Le « passif humanitaire »* est la charge pesant sur les gouvernements mauritaniens pour les violations des droits de l’homme menées depuis l’indépendance. En particulier celles résultant du nettoyage ethnique mené dans l’administration et l’armée pendant les années 1990-1991. Sous le premier régime mauritanien post-indépendance, la problématique des droits de l’homme n’était pas au centre des préoccupations nationales.

Au lendemain de la proclamation de l’indépendance du pays, les enjeux de reconnaissance internationale, de constitution d’une identité nationale et la lutte au sein de l’appareil étatique pour le contrôle du pouvoir semble être les éléments marquants de cette période. Au passif du premier régime mauritanien, il convient tout de même d’inscrire le remplacement du régime parlementaire par celui du parti unique, les arrestations contre les opposants radicaux et la répression sanglante des émeutes consécutives à l’introduction de l’arabe dans le système éducatif (1966) et à la grève des mineurs de Zouérate (1968).

Arrivés au pouvoir en juillet 1978 à la faveur d’un putsch, les militaires mauritaniens plongent le pays dans un cycle d’instabilité politique marquée par des changements répétés à la tête de l’instance qui dirige le pays. Le lieutenant-colonel Mohamed Khouna ould Haidallah sera celui qui s’imposera arès deux ans d’agitations au sommet de l’Etat. Pendant un peu plus de quatre années de règne, son régime connaitra des remous importants dont des contestations par des intellectuels de la communauté haratine – fondateurs du mouvement El hor, d’autres par des éléments du mouvement baathiste pro-irakien sévèrement réprimées, des arrestations suivies de tortures sont le lot de ces opposants, l’insurrection armée venue du Maroc avec pour objectif le renversement du régime; les chefs du commando, officiers dissidents de l’armée mauritanienne ainsi que leurs supplétifs marocains sont passés par les armes.

Un autre fait marquant du régime ould Haidallah est sans aucun doute l’institution de la charria islamique dans le système juridique mauritanien; la conséquence immédiate de cette politique est l’application du talion en matière criminelle et l’amputation de la main des voleurs. Cette courte période très étouffante pour les droits de l’homme sera interrompue par un énième coup d’état militaire qui intronise le 12 décembre 1984 le régime le plus sanglant de l’histoire de la Mauritanie contemporaine.

Le régime ould Sid’Ahmed TAYA qui durera près de 21 ans (décembre 1984- Août 2005) sera caractérisé en particulier par des violations massives des droits de l’Homme visant la communauté négro-africaine de Mauritanie (exécutions extrajudiciaires, détentions arbitraires, déportations et disparitions forcées) et d’une manière générale, par des atteintes répétées aux libertés publiques, des arrestations et détentions arbitraires contre les opposants, le recours systématique à la torture. Outre la question des violations massives des droits de l’Homme qui sont d’une exceptionnelle gravité, il y a lieu de souligner le caractère particulièrement répressif de ce régime qui a touché quasiment toutes les franges de la population : arrestation d’une quarantaine de personnes, inculpation le 24 septembre 1986 de 21 d’entre elles « pour organisation de réunions non autorisées, publication et diffusion d’ouvrages préjudiciables à l’intérêt national et propagande à caractère racial ou ethnique » et leur condamnation le lendemain, dans un procès expéditif, pour l’ensemble des chefs d’inculpation.

La première vague de condamnations devait ouvrir la voie à d’autres encore plus importantes parmi les proches des détenus[9] et s’étendre aux principales villes du pays (Nouakchott, Kaédi, Rosso, Sélibaby et Zouérate). La répression politique contre les militants des FLAM devait aboutir à la mort en détention, dans le fort de Oualata, de quatre détenus politiques : l’écrivain Tène Youssouf GUEYE, l’ancien ministre DJIGO Tapsirou, BA Alassane Oumar et BA Abdoul Kouddouss, Capitaine. La deuxième phase correspond à un contexte d’agitation frénétique au sein de l’armée mauritanienne: tentative de coup d’Etat par des officiers négro-africains suivie de la tentative toute aussi avortée d’officiers baathistes d’obédience irakienne.

Le pouvoir sévit très sévèrement contre les premiers 9 cinquante et un officiers arrêtés, détenus au secret et soumis à des interrogatoires musclés ; ils n’auront contact avec leurs avocats qu’au jour du procès, le 18 novembre 1987. Le 3 décembre, trois peines capitales, dix-huit peines de prison à vie, neuf peines de vingt ans de réclusion, cinq peines de dix ans et trois peines de cinq ans de prison fermes sont prononcées ; seulement six peines de cinq ans de prison avec sursis avec de lourdes amendes et sept acquittements sont prononcés. Les trois officiers condamnés à mort sont exécutés le 6 décembre. Il s’agit : des Lieutenants Sy Saidou, Bâ Seydi et Sarr Amadou. A propos de la période de l’épuration ethnique (1989-1993), notons qu’elle représente une phase décisive dans les rapports entre le pouvoir mauritanien et la communauté négro-africaine du pays tant l’ampleur de la répression dépasse tout entendement. S’il est courant que des conflits opposent chaque année paysans et agriculteurs pour le contrôle de l’eau et des espaces verts, il paraît tout aussi surprenant qu’une telle constante de la vie rurale dégénère en règlement de compte politique dont la victime expiatoire n’est autre qu’une composante nationale accusée de tous les maux.

