Yahya Béchir et sa famille, au camp de réfugiés de Boynguel Thilé (Irabiha Abdel Wedoud).

Déportés en 1989, des nomades peuls de retour depuis mars survivent dans des conditions extrêmes dans le camp d’accueil des réfugiés à Boynguel Thilé, à 37 kilomètres au nord d’Aleg, dans le Brakna, à la frontière du Sénégal. Dès l’entrée de cet enfer où survivent 105 familles (385 personnes), Yahya Béchir témoigne :

« Nous sommes à bout, nous manquons d’eau, nous avons soif, très, très soif… Voyez, je ne peux même pas me laver les mains après avoir mangé la bouillie indigeste que voici. Il y a un mois, l’ancien Premier ministre, Yahya Ould Ahmed Waghef, est venu nous voir et nous l’avons supplié de nous fournir de l’eau et de résoudre nos problèmes les plus urgents… Rien n’a été fait. Nous sommes désemparés, déçus, très déçus… J’étais bien plus heureux à Ndioum, au Sénégal et je me demande même ce que je fais ici. Nous sommes traités bien pire que des animaux, les anciennes autorités nous ont amenés puis relégués aux oubliettes. »

Yahya Béchir (Irabiha Abdel Wedoud).

Soudain, Yahya Béchir se tait… Sa voix s’enroule et au bord des larmes, il ajoute : « Il n’y a même pas suffisamment de tentes pour nous accueillir. Seules soixante-quinze familles sont logées, les trente autres sont forcées de vivre ensemble dans cinq tentes minuscules ; pourquoi notre gouvernement nous a-t-il traités de la sorte ? Ne sommes-nous pas des citoyens mauritaniens ? Dites-nous qui nous sommes ! »

Une population déplacée pendant vingt ans

Ces réfugiés sont des nomades peuls originaires de la région du Brakna. Lors du conflit qui a opposé la Mauritanie et le Sénégal en 1989, faisant des milliers de morts de chaque côté de la frontière, ils ont été massivement déportés : l’ancien président Maaouiya Ould Taya les accusait d’être des Sénégalais. Spoliés de tous leurs avoirs, y compris le bétail, au moment de la déportation, ils ont vécu à Dioum, au Sénégal, dans un autre camp, pris en charge par le HCR jusqu’à leur retour en mars 2008.

C’est à cette date en effet que le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi
(Sidioca, déposé depuis, lors du coup d’Etat du 6 août 2008) avait créé ces camps, surnommés par les réfugiés camps de « gaatché », « camps de la honte et de la déception ». Les conditions de vie y défient toutes les lois et principes internationaux en matière de droit humanitaire tels que stipulés dans la Convention de 1951 relative au Statut des Réfugiés, dont la Mauritanie est partie. Quant au nouveau maître du pays, le général Mohammed Ould Abdel Aziz, à la tête d’un Haut Conseil d’Etat, il a promis de rapides élections présidentielles.

Au camp de réfugiés de Boynguel Thilé (Irabiha Abdel Wedoud).
Ishagh Samba Dia (Irabiha Abdel Wedoud).

Volontaire pour la corvée d’eau, Ishagh Samba Dia témoigne des efforts quotidiens qu’il doit fournir pour assurer la survie de son groupe : « Chaque jour, je pars avec cette charrette pour ramener entre quinze et vingt bidons d’eau de la localité d’El Azlat à plus de trois kilomètres d’ici. C’est vraiment très pénible, mais il faut bien le faire. Nous avons soif, terriblement soif dans notre camp. »

Samba Dago (Irabiha Abdel Wedoud).

Samba Dago, responsable de la fontaine asséchée une semaine après son installation en mars, poursuit : « L’ANAIR (l’agence nationale d’appui et d’insertion des réfugiés, ndlr) a construit cette fontaine, mais elle n’a jamais fonctionné. Je me demande pourquoi cette institution qui devrait nous secourir, nous laisse mourir de soif. Dites-leur bien, aux responsables, que nous avons soif, très soif. »

Houléye (Irabiha Abdel Wedoud).

Houléye, 14 ans, nettoie, cuisine et s’occupe des enfants toute la journée : « En venant ici, je croyais que j’allais continuer mes études car à Ndioum, j’ai été jusqu’à la cinquième année du primaire. Ici, il n’y a pas d’école et je suis très triste de ne plus étudier. Je n’ai jamais eu de livres depuis que je suis ici et je voudrais bien savoir si l’année prochaine, nous, les enfants réfugiés, pourrons aller à l’école. »

Abdallah Samba Sow enseigne le Coran (Irabiha Abdel Wedoud).

