Le vent léger qui balaie la capitale mauritanienne en cette fin d´année, est á la fois sec et glacial. Après les chaudes journées d´août-septembre, la nature, d´ordinaire si capricieuse en région saharienne, semble s´adapter á la dynamique sociale qui a marqué le pays ces six derniers mois. Comme dans un scénario mal ficelé d´un film de série « B », la vie au pays de Ould Taya a connu des soubresauts qui ont fait craindre le pire. Pourtant, il faudra beaucoup de sagacité au visiteur débarquant á Nouakchott pour essayer de saisir l´intrigue politico-sociale á la base des événements de cet été.

L´accalmie a pour principale cause le désir d´apaisement manifesté par les autorités et la mise hors circuit des dirigeants du mouvement « négro-mauritanien», ainsi qu´ils se définissent eux-mêmes s´étant manifestés au grand jour sous le sigle évocateur de FLAM (Front de libération des Africains de Mauritanie). Tout semble parti de la publication en avril de l´année dernière, d´un « manifeste du négro-mauritanien opprimé » distribué au Sénégal et à certains chefs d´Etats présents aux sommets de L´OUA á Addis Abeba (Ethiopie)en juillet, et á celui des Non-alignés á Hararé (Zimbabwe)en septembre 86. Dans ce document d´une trentaine de pages, tenant plus d´un mémorandum que d´un manifeste, les disparités entre « Négro-mauritaniens » et Beïdanes (Arabo-berbères) sont répertoriés, analysées et critiquées selon des grilles raciales irréductibles. Il y est question d´apartheid, d´oppression et avec force statistiques, les auteurs ont tenté de démontrer les aspects institutionnels et l´origine raciale et culturelle de ce qu´ils appellent tantôt L´Etat Beydane, tantôt le Système Beydane qui, selon eux, s´inspire de l´idéologie exclusiviste selon laquelle, la Mauritanie appartiendrait aux Beydanes qui seuls, doivent la diriger.

On s´en doute, la diffusion de ce document allait attirer sur ses auteurs les foudres de la répression. Une trentaine de cadres négro-africains de tous horizons ayant comme dénominateur commun l´appartenance á l´ethnie Halpular, vont être arrêtés et jugés dans des circonstances qui alimentent encore la controverse. Ainsi, de source proche de la direction présumée du FLAM, on accuse les services du ministère de l´intérieur, d´avoir extorqué sous la torture des aveux dont la validité est contestée avec comme objectif de réduire au silence, ou tout au moins de briser dans l´œuf, toute velléité de révolte des Négro-africains, en concentrant la répression sur une seule composante,(la plus engagée et la plus déterminée assure-t-on).Au besoin, selon ces mêmes sources, le pouvoir allait se lancer dans une véritable chasse aux sorcières, pour éliminer les cadres Halpulareen encore en activité dans le gouvernement, l´administration et le secteur parapublic, afin de leur substituer des Maures ou des Haratines et á un second degré, des Soninkés au tempérament moins frondeur.

NI NOIR, NI BLANC

Diviser pour régner? Rien de tout cela susurre sur le ton de la confidence le Ministre de l´intérieur, le lieutenant-colonel Djibril Ould Abdallah,l´homme dont le nom fait l´objet de jeu de mots caustiques dans les tracts et sur les murs, celui par qui, aux yeux de ses adversaires, le scandale est arrivé. L´homme est á coup sûr déterminé et habile. Maniant avec dextérité le langage et les techniques de la communication interpersonnelle, il entreprend de faire entrer son interlocuteur dans une logique irrésistible, faite de raison (d´Etat!), et d´impératifs sécuritaires.

Le Manifeste? « En Mauritanie, on a l´habitude des tracts et les auteurs sont toujours connus. On ne les arrête pas pour autant ».

L´innovation, c´est la publicité faite á l´extérieur autour de ce document « car rien ne justifiait une telle aberration», s´est indigné le Ministre de l´intérieur, qui visiblement, n´a pas pardonné á ses compatriotes incriminés dans cette affaire d´avoir cherché á prendre á témoin l´opinion internationale. En écho aux accusations concernant les tortures et l´acharnement sur une cible sélectionnée, le Ministre est catégorique: «A aucun moment, nous n´avons utilisé la torture,  d´ailleurs ce n´était même pas nécessaire. La preuve, c´est 48 heures après les premières arrestations, ils se sont « aplatis » et ont parlé». Quant á la volonté qu´on lui prête d´avoir voulu casser du Halpular, le démenti se trouve selon lui, dans les résultats de l´enquête: «c´est eux que l´enquête a mis en cause, «affirme-t-il avec force. Je ne peux pas sauter sur un Soninké s´il n´a rien fait», se défend-il.

