traduisait souvent par la fuite vers les postes coloniaux, comme nous l’avons vu dans le chapitre III de la troisième partie. Donc cette migration avait trois buts : occuper de nouvelles terres de culture, se soustraire à l’Administration coloniale, sauvegarder une main d’œuvre servile indispensable aux activités agricoles.

 

Ces contraintes administratives avaient obligé la chefferie traditionnelle à rechercher d’autres solutions : le Allah ñaagande  où des pratiques animistes et des pratiques islamiques étaient mélangées. L’opposition anticoloniale des Sooninko avait ressurgi dès l’arrivée du lieutenant Arbogast. Ceci explique en partie d’ailleurs les événements qui se sont déroulés entre mai et novembre 1907 et que l’Administration de Saint-Louis assimila à un complot organisé conjointement avec l’opposition bîdhân pour chasser les Français de la province.

Pour pratiquer leur «Alla ñaagande», les habitants de Selibaabi avaient fait venir de la rive gauche le 19 mai 1907 « (…) un influent marabout sarakolet, nommé Fode Diaguili, qui avait pour mission de faire des gris-gris et de demander à Dieu, dans ses prières secrètes, la mort des Européens du poste». Selon le rapport de la commission permanente du Conseil du Gouvernement général « (…) les noms de Dupont administrateur résident, Audan, commis des Affaires indigènes et Malamine Tandia interprète, furent gravés sur un crâne d’une hyène que le marabout déposa au milieu des entrailles et des viscères en putréfaction du même animal. Le tout fut jeté dans les puits où s’approvisionnait généralement en eau le personnel de la résidence. Quelques jours après, les Européens et les indigènes du poste ressentaient tous les symptômes d’un grave empoisonnement, principalement  M. l’administrateur Dupont» .

 

Toujours dans ce rapport, il est mentionné que les « (…) Sarakolets, entrant dans un état de surexcitation violente, frappèrent brutalement, malgré l’intervention de l’administrateur, les notables qui avaient été convoqués à la résidence pour rendre compte de cet acte d’hostilité grave. Deux indigènes succombèrent quelques jours après des suites de leurs blessures». En réalité, cette bastonnade qui eut lieu dans le camp des gardes avait été organisée par les Tirailleurs eux-mêmes. Convaincus que leurs collègues avaient été empoisonnés, et confortés dans cette thèse par la mort subite d’une partie du troupeau du camp, ils avaient organisé une bastonnade collective des notables retenus prisonniers dans le camp et qui étaient soupçonnés déjà d’être les auteurs de ce prétendu empoisonnement.

 

L’évacuation sanitaire de l’administrateur adjoint Dupont et de l’interprète Malamine Tandia sur Bakkel avait été interprétée par la population de Selibaabi comme une réponse favorable accordée par Allah à sa demande (Alla ñaagaande). En représailles contre cette « (…) tentative d’empoisonnement» une condamnation fut prononcée par le tribunal du cercle contre ceux qui étaient considérés comme les initiateurs de cette entreprise. Le jugement fut cassé par la suite pour erreur de compétence.

 

La prise de fonction du successeur de Dupont, l’administrateur Michelangeli, réchauffa encore plus les esprits contre la présence française. Ce qui aggrava encore considérablement la tension politique dans la province. Contrairement à son prédécesseur, Michelangeli appliqua, dès la prise de ses fonctions, une politique de proximité. Il parcourait la Résidence, pour « (…) se montrer (…)» à ses sujets. Des mesures de restrictions furent appliquées pour contrôler les mouvements des populations sédentaires et nomades. L’application de la restriction sur le droit de port d’armes (réglementation des armes à feu établie par le décret de mai 1903 et les arrêtés du Gouvernement général de juin et de novembre 1903) à laquelle Michelangeli ajouta deux autres mesures « (…) moins heureuses» qui touchèrent directement les intérêts des sédentaires [l’obligation du laisser-passer intérieur (décret du 30 décembre 1901 qui sera appliqué en Mauritanie par l’article 20 de l’arrêté du 16 novembre 1903 relatif à la délivrance du permis de circulation) et la création de marchés déterminés] donna à l’opposition anticoloniale sooninke de  nouveaux arguments pour se mobiliser. Ces diverses mesures amenèrent dans les premiers jours de novembre une vive tension dans la province.