En effet, au lendemain des évènements d’avril 1989 qui ont donné lieu à la mort d’un agriculteur sénégalais ainsi qu’à des représailles et contre- représailles au Sénégal et en Mauritanie, il est de notoriété publique que des mauritaniens noirs n’ont pas été épargnés dans le cadre des actions punitives en Mauritanie, a priori dirigées contre les ressortissants sénégalais. Ces actions qui visaient des personnes et des biens auraient pu s’arrêter aux jours des émeutes et la responsabilité des autorités mauritaniennes n’en serait que mieux dégagée. Au-lieu de cela, les émeutes à Nouakchott, qui auraient fait près de 200 morts et donné lieu à des pillages, n’ont été que le prélude à une campagne plus organisée à l’échelle nationale qui prend toutes les formes d’un nettoyage ethnique. Les manifestations principales de cette campagne étaient entre autres les déportations et transferts forcés de populations (à l’échelle du territoire national, des mauritaniens noirs issus majoritairement de l’ethnie Haapulaar’en sont raflés, spoliés de tous leurs biens avant d’être expulsés manu militari vers les pays voisins du sud: le Sénégal et le Mali)

. Les populations les plus affectées par les déportations semblent être les peuls pasteurs (dont près de 67% des campements ont été rasés) et les paysans sédentaires. Estimés globalement à près de 120 000 par les associations de défense de leurs intérêts, les déportés enregistrés par les pays d’accueil étaient estimés au Sénégal à 52.995 en juin 1991 et à 52.945 en juin 1993 alors qu’au Mali 13 000 réfugiés étaient enregistrés par les autorités maliennes. Lors du dernier recensement du HCR du mois de juillet 1997, la population réfugiée était estimée à 66075 personnes. Quel que soit le nombre exact des citoyens mauritaniens déportés, il demeure une constante tragique: l’Etat a déporté ses propres citoyens pour la seule raison de leur appartenance ethnique. Il convient de noter les déportations de populations se sont déroulé dans une atmosphère de violence et de terreur qui continuera encore bien après la fin des opérations d’expulsion vers le Sénégal et le Mali de ceux qui sont de fait déchus de la nationalité mauritanienne.Cette terreur se manifeste par une situation d’état de siège dans la région de la vallée du fleuve Sénégal où les forces armées au sens large et leurs supplétifs civils armés font régner leur loi.

Les meurtres et attaques dirigés contre un groupe national: la présence accrue des forces armées appuyées de miliciens a pour conséquences des actions de criminalité aigüe allant des exécutions sommaires, extrajudiciaires, arbitraires aux disparitions forcées, détentions arbitraires, viols et tortures. Selon la liste établie par l’organisation mauritanienne REJ en 1993, on compterait au moins 343 Civils noirs portés disparus ou exécutés par l’armée et les milices haratines entre 1989 et 1991 contre 29 entre 1991 et 1993. Les charges sont lourdes et les faits plus têtus encore; la campagne de terreur contre les populations civiles s’étend à l’armée et aux différents corps constitués.

Prétextant une tentative de coup d’ Etat, le pouvoir mauritanien procède à une série d’arrestations et transforme les casernes militaires en camps de tortures, de détention et d’extermination. Au moins 539 militaires, tous issus du groupe national visé depuis 1986, meurent sous la torture ou froidement exécutés. Quelques rescapés sont sortis de ces camps de la mort, avec des séquelles importantes et des handicaps sérieux. Outre les exécutions sommaires au sein de l’armée et les séquelles des tortures sur les rescapés, il convient de mettre en lumière une autre forme de violence faite aux membres de la communauté négro-africaine de Mauritanie: la série de purges au sein de l’appareil administratif d’ةtat (armée non comprise) et du secteur privé qui touche au moins 730 travailleurs.

A côté des violences décrites ci-dessus, il convient de mettre l’accent sur les conséquences immédiates du nettoyage des régions de la vallée d’une bonne partie de ses populations. L’accaparement des biens mobiliers et immobiliers des personnes déportés, avec une accentuation de la pression sur le domaine foncier ; la région ayant une économie principalement rurale. Les déportés sont spoliés de leurs champs; ceux qui ne sont pas partis subissent les affres des occupations illégales de leurs terres par des attributions frauduleuses de titres domaniaux au profit de nouveaux occupants;

Le renovateur

*Pour Nous, Forces de Libération Africaines de Mauritanie, l’expression « passif humanitaire » est un euphémisme qui, en réalité, n’est rien d’autre qu’un plan d’épuration ethnique et de dénégrification du pays

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