N´y a-il pas eu abus de pouvoir? A-t-on le droit d´arrêter des personnes pour avoir exprimé leur opinion même sous la forme d´un manifeste? A l´évidence, cette affaire embarrasse beaucoup les autorités qui, dès leur arrivée au pouvoir il y a deux ans, avaient vidé les prisons de leurs occupants, pour la plupart des militants des mouvements nassériens et bassistes pan arabes. A ce propos, le Lieutenant-Colonel Djibril Ould Abdallah fait remarquer qu´un régime libéral comme celui du président Taya, qui a á son actif la libération de plus de 300 personnes, est « ce qui peut arriver de mieux á la Mauritanie», même si cela fait des mécontents», ajoute-t-il en martelant ses mots, «nous continuerons car,il s´agit, après toutes ces années d´incertitudes, de démontrer que nous sommes capables de stabilité ».

Le délit d´option écarté, que peut-on alors retenir contre les auteurs du manifeste? «Si dans la recherche des auteurs du manifeste, je n´avais trouvé que des idées, je n´aurais poursuivi personne, mais á partir du moment oú on parle de tuer, c´est qu´on n´a pas d´idées á proposer». Ces propos du Ministre de l´intérieur semblent refléter le désarroi qui s´est emparé des autorités prises de court, par la tournure des événements. Le sous-titre du manifeste-en porte-à-faux avec le contenu «de la guerre civile á la lutte de libération nationale», l´évocation du drame sud-africain dans un premier temps, incendiés et actes de violence qui ont suivi les premières arrestations n´ont pas manqué de conforter les autorités dans leur sentiment qu´il fallait « crever l´abcès tout de suite et, ne pas permettre qu´ »ils passent á l´action ». « Ces gens-là ne représentent rien d’autre que leur propre ambition déçue et utilisent la couleur de leur peau comme moyen de chantage pour accéder á des postes de responsabilité ou obtenir des faveurs de l´administration et du gouvernement. Jusqu´ici, cela a pu marcher avec les précédents régimes», entend-on dire.(lire l´entretien avec Boubacar Messaoud directeur de la SOCOGIM- L´enjeu harratine Page14).

Une solution est possible

« En 1966, avec les camarades cosignataires, nous avons tiré sur la sonnette d´alarme et voici 20 ans après, les choses n´ont pas fondamentalement changé ».

Pourtant, selon notre interlocuteur, «une solution était alors possible». Le président Moctar Ould Daddah (premier président de la Mauritanie de 1960 á 1978) avait, au lendemain des affrontements raciaux de 1966, désigné une commission paritaire multi-ethnique chargée de sillonner le pays pour recueillir toutes les données et les différents points de vue sur la question nationale. En outre, cette commission devait séjourner dans certains Etats multiraciaux pour tenter de se rendre compte et éventuellement s´inspirer de l´expérience des autres.il aurait même été envisagé l´institution d´un poste de Premier ministre qui formaliserait ainsi le partage du pouvoir.

« Regardez le cas de la Tanzanie où il n y a pourtant pas de problèmes raciaux (ils sont tous noirs), quand le président est de Zanzibar,le premier ministre est du Tanganyka et vice versa ». Ces informations, recueillis auprès d´un « témoin » et acteur » ayant requis l´anonymat, n´ont pu être vérifiées. Cependant, elles ont valeur indicative quant á l´existence d´une crise d´identité que ni les solutions administratives ni la religion ne sauraient éluder.

(..) Pour l´observateur, pris dans le faisceau éblouissant de courants contradictoires et dont certains s´excluent et se dénigrent, une réalité demeure: «la nécessité d´une Mauritanie….mauritanienne .les problèmes mauritaniens doivent-être posés par des mauritaniens, discutés entre Mauritaniens et solutionnés par les Mauritaniens eux-mêmes ». Aussi surprenant que cela puisse paraitre, cette profession de foi ne provient pas des autorités mais de l´appel contenu dans le manifeste attribué au FLAM. On peut y lire également ces phrases bouleversantes: «Notre amour pour ce pays nous commande á inviter toutes nos nationalités á un dialogue des races et des cultures, dans lequel nous nous dirons la vérité pour guérir nos maux ».

« Il faut que nous traduisons dans la réalité nos appels au salut et au redressement de notre pays, au lieu de dépenser toutes nos ressources et toutes nos potentialités dans des querelles raciales et culturelles dont les principaux bénéficiaires ne seraient certainement pas des Mauritaniens ».

Les auteurs de ces lignes aujourd´hui en prison, n´ont-ils pas droit á la compréhension et, à la limite á la mansuétude des autorités, si l´on ramène les événements á des dimensions plus justes? Au total, le manifeste ne serait pas plus qu´un cri de révolte devant une situation de différenciation sociale qui a pris des contours ethniques, d´oú la nécessité d´un débat national oú la libre expression serait la garantie de la participation de tous aux solutions et le gage de la soumission des différentes composantes de la Mauritanie au consensus qui s´en serait dégagé.(..)

Babacar Touré

SUD MAGAZINE numéro 4 janvier 1987

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