Le « Magno Kompe », une tradition ancestrale Soninke malmenée par l’immigration et la modernité

Ils ne se voyaient pas en privé. Leurs fréquentations étaient contrôlées. Point de contact entre les futurs époux. Les familles respectives se chargeaient des préparatifs du mariage. Généralement, quand la somme matérialisant l’accord définitif ( fuute ) était payée, on fixait naturellement une date pour le mariage. De chaque côté, les familles des futurs mariés fêtent en grande pompe l’heureux événement.

Dès le Mercredi, les filles de la classe d’âge de la mariée se regroupaient pour aller laver les habits de la future mariée. Cette étape annonçait les festivités. Le mariage dure généralement trois jours en pays Soninké : le Mercredi, le Jeudi et le Vendredi.

 

La nuit du Jeudi à Vendredi, les femmes de confiance de la famille de la future mariée effectuaient le « transfert nuptial ». Il s’agit d’accompagner tout simplement la mariée à rejoindre le domicile de son mari. Le bain rituel précède cette étape.  Il découle des traditions séculaires et revêt une importance capitale. Les femmes encerclent la jeune fille assise sur un mortier. Les unes lui lavent les pieds tandis que les autres lui prodiguent de sages conseils. « La cérémonie est rythmée par les chants et les danses de ses mères, tantes, sœurs et amies pour l’inciter à rester dans sa nouvelle demeure. À la fin de la bénédiction religieuse, on lui enlève les vêtements trempés pour la couvrir de blanc avec des habits traditionnels. Elle a le dos tourné et, avec son pied, elle donne un coup au mortier pour le faire tomber.

 

Elle est désormais prête à affronter les réalités de la vie de couple » partageait M. Tapa BATHILY dans les colonnes du quotidien Sénégalais Le Soleil. Ce rituel est censé encourager la nouvelle mariée afin qu’elle soit dans les dispositions psychologiques l’épreuve de la chambre nuptiale.

Il serait intéressant de s’attarder sur ce point. Par épreuve, il faut comprendre que la jeune femme est censée être vierge. On suppose qu’elle n’a jamais connu d’homme donc très novice. La « prise de sa virginité » devient un mythe pour elle et « objet de curiosité » pour les autres. Souvent, elle ne se fait pas sans traumatisme. Des filles refusent de se prêter à un tel exercice le jour des noces par peur, dégout ou pudeur… Les unes développent une peur- bleue  de cette étape tandis que d’autres supportent très mal les douleurs de la « défloration ». Autrefois, l’exercice du pagne maculé constituait également un calvaire pour certaines filles.

 

Selon qu’elles se soient préservées ou pas avant le mariage, plusieurs filles vivaient dans le stress et la peur car les hommes attachent toujours une importance capitale à la virginité. Quelques cas insolites sont souvent mis en exergue.  Heureusement, de nous jours, cette tradition perd de sa superbe. Les époux gardent leur secret dans leur lit nuptial.

 

Autre fait majeur du mariage Soninké concerne le délai de noces dans la chambre nuptiale. Autrefois, les époux passaient plusieurs mois dans cette chambre appelée «  Magno Kompé ». Si le marié pouvait vaquer à ses occupations, la mariée devait rester nuit et jour dans la chambre. Elle ne sortait de la chambre que pour aller prendre son bain ou pour ses besoins primaires ( Wc ). Elle était assistée par  une femme d’âge mûre appelée «  Khoussoumanta » ou «  Haraba » en Soninké. Elle est choisie par la famille de la future mariée par tradition familiale. Cette femme était à la disposition exclusive de la nouvelle mariée.

 

Elle s’occupait de tout. Des courses à la cuisine sans oublier le ménage, le linge… La nouvelle mariée était au repos. Seulement, elle ne pouvait manger à sa guise. Sa nourriture était triée au volet. Des mets spéciaux étaient préparés par la «  Koussoumanta ». En terme de boisson, elle n’avait droit qu’à de l’eau tiède voire chaude mélangée à certaines plantes comme le «  Khaméré » ( Feuilles de vétiver ). Elle prenait soin d’elle pour le plaisir de son mari dans l’obscurité et la chaleur de la chambre nuptiale. Elle portait son « voile » transparent devant les hommes. Seul son mari avait le droit de voir son visage radieux et brillant. Les « khoussoumanta » rivalisaient de technique pour rendre super belle leurs «  magno » ( mariées ). Les résultats étaient attendus le jour de la sortie. En effet, à la fin de la durée de la chambre  nuptiale, les jeunes mariées allaient de maison en maison pour saluer. Une occasion pour la « Khoussoumanta » de faire admirer son travail esthétique à toutes les familles.

 

Il est indéniable que le mariage Soninké est charmant. C’est un évènement heureux plein de sens et de joie qui obéissait à des coutumes ancestrales. Malgré leur attachement à ce rituel pour ne pas dire à leur culture, les Soninké « zappent » de plus en plus certaines étapes de la célébration du mariage. Aussi bien dans les pays d’origine que dans leurs pays d’immigration, les familles Soninké subissent les contrecoups de la modernité et de l’acculturation de leur progéniture. L’un des rites les plus controversés de nos jours dans le pays d’immigration est la chambre nuptiale.

 

A travers une émission radio sur les ondes de la Web radio Soninkara.com, nous avons jugé nécessaire de mettre sous les feux des projecteurs cette tradition ancestrale. Il s’agissait d’analyser sa légitimé dans  des pays d’immigration où le temps fait défaut car le travail passe avant tout. De plus, le modèle d’habitation ( appartement, studio ) et la crise du logement dans les pays d’accueil conviennent difficilement aux différentes étapes de la célébration du mariage Soninké.  Tout ceci concourt à contraindre la diaspora soninké à revoir l’adaptabilité de leurs us et coutumes dans l’immigration.