Devant l’ampleur du désastre humanitaire que vivent ses frères et sœurs, le chef de camp Abdallah Samba Sow est digne mais son regard triste et sa posture résignée. Avare de parole, celui qui est aussi le maitre coranique d’une soixantaine d’élèves, raconte avoir apostrophé lui-même, un mois auparavant, le Premier ministre Ould Waghef, en vain :

« Dans ce camp, notre problème fondamental, c’est l’eau. Les autorités n’ont pas entendu nos appels de détresse. Je ne comprends pas pourquoi l’ancien président de la République, Sidioca nous a ramené dans notre patrie, si c’est pour vivre cette situation dramatique. Nous sommes maltraités comme des animaux et même pire ! »

Abdallah Samba Sow (Irabiha Abdel Wedoud).

Tout en continuant à faire réciter des versets du Coran aux élèves, Abdallah Samba Sow ajoute : « Quant à l’aide alimentaire fournie par le HCR, elle est gérée par une ONG, l’ALPD, dont les responsables nous méprisent. Ils ne nous fournissent que du blé, de l’huile, du sel et un peu de lentilles. Nous n’avons ni lait ni viande ni poisson séché… comment survivre dans ces conditions humiliantes ? »

Alassane Diallo Sow (Irabiha Abdel Wedoud).

Un autre septuagénaire, Alassane Diallo Sow, précise avoir reçu un kilo de lentilles dans sa ration : « Mais personne ne nous a sensibilisé sur ce que c’est… On ne connait pas ce produit et les femmes le donnent au bétail ; nous souffrons et nous sommes découragés… Chacun se demande pourquoi nous sommes venus en Mauritanie ? Nous ne sommes pas les bienvenus ici ! »

Au camp de Khoudelaye, ni soins médicaux ni papiers d’identité

Au camp de réfugiés de Khoudelaye, près de la frontière sénégalaise (Irabiha Abdel Wedoud).

Tout contre la frontière avec le Sénégal, à sept kilomètres au Nord de Boghé, le camp de Khoudelaye accueille 183 familles, soit 729 personnes. Une trentaine de femmes sont réunies sous une tente qui fait office de salle d’alphabétisation, pour ce premier jour de classe.

Houléye Alpha (Irabiha Abdel Wedoud).

Responsable des femmes, Houléye Alpha, mère de sept enfants, témoigne : « Nous manquons de tout : nourriture, école, soins, médicaments et formation pour nos jeunes et nos femmes. Nous cohabitons avec nos beaux parents, à plus de quinze ou vingt personnes. Ni les autorités ni le HCR ni l’ALPD n’ont tenu compte de nos coutumes. Dans ce camp, nous sommes traités de façon inhumaine. C’est révoltant. »

Ramata Adama Ba (Irabiha Abdel Wedoud).

Si le camp de Khoudelaye, contrairement à celui de Boynguel Thilé, a de l’eau potable grâce à l’ANAIR, il manque lui aussi cruellement de nourriture. Parmi les femmes réunies, Ramata Adama Ba témoigne : « Nous espérons que les nouvelles autorités du Haut Conseil d’Etat vont nous secourir rapidement, avant le Ramadan, sinon il y aura des victimes de la famine, c’est certain. »

Les mains de Haby Alpha Ba (Irabiha Abdel Wedoud).

Dans ce camp sans latrines, où les habitations et les tentes sont insuffisantes, les médecins et les infirmiers ne se déplacent jamais pour soigner les réfugiés qui, eux, n’ont pas les moyens de se déplacer jusqu’à Boghé ni d’acheter des médicaments. Les femmes enceintes ne sont pas prises en charge et les accouchements se font dans des conditions précaires. Plusieurs personnes sont très gravement malades.

Haby Alpha Ba (Irabiha Abdel Wedoud).

Une femme, Haby Alpha Ba, dite Guedale, présente des lésions sur tout le corps et a besoin d’une aide médicale urgente : « Je souffre de cette maladie dont j’ignore tout. Mon corps tombe en lambeaux. Je n’ai jamais reçu la visite d’un médecin. Je pense que c’est la malédiction qui m’a amenée ici avec mes enfants qui souffrent cruellement. Aidez-moi à me soigner ! »

Harouna Saidou (Irabiha Abdel Wedoud).

Harouna Saidou, le chef du camp, les rejoint le groupe des femmes : « Nous fondons beaucoup d’espoir dans le Haut Conseil d’Etat. L’ancien régime, qui nous avait amené ici, n’a pas été à la hauteur de nos espérances… Et je voudrais bien savoir pourquoi nous n’avons pas reçu nos cartes nationales d’identité alors que nous avons été recensés dès le premier jour. »

Par Irabiha Abdel Wedoud

Source: nouvelobs.com

 

A lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *