Le 28 octobre 1987, Gabriel Cymper devenu entre-temps Djibril Ould Abdallahi, ministre mauritanien de l’intérieur annonce qu’un complot visant à renverser le régime a été déjoué dans la nuit du 22 au 23 octobre 1987.Un complot impliquant bizarrement une cinquantaine d’officiers. Ces derniers furent accusés, suivant les articles 83 à 90 du code pénal, d’«atteinte à la sécurité de l’Etat en participant à un complot dont le but est de renverser le régime en place et de porter le massacre et la dévastation dans la population ».
Un procès expéditif devant la cour spécial de justice, condamna à mort le 3 décembre 1987, trois lieutenants de l’armée (Sy Saidou Daouda, Bâ Seydi, Sarr Amadou) et à des peines de prison les autres conspirateurs. Les trois officiers condamnés à des peines capitales furent exécutés le 6 décembre 1987.
Au regard des peines prononcées par la cour spéciale de justice mais, également, au regard de la nature des faits, la question du caractère équitable de la décision sera posée par quelques observateurs de la scène politique mauritanienne. Par ailleurs, comment interpréter le fait qu’un an après la condamnation des militaires noirs, des militaires maures d’obédience baathiste qui projetaient en juillet 1988 de renverser le régime militaire, et dont les plans furent déjoués, aient écopé de peines de sursis et de légères peines d’emprisonnement au regard des motifs pour lesquels ils avaient été arrêtés et jugés.
Décision de la Cour spéciale de justice dans l’affaire des militaires Négro-africains
La Cour spéciale de Justice
Chambre De Sûreté De L’Etat
Affaire: Audience du 18.11.1987 au 03.12.1987 à J’reida
Contre: Anne Amadou Babaly, Sy Bocar, Diop Djibryl, Ly Mamadou Bocar et consorts.
Accusation: Atteinte à la sureté de l’Etat.
Avocat General : Vu la procédure de crime flagrant suivie contre nommés:
1 – Anne Amadou Babaly, colonel né en 1934 à Ogo de Babaly Kadi et de Oumou Ciré Ly. Détenu suivant mandat de dépôt du 8.11.1987 comparant et assisté à l’audience de ses conseils constitués Maitre Brahim Salem et Diagana Mamadou.
2 – Sy Bocar, capitaine né en 1 948 à Thialgou, fils d’Oumar Bocar et d’Aissata Sileye. Détenu suivant mandat de dépôt du 8.11.1987, comparant et assisté de son conseil constitué Maitre Yacoub Diallo.
3 – Diop Djibryl Amadou, ex-capitaine, né en 1953 à Aeré, de Mamadou Boubou et de Diary Bâ. Détenu suivant mandat de dépôt du 8.11.1987, comparant et assisté de son conseil constitué Maitre Yacoub Diallo.
4 – Ly Mamadou Bocar, ex-commissaire de police né en 1942 à Loboudou de Aboubekrine Ly et d’Aminata Dembélé. Détenu suivant mandat de dépôt du 8.11.1987, comparant et assisté de ses conseils constitués Maitres Diabira Maroufa, Moctar Ould Ely, et Ball Ahmadou Tidjane.
5 – Sarr Amadou, lieutenant, né en 1955 à Rufisque (République du Sénégal) de Samba Sarr et de
Dimo Niang. Détenu suivant mandat de dépôt du 8.11.1987, comparant et assisté de son conseil constitué Maitre Mahfoud Ould Bettah.
6 – Bâ Seydi, lieutenant, né en 1959 à Walaldé de Amadou Baba Bâ et de Marieme Mamadou Dieng. Détenu suivant mandat de dépôt du 8.11.1987, comparant et assisté de ses conseils constitués Maitres Kamara Aly, Mohamed Chein et Diagana Mamadou.
7 – N’Gaindé Aliou Moctar, lieutenant, né en 1955 à Boghé de Moctar Adama et de Fatimata Mamadou. Détenu suivant mandat de dépôt du 8.11.1987, comparant et assisté de son conseil constitué Maitre Diagana Mamadou.
8 – Sy Saidou Daouda, lieutenant, né en 1952 à Aeré M’baré de Daouda Fadere et de Houley Korka. Détenu suivant mandat de dépôt du 8.11.1987, comparant et assisté de son conseil constitué Maitre Diabira Maroufa.
9 – Kane Mamadou, lieutenant, né en 1961 à Tékane de El Housseynou Kane et de Dieynaba Kane.Détenu suivant mandat de dépôt du 8.11.1987, comparant et assisté de son conseil constitué Diagana Mamadou.
Décision: Attendu qu’il échoit d’ordonner la confiscation générale au profit de la nation des biens des
condamnés conformément à l’article 21 alinéa 3 de l’ordonnance 85 118 du 28.05.1985.