 

«Le Rapport politique du 4e trimestre 1907» mentionne que « (…) des réunions tumultueuses ont lieu à la mosquée de Sélibaby ; Amady Aïssé, Samba Koné et Adia Sokhouna s’y font remarquer par leur violence. Sidi Banko se fait condamner à 15 jours de prison pour avoir déclaré que ces chiens de Français quitteraient leur pays, et sa peine terminée, il recommence à déclarer qu’avant la fin de l’année Français et tirailleurs seraient morts» . Sur ces entrefaits, Michelangeli et dix-sept tirailleurs eurent des « (…) troubles dysentériformes très violents.(…)» . Les deux autres Européens du poste furent, quant à eux, plus légèrement malades. Le Résident fut évacué sur Saint-Louis, au milieu d’une manifestation d’allégresse des habitants du village qui avaient trouvé dans cette évacuation une nouvelle preuve de l’efficacité de leur Alla ñaagaande.

 

Ces événements coïncidaient avec la descente de bandes armées composées d’Awlâd Bu Sba, Brakna et Idowish issus de la troupe de Mulây Idriss qui venait de se disloquer. Rappelons que ces bandes avaient menacé d’assiéger le poste de Selibaabi . Ce concours de circonstances amena l’administration française à accuser les Sooninko d’avoir accueilli favorablement ces bandes. De l’avis des Français, ils auraient saisi ce moment favorable où la Résidence de Selibaabi était affaiblie par le nombre des malades parmi son personnel et par le départ d’une escorte de vingt hommes partis accompagner l’administrateur Michelangeli pour proposer de «(…) faire enlever le poste par les Maures dont les campements se rapprochent»  – «(…) des campements maures dissidents auxquels les Sarrakolets ont distribué des fusils et de la poudre pour nous chasser définitivement du pays» ajoute le Rapport en commission permanente du Conseil du gouvernement . Il était tout de même paradoxal que la population sooninke, souvent victime de ces bandes de pillards fassent appel à ces dernières pour chasser les Français, alors que la présence de ces derniers commençait à avoir un effet bénéfique sur leur sécurité. Ce qu’avaient reconnu d’ailleurs les habitants de la province. Ce paradoxe fut relevé quelques mois plus tard par un des protagonistes de ces événements, le commis des Affaires Indigènes, Gustave Audan. Dans son rapport intitulé «Au sujet des marabouts du Guidimakha», il relève ce qu’il considérait, lui, comme les deux causes principales de l’hostilité des habitants du Gidimaxa : l’interdiction de la vente des esclaves qui fournissait de la main-d’œuvre pour la production agricole et la défense aux habitants de se réinstaller librement dans leurs anciens villages situés au nord de la province, dans les territoires du Gidimaxa ancien. Il avait conclu que « (…) cette mesure nullement justifiée était la conséquence d’une ignorance complète des habitudes et des besoins des Sarakolets» . En évoquant cette question des esclaves, l’administrateur Audan avait touché là une question essentielle pour les aristocraties religieuse et guerrière sooninke. Nous avons vu que depuis les époques des administrations soudanaise et sénégalaise, c’est elle seule qui manifestait son opposition à la présence coloniale française parce que celle-ci, par ses influences, avait contribué à la remise en cause de ses privilèges sociaux et menaçait même son existence en favorisant la libération de ses esclaves. La main d’oeuvre servile lui produisait son agriculture et son industrie textile. Celle-ci permettait aussi à l’aristocratie religieuse libérée d’une partie importante son temps à se consacrer à ses activités commerciales souvent itinérantes.