 

Pendant deux dimanches successifs, les Soninkés du monde entier se sont intéressés au sujet afin de donner leurs opinions sur la question de la « chambre nuptiale » pour ne pas dire «  Magno Kompé ». Il va sans dire que le sujet découle d’une « plainte » récurrente des jeunes soninkés nés dans l’immigration ou venus des pays d’origine, qui, las de se voir imposer ces traditions dans un nouvel environnement, s’élèvent de plus en plus pour critiquer les contours de cette tradition.

 

De prime abord, les auditeurs se sont intéressés au bien-fondé du nombre de jours à passer dans la chambre nuptiale. En effet, il varie selon les familles et des régions Soninké d’origine. Chez certains Soninké dans l’immigration, la norme tourne autour d’une semaine tandis que chez d’autres la chambre nuptiale peut durer deux semaines voire un mois. Les plus pressés ne dépassent pas trois jours. Il est courant de croiser la nouvelle mariée dans le métro parisien au lendemain de sa nuit de noce. Donc, il est clair que le délai à passer dans la chambre nuptiale appelée «  Magno Kompé » n’est pas normé dans l’immigration.

 

Toutefois, les auditeurs sont tous d’accord pour maintenir cette tradition. Cela contribue à garder l’ originalité de l’ethnie Soninké. C’est dans ce contexte que plusieurs de nos auditeurs se dressent contre la nouvelle façon de se marier de la jeune génération. En effet, de nombreux jeunes se marient sans passer par la cage « tradition ». De plus en plus de jeunes filles rejoignent leurs maris dans leurs appartements directement après les fiançailles. Un concubinage de type nouveau qui dérange les parents très attachés aux traditions. Plus surprenant, ils sont plusieurs jeunes à privilégier les hôtels pour passer leurs noces. Cette nouvelle donne a été largement critiquée. Selon plusieurs témoignages, la fragilité des couples d’aujourd’hui découle de la négligence des traditions.

 

La chambre nuptiale est un lieu d’apprentissage. Quand la nouvelle mariée rejoint son mari, ce dernier doit lui apprendre les rudiments de la religion musulmane selon ses capacités. L’homme doit apprendre à sa femme le rituel des grandes ablutions par exemple. Il doit également lui prodiguer des conseils pour l’aider à mieux se sentir à l’aise dans sa nouvelle demeure. La chambre nuptiale permet de se connaitre, de se découvrir et surtout d’apprendre à se supporter. « Zapper » cette étape revient à manquer l’occasion d’apprendre sur sa nouvelle compagne, et vice versa. C’est la raison pour laquelle, le monde Soninké tient fortement à cette tradition « multiséculaire ».

 

Par ailleurs, les auditeurs semblent tous d’accord pour réduire la durée de la chambre nuptiale. « La période d’une semaine » sied à plusieurs de nos appelants. Malgré le manque de temps, ils conseillent aux mariés de bien coordonner par rapport à leur agenda afin de faire leur semaine de noces en toute tranquillité.

 

Par ailleurs, nos auditeurs ont manifesté leur désaccord sur le fait de faire la chambre nuptiale chez un parent ( Oncle, tante, frère…). Ils récusent la célébration de la chambre nuptiale chez les parents de la fille. L’immigration a complètement modifié nos modes de vie.

 

Aujourd’hui, il est de plus en plus fréquent de voir des jeunes hommes aller vivre chez leur belle famille parce qu’ils n’ont pas de logement. Ainsi, on leur aménage une chambre dans l’appartement des parents de la fille afin qu’ils puissent passer leur « semaine de noces ». Les conséquences de ce phénomène sont nombreuses. Se réveiller le matin de ses noces et croiser les regards des parents de la fille est une chose insupportable pour certains Soninké. Au nom de la préservation de la dignité, le soninké doit refuser cette façon de faire. Cela ôte le respect et la honte à l’individu.

 

Nos auditeurs conseillent les jeunes hommes à patienter le temps qu’il faut avant de prendre leur « future femme ». Il faut se préparer sur plusieurs plans. Au minimum, ils exigent d’avoir un logement avant de procéder à la célébration traditionnelle du mariage. De plus, les jeunes doivent savoir les soubassements d’un mariage. Dès qu’on prend sa femme, on devient son tuteur légal. Cela sous entend qu’on doit la nourrir, la vêtir, la choyer. On remplace en quelque sorte ses parents Elle ne doit souffrir d’aucun manquement. Ainsi, il est plus judicieux d’avoir une situation stable aussi bien « matériellement » que « psychologiquement » pour prendre sa future femme.

 

De plus, la célébration du mariage s’accompagne de frais importants qu’il faudra bien jauger avant de s’y lancer. Donc, on doit refuser les mondanités d’un commun accord avec sa femme afin de mobiliser les ressources dans les besoins de la future vie commune. « Le meilleur des mariages est celui qui se fait sans tambours ni trompettes » disent certains. Il s’agit dans ce cas de « laver » rituellement la future mariée et de l’accompagner en toute simplicité dans la demeure de son mari. Les salles à prix d’or décorées dans une tradition aux antipodes du Soninkaxu, les locations de belles rutilantes, les chanteurs payés à coup de milliers d’euros, les strass et les paillettes sont loin d’être des baromètres pour un « bon mariage soninké ».

 

Soninkara.com

 

 

 

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