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Messieurs le président et les membres du comité militaire de salut national à Nouakchott.

Le 22 septembre 1987, des militants arabo berbères du mouvement baath, d’obédience irakienne, ont été libérés à la faveur d’un verdict clément, rendu par la cour criminelle de Nouakchott. Les uns ont été condamnés à 6 mois de prison avec sursis, les autres purement et simplement relaxés.

Arrêtés en flagrant délit à la fin du mois d’août, ils ont été accusés «d’appartenir à une organisation de malfaiteurs», «d’avoir participé à des réunions non autorisées, avec «séquestrations» et «détournement de mineurs».

On se rappelle qu’il y a un an nous avions été arrêtés et condamnés pour «appartenance à une organisation illégale», «participation à des réunions non autorisées», «élaboration et distribution de tracts», «propagande à caractère raciste».

Les peines maximales, allant de six(6) mois à cinq(5) ans de prison ferme nous furent alors infligées avec un cortège de dispositions toutes privatives de droits (bannissements, amendes lourdes, pertes de droits civiques) que confirmeront les cours d’appel et de cassation.

Si les militants du Baath ont pu bénéficier de conditions optimales pour leur défense, notre procès fut, quant à lui, une véritable parodie. En effet, leurs avocats ont pu régulièrement les rencontrer et accéder librement à leurs dossiers. Ce ne fut pas le cas des nôtres qui eurent toutes les difficultés à la fois pour nous rencontrer et pour prendre connaissance à temps, des rapports de police, lors de la première audience. Le tribunal s’étant opposé à leur demande de report de la dite audience, nos avocats se virent dans l’impossibilité » de remplir leur mission et quittèrent la salle.

Malgré ce vice de procédure, l’absence de nos avocats, et notre refus de parler, sans eux, le tribunal prononça tout de même, sa condamnation. Ajouté à tout cela, le parquet n’a pu justifier d’aucune preuve patente si ce ne sont les aveux obtenus dans les locaux de la police sous la torture la plus sauvage et les pressions psychologiques et morales. Comble de l’ignominie, une des détenues fut violée par un officier de police, à ce jour impuni.

Ni l’audition des accusés, ni le dépouillement des dossiers n’ont pu justifier cette condamnation, pas la moindre mention de flagrant délit.

Contrairement aux Baathistes trouvés en pleine réunion, nous avons été tous arrêtés à domicile, au bureau, au cours de voyage. Mieux, a l’appel le ministère public déclaré d’avoir rien à retenir contre certains d’enter nous dont les peines furent, tout de même confirmées. Que dire alors de ce verdict à l’endroit de ces militants arabo berbères dont l’extrême clémence contraste avec le réquisitoire l’avocat général qui demandait contre eux la réclusion à perpétuité?

Ces procès révèlent, on le voit bien un traitement discriminatoire qui devaient se perpétuer jusque dans nos conditions de détentions; celles-ci, d’une extrême sévérité se traduisent pour nous depuis plus d’an par toutes sortes d’interdictions. Interdiction de communiquer avec nos familles, délogées depuis notre condamnations et dont certaines avaient été prises en otage par la police, interdiction à tout moment donné, de recevoir d’elles ou d’acheter du matériel nécessaire à la condition de vie quotidienne (vêtements, savons, bougies, sucre etc., nos familles nous prenant en charge totalement pour la nourriture et les médicaments), refus d’examens et de soins médicaux spécialisés(cf. diverses maladies oculaires, dentaires, accident au retour du procès ayant entrainé fractures et luxations etc. .,,,) , interdiction e nous mouvoir à l’intérieur de la prison, réclusion et surveillance permanente par un poste de garde en faction devant nos cellules verrouillées, sans compter la promiscuité due à l’exigüité et à l’insalubrité des locaux. *

Nous vous faisons grâce de la scène de la mitraille sur la nuque en nous rendant aux commodités et de la vindicte de certains agents de surveillance qui confondent leur prise de position politique ou affective avec la législation pénitentiaire.

Telles sont nos conditions de détention, conditions que reprouvent et l’esprit et la lettre de la déclaration universelle des droits de l’Homme (O.N.U), de la charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples (OUA) dont notre pays est signataire et que par ailleurs, aucune disposition de la sentence qui nous frappe ne justifie.

Les neuf correspondances adressées par nous aux différentes autorités : régisseur, commandant du GR9 (l’officier de la garde chargé de la prison), gouverneur, procureur de la République, Délégué du gouvernement, Ministres de l’intérieur et de la justice(lettres des 17/11/86, 14/12/86, 14/2/87, 25/3/87, 29/3/87,19/5/87, 8/6/87 et 9/6/87) sont restées sans suite.