 

La révolte anticoloniale au Gidimaxa qui touchait exclusivement l’aristocratie sooninke était donc une révolte des maîtres qui luttaient contre un système colonial qui remettait inévitablement, à la longue, en cause leurs privilèges sociaux. Face à la menace d’une crise socio-économique due à l’abandon des travaux champêtres par les esclaves, l’administration coloniale mauritanienne, se rendant compte que ses propres intérêts pouvaient être lésés aussi dans ces libérations, décida de mettre un frein à leurs départs, en appliquant la politique qu’elle avait appliquée en faveur des aristocraties religieuse et guerrière bîdhân : le maintien des traditions et de l’ordre social établi.

 

Outre cette question de main-d’œuvre servile, Audan avait reproché aussi à ses prédécesseurs de n’avoir pas su répondre aux attentes des sédentaires qui avaient réclamé de la protection militaire contre les pillages. Il reprocha particulièrement à ses collègues Dupont et Michelangeli d’avoir ignoré les intérêts des Sooninko. «En dehors des reconnaissances faites chez les Maures, aucune tournée sérieuse n’avait été faite dans les villages Sarakolets avant l’arrivée du capitaine Repoux» . Ces reproches contredisaient donc bien la thèse de complicité avec la résistance bîdhân dont les Sooninko avaient été accusés. «D’eux-mêmes, les Sarakolets n’eussent jamais dépassé les limites que leur imposait la crainte des Maures, contre lesquels ils ont demandé une protection qui, il convient de le reconnaître, leur a été plusieurs fois refusée sous prétexte d’une insuffisante garnison à Sélibaby, ou ils ont été engagés à s’adresser à Mbout, d’où nouvelle cause de mécontentement» .

 

Dans le domaine économique, les attitudes souvent contradictoires affichées par la Résidence n’étaient pas pour favoriser de bons rapports avec la population. Nous avons parlé de cette politique qui s’opposait à la réinstallation des agriculteurs sooninko sur de nouvelles terres de cultures situées au nord du Gidimaxa et qu’ils voulaient réinvestir à la faveur de «la paix française». Certes, Dupont puis son successeur Michelangeli avaient autorisé les déplacements pendant les périodes de culture sous-pluviale, mais ils se retranchèrent le plus souvent derrière le prétexte d’une insuffisance des forces militaires de protection pour ne pas assurer la police en faveur des agriculteurs. Ensuite, ils s’opposèrent à la réinstallation des populations, réinstallation qui aurait pu favoriser pourtant une reprise des activités agricoles, pour ne pas effectuer « (…) des tournées nécessitées par l’état d’esprit des indigènes à trois ou quatre jours au nord de Sélibaby, d’où nouveau mécontentement des habitants». Audan regretta aussi que les Sooninko n’eussent pas repris possession