Par ces motifs
Statuant publiquement, contradictoirement en matière criminelle en premier et dernier ressort déclare coupables de crime d’atteinte à la sureté de l’Etat: Lieutenant Bâ Seydi, Lieutenant Sarr Amadou, Lieutenant Sy Saidou Daouda, sur la base de l’article 88 du code pénal, les condamne à la peine de mort.
Déclare coupables du crime d’atteinte à la sûreté de l’Etat:capitaine Sy Bocar, lieutenant Bâ Abdoul Khoudouss, lieutenant N’Gaindé Aliou Moctar, lieutenant Kane Mamadou, lieutenant Dia Abderrahmane, lieutenant Diop Moussa Elimane, lieutenant Yonghane Djibryl, lieutenant Boye Alassane Harouna, Adjudant-chef Diop Sileye, adjudant-chef Alassane Oumar Bâ, adjudant-chef Gueye Papa, adjudant-chef Thiam Djiby, adjudant Diop Abdoulaye, adjudant Baba Sy, adjudant Bâ Alassane Amadou et lieutenant Diacko Abdoul Kerim, sur la base de l’article 83 du code pénal : Les condamne aux travaux forcés à perpétuité.
Déclare coupables du crime d’atteinte à la sûreté de l’Etat: sergent-chef Tall Yero, sergent-chef Sy Mamadou Alassane, lieutenant-colonel Mamadou Habi Bâ, sergent Sow Amadou Sadio, lieutenant N’Gaindé Mamadou Sadio, brigadier Djiby Ali Mayel Sy:Les condamne à 20 ans de travaux forcés sur la base de l’article 84 alinéa 2 du code pénal.
Déclare coupables du crime d’atteinte à la sûreté de l’Etat: Adjudant Barro Moussa Gomel, adjudant Sy Hamady Racine, sergent-chef Djiby Doua, brigadier Kane Ibrahima Amadou, commissaire Ly Mamadou Bocar: Les condamne à 10 ans d’emprisonnement et une amende de 300.000 UM sur la base de l’article 84 alinéa 2 du code pénal.
Déclare coupables du délit de non dénonciation de crime d’atteinte à la sûreté de l’Etat: lieutenant Baye N’diaye Fall, lieutenant Kane Harouna, adjudant Thiaw Mamadou: Les condamne à 5 ans d’emprisonnement et une amende de 300.000 UM sur la base de l’article 97 alinéa 1 du code pénal et les fait bénéficier du sursis sur la base de l’article 301 du code pénal.
Déclare coupables de non dénonciation de crime d’atteinte à la sûreté de l’Etat: lieutenant Niang Amadou Ousmane, lieutenant Bâ Boubacar, lieutenant Wone Abdoulaye, lieutenant Thiam Moctar, adjudant Niang Mamadou Alassane, adjudant Sow Moussa Bilaly: Les condamne à 5 ans d’emprisonnement et une amende de 300.000 UM sur la base de l’article 97 alinéa 1 du code pénal et les fait bénéficier du sursis sur la base de l’article 301 du code pénal.
Déclare non coupables du crime d’atteinte à la sûreté de l’Etat: Colonel Anne Amadou Babaly, lieutenant Kane Amadou, adjudant-chef Wone Abdoulaye, adjudant-chef Kamara Daouda, adjudant Cheikh Ahmed Tidjane, adjudant Kane Djiby, adjudant-chef en retraite Ba Alassane Racine: Les acquitte sur la base de l’article 302 du code de procédure pénal.
Ordonne la confiscation générale des biens des condamnés au profit de la nation conformément aux dispositions de l’article 21 alinéa 3 de l’ordonnance 85 118 du 28 mai 1985, portant réorganisation de la cour spéciale de justice.
Les condamne solidairement aux frais et dépens.
Dit qu’ils seront contraints par corps conformément à la loi.
Ordonne l’exécution du présent arrêt à la diligence de l’Avocat Général.
Le tout en application des articles susvisés et ensemble, les articles 635 et suivant s du code de procédure pénal.
Ainsi fait jugé et prononcé publiquement par la chambre de sûreté de l’Etat de la cour spéciale de justice à Jreida en audience du 3.12.87 à laquelle ont siégé:
Colonel Cheikh Ould Boïde: président
Capitaine Baby Housseynou: Assesseur
El Arby Ould Mohamed Mahmoud: Assesseur.
En présence du capitaine Ahmed Ould Bekrine: Avocat Général
Et avec l’assistance de Oumar Touré : Greffier.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par monsieur le président et le greffier
Source : thèse de Sidi N’Diaye « Le passé violent et la politique du repentir en Mauritanie: 1989-2012 »