Cependant, dès l’arrivée des Baathistes qui furent emprisonnés dans les mêmes que nous, avant d’être jugés, les conditions s’améliorent, comme par miracle. Ainsi la porte qui demeurait toujours close est ouverte, la circulation à l’intérieur de la prison est autorisée. Mieux, on leur aménage les entrevues clandestines avec leurs familles, ce qui nous est toujours refusée.

Deux médecins sont réquisitionnés, sur la demande de leur avocats, pour les consulter permettant ainsi à certains d’entre nous d’en profiter.Curieusement, dès leur relaxe, nous fûmes remis dans nos cellules de réclusions initiales

Il apparait clairement, clairement à travers ces procès et ces conditions de détention, une politique de deux poids deux mesures.

Nous tenons ici à lever toute équivoque : nous ne serons cautionner une justice qui, pour réparer des tords commis contre nous, condamnerait les Baathistes(ou tout autre) s’ils se révèlent innocents ; Bathistes avec lesquels, du reste, nous avons vécu en parfaite harmonie durant leur brève détention. En second lieu, nous sommes opposés à toute détention pour délit d’opinion.

Car si nous sommes en prison, transformés arbitrairement en détenus de droit commun, c’est pour avoir ouvertement exprimé nos opinions politiques. Si le «Manifeste du negro-Mauritanien opprimé» publié en avril 1986 mettait à nu l’existence de l’oppression raciale dans notre pays, il dénonçait également le chauvinisme érigé en système depuis l’indépendance, plaçant le négro mauritanien dans une situation de dominé. Toute la situation décrite ci-dessus ne fait que confirmer la justesse de nos vues sur la question nationale.

Pour toutes réponses aux propositions avancées on a choisi la répression pour esquiver la question, au lieu de chercher des solutions de fond. En effet, tous ceux qui nous avaient soutenus matériellement ou moralement et ceux qui avaient refusé de cautionner notre arrestation furent soit demis de leur fonction, soit emprisonnés dans diverses localités du pays notamment à Nouakchott, Kaedi, Selibaly, Rosso, Diowol, Noudhibout, ou Zouerate. Les autres, pour échapper à la répression durent s’exiler. Une psychose est créée et entretenue pour décourager toute velléité de résistance.

Cette vaste répression a eu lieu durant la réimplantation syndicale et à la veille à la campagne pour les élections municipales, pour lesquelles du reste, le recensement de la populations noire n’a pas été correctement fait. Une telle attitude répressive qui n’est pas nouvelle ne fait que conduire, à terme, à l’impasse. Seule la solution correcte de la question nationale pourrait permettre à toutes nationalités de profiter de l’expérience démocratique amorcée et du programme d’alphabétisation en cours.

Nous tenons à réaffirmer ici notre attachement à la construction et à l’unité nationale qui présuppose l’égalité de toutes nos composantes nationales. Nous sommes convaincus que…*ne peuvent résoudre à eux seuls ce grave et délicat problème.

Ils pourraient, tout au plus créer les conditions favorables à un débat national ou le peuple, tout entier, débarrassé de ses complexes, se prononcera sur la question afin de la régler définitivement.

Nous osons espérer que instance saisira l’opportunité qui lui est offerte pour écrire positivement son mon dans l’histoire nationale.

* Cette partie de la ligne est illisible suite à une détérioration de la lettre.

Prison civile de Nouakchott

Le 03 octobre 1987

Les signataires :

Fara BA Professeur

Idrisa Ba Agent d’élevage Syndicaliste.

Ibrihima Kassoum BA, Contrôleur des douanes.

Mamadou Bocar BA, Professeur, inspecteur enseignement secondaire.

Mamadou Sidi BA Professeur, adjt technique de santé.

Oumar Moussa BA Professeur, conseiller pédagogique.

Abdoulaye BARRY Conseiller des affaires étrangères.

El Hadj DIA Électricien.

Amadou Tidiane DIA Étudiant.

Aboubacry DIALLO Inspecteur sanitaire

Tafsirou DJIGO Ingénieur agronome.

Oumar Mamadou GUEYE Agent de banque – syndicaliste

Mamadou Yero KANE Ingénieur – économiste

Abdoul Aziz KANE, Ingénieur – Météorologue.

Saidou KANE (Sr) Professeur chercheur, Inspecteur du secondaire.

Saidou KANE (Sr) Étudiant.

Chouaibou LY Réalisateur TV

Djibril Hamet LY Inspecteur enseignement fondamental.

Ibrahima Abou SALL Professeur d’Histoire.

Ibrahima SARR Écrivain – Journaliste.

Amadou Moctar SOW Ingénieur Génie Civil.

Mamadou Oumar SY Homme d’affaires.

Mamadou youssouf SY Inspecteur du trésor.

Samba THIAM Inspecteur enseignement fondamental.

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