de leurs anciens villages. L’administration française aurait pu tirer un avantage colonial certain en favorisant cette implantation dans les territoires septentrionaux de la province, à la frontière avec le Tagant. Il existerait un groupe important de villages situés à quatre ou cinq jours du fleuve, vers la route du Tagant « (…) dont la visite souvent renouvelée faciliterait énormément la surveillance des campements maures dont (…) les déplacements ne sont jamais contrôlés» . Cette réinstallation avait aussi pour but d’empêcher l’exode des populations vers le Gidimaxa «soudanais» ou vers la Gambie», mais «(…) ceci ne sera pas sans causer de troubles à une période où le calme, de ce côté de la Mauritanie, est nécessaire (….) »  en vue de la conquête de l’Adrâr. Au contraire, pour des raisons économiques, Audan proposa de favoriser une implantation de nouveaux villages choisis librement par les populations. Car pour lui, il était nécessaire de renforcer les relations économiques entre le Gidimaxa et le Tagant, dans le cadre de l’aménagement du territoire administratif et militaire colonial en cours. « (…) D’immenses terrains de cultures pourraient être exploités dans la région du Nord très fertile du Guidimaka qui suffirait à alimenter les postes du Tagant en vivres indigènes (mil, riz, arachides, niébés, etc.) achetés aux Sarrakolets dans d’excellentes conditions et transportés par une ligne de ravitaillement nouvelle et directe d’un point central du Guidimaka à Tidjikja» . Rappelons que sous l’administration soudanaise, le capitaine Imbert avait suggéré déjà cette idée qui consistait à réinstaller les Sooninko du Gidimaxa dans les territoires des Gangari, c’est-à-dire le «Gidimaxa ancien», afin d’utiliser leurs villages comme points d’appui d’une pénétration au Tagant. Nous avons expliqué les raisons pour lesquelles la population s’y était opposée à  l’époque. Cette campagne de réinstallation avait échoué donc malgré l’usage de la contrainte . En 1908, cette perspective d’intégration des circonscriptions administratives par un renforcement de leurs relations économiques n’était pas perçue encore par la nouvelle administration mauritanienne. Cette clairvoyance politique du Commis des Affaires indigènes Audan avait été exprimée trop tard pour la chefferie sooninke. La tension politique suscitée surtout par les attaques des Bîdhân, les difficultés pour les Français à maîtriser la situation à cause souvent de la méconnaissance sociologique et qui les amenait à commettre des erreurs politiques, favorisèrent inévitablement cette kyrielle d’incidents et de révoltes parfois dramatiques qui marquèrent les relations entre les Sooninko du Gidimaxa et le colonisateur français depuis l’époque de l’administration soudanaise.

 

Pour réprimer cette nouvelle «rébellion» , le capitaine Repoux, commandant la 5ème compagnie et commandant le cercle du Gorgol se rendit d’urgence le 9 novembre 1907 à Selibaabi où il arriva le 11, à la tête de 40 Tirailleurs. Il était secondé par un sous-officier indigène. L’administration mauritanienne avait décidé que « (…) pareils actes»  devraient être punis, « (…) d’autant plus que les gens du Guidimaka ont toujours montré une mauvaise volonté évidente» . L’opposition permanente des Sooninko du Gidimaxa était considérée comme une menace qui rendait l’autorité française précaire. C’est la raison pour laquelle Saint-Louis avait décidé de la faire disparaître définitivement pour avoir enfin «(…) la possibilité de diriger le pays de façon normale sans être obligés d’avoir recours à des continuelles répressions» .L’arrivée subite du capitaine Repoux et de ses quarante et un hommes mit fin rapidement à l’agitation. Celui-ci profita de l’effet de surprise pour arrêter ceux que la Résidence avait qualifiés de «meneurs» et de «suspects». Par précaution, le poste de Selibaabi fut mis en état de défense pour dissuader toute velléité offensive à partir des campements des Bîdhân. La commission permanente du Conseil du Gouvernement général proposa « (…) d’infliger un châtiment exemplaire» contre « (…) les chefs de groupements, instigateurs en mouvement dirigé (…)» contre la France et qualifiés d’« (…) ennemis irréductibles de sa domination». Ce châtiment devait les punir de «leur rébellion» et servir d’exemple à « (…) ceux qui les ont inconsidérément suivis», (…) avec la « (…) ferme volonté de faire régner l’ordre» . Mais l’accusation d’empoisonnement du poste de Selibaabi dut être abandonnée juridiquement faute de preuves suffisantes, vu qu’il n’avait pas été matériellement possible de faire des analyses médicales  sur les échantillons de l’eau du puits, et du lait sensés avoir été empoisonnés. Six années après ces incidents, l’administrateur Colombani, le successeur de Michelangeli, à la direction de la Résidence, se rendit à l’évidence que les troubles dysentériformes qui avaient atteint une fois encore le personnel de la Résidence, étaient provoqués en réalité par une pollution du puits dû aux ruissellements des eaux de pluies .
Malgré ces nouvelles preuves qui innocentaient les notables de Selibaabi condamnés en 1908, Colombani réussit à trouver dans la pratique des Korté  entre les vieilles parentèles de la chefferie en perpétuelles luttes d’influence de nouveaux arguments pour entretenir la culpabilisation contre elles . Les relations déjà conflictuelles entre ces parentèles à la tête de clans ennemis irréductibles avaient conduit celles-ci à se disputer les fonctions de chef de village, à cause des remises d’impôts assez importantes pour certaines bourgades comme Selibaabi et Jaagili. Ces compétitions, pour des raisons donc matérielles, remettaient en cause l’ordre traditionnel de succession au sein de la chefferie de village. A ce propos, Colombani pensait que « (…) les remises d’impôt ne [lui] paraissent pas constituer, dans les villages du Guidimaka, un moyen efficace de commandement, mais au contraire la source de tous les événements graves de la politique locale» . Pour atteindre leur but, certains clans n’hésitaient pas à solliciter les services de religieux à qui, selon lui, on faisait jouer «(…) le rôle funeste». Il reprocha au marabout d’être un « (…) instrument de mort entre les mains des ambitieux appartenant à des familles ennemies. (…). C’est ainsi qu’à Selibaby, les marabouts Cissé, Sokhona, (…) travaillent chacun de leur côté pour le compte des familles Birané, Hayané, Botokollo, Gaye-Kara et Hokolou, qu’à Coumba Ndao, les Cissé et les Kamara mènent la lutte entre les Birane, les Hayane et les Gaye-Kara» . A la suite de certaines révélations qui lui auraient été faites au cours de nombreuses «palabres» qu’il avait organisées, et des enquêtes judiciaires qu’il avait faites personnellement, l’administrateur Colombani était arrivé à la conclusion que les marabouts avaient une grande influence sur la vie politique au Gidimaxa. C’est la raison pour laquelle il recommanda la fermeté contre ces derniers : « (…) Je suis convaincu que pour affermir notre autorité encore mal assise dans ce pays, il ne faut pas craindre de réprimer sévèrement les moindres actes d’hostilité des marabouts, que l’on trouvera toujours à la source des faits de désordre (…)» . Son prédécesseur, Audan, dans une de ses lettres adressées à la même autorité, était plus nuancé. Il se disait convaincu que les marabouts jusqu’à présent hostiles, pouvaient « (…) sous une direction énergique, mais juste, équitable, et surtout en faisant preuve vis-à-vis d’eux d’un esprit de suite auquel ils ne sont pas habitués, rendre les meilleurs services là où ils ont été [les] adversaires les plus acharnés.(…)» .

 

Malgré une absence de preuve, le Gouvernement général comme l’administration centrale de la Mauritanie tinrent à faire des exemples. Car, de leur point de vue, et dans l’état d’esprit dans lequel se trouvait la population sooninke, « (…) un acquittement serait désastreux». Il importait surtout de soustraire de la population ceux qui étaient considérés comme meneurs. En tout cas, pour l’administration coloniale, les arguments ne manquaient pas. Si l’accusation d’empoisonnement du poste de Selibaabi devait donc être juridiquement abandonnée, les actes assimilés à une rébellion politique justifiaient de son point de vue l’application des dispositions du décret du 21 novembre 1904 destiné à réprimer « (…) les manœuvres susceptibles de compromettre la sécurité publique» . Les résultats d’une seconde enquête faite par un fonctionnaire d’un grade plus élevé aboutirent en février 1908, conformément aux propositions du Commissaire du Gouvernement général, à l’application contre dix personnes d’une peine de résidence obligatoire . Jeroxo Fuley Kamara et Suraaxata Kamara, considérés comme les deux principaux meneurs furent condamnés à des peines de deux ans d’internement. Le premier était considéré « (…) comme l’âme du mouvement hostile à l’influence française, et grâce à l’ascendant qu’il exerce sur les indigènes, il (…) a toujours suscité de grosses difficultés» . Quant à Suraaxata Kamara, l’administration coloniale lui avait reproché d’être « (…) l’exemple de meneur pour qui, de tous temps, les ordres de l’administration ont été considérés comme lettre morte» . On l’accusa d’avoir provoqué des rencontres entre notables aux cours desquelles auraient été discutés les moyens à employer pour chasser les Français du Gidimaxa. Les huit autres (Hammadi Siise, Murisa Jallo, Haaruna Faduma*, Siidi Bude*, Bullaay Biraama*, Haadiya Soxona, Bakkar Suley Siise et Bakkari Tagge* ) pour lesquels le « (…) degré de culpabilité (…)» était jugé « (…) moindre (…)» furent condamnés à un an de prison ferme. Port-Etienne, dans la Baie du levrier, fut choisi comme lieu de détention, en raison de la facilité de surveillance . Les manifestations d’hostilité antifrançaises ne cesseront guerre malgré cette mesure d’internement. Elles réapparaissaient à chaque fois que des occasions favorables pour les exprimer se présentaient, comme par exemple en 1910 – 1911, avec l’affaire Foode Ismayla  de Kousaane (région administrative de Kaay), au moment où l’administration française se débattait dans ses fantasmes sur ce qu’elle avait appelé les «agressions du panislamisme» et organisait sa campagne de persécution contre tout religieux qui manifestait une quelconque hostilité contre sa domination coloniale (Sy Hamady Samba 1983 : 58-61).

 

En février 1908, au moment où prenait fin l’«affaire des empoisonnements» par le procès des dix, une autre agitation prenait forme dans une autre région du bassin inférieur du Sénégal, au Dimat. Il s’agissait d’un soulèvement à caractère religieux dirigé par un jeune du nom de Aali Yero Joop qui représentait une autre vision de l’anticolonialisme, mais qui n’avait aucun lien d’organisation avec ce mouvement de contestation des Sooninko du Gidimaxa, encore moins avec la résistance anticoloniale des Bîdhân.

 

Sall, Ibrahima Abou : « Mauritanie du Sud. Conquêtes et administration coloniales françaises. 1890-1945 » (éd.). Paris, Karthala, juin 2007. 815 pages.
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1995   «L’Historien et le témoin : un couple de rapports ambigus». in «Mémoires de la colonisation. Relations colonisateurs – colonisés. Les sources orales, approche méthodologique», Paris, l’Harmattan, pp. 27 – 34.
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*Travaux universitaires non publiés

Mémoires de maîtrise et autres mémoires

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1965   «L’Empire colonial français en 1914 : organisation politique et administrative». Cours Université de Nancy, Centre de documentation universitaire, 79 pages.
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1980   «La diffusion du Hamallisme au Gorgol et son extension aux cercles voisins : 1906 – 1945». Mémoire de fin d’études, Ecole Normale Supérieure de Nouakchott. 150 pages.
SALL, Ibrahima Abou
1992   «Mauritanie : conquête et organisation administrative des territoires du Sud (Gidimaxa, Fuuta Tooro et Waalo Barak). Rôle des aristocraties politique et religieuse. 1890-1945». Mémoire de DEA. Université Paris VII-Denis Diderot. UFR – Géographie, Histoire et Sciences de la Société. 121 pages.
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1983   «islam et résistance à la  pénétration française du Gidimaxa mauritanien : 1855 – 1914». Mémoire de fin d’études, Série Histoire et Géographie, ENS, Nouakchott
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Sources écrites inédites

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Sources primaires et secondaires publiées

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1982   «Résistances et collaboration en Afrique noire coloniale» in Etudes africaines.

 

 

 

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